C/13212/2015

ACJC/364/2016 du 11.03.2016 sur JTPI/12403/2015 ( SML ) , JUGE

Descripteurs : MAINLEVÉE PROVISOIRE; ULTRA PETITA
Normes : LP.82; CPC.58
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13212/2015 ACJC/364/2016

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du VENDREDI 11 MARS 2016

 

Entre

A______ (anciennement B______), sise ______, Genève, recourante contre un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 20 octobre 2015, comparant par Me Matteo Inaudi, avocat, avenue Léon-Gaud 5, 1206 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur C______, Monsieur D______, Monsieur E______, Monsieur F______, Monsieur G______, Madame H______, Madame I______, J______, représentés par leur administrateur, ______, Genève, intimés, comparant tous par Me Pascal Pétroz, avocat, rue de la Coulouvrenière 29, case postale 5710, 1211 Genève 11, en l'étude duquel ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement du 20 octobre 2015, expédié pour notification aux parties le 2 novembre 2015, le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer poursuite n° 1______ à concurrence de 167'627 fr. 20 (ch. 1), débouté les parties requérantes de leurs conclusions au titre de l'art. 106 CO (ch. 2), arrêté les frais judiciaires à 1'000 fr. (ch. 3), compensés avec les avances fournies, mis à la charge de B______ (ch. 4), condamnée en outre à verser 11'158 à titre de dépens (ch. 5). ![endif]>![if>

B.            Par acte du 16 novembre 2015, A______ (anciennement B______) a formé recours contre le jugement précité, concluant à l'annulation de celui-ci, cela fait au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision et au déboutement de ses parties adverses de toutes autres conclusions, avec suite de frais et dépens.![endif]>![if>

Dans le corps de son écriture, elle a précisé qu'il convenait d'annuler le jugement et de renvoyer la cause au Tribunal pour qu'il statue une nouvelle fois dans le cadre des conclusions prises par les intimés, tout en indiquant qu'elle ne reconnaissait pas le montant réclamé par ceux-ci et se réservait d'agir en libération de dette.

A titre préalable, elle a requis que soit suspendu l'effet exécutoire attaché à ladite décision, ce qui a été rejeté par arrêt de la Cour du 20 novembre 2015.

Par réponse du 18 janvier 2016, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______ (ci-après : C______ et consorts) ont conclu principalement à ce qu'il leur soit donné acte de ce qu'il s'en rapportaient à justice sur le bien-fondé de la mainlevée provisoire telle qu'accordée par le jugement attaqué, subsidiairement à la confirmation de celui-ci en tant que ladite mainlevée était accordée à concurrence de 85'869 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2014, avec suite de frais et dépens.

Par avis du 25 janvier 2016, les parties ont été informées de ce que la cause avait été gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :![endif]>![if>

a. Les consorts C______ sont propriétaires de l'immeuble sis ______.

Le 7 mai 2009, ils ont remis à bail à B______ deux surfaces sises dans ledit immeuble, pour une durée de cinq ans arrivant à échéance le 30 avril 2014, moyennant un loyer mensuel de 12'162 fr. 50, ultérieurement porté à 12'267 fr. par mois.

b. Considérant que des arriérés de loyer leur restaient dus, les consorts C______ ont résilié le bail au 30 avril 2014, après avoir, par avis comminatoire du 28 janvier 2014, requis le paiement de 53'620 fr., représentant quatre mois de loyer non réglés.

Il n'est pas contesté qu'au 30 avril 2014, le montant de loyers impayés était de 85'869 fr.

c. Le 20 janvier 2015, les consorts C______ ont fait notifier à B______ un commandement de payer poursuite n° 1______ portant sur les montants de 167'627 fr. 20 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2014 et de 2'400 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 19 novembre 2014, à titre respectivement de loyers dus au 30 avril 2014, indemnités pour occupation illicite du 1er mai au 30 septembre 2014, charges courantes, provisions de chauffage, décompte annuel de chauffage, frais de poursuites antérieures, et factures de déménagement suite à évacuation d'une part, d'émolument de procédure selon l'art. 106 CO d'autre part.

