C/14520/2014

ACJC/350/2015 du 27.03.2015 sur JTPI/15827/2014 ( SML ) , JUGE

Descripteurs : MAINLEVÉE(LP); MAINLEVÉE DÉFINITIVE; DÉCLARATION D'EXÉCUTION; CONVENTION DE LUGANO; TRANSACTION(ACCORD); REMISE CONVENTIONNELLE DE DETTE; PRINCIPE DE LA CONFIANCE(INTERPRÉTATION DU CONTRAT)
Normes : LP.80.1; LP.81.1; CL.1988.26.1; CL.1988.25; CL.1988.31.1; CPC.français.1405; CPC.français.1406; CPC.français.1407; CPC.français.1408; CPC.français.1409; CPC.français.1410; CPC.français.1411; CPC.français.1412; CPC.français.1413; CPC.français.1414; CPC.français.1415; CPC.français.1416; CPC.français.1417; CPC.français.1418; CPC.français.1419; CPC.français.1420; CPC.français.1421; CPC.français.1422; CPC.français.1423; CPC.français.1424; CPC.français.1425; CPC.français.659
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14520/2014 ACJC/350/2015

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du VENDREDI 27 MARS 2015

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ (GE), recourante contre un jugement rendu par la 18ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 9 décembre 2014, comparant par Me Pierre-Bernard Petitat, avocat, rue Patru 2, case postale, 1211 Genève 4, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______, sise à ______ (France), intimée, comparant par Me Marc Mathey-Doret, avocat, boulevard des Philosophes 14, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/15827/2014 rendu le 9 décembre 2014, notifié aux parties le 12 décembre 2014, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, à concurrence de 24'343 fr. 85 avec intérêts à 5 % dès le 9 novembre 2013 (ch. 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 400 fr., compensés avec l'avance effectuée par la partie requérante (ch. 2), mis ceux-ci à la charge de la partie citée, condamnée à les verser à la partie requérante (ch. 3) et condamné la partie citée à verser à la partie requérante 1178 fr. TTC à titre de dépens (ch. 4).

Le Tribunal a considéré que les deux ordonnances étrangères invoquées, qu'il a reconnues à titre préjudiciel, constituaient un titre de mainlevée définitive suffisant. Il a cependant indiqué qu'il corrigeait une erreur de calcul figurant dans la requête de mainlevée.

B. Par acte expédié le 22 décembre 2014 au greffe de la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ (ci-après : la recourante) a recouru contre le jugement précité, dont elle demande l'annulation. Elle a conclu au rejet de la requête de mainlevée définitive, avec suite de frais et dépens.

Par arrêt du 15 janvier 2015, la Cour a rejeté la requête de la recourante tendant à suspendre l'effet exécutoire du jugement attaqué et dit qu'il serait statué sur les frais liés à la décision dans l'arrêt rendu sur le fond.

Dans sa réponse du 15 janvier 2015, B______ (ci-après : l'intimée) a conclu, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours et à la confirmation du jugement attaqué.

Les parties ont été informées le 5 février 2015 de ce que la cause était gardée à juger, la recourante n'ayant pas fait usage de son droit de répliquer.

C. a. Sur requête de B______, sise à ______ (France), le Tribunal d'instance de ______ (France) a rendu le ______ 2007, à l'encontre de A______, domiciliée à ______ (France), trois ordonnances portant injonction de payer, soit :

- l'ordonnance n° 2______lui enjoignant de payer 4'200.71 € en principal avec intérêts au taux contractuel de 17.196 % l'an sur 3'013.79 € à compter du
20 janvier 2007,

- l'ordonnance n° 3______ lui enjoignant de payer 10'199.63 € en principal avec intérêts au taux contractuel de 16.848 % l'an sur 7'377 € à compter du 20 janvier 2007,

- l'ordonnance n° 4______ lui enjoignant de payer 1'068.86 € en principal avec intérêts au taux contractuel de 17.196 % l'an sur 759.73 € à compter du 20 janvier 2007.

