C/22541/2017

ACJC/958/2018 du 12.07.2018 sur JTPI/4202/2018 ( SML ) , JUGE

Descripteurs : MAINLEVÉE DÉFINITIVE ; TITRE DE MAINLEVÉE ; OBLIGATION D'ENTRETIEN
Normes : LP.80.al1
Pdf
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22541/2017 ACJC/958/2018

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du JEUDI 12 JUILLET 2018

Entre

Madame A______, domiciliée ______, recourante contre un jugement rendu par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 15 mars 2018, comparant par Me Romain Jordan, avocat, rue Général-Dufour 15, case postale 5556, 1211 Genève 11, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, comparant par Me Corinne Nerfin, avocate, place Longemalle 1, 1204 Genève, en l'étude de laquelle il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/4202/2018 du 15 mars 2018, reçu par A______ le 20 mars 2018, le Tribunal de première instance l'a déboutée de sa requête en mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite
n° ______ (ch. 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 300 fr. et les a laissés à la charge de A______ (ch. 2 et 3) et l'a condamnée aux dépens de B______ à raison de 500 fr. (ch. 4).

B. a. Par acte adressé à la Cour de justice le 3 avril 2018, A______ a formé un recours contre ce jugement, concluant à son annulation, à la mainlevée définitive de l'opposition à la poursuite n° ______, avec suite de frais et dépens pour les deux instances à charge de B______, lequel devait être débouté de toutes autres ou contraires conclusions.

b. Dans sa réponse du 23 avril 2018, B______ a conclu à la confirmation du jugement entrepris, considérant que le Tribunal avait respecté le droit d'être entendu de la requérante et avait correctement apprécié la situation en considérant que la convention du 17 août 2013 constituait un titre justifiant le montant de ses versements qu'il avait effectués.

c. A______ a répliqué le 7 mai 2018 et persisté dans ses conclusions. Le Tribunal n'avait pas examiné la question de la ratification de la convention, qui était un élément clé de sa validité, ni celle de la violation de la convention, ce qui pouvait pourtant se faire au stade de la mainlevée. Or, la convention était devenue caduque en raison des nombreuses violations de cette dernière par l'intimé, qui ne pouvait donc justifier sa position en la considérant tel un titre.

d. Les parties ont été informées le 29 mai 2018 de ce que la cause était gardée à juger, B______ n'ayant pas fait usage de son droit de dupliquer.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. B______ et A______ ont eu un fils, C______, né le ______ 2008, que son père a reconnu le 1er juillet 2008.

Le Tribunal tutélaire a ratifié, le 28 novembre 2008, une convention portant notamment sur la répartition des frais d'entretien de l'enfant et a donné acte au père de son engagement de verser, par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, à titre de contribution à l'entretien de son fils, 650 fr. jusqu'à 5 ans, 900 fr. de 5 à 10 ans, 1'100 fr. de 10 à 15 ans et 1'200 fr. de 15 ans à la majorité, voire au-delà en cas d'études sérieuses et régulières, mais jusqu'à 25 ans maximum.

b. Selon jugement du Tribunal de première instance du 23 avril 2010 (JTPI/5167/2010), ces montants ont été portés à 900 fr. jusqu'à 5 ans révolus, 1'200 fr. jusqu'à 10 ans révolus, 1'500 fr. jusqu'à 15 ans révolus et 1'700 fr. jusqu'à 18 ans révolus, voire au-delà en cas d'études ou d'apprentissage, sérieux et régulier, mais au maximum jusqu'à l'âge de 25 ans révolus.

c. Le 17 août 2013, B______ et A______ ont signé une "convention d'entente sur un montant de pension alimentaire" selon laquelle B______ s'engageait à verser 1'000 fr. par mois pour l'entretien de son fils, dès le 1er août 2013, en lieu et place des 1'200 fr. fixés par le Tribunal. Il s'engageait en contrepartie à contribuer pour moitié aux frais inhérents aux besoins extraordinaires de l'enfant liés à ses activités sportives, aux camps de vacances et autres loisirs extra scolaires (art. 3) et à produire les pièces justificatives permettant de déterminer l'évolution de sa situation économique en vue de reprendre les versements mensuels de 1'200 fr. fixés par le Tribunal au plus tard le 31 juillet 2014 (art. 5). B______ prenait acte qu'en cas de non-respect d'un des points de l'accord intervenu, celui-ci deviendrait nul avec effet immédiat, A______ étant alors en droit de réclamer par toutes voies utiles la différence de pension non perçue depuis le 1er août 2013 (art. 7).