La poursuivie a formé opposition.

d. Par requête déposée au Tribunal le 29 juin 2015, les consorts C______ ont requis la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer susmentionnée, à concurrence de 85'609 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2014, avec suite de frais et dépens.

Selon le procès-verbal de l'audience du Tribunal du 5 octobre 2015, les consorts C______ ont persisté dans leurs conclusions, tandis que B______ n'a pas pris de conclusions, et a déposé un bordereau de titres.

La pièce 1 dudit chargé constitue une réponse écrite à la requête, dont il résulte que B______ est devenue A______ en septembre 2015, et que celle-ci disposait d'une créance d'un montant supérieur à 85'569 fr. à opposer en compensation aux consorts C______.

A l'issue de l'audience, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 En matière de mainlevée d'opposition, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. b ch. 3 et 319 let. a CPC).

La décision - rendue par voie de procédure sommaire (art. 251 let. a CPC) - doit être attaquée dans un délai de dix jours dès sa notification (art. 321 al. 2 CPC) par un recours écrit et motivé (art. 130 et 131 CPC), adressé à la Cour de justice.

Interjeté dans le délai et les formes prévus par la loi, le recours est en l'espèce recevable. Au vu des explications figurant dans le corps du recours, il peut en effet être compris que la recourante, qui ne conclut formellement qu'au renvoi de la cause au Tribunal, requiert qu'il soit statué dans le cadre des conclusions formulées par les intimés.

Par ailleurs, il est incontesté que B______ a modifié sa raison sociale en A______ en septembre 2015.

1.2 Dans le cadre d'un recours, l'autorité a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant que les griefs formulés et motivés par le recourant (art. 320 CPC; HOHL, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 2307).

2. La recourante fait grief au premier juge d'avoir violé le principe "ne ultra petita"; elle requiert le renvoi de la cause au premier juge pour qu'il soit statué dans le cadre des conclusions prises par les intimés, étant précisé qu'elle n'admet toutefois pas le montant réclamé par ceux-ci, se réservant d'agir par la voie de l'action en libération de dette.

2.1 Selon la maxime de disposition, le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse (art. 58 al. 1 CPC).

2.2 Le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire (art. 82 al. 1 LP). Le juge prononce la mainlevée si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (art. 82 al. 2 LP). Il doit vérifier d'office notamment l'existence matérielle d'une reconnaissance de dette, l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans ce titre, l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et la dette reconnue (ATF 139 III 444 consid. 4.1.1; 132 III 140 consid. 4.1.1.; GILLIERON, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, 1999, n. 73 ss ad art. 82 LP).

La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces (Urkundenprozess), dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire : le créancier peut ne motiver sa requête qu'en produisant le titre, et la production de cette pièce, considérée en vertu de son contenu, de son origine et des caractéristiques extérieures comme un tel titre, suffit pour que la mainlevée soit prononcée si le débiteur n'oppose pas et ne rend pas immédiatement vraisemblables des exceptions. Le juge de la mainlevée provisoire examine donc seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle - et non la validité de la créance - et lui attribue force exécutoire (ATF 136 III 583 consid. 2.3 et 132 III 140 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_303/2013 du 24 septembre 2013 consid. 4.1).

Constitue une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP, l'acte signé par le poursuivi - ou son représentant - duquel il ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée ou aisément déterminable et exigible au moment de la réquisition de poursuite (ATF 130 III 87 consid. 3.1 et les références citées; JAEGER/WALDER/KULL/
KOTTMANN, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, 4ème édition, 1997, n. 10 ad art. 82 LP). L'acte doit également comporter la signature du débiteur ou de son représentant. Le contrat de bail signé constitue une reconnaissance de dette pour le loyer échu, si l'objet du contrat a été mis à la disposition du locataire et n'est pas entaché de défauts tels que l'usage s'en trouve affecté (KRAUSKOPF, La mainlevée provisoire : quelques jurisprudences récentes, in JT 2008 II 23ss, p. 36).

