C/129/2014

ACJC/1140/2014 du 26.09.2014 sur OTPI/879/2014 ( SP ) , CONFIRME

Descripteurs : CONCURRENCE DÉLOYALE; VÉTÉRINAIRE; PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ
Normes : CC.28; LCD.3.1.A
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/129/2014 ACJC/1140/2014

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du vendredi 26 septembre 2014

 

Entre

Monsieur A______, domicilié (VD), appelant d'une ordonnance rendue par la 4ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 juin 2014, comparant par Me Guy-Philippe Rubeli, avocat, rue du Rhône 65, case postale 3199, 1211 Genève 3, en l'étude duquel il fait élection de domicile aux fins des présentes,

et

B______, sise ______(GE), intimée, comparant par Me Claude Aberlé, avocat, route de Malagnou 32, 1208 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance du 17 juin 2014, expédiée pour notification aux parties le même jour, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a partiellement admis la requête de mesures provisionnelles formée par A______ - en tant qu'elle visait à ordonner à la B______ de retirer le lien vers l'émission "C______" diffusée le ______ 2012, de son site internet, ainsi que sur son flyer distribué à ses membres, de même que toute allusion à ses pratiques en matière d'honoraires, de diagnostic et de traitement - (ch. 1), a rejeté la requête pour le surplus dans la mesure où la B______ restreignait son texte sur le site internet et sur les flyers distribués à ses membres à la teneur suivante ou à toute teneur équivalente : "Un cabinet vétérinaire hors canton mentionne un service d'urgences pour le canton de Genève. Il ne s'agit pas du vétérinaire de garde de la B______. Les nombreux sites internet de ce cabinet peuvent entraîner une confusion quant à son lieu géographique exact et la nature du service d'urgence proposé. Seul le service d'urgences de la B______ est réglementé par la loi genevoise sur la santé. Ce service existe depuis le 1er octobre 1990. […] LE VETERINAIRE DE GARDE. Il s'agit du seul service d'urgences vétérinaires organisé par la B______ réglementé par l'article 93 de la loi genevoise sur la santé (RS/GE K 1 03). Il ne s'agit pas d'un service de l'Etat, mais d'un service des vétérinaires praticiens du canton de Genève" (ch. 2), a autorisé en conséquence la B______ à publier sur internet et/ou au moyen de flyers le texte susmentionné (ch. 3), lui a fait interdiction de publier le lien précité (ch. 4), lui a ordonné d'instruire ses membres de retirer ou détruire les affichettes et tout autre support au contenu similaire au contenu actuel du flyer distribué aux membres (ch. 5), lui a fait interdiction, ainsi qu'à ses membres, d'attenter par quelque moyen à la réputation personnelle et professionnelle de A______ (ch. 6), a assorti ces injonctions de la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP (ch. 7), a dit que sa décision déploierait effet jusqu'à droit jugé sur le fond et a imparti un délai à A______ au 18 août 2014 pour déposer une demande en validation de mesures provisionnelles (ch. 8 et 9), a arrêté les frais judiciaires à 1'500 fr., compensés avec l'avance déjà fournie et mis à la charge de chacune des parties, dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 10 à 13), et débouté les parties de toutes autres conclusions.

En substance, le Tribunal, après avoir considéré qu'il était compétent à raison de la matière pour connaître de la requête vu l'absence de valeur litigieuse, a retenu que les propos de la B______ relatifs à la qualité des traitements et aux prix pratiqués par A______, ainsi que le renvoi à l'émission "C______", relayés dans les "flyers" distribués et affichés auprès de vétérinaires genevois, étaient stigmatisants voire attentatoires à l'honneur, et visaient à écarter un concurrent du marché genevois, que cela était constitutif de violations des art. 3 LCD et 28ss CC, qu'en l'état il n'était pas rendu vraisemblable que la vérité ou l'intérêt public permettaient de justifier ces violations s'agissant des griefs de facturation excessive et de diagnostics et traitements inadéquats, que la condition de l'urgence était réalisée puisque l'atteinte persistait, que pour le surplus, il était admissible que la B______ rappelle qu'elle était seule habilitée à fournir un service de garde pour le canton de Genève, au sens de l'art. 93 de la loi sur la santé, et que seuls les praticiens rattachés au plan de garde visé dans cette disposition étaient autorisés à s'en prévaloir.

