VPB 58.130
(Extrait d'une proposition du Département fédéral des affaires étrangères du 27 janvier 1994, approuvée par le Conseil fédéral le 2 février 1994; partiellement publiée dans «Pratique suisse 1993», N° 9.3, Revue suisse de droit international et de droit européen 5/1993)
Anwendung der Resolution 827 des Sicherheitsrats der Vereinten Nationen betreffend die Schaffung eines ad hoc Gerichts für die in Ex-Jugoslawien begangenen Verbrechen gegen das humanitäre Völkerrecht.
Grundlagen der autonomen Anwendung durch die Schweiz.
Application de la Résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies relative à l'établissement d'un tribunal ad hoc pour les crimes contre le droit humanitaire commis en ex-Yougoslavie.
Bases de l'application par la Suisse à titre autonome.
Applicazione della Risoluzione 827 del Consiglio di sicurezza delle Nazioni Unite concernente lo stabilimento di un tribunale ad hoc per i crimini contro il diritto internazionale umanitario commessi nella ex Jugoslavia.
Fondamenti dell'applicazione autonoma da parte della Svizzera.
1. La Résolution 827 et le Statut du Tribunal
Depuis le début de 1993, plusieurs Etats européens, y compris la Suisse, ont suggéré la création d'un tribunal international ad hoc qui aurait à connaître des violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie. Un tribunal international, parce qu'il apparaissait clairement que les juridictions internes ne seraient pas en mesure d'assumer cette fonction; un tribunal créé ad hoc, par une voie autre que celle de la conclusion d'un traité, parce que l'établissement d'un organisme permanent, étudié par la Commission du droit international des Nations Unies depuis les années cinquante, aurait pris trop de temps et que le recours à la voie conventionnelle aurait permis aux Etats les plus concernés de se soustraire à la juridiction de cet organisme en refusant de devenir parties au traité constitutif de celui-ci.
...
Le 19 février 1993, le Conseil de sécurité a adopté la Résolution 808, par laquelle il a décidé en principe de créer un tribunal ad hoc et a chargé le Secrétaire général des Nations Unies de lui fournir, dans les deux mois, un rapport sur la question ainsi qu'un projet de statut pour un tel tribunal. Au cours de l'élaboration de ce projet, le Secrétaire général a pu profiter de nombreuses observations, dont également celles présentées par la Suisse, Etat non membre de l'Organisation. Le rapport a été soumis le 3 mai 1993; le Conseil de sécurité l'a adopté, sans modifier le projet de statut qui y était joint, par sa Résolution 827 du 25 mai 1993[28].
La Résolution 827, qui approuve le Rapport du Secrétaire général et, partant, le projet de Statut du Tribunal, a été adoptée sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies («Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression»). Elle est donc contraignante pour les membres de l'Organisation, conformément aux art. 39 et 25 de la Charte. Mais ce texte va plus loin puisqu'il s'adresse «aux Etats», y compris donc ceux qui, à l'instar de la Suisse, ne sont pas membres des Nations Unies. En contrepartie, le Statut du Tribunal (art. 13) permet aux Etats non membres de présenter des candidats pour la fonction de juge et de participer à l'élection des membres du Tribunal au sein de l'Assemblée générale. La Résolution (point 4) aussi bien que le Statut (art. 29) enjoignent enfin à «tous les Etats» de coopérer pleinement avec le Tribunal et ses organes, notamment en lui livrant des suspects et en lui fournissant documents et témoignages. De plus, le Statut du Tribunal renferme des dispositions limitant la compétence des tribunaux internes (art. 9 et 10), permettant au Procureur près le Tribunal d'enquêter sur le territoire étatique (art. 18 § 3) et prévoyant que les sentences prononcées par le Tribunal peuvent ordonner la restitution à leurs propriétaires légitimes des biens et ressources illicitement acquis (art. 24 § 3). Enfin, les personnes associées aux activités du Tribunal, dont le siège a été fixé à La Haye (Pays-Bas), doivent pouvoir bénéficier, sur le territoire d'Etats tiers, des privilèges et immunités des Nations Unies prévus par la Convention du 13 février 1946 (art. 30 du Statut), à laquelle la Suisse n'est pas partie.
2. L'application de la Résolution 827 et du Statut du Tribunal sur le plan du droit international
Aux termes de l'art. 34 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (RS 0.111), les traités ne lient pas les Etats tiers sans leur consentement. Du point de vue juridique, ni la Charte des Nations ni les décisions obligatoires prises par le Conseil de sécurité de l'Organisation dans le cadre du chapitre VII de la Charte n'engagent donc la Suisse. L'art. 2 § 6 de la Charte ne dément aucunement cette affirmation. Cette disposition se borne en effet à stipuler que «[l']Organisation fait en sorte que les Etats qui ne sont pas Membres des Nations Unies agissent conformément [aux principes de l'Organisation] dans la mesure nécessaire au maintien de la paix et de la sécurité internationales». L'Organisation s'acquitte de cette obligation, qui pèse sur elle et non sur les pays qui n'en sont pas membres, en déclarant la Résolution 827 applicable «aux Etats». Le fait que la Charte ne met aucune obligation à la charge des pays non membres ne signifie pas, toutefois, que ces derniers ne puissent pas consentir à assumer des devoirs dans le cadre de la Charte.
La Suisse, qui n'est pas membre des Nations Unies, s'est associée à plusieurs reprises à des résolutions du Conseil de sécurité à titre autonome, c'est-à-dire volontairement, pour des motifs d'ordre éthique et politique: solidarité avec la communauté des Etats en vue de maintenir la paix et la sécurité internationales; désir d'éviter que des sanctions prises en vertu du chapitre VII ne soient tournées par des opérations triangulaires impliquant la Suisse: lutte contre le terrorisme international.
