N° dossier: CC.2009.119
Autorité: CC2
Date décision: 27.09.2010
Publié le: 16.06.2011
Revue juridique:
Titre: Liquidation du régime matrimonial. Part à la plus-value.

Résumé:

Le mari qui allègue avoir contribué à une plus-value de l'immeuble de sa femme ne peut pas prétendre soudain qu'il avait renoncé à invoquer l'article 206 CC en sa faveur et qu'il bénéficierait donc d'une créance ordinaire (pour le montant intégral de ses travaux, plutôt que comme part au bénéfice d'acquêts), comme il le pouvait en régime de séparation de biens.
 
Articles de loi:
Art. 206 CC
 

Réf. : CC.2009.119-CC2/dhp

A.                            Les parties se sont mariées en 1999 sans contrat de mariage, n’ont pas eu d’enfants et se sont séparées en 2003, la femme obtenant l’attribution du domicile conjugal sis dans un immeuble qui lui appartenait lors du mariage.

B.                            Elles ont formé une requête conjointe en divorce assortie d’une convention réglant partiellement les effets accessoires dudit divorce. La liquidation du régime matrimonial restait litigieuse, plus particulièrement la valeur de l’immeuble et la qualification et la valorisation de certains travaux effectués sur celui-ci pendant le mariage.

C.                            Une expertise a été ordonnée et effectuée par l’architecte R., qui a retenu que sur un montant total de travaux  réalisés pendant le mariage s’élevant à 71'770.80 francs, 10'195 francs pouvaient être assimilés à des travaux d’entretien, le solde de 60'007.70 francs étant générateur d’une plus-value du même montant.

D.                            Le juge du divorce a considéré qu’il existait des motifs sérieux de ne pas se rallier entièrement aux conclusions de l’expert. Au vu de l’article 206 CC, il a estimé en bref que certaines menues dépenses faites par le mari pour l’achat de petites fournitures ou d’outillage ne devaient pas être prises en compte dans le calcul de la plus-value, que la preuve du financement intégral des travaux à plus-value n’avait pas été rapportée à satisfaction de droit par le mari. Après avoir examiné par le menu les pièces justificatives produites en procédure, l’autorité de jugement a estimé que le montant qui pouvait être porté au crédit du mari était de 43'039.45 francs, soit 16'285.45 francs pour l’installation d’un système de chauffage et la pose de radiateurs, 2'954 francs pour des aménagements extérieurs et 23'800 francs pour  la livraison d’une nouvelle cuisine.

E.                            Intégrant cette créance au compte d’acquêts des époux, détaillé aux pages 10 à 15 du jugement ici querellé, le juge du divorce a arrêté à 20'869.20 francs le solde revenant au mari.

F.                            Par jugement du 11 août 2009, dont appel, le Tribunal civil du district de Neuchâtel a prononcé le divorce des époux X. et a donc condamné l'épouse X. (ci-après l’intimée) à verser à l'époux X. (ci-après l’appelant) la somme de 20'869.20 francs au titre de soulte dans la liquidation du régime matrimonial des parties.

G.                           L'époux X. appelle de ce jugement. Il conclut à ce que son ex-femme soit condamnée à lui payer 67'497.55 francs avec intérêts à 5 % dès le 11 août 2009 à titre de soulte dans la liquidation du régime matrimonial et à ce que les frais de première et de seconde instances soient mis la charge de celle-ci.

H.                            Il allègue que dans la mesure où il avait expressément renoncé à exiger une participation à la plus-value apportée à l’immeuble par les travaux effectués, il n’y avait pas lieu de détailler année par année les travaux allégués pour déterminer s’ils remplissaient ou non des critères d’amélioration ou de conservation du bien pour prétendre participer à la plus-value, sa prétention étant une simple créance ordinaire entre époux, à prendre en compte à sa valeur nominale, savoir 71'770.80 francs.

I.                             Ensuite, l’appelant expose que compte tenu de la modicité extrême des revenus réalisés par l’intimée, il n’est pas concevable qu’elle eût pu participer au financement de travaux de l’envergure de ceux qui ont été listés par l’expert. En particulier, les travaux qu’elle aurait entrepris avant la vie commune et après la séparation l’auraient été exclusivement par une augmentation de la dette hypothécaire grevant l’immeuble, puis il se prévaut de certains voisinages de dates entre des factures produites et des avis de débits bancaires – dont les montants ne correspondent d’ailleurs pas.

J.                            Il allègue par ailleurs que son avoir LPP s’élevait à 90'225.25 francs (selon un avis de débit de la Banque cantonale neuchâteloise daté du 21 juin 1997). A ses yeux apparemment, la différence (au moins) entre la valeur des travaux sur l’immeuble (71'770.80 francs) et son avoir LPP, soit 19'225.25 francs, aurait dû être comptabilisée comme biens propres, le solde des travaux ayant été financé par ses propres acquêts.