Sous la rubrique "Causes de la créance - documents justificatifs", les trois requêtes indiquent "offre de prêt, historique de compte, détail de créance, lettres de reconduction, lettre de mise en demeure".

Il résulte des trois ordonnances qu'elles ont été signifiées à la débitrice le ______ 2007 par procès-verbal de recherches infructueuses établi par huissier de justice.

Au pied des trois ordonnances figure la mention "Vu, sans opposition le ______-2007", suivie de la signature du greffier. Le même jour, ce dernier a apposé au verso des trois ordonnances la mention de leur caractère exécutoire, suivie du sceau du Tribunal d'instance de ______ et de sa signature.

b. Les ordonnances nos 3______ et 4______ ont été signifiées par actes de Me C______, huissier de justice français, établis le 27 novembre 2012 et remis par commissions rogatoires à A______ à son domicile en Suisse le 21 janvier 2013.

Selon lesdits actes les créances réclamées étaient de 17'805.71 € sur la base de l'ordonnance n° 3______ (comprenant notamment 10'199.63 € en principal et 7'276.74 € d'intérêts acquis au taux annuel de 16.84 %) et de 2'070.56 € selon l'ordonnance n° 4______ (comprenant notamment 1'068.86 € en principal et 764.98 € d'intérêts acquis au taux annuel de 17.19 %), soit au total 19'876.27 €.

Les actes mentionnent que si la signification de l'ordonnance d'injonction de payer n'a pas été faite à personne, opposition peut être formée par déclaration au Secrétariat Greffe du Tribunal ayant rendu l'ordonnance contre récépissé ou par lettre recommandée jusqu'à l'expiration du délai de trois mois (un mois, plus deux mois supplémentaires dans la mesure où le destinataire est domicilié à l'étranger, art. 643 CPC français) suivant le premier acte signifié à personne.

c. Par lettre du 19 février 2013, ayant pour objet "B______, ______", celle-ci, par l'intermédiaire de la société de recouvrement et de conseil juridique D______, sise à La Chaux-de-Fonds (ci-après : D______), a écrit à A______ ce qui suit :

"L'huissier de justice C______, à ______ nous a confié le recouvrement de la somme que vous restez devoir à la société B______, soit :

- Solde du selon relevé d'huissier au 7 février 2013 € 7'808.18

- Frais de recouvrement (article 106 CO) € 650

Total € 8'458.18

A cette somme s'ajoutent les intérêts courant à compter du 8 février 2013, au taux de 17.96 % l'an, jusqu'à complet paiement."

Un délai au 10 mars 2013 était imparti à A______ pour procéder au versement de la somme précitée.

Etait joint à ce courrier le décompte de l'huissier de justice français, dont il résulte que la somme de 7'808.18 € comprenait notamment 4'200.71 € en principal et 3'277.32 € à titre d'intérêts à 17.96 % du 20 janvier 2007 au 7 février 2013
(2210 jours) calculés sur 3'013.79 €.

B______ évoquait la possibilité d'un accord amiable pour le règlement de la somme due.

d. Le 23 mai 2013, à la demande de B______, représentée par Me Patrick BURKHALTER, avocat au Locle, un commandement de payer du 17 mai 2013, poursuite n° 5______, portant sur la somme de 10'484 fr. 76 (contre-valeur de 8'458.18 €) avec intérêts à 17.960 % dès le 8 février 2013, a été notifié à A______, qui a formé opposition. Le commandement de payer mentionne, comme cause de l'obligation : "Injonction de payer du Tribunal d'instance de ______ du ______.07 et mise en demeure du 19.2.13".

e. Par lettre du 17 septembre 2013 ayant pour objet "SA B______", celle-ci, par l'intermédiaire de D______, faisant suite à un entretien téléphonique du même jour, a écrit à A______ ce qui suit :

"Nous vous confirmons que dès réception du montant qui fait l'objet du commandement de payer N° 5______, nous ferons procéder à la radiation pure et simple de la poursuite correspondante."

f. Par courrier du même jour, concernant "SA B______", A______ a écrit à D______ que la somme de 10'484 fr. 76 "comme indiqué sur le commandement de payer (..) du 17 mai 2013" serait versée par E______, qui lui avait accordé une aide financière de ce montant, par l'intermédiaire de l'Hospice général.

