C/21478/2014

ACJC/1010/2015 du 07.09.2015 sur JTPI/3628/2015 ( SFC ) , JUGE

Descripteurs : FAILLITE SANS POURSUITE PRÉALABLE; INSOLVABILITÉ
Normes : LP.174.1.2; LP.190.1.2
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21478/2014 ACJC/1010/2015

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du lundi 7 SEPTEMBRE 2015

 

Entre

A______, ayant son siège ______ (Iles Caïmans), recourante contre un jugement rendu par la 9ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 26 mars 2015, comparant par Me Marc Gilliéron, avocat, rue du Mont-Blanc 3, case postale 1363, 1211 Genève 1, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______, ayant son siège ______ Genève, intimée, comparant par Me Peter Pirkl, avocat, rue de Rive 6, 1204 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/3628/2015 du 26 mars 2015, notifié le 27 mars 2015 aux parties, le Tribunal de première instance a déclaré irrecevables les notes de plaidoiries déposées par B______ le 5 février 2015 (chiffre 1 du dispositif), rejeté la requête en faillite sans poursuite préalable et en mesures conservatoires formée le 24 octobre 2014 par A______ à l'encontre de B______ (ch. 2), mis les frais à la charge de A______ (ch. 3), arrêté les frais judiciaires à 700 fr., compensés avec l'avance de frais judiciaires fournie, acquise à l'Etat de Genève (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

Le Tribunal a considéré que B______ n'avait pas commis d'actes en fraude des droits de A______ (ci-après : A______) au sens de l'art. 190 al. 1 ch. 1, 3e hypothèse LP, dans la mesure où les actes frauduleux de B______ étaient la cause de la créance de A______, ce qui excluait l'application de cette disposition. Par ailleurs, au 13 octobre 2014, B______ faisait l'objet de deux poursuites au stade de l'opposition au commandement de payer. La première, intentée par A______, ne pouvait pas être prise en compte, dans la mesure où la créancière ne pouvait se prévaloir du non-paiement de sa propre créance pour étayer la suspension de paiement. La seconde poursuite, requise par C______, portait sur une créance de 743'967 fr. 55, laquelle n'était pas établie de manière stricte. Ainsi, B______ n'avait pas suspendu ses paiements au sens de l'art. 190 al. 2 ch. 2 LP. Enfin, ce qui n'est pas contesté dans le cadre du recours, B______ n'avait pas pris la fuite dans l'intention de se soustraire à ses engagements au sens de l'art. 190 al. 1 ch. 1, 2e hypothèse LP.

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 7 avril 2015, A______ (ci-après également : la recourante) recourt contre le jugement précité, dont elle demande l'annulation. Elle conclut, avec suite de frais et dépens de première instance et de recours, principalement au prononcé de la faillite sans poursuite préalable de B______, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Elle produit un extrait du Registre du commerce de B______ (pièce 31), un extrait au 1er avril 2015 des poursuites dirigées contre B______ (pièce 32) et un jugement du Tribunal du 27 janvier 2015 prononçant la mainlevée provisoire formée par B______ au commandement de payer relatif à une poursuite
n° 1______ intentée par C______ contre B______, mentionnant que cette dernière le 25 mars 2015 n'avait pas formé appel et le 1er avril 2015 n'avait pas agi en libération de dette (pièce 33).

b. B______ (ci-après : l'intimée) conclut, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours et à la confirmation du jugement attaqué.

c. Aux termes de sa réplique du 11 mai 2015, la recourante persiste dans ses conclusions.

Elle produit deux pièces nouvelles, soit son recours du 16 février 2015 contre la décision du 4 février 2015 de levée partielle du séquestre pénal sur des comptes bancaires de B______ (pièce 34) et les observations du 30 mars 2015 du Ministère public sur ledit recours (pièce 35).

d. Les parties ont été informées le 1er juin 2015 de ce que la cause était gardée à juger, l'intimée n'ayant pas fait usage de son droit de dupliquer.