K.                            En outre, l’appelant reproche au premier juge de n’avoir pas valorisé son activité personnelle au profit d’un bien propre de l’intimée, qu’il chiffre à 36'000 francs correspondant à 1'200 heures à 30 francs l’heure.

L.                            Enfin, il déclare avoir vendu une chambre à coucher pour 700 francs parce qu’il n’en avait pas l’usage dès lors qu’il a vécu dans un studio après la séparation. Admettant que cette chambre à coucher, neuve, avait pu valoir 22'500 francs, mais soulignant qu’un mobilier de ce genre se déprécie très rapidement, il estime que le juge est tombé dans l’arbitraire en grevant son compte d’acquêts de 10'000 francs plutôt que des 700 francs qu’il en a obtenus lors de la vente évoquée à l’instant.

M.                           Après correction du compte d’acquêts des parties selon les arguments résumés aux considérants F à J ci-dessus, l’appelant parvient au montant mentionné au considérant E ci-dessus.

N.                            L’intimée conclut au rejet de l’appel, avec suite de frais et dépens, en bref pour les motifs suivants.

O.                           S’agissant de l’application de l’article 206 CC, l’intimée estime que le raisonnement de l’appelant est incohérent, que les comptes des parties étaient tout sauf limpides et que les conclusions du premier juge ne sont pas critiquables au vu des preuves administrées et des règles de preuve applicables.

P.                            En ce qui concerne l’origine des investissements, Elle souligne que l’appelant n’aurait rencontré aucune peine à prouver le contenu précis des ordres de paiements dont il se prévaut plutôt que de produire en procédure des listes de comptes prouvant tout au plus des débits groupés.

Q.                           Quant à la disparité extrême des revenus respectifs des parties, les déclarations d’impôts produites montrerait, contrairement aux allégations de l’appelant, que les revenus en question se tenaient dans le même ordre de grandeur.

R.                            Pour ce qui est des masses de biens impliquées dans le financement des travaux, l’intimée conteste l’existence, au jour du mariage, de tout ou partie d’un avoir LPP de l’appelant qui, de son propre aveu, l’aurait utilisé en 1997, soit avant la conclusion du mariage. Au demeurant, son seul avoir bancaire au moment du mariage aurait été un compte BCN de 4'824.25 francs.

S.                            Quant à l’apport en industrie de l’appelant, l’intimée, se référant notamment aux dépositions de certains témoins, estime que l’ampleur de l’activité qu’il allègue est loin d’être démontrée et que celle-ci, qui se tient dans les limites des menus travaux d’entretien et de bricolage usuels, n’a pas à être rémunérée ou prise en compte dans la liquidation du régime matrimonial. Au demeurant l’appelant travaillait à plein temps, de sorte que l’étendue prétendue de son activité est pour le moins improbable.

T.                            Enfin, pour ce qui est de la chambre à coucher, l’intimée conteste que le recourant se soit engagé à vivre dans un studio et qu’il y eût une quelconque urgence à brader le mobilier litigieux à vil prix. Tout au plus est-il admis qu’il était en droit de prélever le mobilier nécessaire à meubler un studio, ce qui n’est pas la même chose.

U.                            L’autorité de jugement ne formule pas d’observations.

V.                            Par convention de procédure du 2 septembre 2010, les parties ont déclaré renoncer à plaider la cause, qui était citée le 27 septembre 2010.

C O N S I D E R A N T

1.                            Interjeté dans les formes et délai légaux, l’appel est recevable. La valeur litigieuse dépasse 30'000 francs (art.112 al.2 litt.d LTF).

2.                            Les parties n’ont pas conclu de contrat de mariage. Elles sont donc soumises au régime matrimonial légal de la participation aux acquêts.

3.                            Aucun contrat se rapportant spécifiquement à la prise en charge finale du financement des travaux effectués sur l’immeuble litigieux n’a été prouvé, ou même allégué. Tout au plus l’appelant se fonde-t-il sur le fait qu’il aurait expressément renoncé, au stade des conclusions en cause, à se prévaloir de l’article 206 CC, de sorte que ses apports en argent et en industrie fonderaient en sa faveur un droit de créance ordinaire. Ce disant, il demande de facto à la Cour de céans de raisonner comme si les parties étaient liées par un contrat de séparation de bien, partielle de surcroît puisqu’il ne concernerait que les prestations fournies par l’appelant en relation avec l’immeuble litigieux.

4.                            En séparation de biens en effet, les patrimoines des époux sont clairement dissociés, sous réserve d’actes juridiques spécifiques (art.168 CC) qui doivent être prouvés et des dépenses se rapportant à un « entretien convenable de la famille » en vertu des devoirs généraux du mariage (ce qui n’est pas en cause ici) au sens de l’article 163 CC, pour autant que les conjoints n’aient rien de commun à partager. Aussi, sauf intention libérale démontrée en fait ou présumée par la loi, les prestations de l’un en faveur de l’autre font naître un droit de créance.