Elle a ajouté :

"Dès lors que vous aurez réceptionné le virement, je, nous, considérons que cette affaire citée en référence est définitivement close et, que plus aucune somme ne pourra m'être réclamée par B______ ou votre cabinet juridique."

Elle a annexé à son courrier une lettre du 26 août 2013 de E______ à l'Hospice général mentionnant que l'aide financière de 10'484 fr. 76 était accordée "afin de rembourser le prêt de Madame A______, souscrit auprès de B______".

g. Par courrier du 19 septembre 2013, mentionnant comme objet "SA B______", celle-ci, par l'intermédiaire de F______, de D______, a écrit à A______ :

"Je vous confirme au surplus que la poursuite actuellement en cours et portant le numéro 5______ de l'Office des poursuites de Genève sera retirée après réception du montant mentionné ci-dessus.

J'attire tout de même votre attention sur le fait que la somme de CHF 10'484.76 n'inclut ni les frais de poursuite ni les intérêts courant depuis le 8 février 2013. Vu les circonstances cependant et pour autant que le paiement intervienne dans un délai n'excédant pas trente jours, lesdits intérêts et frais seront abandonnés et le montant de CHF 10'484.76 sera accepté pour solde de compte."

h. Le 6 novembre 2013, B______, par l'intermédiaire de D______, a fait parvenir à A______ copie du courrier du même jour par lequel elle demandait la radiation de la poursuite n° 5______, la débitrice s'étant acquittée de la totalité du montant en poursuite.

i. Par courrier du 26 novembre 2013, B______, par l'intermédiaire de D______, a mis en demeure A______ de verser avant le 10 décembre 2013 la somme de 22'355.72 €, comprenant 19'024.23 € à titre de "solde dû selon relevés d'huissiers au 08.11.2013, crédit libre à vous", 2'231.49 € "carte Aurore" et 1'100 € à titre de "frais de recouvrement (art. 106 CO)".

Il était indiqué qu'il s'agissait des créances qui avaient fait l'objet "des deux ordonnances rendues par le Tribunal d'instance de ______ en date du ______ 2007".

j. Par courrier du 20 janvier 2014, A______, par l'intermédiaire de son conseil, Me Pierre-Bernard PETITAT, s'est déclarée "stupéfaite" par la lettre du 26 novembre 2013. À son avis, il ressortait clairement de sa lettre du 17 septembre 2013 que le paiement de 10'484 fr. 76 interviendrait pour solde de tout compte. À défaut, E______ ne lui aurait de toute évidence pas accordé une aide financière du même montant. A______ se réservait "le droit d'invalider l'accord pour dol, ou autres vices de la volonté", si la partie adverse devait persister dans sa prétention.

k. Le 6 février 2014, B______, représentée par Me Patrick BURKHALTER, avocat au Locle, a fait notifier à A______ un commandement de payer poursuite n° 1______ portant sur le montant de 28'045 fr. 25 (contre-valeur de 22'355.72 € au cours de l'euro du 8 janvier 2014, soit 1 € = 1 fr. 2545) avec intérêts à 5% dès le 9 novembre 2013, la cause de l'obligation étant libellée comme suit : "signification d'ordonnance d'injonction de payer du ______.07 et mise en demeure du 26.11.13".

La poursuivie a formé opposition.

l. Par acte expédié au greffe du Tribunal le 15 juillet 2014, B______, agissant par l'intermédiaire de son conseil Me Patrick BURKHALTER, a formé une requête de mainlevée définitive de l'opposition formée par A______, "à concurrence d'un capital de CHF 17'734.01 + intérêts à 15 % à compter du 20 janvier 2007 sur CHF 10'207.52".