Cette convention n'a jamais fait l'objet d'une ratification.

d. Le 29 septembre 2017, A______ a fait notifier un commandement de payer, poursuite n° ______, à B______ pour les montants de 1'000 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er août 2013, 2'400 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er janvier 2014, 2'400 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er janvier 2015, 2'400 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er janvier 2016, 1'800 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er janvier 2017. La créance était ainsi libellée, pour chaque année : "Arriérés de contribution d'entretien (Fr. 200.- par mois à compter du 1er août 2013)".

Opposition totale y a été formée.

e. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 octobre 2017, A______ a sollicité le prononcé de la mainlevée définitive de cette opposition, avec suite de frais et dépens, produisant à l'appui de sa requête le jugement du Tribunal de première instance du 23 avril 2010 (JTPI/5167/2010), la convention du 17 août 2013, des courriels de sa part sollicitant la reprise des montants arrêtés par le Tribunal et le commandement de payer.

f. Lors de l'audience devant le Tribunal du 26 février 2018, A______ a persisté dans sa requête. Le conseil de B______ a plaidé et conclu au déboutement de la requérante, au regard de la convention du 17 août 2013. Il a déposé un chargé de cinq pièces, faisant état de l'évolution de ses revenus et du dépôt d'une demande en modification du jugement du 23 avril 2010, déposée le 1er décembre 2017, après obtention de l'autorisation de procéder le 21 septembre 2017.

D. Dans la décision querellée, le Tribunal a retenu que la partie requérante ne pouvait se prévaloir du jugement du 23 avril 2010 au motif que la convention du 17 août 2013 prévoyait un montant inférieur.

EN DROIT

1. 1.1 En matière de mainlevée d'opposition, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. b ch. 3 et 319 let. a CPC).

Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire.

1.2 En l'espèce, le recours a été interjeté dans le délai et selon les formes prévus par la loi, de sorte qu'il est recevable.

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits
(art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par le recourant (HOHL, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., Berne, 2010, n° 2307).

Le recours est instruit en procédure sommaire (art. 251 let. a CPC), la preuve des faits allégués devant être apportée par titres (art. 254 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a a contrario et art. 58 al. 1 CPC).

2. La recourante fait grief au Tribunal d'avoir rejeté sa requête sans examiner les arguments qu'elle avait développés concernant notamment la validité de la convention, dépourvue de ratification, et les violations de celle-ci commises par l'intimé. Cet examen aurait dû conduire le Tribunal à constater qu'elle était au bénéfice d'un titre de mainlevée et à faire droit à sa requête.

2.1 Le contentieux de la mainlevée de l'opposition (art. 80 ss LP), soumis à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC), est un "Urkundenprozess" (art. 254 al. 1 CPC), dont le but n'est pas de constater la réalité d'une créance, mais l'existence d'un titre exécutoire; le juge de la mainlevée examine uniquement la force probante du titre produit par le créancier poursuivant, sa nature formelle, et non pas la validité de la prétention déduite en poursuite (ATF 132 III 140 consid. 4.1.1 et les références). Le prononcé de mainlevée ne sortit que des effets de droit des poursuites (ATF 100 III 48 consid. 3) et ne fonde pas l'exception de chose jugée (res iudicata) quant à l'existence de la créance (ATF 136 III 583 consid. 2.3). La décision du juge de la mainlevée ne prive donc pas les parties du droit de soumettre à nouveau la question litigieuse au juge ordinaire (art. 79 et 83 al. 2 LP; ATF 136 III 528 consid. 3.2; arrêt 5A_577/2013 du 7 octobre 2013 consid. 4.1).

2.2 Selon l'art. 80 al. 1 LP, le créancier qui est au bénéfice d'un jugement exécutoire peut requérir du juge la mainlevée définitive de l'opposition. Un jugement portant condamnation à verser une contribution d'entretien constitue un titre de mainlevée définitive tant qu'il n'a pas été modifié par un nouveau jugement entré en force de chose jugée (ATF 118 II 228 consid. 3b; arrêt du Tribunal fédéral 5A_311/2012 du 15 mai 2013 consid. 4.2).

Lorsque la poursuite est fondée sur un jugement exécutoire rendu par un tribunal ou une autorité administrative suisse, le juge ordonne la mainlevée définitive de l'opposition, à moins que l'opposant ne prouve par titre que la dette a été éteinte ou qu'il a obtenu un sursis, postérieurement au jugement, ou qu'il ne se prévale de la prescription (art. 81 al. 1 LP).