B. a. Par acte du 30 juin 2014, A______ a formé appel contre la décision précitée. Il a conclu à l'annulation des chiffres 2 et 3 du dispositif de celle-ci, à ce qu'il soit fait interdiction à la B______ de publier sur quelque support que ce soit, en particulier sur son site internet ou au moyen d'affiches ou de flyers toute information qui mentionne, renvoie ou fait référence de manière directe ou indirecte à lui-même, et de se prévaloir du terme "officiel" en relation avec son service d'urgence ou de garde, à la confirmation de l'ordonnance pour le surplus, avec suite de frais et dépens.

b. Par mémoire-réponse du 25 juillet 2014, la B______ a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions. avec suite de frais et dépens.

c. Dans les écritures précitées, les deux parties admettent qu'à la suite de l'ordonnance attaquée, le lien vers l'émission "C______" a été retiré du site internet de la B______. Pour le surplus, celle-ci a déclaré s'être soumise à la décision rendue, ce qu'une consultation de son site internet permet de constater.

d. A______ n'a pas fait usage de son droit de réplique.

e. Par avis du 22 août 2014, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants :![endif]>![if>

a. A______ est au bénéfice d'un diplôme fédéral de médecin-vétérinaire et d'une autorisation d'exercice de sa profession dans le canton de Genève, délivrée le 4 mai 1988 par le Conseil d'Etat.

Il pratique à ______ (Vaud), dans un cabinet vétérinaire qu'il exploite. Il offre un service d'urgences, dont il fait la publicité, notamment sur internet, étant précisé qu'il admet posséder plusieurs sites à cet effet.

Il n'est pas, ou plus, membre de la B______.

b. La B______ a décidé de diffuser depuis fin mai 2012 une information large concernant le système de garde officiel des professionnels genevois et de mettre en garde le public sur le fait qu'il existerait des pratiques douteuses dans un cabinet vétérinaire situé hors du canton, lequel s'arrogerait de manière fausse la dénomination de garde officielle pour Genève.

A cet effet, elle a publié sur son site internet (www.______), à la page d'accueil, un encart teinté de rouge, comportant le texte suivant : "Comme vu à l'émission C______ du ______ (vidéo sur le site de la télévision suisse romande). Un cabinet vétérinaire hors canton mentionne un service d'urgences pour le canton de Genève. IL NE S'AGIT PAS DU VETERINAIRE DE GARDE OFFICIEL de la B______. Les nombreux sites internet de ce cabinet peuvent entraîner une confusion quant à son lieu géographique exact et la nature du service d'urgence proposé. Ce cabinet vétérinaire peut pratiquer des honoraires sensiblement supérieurs à ceux généralement constatés. Seul le service d'urgences officiel de la B______ et réglementé par la loi genevoise sur la santé (LS K 1 03). Ce service existe depuis le 11 octobre 1990". Elle a également indiqué, sous la rubrique "Service d'urgence officiel de la B______ pour petits animaux de compagnie", en dessous du sous-titre "LE VETERINAIRE DE GARDE" : "Il s'agit du SEUL service d'urgences vétérinaire officiel organisé par la B______ réglementé par l'article 93 de la loi genevoise sur la santé (LS K 1 03). Il ne s'agit pas d'un service d'Etat mais d'un service des vétérinaires praticiens du canton de Genève".

Elle a également imprimé des "flyers" à l'attention de ses membres, dont des exemplaires ont été affichés dans des cabinets vétérinaires.