C. a. A______ est une société de droit des Iles Caïmans, dont le but est de financer des transactions portant sur des matières premières.

b. B______, inscrite le ______ 2010 au Registre du commerce de Genève, est active dans le négoce international de matières premières, en particulier de métaux ferreux.

Ses actionnaires et ayants droits économiques sont D______ et E______, ressortissants X______.

F______ a été administrateur de B______ avec signature individuelle d'août 2010 à octobre 2014.

D______ a été inscrit au Registre du commerce comme directeur général de la société avec signature individuelle de septembre 2011 à novembre 2012. Il a par ailleurs été au bénéfice d'une procuration générale établie le 18 juin 2012 par l'administrateur, lui permettant de représenter la société.

D______ est inscrit au Registre du commerce comme administrateur unique de B______ depuis décembre 2014.

c. Le 28 janvier 2013, A______, d'une part, et B______, ainsi que G______, société de droit X______ appartenant aux actionnaires de B______, d'autre part, ont signé un contrat aux termes duquel A______ octroyait à ses cocontractants une ligne de crédit de 5'000'000 USD.

Les fonds étaient destinés à l'acquisition et au négoce de marchandises entreposées au port de H______ (Y______) et prêtés selon les modalités et conditions suivantes :

- B______ devait présenter des documents indiquant qu'elle avait déjà vendu la marchandise à l'acquéreur final,

- B______ devait présenter un certificat FRC (Forwarder Certificate of Receipt) émis par l'entrepositaire attestant qu'il détenait les marchandises pour le compte de A______ et par lequel il s'engageait à ne libérer les marchandises qu'avec l'accord de A______,

- B______ devait présenter un certificat de la société d'inspection (I______) confirmant la qualité et la quantité de la marchandise, objet du certificat FRC,

- le prix de vente devait en priorité être affecté au remboursement de A______.

Le 6 février 2013, B______ a signé une reconnaissance de dette, aux termes de laquelle elle reconnaissait devoir à A______ 5'000'000 USD en relation avec la ligne de crédit accordée le 28 janvier 2015 par celle-ci. La reconnaissance de dette serait exécutoire immédiatement en cas de non-respect par B______ des termes et conditions de la facilité de crédit.

d. Dans un premier temps, les opérations de crédit par tirage se sont déroulées régulièrement, B______ remboursant à A______ les sommes empruntées.

Par la suite, B______ n'a plus remboursé les sommes prêtées et n'a plus finalisé ses opérations de négoce.

Elle reste devoir à A______ 3'417'012 USD, plus intérêts, créance admise par B______ dans une convention non datée, ainsi que dans la présente procédure.

e. B______ avait obtenu des lignes de crédit également d'autres institutions financières, parmi lesquelles J______, K______, L______, M______ et N______.

Par conventions signées par elle le 25 août 2014, B______ a reconnu devoir et s'est engagée à rembourser 1'213'310.88 USD à M______ et 2'481'852.38 USD à L______.

f. I______ a informé A______ et B______ le 2 octobre 2014 de ce qu'elle avait appris que les marchandises à inspecter n'appartenaient ni à B______, ni à G______ et le lendemain que la moitié environ de la marchandise en relation avec les fonds prêtés par J______, K______, L______, M______ et A______ était manquante par rapport aux quantités garanties par les certificats présentés.

g. D______ a été interpellé par la police le 2 octobre 2014 à l'aéroport de Genève alors qu'il était sur le point d'embarquer sur un vol à destination de Y______. E______ avait déjà regagné la Y______.

Le 3 octobre 2014, A______ a déposé plainte pénale contre D______ et E______ notamment pour escroquerie.

I______, J______, M______, O______, N______., K______, L______, C______, P______ et Q______ ont également déposé plainte pénale.