Elle a exposé dans sa requête que selon les ordonnances françaises
nos 3______ et 4______, le capital dû était de 14'136.32 € au total, soit 17'734 fr. 01 et le capital portant intérêts de 8'136.73 € au total, soit 10'207 fr. 52, au cours de l'euro de 1.2545 du jour de la requête en poursuite. Les intérêts fixés dans lesdites ordonnances étaient réclamés à concurrence de 15 % l'an.

m. Lors de l'audience du Tribunal du 10 novembre 2014, B______, comparant par Me Marc MATHEY-DORET, avocat à Genève, a persisté dans ses conclusions.

A______, représentée par son conseil, a déposé un chargé de pièces et conclu au rejet de la requête. Les titres produits ne valaient pas titre de mainlevée définitive. En particulier les jugements produits n'exposaient pas clairement à quel titre le montant était réclamé, ni si la somme de 10'984 fr. 76 avait été déduite. De plus, ledit montant avait été versé pour solde de tout compte, de sorte que la dette avait été remise selon l'art. 115 CO. A______ a invoqué également un vice de la volonté. La société de recouvrement aurait dû mentionner qu'il y avait d'autres dettes ouvertes.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1 En matière de mainlevée d'opposition, seule la voie du recours est ouverte
(art. 309 lit. b ch. 3 et 319 lit. a CPC).

En l'espèce, le recours, écrit et motivé (art. 130, 131, 321 al. 1 CPC), adressé à la Cour de justice dans un délai de dix jours dès la notification de la décision entreprise (art. 142 al. 1 et 3, 251 let. a, 321 al. 2 CPC), est recevable.

1.2 Les conclusions, les allégations de fait et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC). La juridiction de recours doit statuer sur l'état de fait identique à celui soumis au premier juge (Chaix, L'apport des faits au procès in SJ 2009 II 267; Hofmann/Luscher, Le code de procédure civile 2009 p. 202). Partant, pour examiner si la loi a été violée, la Cour doit se placer dans la situation où se trouvait le premier juge lorsqu'il a rendu la décision attaquée.

Les faits nouveaux allégués par la recourante sont ainsi irrecevables.

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits
(art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par le recourant (HOHL, Procédure civile, tome II, 2ème éd., n° 2307).

1.4 Le recours est instruit en procédure sommaire (art. 251 let. a CPC), la preuve des faits allégués devant être apportée par titres (art. 254 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a a contrario et art. 58 al. 1 CPC).

2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir considéré les ordonnances étrangères comme des titres de mainlevée définitive. Elle allègue que celles-ci ne lui ont pas été signifiées en 2007. Elle ajoute que les ordonnances n'apportent aucune précision sur la date du ou des prêts obtenus de l'intimé, les montants éventuellement remboursés, la part du capital et des intérêts au paiement desquels elle a été condamnée et la part de frais. Par ailleurs, la compétence du tribunal français est "douteuse" compte tenu de son domicile. De plus, la recourante indique ignorer si les ordonnances en question ont été rendues contradictoirement ou "par défaut" et si elle a été valablement convoquée. Enfin, "aucune décision d'exequatur concernant ses décisions n'a été rendue".

2.1 Aux termes de l'art. 80 al. 1 LP, le créancier qui est au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition.

S'il s'agit d'un jugement étranger, comme en l'espèce, rendu par un tribunal d'un Etat avec lequel la Suisse a conclu une convention internationale sur la reconnaissance et l'exécution des décisions judiciaires, ledit jugement est exécutoire en Suisse comme un jugement national. L'exécution forcée s'opère par la poursuite pour dettes (art. 38 al. 1 LP); la procédure de mainlevée tient lieu d'exequatur. Ainsi, la demande d'exequatur, qui sera précédée d'une poursuite ad hoc, n'est pas examinée dans une procédure spécifique, mais elle est tranchée comme une question préalable de la mainlevée (Schmidt, in Commentaire romand, Poursuite et faillite, Dallèves et alii (édit.), 2005, nos 7 à 9 ad art. 80 LP).

