C/1834/2017

ACJC/1584/2017 du 04.12.2017 sur JTPI/9714/2017 ( SCC ) , CONFIRME

Descripteurs : CAS CLAIR ; DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ
Normes : CPC.221; CPC.257;
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/1834/2017 ACJC/1584/2017

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du lundi 4 decembre 2017

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, appelant d'un jugement rendu par la 17ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 28 juillet 2017, comparant par Me Marco Rossi, avocat, quai Gustave-Ador 2, 1207 Genève, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

et

Madame B______, domiciliée ______ Genève, intimée, comparant par Me Blaise Stucki, avocat, rue des Alpes 15 bis, case postale 2088, 1211 Genève 1, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. B______ occupe un appartement de 3½ pièces sis 15, rue C______, à Genève depuis le 1er mai 2013, pour un montant mensuel de 1'600 fr.

b. Ce logement a été remis à B______ en sous-location par un dénommé D______, qui le sous-louait lui-même depuis le 1er janvier 2007 à E______ SA, dont le directeur est F______.

c. A teneur du Registre foncier, A______, frère de F______, est seul propriétaire de l'immeuble de la rue C______ 15.

d. Par courriers des 31 janvier, 30 mai, 20 juillet puis 16 novembre 2016, A______ a requis de B______ de lui restituer l'appartement qu'elle occupe, un ultime délai au 30 novembre suivant lui étant imparti pour ce faire.

Dans sa correspondance du 30 mai 2016, A______ a également réclamé le paiement d'un arriéré d'un montant de 96'000 fr. à titre d'indemnités dues selon lui depuis les cinq précédentes années.

e. Mettant en doute la qualité de propriétaire de A______ dans un premier temps, B______, par l'entremise de D______, a refusé d'entrer en matière sur sa demande.

Par courrier du 5 août 2016 adressé au Conseil de A______, elle a fait part de sa surprise à entendre évoquer une occupation illicite de l'appartement litigieux et l'a renvoyé à s'adresser à E______ SA, qui louait l'appartement selon elle.

f. Les relations entre A______ et son frère, F______ ont fait l'objet de litiges entre eux et ont donné lieu à des différentes procédures judiciaires.

f.a. F______ estime être le véritable propriétaire économique de l'immeuble, sur la base d'un contrat de fiducie le liant à son frère, lequel ne figurait seul au Registre foncier que pour des raisons fiscales, en raison du redressement dont il faisait alors l'objet en la matière. A l'époque, F______ exploitait également en raison individuelle deux restaurants (dont l'un revendu par la suite à son épouse) qui occupaient les arcades du rez-de-chaussée de l'immeuble du 15, rue C______, et logeait lui-même dans un des appartements du 1er étage.

f.b. Les deux frères ne contestent pas que F______ s'est occupé de la gérance de l'immeuble depuis 1996. C'est à ce titre, en mai 2001, que F______ avait conclu un bail avec E______ SA.

f.c. Le 8 mars 2006, A______ a déposé une requête en reddition de comptes par voie de mesures provisionnelles dirigée contre son frère par devant le Tribunal de première instance au motif qu'il ne le renseignait pas sur la gestion de l'immeuble sis au 15, rue C______. Le Tribunal a condamné F______ par ordonnance du 31 mars 2006, confirmée par arrêt de la Cour du 6 septembre 2006, à remettre à son frère tous les documents en sa possession relatifs à cet immeuble.

f.d. Par avis officiel du 26 juin 2008 adressé à E______ SA, A______ a déclaré résilier le bail portant sur le 15, rue C______. Par jugement rendu le 5 novembre 2009 et confirmé par la Cour de justice le 11 octobre 2010, le Tribunal des baux et loyers a constaté que E______ SA et A______ n'étaient pas liés par un contrat de bail à loyer, déclarant irrecevables les conclusions de E______ SA en constatation de la validité du bail du 1er mai 2001 et en opposabilité de celui-ci à A______ et nul le congé du 26 juin 2008.

A______ a par la suite adressé à F______ plusieurs avis de résiliation des baux portant sur l'immeuble du 15, rue C______.