Une procédure pénale a été ouverte à l'encontre de D______ et E______ (P/2______), dans laquelle A______ et les sociétés précitées se sont constituées partie civiles.

h. Le 8 octobre 2014, F______ a écrit au Ministère public qu'il avait démissionné le 29 septembre 2014 de ses fonctions d'administrateur de B______. Il exposait que suite aux agissements des actionnaires, la société n'avait plus aucune liquidité en compte et que sauf un apport de la part de ceux-ci, les charges courantes (principalement les salaires, ainsi que charges sociales et fiscales y relatives) n'étaient plus couvertes. Etant donné "la situation évidente de surendettement", il avait informé de sa démission l'organe de révision, à qui il appartenait selon lui d'aviser le juge en application de l'art. 729c CO.

i. Selon un extrait de l'Office des poursuites, B______ faisait l'objet le 13 octobre 2014 de deux poursuites, au stade de l'opposition au commandement de payer, l'une de A______ pour une somme de 3'234'878 fr. 40 (contrevaleur de la créance en USD mentionnée ci-dessus sous let.d), l'autre de C______ pour un montant de 743'967 fr. 55.

j. Dans le cadre de la procédure pénale, D______ a reconnu que sur ses instructions et contre rémunération, des faux certificats FCR avaient été émis en ce sens que la marchandise sur laquelle ils portaient ne se trouvait pas dans l'entrepôt. Les collaborateurs de I______ à H______ avaient été soudoyés pour l'émission de faux rapports d'inspection destinés à couvrir les faux certificats FCR. Ainsi, les banques recevaient des faux certificats FCR portant sur de la marchandise inexistante.

D______ a confirmé au Procureur, l'interrogeant à ce sujet, que les dettes ouvertes auprès des plaignantes devaient être de l'ordre d'un peu plus de 15 millions USD.

Il a également déclaré qu'à fin septembre 2014, les caisses de B______ étaient vides.

k. Par requête du 22 octobre 2014, A______ a requis du Tribunal, avec suite de frais et dépens, le prononcé de la faillite sans poursuite préalable de B______, ainsi que des mesures conservatoires urgentes.

l. Par ordonnance du 24 octobre 2014, le Tribunal a ordonné à l'Office des poursuites l'établissement d'un inventaire des actifs de B______.

Il résulte du procès-verbal d'inventaire du 18 novembre 2014 que la société est titulaire de divers comptes bancaires, notamment, pour un total de l'ordre de 73'000 fr., auprès du R______.

Tous les comptes bancaires identifiés en Suisse comme étant détenus par B______ font l'objet d'un séquestre pénal conservatoire ordonné le 22 octobre 2014 par le Ministère public. Ce dernier, par ordonnance du 4 février 2015, a levé ledit séquestre sur les comptes de la société auprès de la S______, présentant un solde créancier inférieur à 5'000 fr.

m. Le 20 janvier 2015, D______ a déclaré au Ministère public que B______ devait à la fiduciaire T______(dont F______ est administrateur) environ 17'000 fr. à 18'000 fr. à titre de frais et honoraires. B______ n'était pas en mesure de payer ce montant.

Par ailleurs, B______ devait encore 2,5 millions USD à quatre créanciers importants autres que les parties civiles, à savoir deux fournisseurs qui lui avaient délivré de la marchandise entre avril et juin 2014, ainsi que deux établissements qui l'avaient financée au printemps 2014 selon un mécanisme identique à celui qui avait conduit au dépôt des plaintes pénales.

B______ n'était pas en mesure de payer ses frais courants de fonctionnement (notamment les salaires et le loyer).

Depuis le 2 octobre 2014, aucun créancier n'avait reçu de l'argent, à l'exception des paiements que le Ministère public avait autorisés, à savoir le paiement d'une partie des arriérés de salaires des anciens employés et la libération de la garantie de loyer relative aux bureaux de B______ en faveur du bailleur pour couvrir les arriérés de loyer.

n. Lors de l'audience du Ministère public du 3 février 2015, D______ et E______ ont déclaré que les fonds empruntés aux parties civiles en 2013, destinés au financement du commerce de marchandises, avaient en réalité été investis dans une usine de peinture ("U______") et une usine métallurgique ("V______") sises en Y______, acquises par les prévenus.