2.2 La reconnaissance, la déclaration de force exécutoire et l'exécution des décisions étrangères sont régies par le CPC, à moins qu'un traité international ou la LDIP n'en dispose autrement (art. 335 al. 3 CPC).

La Convention du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après : CL 2007; RS 0.275.12) a remplacé la précédente Convention du
16 septembre 1988 (ci-après : CL 1988; aRS 0.275.11). Elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2011 pour la Suisse et le 1er janvier 2010 pour la France.

L'art. 63 CL 2007 consacre le principe de la non-rétroactivité. Il s'ensuit que la reconnaissance et l'exécution de décisions qui ont été rendues dans l'Etat d'origine avant l'entrée en vigueur de la convention révisée, mais après celle de la CL 1988 tant dans l'Etat d'origine que dans l'Etat requis, ont lieu selon les règles de la
CL 1988 (ATF
138 III 82 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_162/2012 du 12 juillet 2012 consid. 5.1).

En l'espèce, la reconnaissance et l'exécution des ordonnances du Tribunal d'instance de ______ du ______ 2007 sont régies par la CL 1988.

2.3 Selon de l'art. 26 al. 1 CL 1988, les décisions rendues dans un Etat contractant sont reconnues dans les autres Etats contractants sans qu'aucune procédure ne soit nécessaire.

Aux fins de l'art. 25 CL 1988, on entend par décision toute décision rendue par une juridiction d’un Etat contractant quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu’arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d’exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès. Le texte allemand de
l'art. 25 CL 1988 mentionne non seulement le "Vollstreckungsbescheid" (mandat d'exécution), mais aussi le "Zahlungsbefehl" (ordre de paiement), indiquant ainsi à quel point la notion de décision doit être prise au sens large (Bucher, Commentaire romand, LDIP - CL, 2011, n. 8 ad art. 32 CL).

L'injonction de payer du droit français est réglée aux art. 1405-1425 CPC français. Sur requête du créancier et après un examen sommaire sur titre, le juge rend une ordonnance portant injonction de payer (art. 1409 CPC français). Une copie certifiée conforme de la requête et de l'ordonnance est signifiée, à l'initiative du créancier, au débiteur (art. 1411 CPC français). L'acte de signification de l'ordonnance portant injonction de payer indique le délai dans lequel l'opposition doit être formée, le tribunal devant lequel elle doit être portée et les formes selon lesquelles elle doit être faite (art. 1413 CPC français). L'opposition est formée dans le mois qui suit la signification de l'ordonnance. Toutefois, si la signification n'a pas été faite à personne, l'opposition est recevable jusqu'à l'expiration du délai d'un mois suivant le premier acte signifié à personne (art. 1416 al. 2 CPC français). Si le débiteur fait opposition, la procédure se poursuit contradictoirement et le jugement du tribunal se substitue à l'ordonnance portant injonction de payer (art. 1417 ss. CPC français). En l'absence d'opposition dans le mois qui suit la signification de l'ordonnance portant injonction de payer, quelles que soient les modalités de la signification, le créancier peut demander l'apposition sur l'ordonnance de la formule exécutoire. L'ordonnance produit tous les effets d'un jugement contradictoire. Elle n'est pas susceptible d'appel même si elle accorde des délais de paiement (art. 1422 CPC français). La demande tendant à l'apposition de la formule exécutoire est formée au greffe et l'ordonnance est non avenue si la demande du créancier n'a pas été présentée dans le délai d'un mois suivant l'expiration du délai d'opposition (art. 1423 CPC français).