Conformément à l'art. 82 al. 2 LP, le poursuivi peut faire échec à la mainlevée en rendant immédiatement vraisemblable sa libération (ATF 96 I 4 consid. 2 p. 8 s.). Le poursuivi peut se prévaloir de tous les moyens de droit civil - exceptions ou objections - qui infirment la reconnaissance de dette (ATF 131 III 268 consid. 3.2 p. 273) et il n'a pas à apporter la preuve absolue (ou stricte) de ses moyens libératoires, mais seulement à les rendre vraisemblables, en principe par titre (art. 254 al. 1 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_878/2011 du 5 mars 2012 consid. 2.2).

2.3 En l'espèce, en prononçant la mainlevée provisoire à concurrence de 167'627 fr. 20 et en déboutant les intimés de "conclusions au titre de l'article 106 CO alors que ceux-ci n'avaient requis ladite mainlevée qu'à hauteur de 85'869 fr. avec suite d'intérêts, le premier juge a statué ultra petita et a violé la maxime de disposition.

L'examen d'office auquel doit se livrer la Cour ne porte que sur l'existence matérielle d'une reconnaissance de dette, l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans ce titre, l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et la dette reconnue. Ces conditions sont réunies en l'espèce, à concurrence de 85'969 fr., représentant sept fois le loyer mensuel convenu de 12'267 fr. ce qui n'est pas contesté.

Pour le surplus, la recourante ne critique pas l'argumentation du Tribunal qui a rejeté les arguments qu'elle soulevait en lien avec une compensation de créances. Elle confirme ne pas remettre en cause ce point, en indiquant se réserver d'ouvrir action en libération de dette.

Par conséquent, le recours sera admis, au vu de l'unique grief de violation du principe ulra petita qu'il comporte.

Le jugement attaqué sera annulé dans la mesure où la mainlevée a été accordée à concurrence d'un montant supérieur à 85'869 fr. plus intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2014.

3. La recourante s'en prend encore à la quotité des dépens mis à sa charge en première instance, laquelle aurait été calculée sur la base du montant à concurrence duquel la mainlevée a été erronément prononcée.

Le défraiement d'un représentant professionnel est en règle générale proportionnel à la valeur litigieuse. Sans effet sur les rapports contractuels entre l'avocat et son client, il est fixé d'après l'importance de la cause, ses difficultés, l'ampleur du travail et le temps employé (art. 84 RTFMC).

Selon les art. 88 et 89 RTFMC, pour les procédures sommaires respectivement les affaires judiciaires relevant de la LP, le défraiement est dans la règle réduit à deux tiers et au plus à un cinquième du tarif de l'art.85 RTFMC, lui-même en fonction de la valeur litigieuse.

Au vu du caractère peu complexe de la requête soumise au Tribunal, qui n'a donné qu'à une unique et brève audience, et de la nature de la procédure, les dépens arrêtés dans le jugement, calculés sans motivation mais apparemment selon une valeur litigieuse erronée, sont excessifs; ils seront arrêtés à 3'500 fr.

4. Au vu des circonstances particulières du cas d'espèce, il se justifie de laisser les frais du recours, arrêtés à 750 fr. (art. 48, 61 OELP) à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC). L'avance de frais fournie par la recourante lui sera par conséquent restituée.

Pour les mêmes raisons, les parties supporteront chacune leurs propres dépens de recours.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 16 novembre 2015 par A______ contre le jugement JTPI/12403/2015 rendu le 20 octobre 2015 par le Tribunal de première instance dans la cause C/13212/2015-JS SML.

Au fond :

Annule les chiffres 1 et 5 du dispositif de ce jugement et, statuant à nouveau sur ces points :

Prononce la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, à concurrence de 85'869 fr. plus intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er novembre 2014, intentée contre A______ (anciennement B______).

Condamne A______ à verser 3'500 fr. à titre de dépens de première instance à C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 750 fr. et les met à la charge de l'Etat de Genève.

Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer à A______ 750 fr.

Dit que chacune des parties supporte ses propres dépens de recours.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nathalie LANDRY-BARTHE et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Céline FERREIRA, greffière.

 

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Céline FERREIRA

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.