Ils ont évoqué un troisième projet non encore réalisé de construction d'une usine métallurgique en Y______ ("W______"), pour lequel ils n'avaient toutefois pas encore obtenu la totalité des financements nécessaires et qui avait pris du retard.

o. Lors de l'audience du Tribunal du 5 février 2015, A______ a persisté dans ses conclusions.

B______ a déclaré que les faits allégués par A______ n'étaient pas contestés, notamment la créance de cette dernière. Le seul "actif substantiel" de B______ était le projet d'usine de traitement de métal mentionné ci-dessus ("W______"), qui pouvait rapporter selon elle environ 25 millions USD, alors que le passif total de la société s'élevait à un montant de l'ordre de 23 millions USD.

Par ailleurs, D______ rencontrait des difficultés pour obtenir les comptes du précédent administrateur, qui refusait de les lui transmettre au motif qu'il n'avait pas été payé. La société se trouvait dans l'impossibilité de faire auditer ses comptes et ainsi de déposer la requête d'ajournement de faillite qu'elle souhaitait introduire.

Au vu de ce qui précède, B______ a demandé au Tribunal principalement, de surseoir à la décision et de convoquer les parties à une nouvelle audience à fin mars 2015, subsidiairement de rejeter la requête de A______.

p. Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience du 5 février 2015.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel étant irrecevable dans les affaires relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 CPC), seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a CPC; art. 174 LP, par renvoi de l'art. 194
al. 1 LP).

Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC).

1.2 Formé selon la forme et dans le délai prévus par la loi (art. 142 al. 3, 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable, sauf en ce qui concerne le ch. 1 du dispositif du jugement, qui n'est pas critiqué.

1.3 En vertu de l'art. 174 al. 1 2ème phrase LP - applicable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP -, la décision du juge de la faillite - qui rejette ou qui admet la réquisition de faillite - peut, dans les 10 jours, faire l'objet d'un recours au sens du CPC; les parties peuvent faire valoir devant l'instance de recours des faits nouveaux lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance. La loi vise ici les faits nouveaux improprement dits (faux nova ou pseudo-nova ), à savoir qui existaient déjà au moment de l'ouverture de la faillite et dont le premier juge n'a pas eu connaissance pour quelque raison que ce soit; ces faits peuvent être invoqués sans restriction devant la juridiction de recours (arrêt du Tribunal fédéral 5A_571/2010 du 2 février 2011 consid. 2, publié in: SJ 2011 I p. 149), pour autant qu'ils le soient dans le délai de recours (ATF 139 III 491 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_427/2013 du 14 août 2013 consid. 5.2.1.2). Selon la jurisprudence, les vrais nova - à savoir les faits qui sont intervenus après l'ouverture de la faillite en première instance (art. 174 al. 2 ch. 1-3 LP) - doivent également être produits avant l'expiration du délai de recours (ATF 139 III 491 consid. 4; 136 III 294 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_606/2014 du 19 novembre 2014 consid. 4.2 et les références). L'admission des vrais nova
- soumise à une double condition très stricte - est destinée à éviter, et non à permettre, l'ouverture de la faillite, de sorte qu'il apparaît conforme à la volonté du législateur de ne reconnaître qu'au seul débiteur poursuivi la faculté d'invoquer de tels faits nouveaux (arrêt du Tribunal fédéral 5A_899/2014 du 5 janvier 2015 consid. 3.1 et les références).

Partant, la pièce nouvelle 33 produite par la recourante avec son recours est recevable. En revanche, ses pièces nouvelles 32, émise après le jugement du Tribunal, 34 et 35, produites avec sa réplique, soit après l'échéance du délai de recours, sont irrecevables. Elles ne sont en tout état pas déterminantes pour la solution du litige.