Par jugement du 22 mars 2013, le Tribunal des baux et loyers a constaté que A______ et son frère, F______ n'étaient pas liés par un contrat de bail à loyer et s'est déclaré incompétent pour connaître du litige les opposant.

Dans ses considérants, le Tribunal a retenu qu'il n'y avait pas lieu de s'écarter de la mention figurant au Registre foncier selon laquelle A______ était le seul propriétaire de l'immeuble du 15, rue C______. Le Tribunal s'est également déclaré convaincu du fait que A______ avait bel et bien confié la gérance de son immeuble à F______, qui avait profité de la confiance ainsi placée en lui par son frère pour prendre progressivement possession du bâtiment avec le concours de son épouse et de E______ SA.

g. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 1er février 2017, A______ a formé une requête en protection de cas clair, prenant notamment les conclusions suivantes :

2. Ordonner à Madame B______ d'évacuer immédiatement de sa personne, de ses biens et de tout tiers dont elle est responsable, l’appartement de 3 ½ pièces sis au 1er étage de l'immeuble situé rue C______ 15, Genève, dont Monsieur A______ est propriétaire;

3. Ordonner à Madame B______ de restituer, à Monsieur A______, l'appartement mentionné en conclusion n° 2, en bon état de propreté et réparation ainsi que ses clés d'accès dans les dix jours suite à l'entrée en force du Jugement;

5. Autoriser Monsieur A______ à faire exécuter directement le présent Jugement, dès son entrée en force, en recourant à un huissier judiciaire et, si nécessaire, à la force publique

(…)

7. Condamner Madame B______ à verser, à Monsieur A______, la somme mensuelle de CHF 1'600.- dès le mois de juin 2016 et jusqu'à restitution de l'appartement - mentionné à la conclusion n° 2 vidé, plus intérêts à 5% l'an, à titre d'indemnité pour occupation illicite;

(…)

h. B______ a conclu, principalement, au rejet de l'action en revendication, en restitution et en évacuation et, subsidiairement, à ce qu'elle soit déclarée irrecevable.

i. Lors de l'audience du 30 mai 2017 devant le Tribunal, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions.

Se fondant sur sa qualité de propriétaire telle qu'elle ressort du Registre foncier et dans la mesure constatée par le Tribunal des baux et loyers, A______ a réitéré le fait que ni E______ SA, ni D______ n'ont obtenu d'autorisation de sa part aux fins de sous-louer l'appartement litigieux. Selon lui, c'est donc sans droit que B______ occupe depuis lors les lieux.

Prenant appui sur le conflit opposant les frères depuis de nombreuses années, B______ a estimé pour sa part que la qualité de propriétaire de A______ était loin d'être univoque, rappelant que le Tribunal des baux et loyers ne constatait pas cette qualité au profit de celui-ci dans son dispositif du 23 mars 2013. Elle a argué également du contrat de gérance ayant lié les deux frères et portant précisément sur l'immeuble du 15, rue C______, les actes accomplis par F______ en sa qualité de mandataire liant A______, y compris s'agissant de la conclusion des baux.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

B. Par jugement du 28 juillet 2017, le Tribunal a considéré que la question de la réalisation d'admission du cas clair pouvaient rester indécises dans la mesure où la formulation des conclusions de A______ étaient contradictoires. En effet, il requérait l'évacuation immédiate de B______ du logement litigieux (conclusion n° 2), tout en lui octroyant dans le même temps un délai de dix jours dès l'entrée en force du jugement pour la restitution de l'appartement et la remise des clés (conclusion n° 3); il requérait par ailleurs de pouvoir mettre en œuvre un huissier judiciaire, voire la force publique, immédiatement dès l'entrée en force du jugement (conclusion n° 5). Or, de trois choses l'une: soit le requérant exigeait d'être remis en possession immédiate complète de l'appartement, soit il consentait à octroyer à B______ un sursis de dix jours à compter de l'entrée en force du jugement, soit il estimait pouvoir faire exécuter le dispositif immédiatement après celle-ci. Il ne lui revenait pas d'interpréter les conclusions ambiguës du requérant sollicitant la protection des cas clairs, ni a fortiori de choisir, parmi les trois alternatives proposées, la plus en adéquation avec ses intentions réelles. Le prononcé d'un jugement reprenant telles quelles les conclusions soumises rendrait peu clair et inexécutable son dispositif. Par conséquent, la requête devait être déclarée irrecevable.