5.                            Il n’en va pas de même dans le régime de la participation aux acquêts, qui instaure un système exorbitant du droit commun se manifestant entre autres par l’article 206 CC, que tant le premier juge que les parties ont abondamment commenté dans la présente procédure.

6.                            Si l’on suivait l’appelant dans son raisonnement, cela voudrait dire qu’un époux soumis au régime légal de la participation aux acquêts pourrait librement, unilatéralement, en tout ou partie et à n’importe quel moment, se soustraire aux conséquences dudit régime pour basculer d’autorité privée, et dans la mesure où il y trouverait bénéfice, dans le régime de la séparation de biens par une déclaration de renonciation à l’application de l’article 206 CC. Or pour être séparés de biens, les conjoints doivent conclure un contrat de mariage, et ici il n’y en a pas. Cela étant, rien n’interdisait au recourant de faire une libéralité hypothétique à l’intimée et de renoncer unilatéralement à une plus-value éventuelle. Mais, contrairement à ce qu’il soutient implicitement en appel, semblable artifice ne saurait en aucun cas lui procurer bénéfice. On se demande d’ailleurs où seraient « gain de paix et élégance », tels qu’affirmés par le recourant en page 7 de ses conclusions en cause. Le premier moyen d’appel est mal fondé.

7.                            Concernant la réalité du financement des travaux, on a vu que l’appelant alléguait que le premier juge n’avait pas tiré les conclusions qui s’imposaient du fait que l’intimée avait des revenus extrêmement modiques excluant de facto qu’elle eût pu participer financièrement aux améliorations génératrices des plus-value apportées à l’immeuble. Or comme le relève l’intimée, cette précarité n’est pas démontrée, en tout cas pas à la lecture des déclarations d’impôts produites, dont l’appelant s’est bien gardé de contester la véracité. Il faut aussi garder à l’esprit sur ce point que la liquidation d’un régime matrimonial implique des opérations arithmétiques souvent fuyantes, pour peu que comme ici soient allégués des remplois et autres flux financiers entre les masses de biens respectives des parties, répartis sur la durée du mariage, et dont la preuve est hasardeuse et aléatoire comme en l’espèce.

8.                            C’est bien la raison pour laquelle le législateur a posé des présomptions légales en cas d’incertitude. La partie qui allègue qu’un bien ou une somme d’argent lui revient en propre en liquidation de régime, à l’exclusion de tout partage, est censée en apporter la preuve. Le système, certes imparfait, est ainsi conçu et ne peut fonctionner qu’ainsi en cas d’incertitude. De même, la partie qui entend échapper au partage par moitié des actifs communs pour quelque raison que ce soit doit prouver son droit. Telle est la loi.

9.                            Ici, dans une situation particulièrement peu claire, l’appelant a échoué dans la preuve de ce qu’il était hautement improbable que l’intimée eût été en mesure de participer au financement des travaux immobiliers, financement dont l’origine et la destination font l’objet essentiel de l’appel. On notera au passage que l’appelant lui-même se rallie au système de présomptions légales appliqué par le premier juge, lorsqu’il salue le fait, par exemple, que l’intimée n’ait pas réussi à apporter la preuve stricte de sa propre participation - indirecte - au financement de l’achat d’une chaudière, par 4'000 francs. Or il va sans dire que les mêmes principes d’appréciation des preuves doivent valoir pour les prétentions et contre-prétentions des deux parties en cause. La preuve requise n’a pas été apportée. Le moyen est mal fondé.

10.                          L’appelant entend démontrer ensuite qu’il a investi des biens propres dans le financement de ces mêmes travaux. On relèvera d’emblée que sur ce point sa démonstration est difficile à suivre, intellectuellement et juridiquement  : à l’en croire, il faudrait en effet prendre en compte la différence entre son avoir de prévoyance et le coût des travaux accomplis sur l’immeuble revenant finalement à son ex-femme (19'000 francs en chiffres ronds, soit 90'000 moins 71'000), puis imputer ces mêmes 19'000 francs à titre de bien propres sur ces 71'000 francs, d’où un financement par acquêts à concurrence de 52'545.55 francs, le solde de 19'000 francs lui revenant en tant que biens propres.