2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir constaté les faits de manière manifestement inexacte et d'avoir ainsi retenu à tort que les conditions de l'art. 190 LP, en particulier la condition de la commission de la part de B______ d'actes frauduleux au détriment de la recourante et d'autres créanciers et celle de la suspension de paiement, n'étaient pas réalisées. L'intimée fait valoir que la recourante ne démontre pas en quoi la constatation des faits à laquelle a procédé le Tribunal serait arbitraire.

2.1 Dans le cadre du recours, ne sont recevables que les griefs qui reposent sur la violation de la loi ou la constatation manifestement inexacte des faits
(art. 320 CPC).

Le pouvoir d'examen en droit du juge saisi d'un recours est en tous points similaire à celui du premier juge, y compris en ce qui concerne le pouvoir d'appréciation et l'opportunité (Jeandin, CPC, Code de procédure civile commenté, Bohnet et al. [éd.], 2011, n. 2 ad art. 321 CPC).

La constatation manifestement inexacte des faits correspond à la notion d'arbitraire. La constatation de faits ou l'appréciation des preuves est arbitraire si elle est manifestement insoutenable ou en contradiction évidente avec la situation de fait, ou encore repose sur une inadvertance manifeste ou heurte de manière choquante le sentiment de justice (HOHL, Procédure civile, tome II, 2010, n. 2936 et 2938 et réf. citées; CHAIX, Introduction au recours de la nouvelle procédure civile fédérale in SJ 2009 II 257 ss, n. 15 p. 266). Il appartient au recourant d'expliquer clairement et avec précision en quoi un point de fait a été établi de façon manifestement inexacte. Il ne suffit pas de présenter sa propre version des faits ou d'opposer son appréciation des preuves à celle du premier juge (ATF 129 I 8 consid. 2.1).

2.2 Aux termes de l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP, le créancier peut requérir la faillite sans poursuite préalable si le débiteur sujet à la poursuite par voie de faillite a suspendu ses paiements. La notion de suspension de paiements est une notion juridique indéterminée qui accorde au juge un large pouvoir d'appréciation. La suspension de paiements a été préférée par le législateur à l'insolvabilité parce qu'elle est perceptible extérieurement et, dès lors, plus aisée à constater que l'insolvabilité proprement dite; il s'agit ainsi de faciliter au requérant la preuve de l'insolvabilité. Pour qu'il y ait suspension de paiements, il faut que le débiteur ne paie pas des dettes incontestées et exigibles, laisse les poursuites se multiplier contre lui, tout en faisant systématiquement opposition, ou omette de s'acquitter même de dettes minimes. Par ce comportement, le débiteur démontre qu'il ne dispose pas de liquidités suffisantes pour honorer ses engagements. Il n'est toutefois pas nécessaire que le débiteur interrompe tous ses paiements; il suffit que le refus de payer porte sur une partie essentielle de ses activités commerciales. Même une dette unique n'empêche pas, si elle est importante et que le refus de payer est durable, d'admettre une suspension de paiements; tel peut être le cas lorsque le débiteur refuse de désintéresser son principal créancier (ATF 137 III 460 consid. 3.4.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_509/2014 du 27 août 2014 consid. 4.1, 5A_439/2010 du 11 novembre 2010 consid. 4).

Pour juger de l'existence d'une suspension de paiements, l'autorité judiciaire supérieure doit tenir compte des faits nouveaux et donc de la situation financière du débiteur à l'échéance du délai de recours cantonal (ATF 139 III 491 consid. 4, 136 III 294 consid. 3), dans la mesure rappelée ci-dessus sous consid. 1.3.