C. a. Par acte expédié au greffe de la Cour le 25 août 2017, A______ a formé appel de ce jugement. Il a conclu à son annulation et, cela fait, à ce qu'il soit ordonné à B______, sous la menace de la peine de l'art. 292 CP, d'évacuer immédiatement l'appartement qu'elle occupe dans l'immeuble sis au 15, rue C______ à Genève et à ce qu'elle le restitue dans les dix jours à la suite de l'entrée en force "du Jugement" ainsi qu'à ce qu'il soit autorisé à faire exécuter directement le "présent Jugement", dès son entrée en force, en recourant à un huissier judiciaire et si nécessaire, à la force publique et en tant que de besoin, à recourir aux frais de B______, à toute mesure adéquate. Il a enfin conclu à ce que B______ soit condamnée à lui verser la somme mensuelle de 1'600 fr. dès le mois de juin 2016 et ce, jusqu'à restitution de l'appartement, avec intérêts à 5% l'an à titre d'indemnité pour occupation illicite.

b. B______ a conclu au rejet de l'appel, avec suite de frais.

c. Les parties ont persisté dans leurs conclusions aux termes de leurs réplique et duplique.

d. Les parties ont été informées par avis du greffe de la Cour du 31 octobre 2017 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             1.1 A teneur de l'art. 308 al. 1 let. a CPC, l'appel est recevable contre les décisions de première instance, finales et incidentes, lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions atteint au moins 10'000 fr. dans les affaires patrimoniales (art. 308 al. 2 CPC).![endif]>![if>

L'action en revendication au sens de l'art. 641 al. 2 CC est une contestation de nature pécuniaire dont la valeur litigieuse correspond à la valeur de l'objet revendiqué, déduction faite de l'hypothèque grevant celui-ci (ATF 94 II 51 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_18/2011 du 5 avril 2011 consid. 1.1; 4A_188/2012 du 1er mai 2012 consid. 1).

En l'occurrence et dans la mesure où l'action porte sur la revendication d'un appartement de 3½ pièces, situé à Genève, la valeur de 10'000 fr. est manifestement atteinte. Quand bien même la valeur litigieuse n'a pu être fixée de manière précise, la voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 Déposé dans le délai utile et selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1, 131, 142 al. 3 et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

2. L'appelant conteste que ses conclusions étaient ambiguës dans la mesure où il a distingué l'évacuation, qui devait intervenir immédiatement, et la restitution de l'appartement, qui devait intervenir dans un délai de dix jours, pour permettre à l'intimée de procéder aux nettoyages et réparations nécessaires; enfin, il se réservait le droit de faire appel à un huissier judiciaire en cas de mauvaise exécution.

2.1 L'art. 221 al. 1 let. b CPC prévoit que la demande contient des conclusions.

Les conclusions doivent être formulées de manière à ce qu'elles puissent être reprises dans le dispositif de la décision et être exécutées en cas d'admission de la demande (Pahud, in Schweizerische Zivilprozessordnung (ZPO), Brunner et al., éd., 2ème 2016, n. 7 ad art. 221 CPC). Le demandeur doit ainsi indiquer de manière concrète, claire et déterminée ce qu'il réclame (Willisegger, in Basler Kommentar, Schweizeriasche Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 12 ad art. 221 CPC).

L'application du principe de la confiance impose d'interpréter les conclusions à la lumière de la motivation. L'interdiction du formalisme excessif commande, pour sa part, de ne pas se montrer trop strict dans la formulation des conclusions si, à la lecture du mémoire, on comprend clairement ce que veut le recourant (arrêts du Tribunal fédéral 4A_688/2011 du 17 avril 2012 consid. 2 non publié in ATF 138 III 425; 2C_861/2015 du 11 février 2016 consid. 1.2).