Le droit italien connaît une procédure similaire, celle du "decreto ingiuntivo". Cette ordonnance constitue une décision au sens de l'art. 32 CL 2007 (correspondant à l'art. 25 CL 1988), étant donné que le débiteur peut former opposition et transformer ainsi l'instance en une procédure contentieuse ordinaire (Bucher, op. cit., loc. cit.).

Dans la procédure d'injonction prévue par le Code de procédure civile italien, un créancier peut demander au juge de prononcer une injonction de paiement du montant réclamé (art. 633 CPC italien), en général dans un délai de quarante jours, avec la mention de la possibilité de former opposition (art. 641 CPC italien). Copie de l'ordonnance et de la requête est notifiée au débiteur
(art. 643 CPC italien). L'injonction ne constitue pas en soi un titre exécutoire, mais nécessite l'autorisation du juge après l'échéance du délai d'opposition. Si le cité s'oppose à l'injonction dans le délai imparti, la procédure se poursuit contradictoirement (art. 645 CPC italien), dans le cas contraire le juge déclare l'injonction exécutoire à la demande du créancier (art. 647 CPC italien). À défaut d'opposition, l'ordonnance entre en force et constitue une base légale suffisante pour rejeter définitivement l'opposition formée par le débiteur contre un commandement de payer émis sur la base de ladite ordonnance (ATF 135 III 623 consid. 2.1).

2.4 En droit français, la signification d'un acte judiciaire se fait généralement par acte d'huissier de justice. Lorsque la personne à qui un acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte. Le même jour ou au plus tard le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification. Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité (art. 659 al. 1 à 3 CPC français). La date de la signification de l'acte d'huissier de justice est dans ce cas celle de l'établissement du procès-verbal (art. 664-1 CPC français).

2.5 La procédure d'exequatur est réglée aux art. 31 et ss CL 1988.

L'art. 31 al. 1 CL 1988 prévoit que les décisions exécutoires dans un Etat contractant sont mises à exécution dans un autre Etat contractant après y avoir été également déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.

La partie qui demande l’exécution d’une décision doit produire une expédition de celle-ci réunissant les conditions nécessaires à son authenticité et tout document de nature à établir que, selon la loi de l’Etat d’origine, la décision est exécutoire et a été signifiée (art. 33 ch. 3, 46 et 47 ch. 1 CL 1988).

2.6 En l'espèce, les ordonnances nos 3______ et 4______ du ______ 2007 du Tribunal d'instance de ______ sont des décisions au sens de la CL pouvant fonder la mainlevée définitive selon l'art. 81 LP, comme le Tribunal fédéral a eu l'occasion de le juger au sujet du "decreto ingiuntivo" du droit italien. Elles ont été rendues et signifiées dans le respect des dispositions du CPC français reprises ci-dessus. En particulier, la signification des requêtes de l'intimée et des ordonnances a été faite, dans le délai prescrit, à la recourante, qui ne conteste pas qu'à l'époque elle était domiciliée en France, par procès-verbal de recherches infructueuses établi par huissier de justice. La formule exécutoire a été apposée sur les ordonnances, dans la mesure où aucune opposition n'avait été formée dans le mois suivant la signification. Une seconde signification des deux ordonnances a été exécutée par commissions rogatoires reçues par la recourante, désormais domiciliée en Suisse, le 21 janvier 2013. Celle-ci n'a pas fait usage de la possibilité de former opposition dans les trois mois à compter de cette notification.

Les conditions de la reconnaissance en Suisse des décisions invoquées comme titre de mainlevée définitive étant réalisées, c'est à bon droit que le premier juge les a reconnues à titre préjudiciel et a considéré qu'elles constituaient un titre suffisant pour lever définitivement l'opposition formée par la recourante. Le juge de la mainlevée n'a pas à examiner leur bien-fondé, contrairement à ce que semble soutenir la recourante.

3. La recourante allègue que la dette faisant l'objet de la poursuite a été éteinte, dans la mesure où l'accord de septembre 2013 qu'elle a conclu avec l'intimée, portant sur le paiement de 10'484 fr. 76, est intervenu pour solde de tout compte et de toute prétention résultant de la relation qui avait lié les parties.