Dans la procédure de mainlevée définitive, le juge se limite à examiner le jugement exécutoire ou les titres y assimilés, ainsi que les trois identités - l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans le titre (ATF 140 III 372 consid. 3.1), l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et le titre qui lui est présenté - et à statuer sur le droit du créancier de poursuivre le débiteur, c'est-à-dire à décider si l'opposition doit ou ne doit pas être maintenue (ATF 139 III 444 consid. 4.1.1). Il n'a ni à revoir ni à interpréter le titre qui lui est soumis (ATF 140 III 180 consid. 5.2.1, 124 III 501 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 5A_58/2015 du 28 avril 2015 consid. 3 non publié in ATF 141 III 185).

2.3 A teneur de l'art. 287 CC, les conventions relatives aux contributions d'entretien n'obligent l'enfant qu'après avoir été approuvées par l'autorité de protection de l'enfant (al. 1). Les contributions d'entretien fixées par convention peuvent être modifiées, à moins qu'une telle modification n'ait été exclue avec l'approbation de l'autorité de protection de l'enfant (al. 2).

Les conventions conclues mais non (encore) approuvées sont des actes juridiques "boiteux" qui ne lient que l'une des parties, à savoir le seul débiteur d'entretien. Le défaut d'approbation ne peut donc être invoqué par le débiteur dès lors qu'il est lié dès la conclusion de la convention, indépendamment de l'approbation par l'autorité (PERRIN, in Commentaire Romand du Code civil I, 2010, n° 5 ad art. 287 CC). Tant que la ratification de la convention n'est pas intervenue, l'enfant ne dispose d'aucun droit à l'exécution de la convention. En revanche, le débiteur de la contribution est lié par son engagement, dès qu'il l'a souscrit. En cas d'approbation par l'autorité tutélaire, les effets de la convention remontent à la date de sa conclusion (ATF 126 III 49, cons. 3 = SJ 2000 I p. 431).

2.4 Dans le cas présent, les parties se sont entendues par convention pour réduire une contribution à l'entretien de leur enfant fixée par un jugement exécutoire, sans recourir à la voie d'une modification dudit jugement ni solliciter la ratification de leur accord. Par conséquent, une telle convention n'a acquis aucune force exécutoire envers l'enfant, au regard de l'art. 287 CC, de sorte qu'elle ne saurait donc être considérée comme un titre exécutoire pouvant faire obstacle à l'application d'un jugement définitif. Il s'ensuit que l'enfant, agissant comme en l'espèce par sa mère, a conservé le droit d'obtenir le versement complet de la pension d'entretien fixée judiciairement et c'est à tort que le Tribunal a refusé la mainlevée sollicitée.

Il résulte par ailleurs du commandement de payer que la créance est suffisamment détaillée, en tant qu'elle porte sur la période du 1er août 2013 au 1er septembre 2017, période pour laquelle des mensualités de 200 fr. sont exigibles.

Le jugement attaqué sera dès lors annulé et la mainlevée définitive formée au commandement de payer n° ______ sera prononcée.

3. L'intimé, qui succombe, sera condamné aux frais judiciaires des deux instances (art. 106 al. 1 CPC). Les frais judiciaires seront arrêtés à 300 fr. pour la première instance et à 450 fr. pour le recours (art. 48 et 61 OELP) et compensés avec les avances versées par la recourante, lesquelles resteront acquises à l'Etat de Genève.

L'intimé sera condamné à verser 750 fr. à la recourante à titre de frais judiciaires. Il sera également condamné à verser à la recourante la somme de 750 fr. à titre de dépens de première instance et de recours.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre le jugement JTPI/4202/2018 rendu le 15 mars 2018 par le Tribunal de première instance dans la cause C/22541/2017-16 SML.

Au fond :

Annule ce jugement.

Et, statuant à nouveau :

Prononce la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° ______.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met à la charge de B______ les frais judiciaires de première instance et de recours, arrêtés à 750 fr. et compensés avec les avances opérées, acquises à l'Etat de Genève.

Condamne en conséquence B______ à verser à A______ 750 fr.

Condamne B______ à verser 750 fr. à A______ à titre de dépens de première instance et de recours.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, juge; Monsieur Louis PEILA, juge suppléant; Madame Fatina SCHAERER, greffière.

 

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

La greffière :

Fatina SCHAERER

 

 

Indication des voies de recours:

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF: RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.