11.                          On peine à saisir son raisonnement sur ce point. Quoi qu’il en soit, comme le relèvent le jugement attaqué et l’intimée dans sa réponse, cet avoir de prévoyance a été absorbé deux ans avant le mariage dans l’entreprise de l’appelant, qui admet lui-même en avoir fait usage à des fins personnelles, en 1997. Selon la règle de preuve plusieurs fois évoquée ci-dessus concernant les masses de biens matrimoniaux, il lui appartenait de prouver que tout ou partie de ses biens propres (ici son avoir LPP) avait été utilisé au profit de l’union conjugale, voir à celui exclusif de l’intimée. Or il a échoué dans cette preuve et l’argumentation confuse qu’il développe à ce propos n’est pas de nature à conduire la Cour de céans à censurer le juge du divorce, qui, ayant assisté aux audiences, a certainement une vision plus directe de l’état de fait déterminant. Appel il y a, certes, mais il incombe à l’appelant de rendre vraisemblable un errement du premier juge justifiant réforme du jugement attaqué. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne ce moyen, qui sera déclaré mal fondé.

12.                          Pour ce qui est de ses heures de travail prétendues (1'200), l’appelant ne les étaye ni dans le dossier ni dans son acte d’appel. Qu’il ait mis la main à l’ouvrage ne fait aucun doute, mais rien ne prouve ni le temps considérable prétendument consacré à son activité ni le fait qu’elle doive être comptabilisée comme on le ferait pour un contrat d’entreprise en régie. Au reste, vu son activité professionnelle à plein temps, les heures qu’il revendique sont peu crédibles. Le moyen est mal fondé.

13.                          Enfin, pour la chambre à coucher, dont il paraît admis de part et d’autre qu’elle avait été acquise pour la somme de 22'500 francs pendant le mariage, il est constant que l’appelant l’a revendue 700 francs un mois après l’ordonnance de mesures protectrices entérinant la vie séparée des parties. Sans doute ce type de matériel est-il sujet à une dépréciation assez rapide, mais de là à comptabiliser un amortissement objectif de 95 % en chiffres ronds sur six mois (achat arrondi à 20'000 en décembre 2002, revente arrondie à 1'000 francs en mai 2003), il y a un pas que la Cour de céans ne saurait accomplir dans la foulée de l’appelant. A l’inverse l’estimation du premier juge quant à la dévalorisation, ou l’amortissement, du mobilier en discussion, apparaît tout à fait raisonnable (20'000 francs à l’achat, 10'000 francs présumés à la vente six mois plus tard, d’où une dévalorisation présumée par le juge du divorce de l’ordre de 50% en six mois). A cela s’ajoute qu’une fois encore l’état de fait, s’agissant du sort plus ou moins convenu entre parties pour ce qui est de cette chambre à coucher, est peu clair. Ainsi, rien au dossier ne prouve que l’appelant s’était engagé à reprendre l’ensemble du mobilier en cause, et qu’il était censé se loger à l’avenir dans un studio trop petit pour accueillir les meubles en litige. Tout au plus peut-on lire que l’appelant était en droit de reprendre la literie lui permettant de se loger dans un studio, ou à tout le moins y dormir, puisqu’il est question d’une chambre à coucher. Les allégations et les supputations formulées à ce propos en appel n’y changent rien. Au surplus l’appelant n’allègue ni ne démontre non plus l’urgence qu’il y aurait eu à revendre précipitamment, un mois après l’ordonnance de séparation, comme s’il s’était agi d’une denrée périssable, un mobilier dont rien n’indique qu’il était astreint à en prendre possession en totalité. Même si tel avait été le cas, il s’y serait engagé en connaissance de cause, et en particulier du prix d’achat de ces meubles et des difficultés qu’il aurait pu rencontrer à tenter de les revendre avec sinon profit, du moins pertes réduites. Ce moyen lui aussi est mal fondé.

14.                          L’appel se révèle ainsi mal fondé et il sera rejeté aux frais et dépens de l’appelant.

Par ces motifs,
LA IIe COUR CIVILE

1.    Rejette l’appel,

2.    Fixe les frais d’appel à 1'200 francs, avancés par l’Etat pour l’appelant, et les met à sa charge.

3.     Condamne l’appelant à verser à l’intimée une indemnité de dépens de 2'000 francs pour l’instance d’appel.

Neuchâtel, le 27 septembre 2010

AU NOM DE LA COUR DE CASSATION CIVILE

Le greffier                                                L'un des juges

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Art. 206 CC

2. Part à la plus-value

1 Lorsqu'un époux a contribué sans contrepartie correspondante à l'acquisition, à l'amélioration ou à la conservation de biens de son conjoint qui se retrouvent à la liquidation avec une plus-value, sa créance est proportionnelle à sa contribution et elle se calcule sur la valeur actuelle des biens; en cas de moins-value, il peut en tout cas réclamer le montant de ses investissements.

2 Si l'un des biens considérés a été aliéné auparavant, la créance est immédiatement exigible et elle se calcule sur la valeur de réalisation du bien à l'époque de l'aliénation.

3 Par convention écrite, les époux peuvent écarter ou modifier la part à la plus-value d'un bien.

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