3.1 Le juge doit ordonner la mainlevée définitive de l'opposition, à moins que l'opposant ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu'il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu'il ne se prévale de la prescription (art. 81
al. 1 LP).

3.2 D'après la jurisprudence, la transaction est un contrat par lequel les parties mettent fin, par des concessions réciproques, à un litige ou à une incertitude touchant un rapport de droit (ATF 132 III 737 consid. 1.3 p. 740; 130 III 49 consid. 1.2 p. 51 et les arrêts cités). La transaction peut inclure une quittance pour solde de comptes. Celle-ci contient en particulier une reconnaissance négative de dette, soit une déclaration de volonté par laquelle une personne reconnaît n'avoir pas ou plus de prétention à faire valoir relativement à une créance ou à un rapport de droit (ATF 127 III 444 consid. 1a; arrêt 4A_97/2007 du 10 octobre 2007 consid. 3.2, in SJ 2008 I p. 237). La reconnaissance négative de dette peut porter sur une dette existante; elle s'analyse alors comme une remise de dette
(cf. art. 115 CO).

Comme toute déclaration de volonté, la reconnaissance négative de dette s'interprète selon les principes généraux. Lorsqu'il n'est pas possible de déterminer la volonté réelle et commune des parties (cf. art. 18 al. 1 CO) quant à la signification d'une clause, il convient de l'interpréter selon le principe de la confiance. Il sied ainsi de rechercher comment les termes utilisés pouvaient être compris de bonne foi en fonction de l'ensemble des circonstances (ATF 135 III 295 consid. 5.2). Le principe de la confiance permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même s'il ne correspond pas à sa volonté intime. Le sens d'un texte, apparemment clair, n'est pas forcément déterminant, de sorte que l'interprétation purement littérale est prohibée. Même si la teneur d'une clause contractuelle paraît limpide à première vue, il peut résulter d'autres conditions du contrat, du but poursuivi par les parties ou d'autres circonstances que le texte de ladite clause ne restitue pas exactement le sens de l'accord conclu (ATF 135 III 295 consid. 5.2; ATF 133 III 61 consid. 2.2.1; ATF 131 III 606 consid. 4.2). Il n'y a cependant pas lieu de s'écarter du sens littéral du texte adopté par les intéressés lorsqu'il n'existe aucune raison sérieuse de penser qu'il ne correspond pas à leur volonté (ATF 135 III 295 consid. 5.2; ATF 133 III 61 consid. 2.2.1; ATF 130 III 417 consid. 3.2).

Il incombe à la partie qui prétend déduire des droits d'un accord d'apporter la preuve de la réalité de cet accord, le cas échéant des circonstances qui l'amènent à conclure, au regard du principe de la confiance, à la volonté de son cocontractant (art. 8 CC; ATF 116 II 695 consid. 2b/bb).

3.3 En l'espèce, dans la mesure où il n'est pas possible d'établir la volonté intime et concordante des parties (interprétation subjective), il faut rechercher, par une interprétation objective, quel sens chacune des parties pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre et ce, en tenant compte des termes utilisés ainsi que du contexte et de l'ensemble des circonstances dans lesquelles elles ont été émises.