Elle s'est prévalue d'avoir recueilli des plaintes de la part de personnes ayant cherché un service de garde et étant parvenus sur le site de A______, en croyant faire appel aux services de garde de la B______.

c. Il est admis par les parties que l'émission "C______" diffusée par la RTS le ______ relaie des plaintes de deux clients relatives aux tarifs de consultation d'urgence auprès de A______, au diagnostic et à la méthode de travail de celui-ci.

d. Le 9 janvier 2014, A______ a saisi le Tribunal d'une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles dirigée contre la B______, par laquelle il a conclu à ce qu'il soit ordonné à la précitée de retirer de son site internet le lien vers l'émission "C______" diffusée le ______ 2012, ainsi que la mention "Un cabinet vétérinaire hors canton mentionne un service d'urgences pour le canton de Genève. IL NE S'AGIT PAS DU VETERINAIRE DE GARDE OFFICIEL de la B______. Les nombreux sites internet de ce cabinet peuvent entraîner une confusion quant à son lieu géographique exact et la nature du service d'urgence proposé. Ce cabinet vétérinaire peut pratiquer des honoraires sensiblement supérieurs à ceux généralement constatés", et l'indication "Il [le vétérinaire de garde] s'agit du SEUL service d'urgences vétérinaire officiel organisé par la B______ réglementé par l'article 93 de la loi genevoise sur la santé (LS K 1 03)", à ce qu'il lui soit ordonné, ainsi qu'à ses membres, de retirer et de détuire toutes les affichettes et autre support au contenu similaire à celui de son site internet ainsi que le renvoi à l'émission "C______", à ce qu'il lui soit interdit, ainsi qu'à ses membres, d'attenter par quelconque moyen à la réputation personnelle et professionnelle de A______, et qu'il soit dit qu'en cas d'insoumission la B______ serait punie d'une amende conformément à l'art. 292 CP, avec suite de frais et dépens.

Par ordonnance du 9 janvier 2014, le Tribunal a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles.

Par mémoire-réponse du 3 mars 2014, la B______ a conclu au rejet de la requête de mesures provisionnelles, avec suite de frais et dépens.

Lors de l'audience du Tribunal du 17 mars 2014, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.

EN DROIT

1. L'appel, écrit et motivé, formé dans un délai de 10 jours (art. 311, 314 CPC) est recevable contre les décisions de première instance sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC).

Le présent appel respecte les conditions de forme et de délai prévues par les dispositions précitées.

1.1 Dans les affaires patrimoniales, il est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Le droit cantonal institue la juridiction compétente pour statuer en instance cantonale unique sur les litiges relevant de la loi contre la concurrence déloyale lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 5 al. 1 let. d CPC).

En l'occurrence, les parties n'ont pas contesté la valeur litigieuse retenue par le Tribunal, et partant la compétence de celui-ci.

1.2 Le Tribunal n'entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l'action, notamment celle selon laquelle le demandeur ou le requérant a un intérêt digne de protection (art. 59 al. 1 et 2
let. a CPC).

La demande ne peut être modifiée que si : a. les conditions fixées à l'art. 227 al. 1 sont remplies, b. la modification repose sur des faits et moyens de preuve nouveaux (art. 317 al. 2 CPC).

En l'occurrence, la conclusion de l'appelant tendant à ce qu'il soit fait interdiction à l'intimée et à ses membres de se prévaloir du terme "officiel" en relation avec son service d'urgence ou de garde a été nouvellement formulée en appel, sans que les conditions de l'art. 317 al. 2 CPC soient réalisées. A supposer que l'on retienne que cette conclusion devait être déduite de la rédaction des conclusions de la requête de première instance, qui tendaient au retrait du texte litigieux du site internet et des affichettes (texte qui contenait le terme "officiel"), l'intérêt à l'appel ferait défaut. En effet, le texte tel qu'il a été admis par le Tribunal ne comporte précisément pas le terme "officiel", de sorte que, sur ce point, l'appelant a obtenu satisfaction. Il s'ensuit que cette conclusion est irrecevable.

Pour le surplus, l'appel est recevable.

