C/24473/2017

ACJC/1246/2018 du 17.09.2018 sur JTPI/8558/2018 ( SML ) , JUGE

Descripteurs : MAINLEVÉE PROVISOIRE ; SOLIDARITÉ ; DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ
Normes : LP.82; CO.143; LDIP.90
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24473/2017 ACJC/1246/2018

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du lundi 17 septembre 2018

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______, recourant contre un jugement rendu par la 12ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 30 mai 2018, comparant par Me Mathis Kern, avocat, rue de l'Hôtel-de-Ville 3, 1204 Genève, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. Par jugement JPTI/8558/2018 du 30 mai 2018, reçu par A______ le 1er juin 2018, le Tribunal de première instance a débouté ce dernier des fins de sa requête en mainlevée provisoire de l'opposition formée par B______ au commandement de payer poursuite n° 1______ (ch. 1 du dispositif) et laissé à charge de A______ les frais judiciaires en 400 fr. (ch. 2).

B. a. Le 11 juin 2018, A______ a formé recours contre ce jugement, concluant à ce que la Cour l'annule et prononce la mainlevée de l'opposition formée au commandement de payer précité, avec suite de frais et dépens.

b. B______ n'a pas répondu au recours dans le délai qui lui a été imparti pour ce faire par la Cour.

c. Les parties ont été informées le 23 juillet 2018 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. A______ a prêté différents montants à C______ et à son épouse D______.

a.a. Par document intitulé "reconnaissance de dette" du 10 mai 2002, C______ a reconnu devoir à A______ 22'000 fr. payables au 20 novembre 2002.

a.b Le 29 juillet 2002, D______ a signé un document indiquant qu'elle avait reçu 6'000 fr. de A______.

b. Le 16 novembre 2009, C______ et D______ ont tous deux signé un document intitulé "convention de remboursement" par lequel ils s'engageaient à rembourser à A______ 28'000 fr. par tranches de 500 fr. par mois dès le 5 décembre 2009, ainsi que par acomptes de 4'000 fr. versés trois fois par an, soit en février, mai et octobre.

Les époux C______/D______ ont versé différents montants à leur créancier pour un total de 6'500 fr., le dernier versement étant intervenu le 20 mars 2010.

c. Le 4 décembre 2012, A______ a mis en demeure les époux C______/D______ de lui verser le solde dû en 21'500 fr. au plus tard le 14 décembre 2012.

d. Le 20 décembre 2013, A______ et C______ ont signé un document intitulé "convention de remboursement" lequel indique qu'il confirme les termes de la reconnaissance de dette du 16 novembre 2009.

Cette convention prévoit que C______ et son épouse D______ s'engageaient à rembourser à raison de 200 fr. par mois, mais au minimum 2'400 fr. par an, leur dette de 21'500 fr. envers A______ dès le 6 février 2014.

Il était précisé que dans l'hypothèse où pour des motifs sérieux, comme des dépenses imprévisibles et nécessaires, les débiteurs ne pouvaient pas s'acquitter d'une mensualité, ceux-ci s'engageaient à en informer immédiatement l'avocat de leur créancier. A défaut, tout retard de paiement rendait immédiatement exigible le solde de la créance.

A______ allègue que C______ a signé ce document en tant que représentant de son épouse, ce que B______, fils de D______, conteste.

Quatre mensualités de 200 fr. ont été versées à A______, la dernière étant intervenue le 6 juin 2014.

e. D______ est décédée le 16 mai 2014 à Genève.

f. Le 19 mai 2015, A______ a mis en demeure B______, de lui verser 20'700 fr. au titre de solde du prêt octroyé à ses parents, plus les intérêts à 5% l'an dès le
15 décembre 2012. A______ précisait que B______, en tant qu'héritier légal de sa mère, avait acquis de plein droit l'universalité de la succession et répondait personnellement et solidairement de ses dettes avec les autres cohéritiers.

g. Le 10 juin 2015, B______ a répondu qu'il n'avait rien à voir avec ce prêt, qui concernait son père, domicilié en République démocratique du Congo, avec qui il n'avait plus de contact. Il relevait que sa mère n'avait pas signé la convention de remboursement du 20 décembre 2013 et que les sommes versées en application de cette convention l'avaient été par son père.