Il résulte du dossier que lorsque les parties ont entamé leurs négociations en vue de trouver un accord amiable, la recourante disposait des documents suivants, reçus entre janvier et mai 2013: les deux ordonnances faisant l'objet de la présente procédure, les trois décomptes de l'huissier de justice français des 27 novembre 2012 et 7 février 2013, la lettre de l'intimée du 19 février 2013, ainsi que le commandement de payer, poursuite n° 5______. Celui-ci ne mentionne pas précisément sur quelle(s) décision(s) il se fonde. Par ailleurs, la lettre du 19 février 2013 de l'intimée ne mentionne pas la/les décision(s) qu'elle concerne et indique qu'il vise le recouvrement de la somme que la recourante restait devoir à l'intimée. De plus, la recourante a écrit le 17 septembre 2013 à l'intimée qu'elle était assistée par l'Hospice général, qu'elle pouvait bénéficier d'une aide financière destinée à "rembourser le prêt" et que, pour elle, moyennant versement de la somme convenue, "l'affaire citée en référence" - à savoir, selon la mention figurant sous "concerne", l'affaire "SA B______" - serait définitivement close et l'intimée ne pourrait plus lui réclamer aucune somme. Au vu de ces circonstances, l'intimée pouvait et devait comprendre de bonne foi que selon la recourante, le versement convenu devait solder les dettes résultant des trois décisions françaises produites dans la présente procédure. Par lettre du 19 septembre 2013, elle lui a d'ailleurs répondu que la somme convenue serait acceptée "pour solde de compte". Même si ledit courrier fait référence à la poursuite n° 5______, que l'intimée s'engageait à retirer, la recourante - qui n'est ni juriste, ni spécialiste du recouvrement et qui agissait à l'époque en personne, vraisemblablement avec l'aide d'un collaborateur de l'Hospice général - pouvait et devait comprendre de bonne foi que le versement interviendrait pour solde de toute prétention relative aux trois créances. En effet, lors de la conclusion de l'accord, aucune autre poursuite ne lui avait encore été notifiée, même si elle avait reçu les deux ordonnances faisant l'objet de la présente procédure. Dans la mesure où l'intimée, conseillée par un avocat et par une société de recouvrement, n'a pas indiqué expressément que la convention ne concernait que l'une des trois créances résultant des décisions françaises, la recourante pouvait de bonne foi comprendre que le versement mettait un terme à l'ensemble du litige en cours.

En définitive, la recourante a établi que la dette faisant l'objet de la poursuite n° 1______ - qui résulte, même si le commandement de payer ne le précise pas, des ordonnances nos 3______ et 4______ du ______ 2007 du Tribunal d'instance de ______ - a été éteinte par la convention de septembre 2013.

Le recours sera ainsi admis et le jugement attaqué annulé. Il sera statué à nouveau, en ce sens que l'intimée sera déboutée des fins de sa requête de mainlevée.

4. Lorsque l'instance de recours statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC par analogie). Le jugement entrepris étant, en l'espèce, annulé, les frais de première instance, fixés à 400 fr. (art. 48 OELP), seront laissés à la charge de l'intimée, qui en avait fait l'avance, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Les frais du recours, comprenant également l'émolument forfaitaire relatif à la décision concernant l'octroi de l'effet suspensif, seront arrêtés à 600 fr. (art 48
et 61 OELP) et mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Celle-ci sera condamnée à les verser aux Services financiers du Pouvoir judiciaire, dans la mesure où le recourante, au bénéfice de l'assistance juridique, avait été dispensée d'en effectuer l'avance (art. 118 al. 1 let. b CPC).

L'intimée sera également condamnée aux dépens de la recourante arrêtés à
2'500 fr., débours et TVA compris, pour les deux instances (art. 95 al. 3, 105 al. 2 et 106 al. 1 CPC; art. 85 al. 1, 89 et 90 RTFMC; 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 22 décembre 2014 par A______ contre le jugement JTPI/15827/2014 rendu le 9 décembre 2014 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14520/2014-18 SML.

Au fond :

Annule le jugement attaqué.

Cela fait, statuant à nouveau :

Déboute B______ de ses conclusions en mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de première instance à 400 fr. et ceux du recours à 600 fr., les met à la charge de B______ et dit qu'ils sont partiellement compensés avec l'avance fournie par celle-ci, qui reste acquise à l'Etat.

Condamne B______ à verser 600 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne B______ à verser à A______ 2'500 fr. à titre de dépens des deux instances.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nathalie LANDRY-BARTHE et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Céline FERREIRA, greffière.

 

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Céline FERREIRA




Indication des voies de recours
:

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.