2. L'appelant reproche au premier juge d'avoir interdit partiellement, et non totalement, à l'intimée de publier toute information qui mentionne, renvoie ou fasse référence de manière directe ou indirecte à sa personne.

2.1 Selon l'art. 28 al. 1 CC, celui qui subit une atteinte à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe. Il peut notamment requérir du juge qu'il interdise l'atteinte illicite si elle est imminente ou qu'il a fasse cesser si le trouble subsiste.

Agit de façon déloyale celui qui, notamment, dénigre autrui, ses marchandises, ses œuvres, ses prestations, ses prix ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes (art. 3 al. 1 let. a LCD).

2.2 En l'occurrence, le Tribunal a clairement fait interdiction à l'intimée d'attenter par quelque moyen que ce soit à la réputation personnelle et professionnelle de l'appelant, point de l'ordonnance qui n'est attaqué par aucune des parties.

Il a parallèlement considéré que la mention d'"un cabinet vétérinaire hors canton" qui indiquait un service de garde et dont les nombreux sites internet pouvaient entraîner une confusion quant à son lieu géographique exact et à la nature du service d'urgence proposé, n'était pas constitutive d'une telle atteinte, puisqu'il n'a pas, contrairement à ce que requérait l'appelant, ordonné le retrait dudit texte (dont il n'a supprimé que le terme "officiel" et la référence aux honoraires pratiqués).

L'appelant soutient que le texte ainsi libellé permet toujours de le reconnaître, que la législation en vigueur n'autoriserait pas l'intimée à affirmer que le seul service de garde est organisé sous son égide, et qu'en tout état, sa propre publicité n'est pas de nature à provoquer une confusion.

Tant qu'il existait un renvoi à l'émission de télévision, dont il est admis qu'elle identifiait l'appelant, le lecteur des encarts et des affichettes en cause était à l'évidence facilement en mesure de reconnaître ce praticien.

Depuis la suppression de ce lien, dont il n'est pas contesté qu'elle a eu lieu, l'appelant n'est plus directement identifiable.

Il soutient, toutefois, que, sur la base des informations relatives à un service hors canton et aux nombreux sites internet qu'il possède, tout un chacun pourrait identifier aisément son cabinet.

Pareil résultat supposerait toutefois différentes consultations de sites et divers recoupements, dont il n'apparaît pas vraisemblable qu'ils soient couramment réalisés par des clients à la recherche d'une solution d'urgence. L'appelant ne se prévaut au demeurant pas de ce qu'il aurait eu connaissance de potentiels clients ayant agi de la sorte.

Dès lors, à tout le moins sous l'angle de la vraisemblance et en l'état, faute d'identification de l'intéressé, il ne peut être retenu l'existence d'une éventuelle atteinte à la personnalité de l'appelant ou un éventuel acte de concurrence déloyale commis à son détriment.

Les chiffres 2 et 3 de la décision attaquée seront dès lors confirmés.

3. L'appelant, qui succombe, supportera les frais de son appel (art. 106 al. 1 CPC).

Ceux-ci seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 17, 37 RTFMC), correspondant à l'avance effectuée, acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelant sera condamné à verser à l'intimée 1'500 fr. à titre de dépens, débours et TVA compris (art. 85, 88 et 90 RTFMC, art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable, à l'exception de la conclusion tendant à ce qu'il soit interdit à la B______ et à ses membres de se prévaloir du terme "officiel" en relation avec son service d'urgence et de garde, l'appel interjeté le 30 juin 2014 par A______, contre les chiffres 2 et 3 du dispositif de l'ordonnance OTPI/879/2014 rendue le 17 juin 2014 par le Tribunal de première instance dans la cause C/129/2014-4 SP.

Au fond :

Confirme les chiffres 2 et 3 du dispositif de cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais de l'appel à 1'200 fr. couverts par l'avance déjà opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser à la B______ 1'500 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nathalie LANDRY-BARTHE et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Céline FERREIRA, greffière.

 

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Céline FERREIRA

 









Indication des voies de recours
:

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF : cf. considérant 1.1.