La Résolution 827 s'inscrit dans le cadre du chapitre VII et vise ainsi à restaurer et à maintenir la paix (préambule, quatrième et sixième alinéas). Cette raison devrait à elle seule suffire pour amener la Suisse à appliquer ce texte à titre autonome. Qui plus est, la Résolution (préambule, troisième, cinquième, sixième et septième alinéas) a pour but de contribuer à l'application effective du droit international humanitaire, tout particulièrement des Conventions de Genève de 1949 (préambule, dixième alinéa). La Suisse, terre d'origine et dépositaire de ces instruments - qui, à ce titre, porte une responsabilité morale particulière en la matière - ne peut se soustraire à la Résolution 827 en excipant de son caractère juridiquement non contraignant. On ajoutera, enfin, que la Suisse a activement participé aux efforts aboutissant à l'adoption de cet instrument et à l'élaboration du Statut du Tribunal; elle ne saurait dès lors s'en démarquer en se prévalant du fait qu'elle n'est pas liée, sans son consentement, par les résolutions prises par le Conseil de sécurité en application du chapitre VII de la Charte. Une telle attitude ne serait du reste pas comprise par l'opinion publique suisse.
En conclusion, la Suisse devrait appliquer à titre autonome la Résolution 827, y compris le Statut du Tribunal international ad hoc.
Annexe
RESOLUTION 827 (1993)
Adoptée par le Conseil de sécurité à sa 3217e séance, le 25 mai 1993
Le Conseil de sécurité
Réaffirmant sa Résolution 713 (1991) du 25 septembre 1991 et toutes les résolutions pertinentes qui ont suivi,
Ayant examiné le rapport établi par le Secrétaire général (S/25704 et Add. 1) en application du § 2 de la Résolution 808 (1993),
Se déclarant une nouvelle fois gravement alarmé par les informations qui continuent de faire état de violations flagrantes et généralisées du droit humanitaire international sur le territoire de l'ex-Yougoslavie et spécialement dans la République de Bosnie-Herzégovine, particulièrement celles qui font état de tueries massives, de la détention et du vol massifs, organisés et systématiques des femmes et de la poursuite de la pratique du «nettoyage ethnique», notamment pour acquérir et conserver un territoire,
Constatant que cette situation continue de constituer une menace à la paix et à la sécurité internationales,
Résolu à mettre fin à de tels crimes et à prendre des mesures efficaces pour que les personnes qui en portent la responsabilité soient poursuivies en justice,
Convaincu que, dans les circonstances particulières qui prévalent dans l'ex-Yougoslavie, la création d'un tribunal international, en tant que mesure spéciale prise par lui, et l'engagement de poursuites contre les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international permettraient d'atteindre cet objectif et contribueraient à la restauration et au maintien de la paix,
Estimant que la création d'un tribunal international et l'engagement de poursuites contre les personnes présumées responsables de telles violations du droit humanitaire international contribueront à faire cesser ces violations et à en réparer effectivement les effets,
Prenant note à cet égard de la recommandation des Coprésidents du Comité directeur de la Conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie en faveur de la création d'un tel tribunal (S/25221),
Réaffirmant à cet égard qu'il a décidé, par la Résolution 808 (1993), la création d'un tribunal international pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991,
Considérant que, jusqu'à la nomination du Procureur du Tribunal international, la Commission d'experts établie par la Résolution 780 (1992) devrait continuer à rassembler de manière urgente l'information sur les violations graves dont on aurait la preuve des Conventions de Genève et d'autres violations du droit humanitaire international, comme cela est proposé dans son rapport intérimaire (S/25274),
Agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
1. Approuve le rapport du Secrétaire général;
2. Décide par la présente résolution de créer un tribunal international dans le seul but de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie entre le 1er janvier 1991 et une date que déterminera le Conseil après la restauration de la paix, et d'adopter à cette fin le Statut du Tribunal international annexé au rapport ci-dessus mentionné;
3. Prie le Secrétaire général de soumettre aux juges du Tribunal international, dès qu'ils seront élus, toutes suggestions présentées par des Etats en ce qui concerne le règlement prévu à l'art. 15 du Statut du Tribunal international;
4. Décide que tous les Etats apporteront leur pleine coopération au Tribunal international et à ses organes, conformément à la présente résolution et au Statut du Tribunal international et que tous les Etats prendront toutes mesures nécessaires en vertu de leur droit interne pour mettre en application les dispositions de la présente résolution et du Statut, y compris l'obligation des Etats de se conformer aux demandes d'assistance ou aux ordonnances émanant d'une chambre de première instance en application de l'art. 29 du Statut;
5. Prie instamment les Etats et les organisations gouvernementales et non gouvernementales d'apporter au Tribunal international des contributions sous forme de ressources financières, d'équipement et de services, y compris l'offre de personnels spécialisés;
6. Décide que la décision relative au siège du Tribunal international est subordonnée à la conclusion entre l'Organisation des Nations Unies et les Pays-Bas d'arrangements appropriés qui soient acceptables par le Conseil de sécurité et que le Tribunal international peut siéger ailleurs quand il le juge nécessaire pour l'exercice efficace de ses fonctions;
7. Décide également que la tâche du Tribunal sera accomplie sans préjudice du droit des victimes de demander réparation par les voies appropriées pour les dommages résultant de violations du droit humanitaire international;
8. Prie le Secrétaire général de mettre rapidement en oeuvre la présente résolution et de prendre en particulier des dispositions pratiques pour que le Tribunal international puisse fonctionner de manière effective le plus tôt possible et de lui faire rapport de temps à autre;
9. Décide de demeurer activement saisi de la question.
[28] Cf. Résolution 827 (1993) ci-dessous.
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