Lorsque des conclusions ne sont pas claires, le juge peut le cas échéant être amené à les interroger à cet égard (Leuenberger, in: Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], Sutter-Somm et al., éd., 3ème éd. 2016, n. 39 5 ad art. 221 CPC; Pahud, op. cit., n. 8 ad art. 221 CPC), étant toutefois relevé que le devoir d'interpellation du juge dépend des circonstances concrètes et concerne avant tout les personnes non assistées et dépourvues de connaissances juridiques, tandis qu'il a une portée restreinte vis-à-vis des parties représentées par un avocat, le juge devant alors faire preuve de retenue dans ce dernier cas (arrêt du Tribunal fédéral 4A_57/2014 du 8 mai 2014 consid. 1.3.2).

Lorsque des conclusions ne sont pas claires ou incomplètes, la demande est irrecevable (Willisegger, op. cit. n. 20 ad art. 221 CPC).

2.2 En l'espèce, l'appelant est assisté d'un avocat et il a encore indiqué devant la Cour qu'il entendait bien prendre les conclusions telles qu'elles étaient formulées dans sa demande, de sorte qu'il se justifie d'examiner la validité des conclusions de l'appelant telles qu'elles résultent de ses écritures, sans qu'il soit nécessaire de l'interpeller pour les préciser.

L'appelant a conclu, d'une part, à ce que l'évacuation de l'intimée de l'appartement soit ordonnée immédiatement et, d'autre part, à ce qu'il lui soit ordonné de restituer l'appartement dans un délai de dix jours dès l'entrée en force du "Jugement". A cet égard, les conclusions de l'appelant ne sont pas claires dans la mesure où l'évacuation de l'intimée ne peut intervenir qu'en même temps que la restitution de l'appartement puisqu'après avoir évacué l'appartement, l'intimée ne pourra plus procéder au nettoyage et aux éventuelles réparations que l'appelant voudrait la voir accomplir. On ne voit pas non plus sur quelle base l'appelante pourrait être évacuée alors même qu'elle ne serait pas tenue de restituer l'appartement avant un délai de dix jours. En outre, l'appelant réclame l'exécution du "Jugement" dès son entrée en force, alors même qu'il entend laisser un délai à l'intimée pour restituer l'appartement. Il apparait de ce point de vue également contradictoire d'accorder un délai à l'intimée pour lui permettre de procéder à des travaux de nettoyage et des réparations tout en demandant l'exécution de la décision d'évacuation qui sera rendue dès l'entrée en force de cette dernière.

Une décision dont le dispositif correspondrait aux conclusions telles qu'elles ont été formulées par l'appelant poserait inévitablement des problèmes d'exécution puisque l'évacuation de l'intimée pourrait être ordonnée et exécutée alors même qu'elle disposerait d'un délai pour restituer l'appartement.

Les conclusions sont donc contradictoires et c'est dès lors à bon droit que le Tribunal a déclaré irrecevable la requête formée par l'appelant le 1er février 2017.

2.3 Il sera relevé en tout état de cause que les relations entre l'appelant et son frère sont complexes et ont fait l'objet de nombreuses procédures et que les conséquences sur la validité du bail de l'intimée ne peuvent, a priori, pas être qualifiées de claires. Il est par ailleurs douteux que le montant de 1'600 fr. que l'appelant serait, le cas échéant, en droit de réclamer à l'intimée à titre d'indemnité pour occupation illicite puisse être considéré comme clair au sens de l'art. 257 CPC quand bien même et du seul fait qu'il correspond à celui qu'elle payait à titre de sous-loyer.

2.4 Au vu de ce qui précède, le jugement attaqué sera confirmé.

3. L'appelant, qui succombe, sera condamné aux frais judiciaires (art. 106
al. 1 CPC), arrêtés à 2'500 fr. (art. 17 et 35 RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelant sera également condamné aux dépens de l'intimée, arrêtés à 2'000 fr., débours et TVA compris (art. 84, 85, 88 et 90 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 25 août 2017 par A______ contre le jugement JTPI/9714/2017 rendu le 28 juillet 2017 par le Tribunal de première instance dans la cause C/1834/2017-17 SCC.

Au fond :

Confirme le jugement attaqué.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'500 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ la somme de 2'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Monsieur David VAZQUEZ, commis-greffier.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

Le commis-greffier :

David VAZQUEZ

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.