2.3 En l'espèce, il résulte des déclarations faites par l'administrateur actuel de l'intimée devant l'autorité pénale, ainsi que devant le premier juge, que l'intimée ne paie pas ses dettes reconnues et exigibles, à savoir non seulement celles à l'égard de C______ (743'967 fr. 55 au 13 octobre 2014) et de la recourante (3'234'878 fr. 40 au 13 octobre 2014), qui font l'objet de poursuites (celle introduite par la première société se trouvant à un stade permettant à la créancière de requérir la faillite ordinaire de l'intimée), mais également celles à l'égard des autres parties civiles (plusieurs millions de dollars), d'autres fournisseurs et investisseurs (2,5 millions USD), ou encore celles à l'égard de la fiduciaire T______(environ 17'000 fr. à 18'000 fr.). Cette impossibilité de payer porte sur la totalité de ses activités commerciales. Par ailleurs, l'intimée n'est pas en mesure de faire face à ses charges courantes (notamment le loyer et les salaires), ce qui résulte également du courrier du 8 octobre 2014 de son précédent administrateur au Ministère public. La société ne dispose manifestement pas de liquidités suffisantes pour honorer ses engagements, ses comptes bancaires étant, de surcroît, pour l'essentiel bloqués par un séquestre pénal. Enfin, devant le premier juge, l'intimée a déclaré qu'elle ne contestait pas les faits allégués par la recourante, en précisant que son passif total était de l'ordre de 23 millions USD, son seul "actif substantiel" consistant en un projet, incertain et non documenté, de construction d'une usine en Y______. Ce projet ne permet pas de retenir que la société disposerait d'actifs lui permettant de tenir ses engagements.

Contrairement à ce que soutient l'intimée, la recourante a exposé clairement et avec précision en quoi les faits en relation avec la question de la suspension de paiements avaient été établis de façon manifestement inexacte par le Tribunal (cf. recours, pp. 16 et 17).

En définitive, à l'échéance du délai de recours, l'intimée se trouvait en situation de suspension de paiements au sens de l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP. Il n'est ainsi pas nécessaire de déterminer si l'intimée a commis des actes en fraude des droits de ses créanciers au sens de l'art. 190 al. 1 ch. 1, 3e hypothèse LP.

En omettant de prendre en compte les éléments exposés ci-dessus, le Tribunal a constaté les faits de manière manifestement inexacte et a, par conséquent, violé l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP.

Dès lors le recours sera admis et le jugement attaqué annulé. La faillite sans poursuite préalable de l'intimée sera prononcée avec effet au 7 septembre 2015 à 12 heures.

3. L'intimée, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 106 al. 1 CPC) de première instance, lesquels n'ont pas été remis en cause dans leur quotité et sont conformes aux dispositions légales applicables, ainsi que de recours. Ceux-ci seront arrêtés pour les deux instances à 1'450 fr. (art. 52 let. b, 53 let. a et 61
al. 1 OELP), couverts par les avances déjà opérées, acquises à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). L'intimée sera en conséquence condamnée à verser 1'450 fr. à ce titre à la recourante.

L'intimée versera en outre 2'500 fr. à la recourante à titre de dépens des deux instances, débours et TVA compris (art. 84, 85, 89, 90 RTFMC; 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 7 avril 2015 par A______ contre le jugement JTPI/3628/2015 rendu le 26 mars 2015 par le Tribunal de première instance dans la cause C/21478/2014-9 SFC.

Au fond :

Annule les chiffres 2 à 5 du dispositif du jugement attaqué.

Cela fait, statuant à nouveau :

Prononce la faillite sans poursuite préalable de B______, prenant effet le 7 septembre 2015 à 12h.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de première instance et d'appel à 1'450 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec les avances effectuées par A______, lesquelles restent acquises à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser 1'450 fr. à A______.

Condamne B______ à verser à A______ la somme de 2'500 fr. à titre de dépens des deux instances.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nathalie LANDRY-BARTHE et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Céline FERREIRA, greffière.

 

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Céline FERREIRA

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.