h. Le 14 septembre 2015, l'avocat congolais de B______ a fait savoir à A______ qu'il avait approché C______ en vue d'obtenir de sa part le remboursement de sa dette. Il a précisé qu'il le mettait "en demeure de ne pas tenter de vendre un quelconque bien mobilier ou immobilier appartenant à la défunte" ajoutant qu'il était "instruit par tous les héritiers de veiller à ce que rien de pareil ne puisse se passer dans le cadre de ce dossier, et ce conformément à la législation congolaise en matière des successions".

i. Le 2 décembre 2016, A______ a fait notifier à B______ un commandement de payer la somme de 20'700 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 15 décembre 2012. Il a été fait opposition à cette poursuite, qui porte le n° 1______.

j. Le 20 octobre 2017, A______ a requis du Tribunal la mainlevée de cette opposition.

k. Lors de l'audience du Tribunal du 19 mars 2018, B______ a indiqué qu'il maintenait l'opposition. Ni lui ni sa mère n'avaient bénéficié des prêts litigieux, dont seul son père, C______, avait profité. Ce dernier était bénéficiaire économique de propriétés au Congo acquises avec le deuxième pilier de D______. B______ n'avait pas répudié la succession de sa mère, mais n'avait reçu aucun montant à ce titre.

Le représentant de A______ a précisé que ce dernier avait entrepris des démarches à l'encontre de C______, mais en vain, raison pour laquelle il se prévalait de la convention du 16 novembre 2009 signée par D______.

La cause a été gardée à juger par le Tribunal à l'issue de l'audience.

 

EN DROIT

1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).

Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire.

En l'espèce le recours a été interjeté dans le délai et selon les formes prévus par la loi, de sorte qu'il est recevable.

1.2 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits
(art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par la partie recourante (Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème édition, Berne, 2010, n° 2307).

Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 lit. a a contrario et 58 al. 1 CPC).

2. Le Tribunal a considéré que seule la convention de remboursement de 2009, signée par D______, était susceptible de constituer une reconnaissance de dette. Il a rejeté la requête de mainlevée de l'opposition au motif qu'au vu de la lettre de l'avocat congolais de l'intimé datée du 14 septembre 2015, il existait un doute sur la question de savoir si le droit suisse était applicable à la succession de D______, question qu'il n'incombait pas au juge de la mainlevée d'élucider.

Le recourant fait valoir qu'aucun élément du dossier ne permet de retenir que la succession de D______ serait soumise au droit congolais, étant souligné que ce fait n'a été allégué par aucune des parties. La convention du 16 novembre 2009 constituait une reconnaissance de dette valable liant l'intimé, en tant qu'héritier de D______.

2.1.1 Selon l'art. 82 al. 1 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire.

Au sens de l'art. 82 al. 1 LP, constitue une reconnaissance de dette, en particulier, l'acte authentique ou sous seing privé signé par le poursuivi ou son représentant d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 136 III 624 consid. 4.2.2, 627 consid. 2).

Le juge prononce la mainlevée de l'opposition si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblable sa libération (art. 82 al. 2 LP).

2.1.2 Aux termes de l'art. 143 CO, il y a solidarité entre plusieurs débiteurs lorsqu'ils déclarent s'obliger qu'à l'égard du créancier chacun d'eux soit tenu pour le tout. A défaut d'une semblable déclaration, la solidarité n'existe que dans les cas prévus par la loi. Selon l'art. 144 CO, le créancier peut, à son choix, exiger de tous les débiteurs solidaires ou de l'un d'eux l'exécution intégrale ou partielle de l'obligation (al. 1).

La solidarité peut être prévue expressément dans le contrat par l'emploi des mots "solidairement", "débiteur commun", "débiteur pour le tout" ou de termes équivalents. Elle peut aussi résulter tacitement des circonstances ou du contenu du contrat, lesquels doivent être interprétés selon le principe de la confiance. Le fait de conclure un contrat à plusieurs ne suffit pas en soi à faire naître des obligations solidaires entre les intéressés (Heierli/Schnyder, Basler Kommentar, Obligationrecht I, 5e éd., 2011, n. 6 ad art. 143 CO; ATF 116 II 707 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4C.342/2004 du 16 décembre 2004 consid. 3).

En vertu de l'art. 166 CC, chaque époux représente l'union conjugale pour les besoins courants de la famille pendant la vie commune (al. 1) et oblige solidairement son conjoint en tant qu'il n'excède pas ses pouvoirs d'une manière reconnaissable pour les tiers (al. 3). La responsabilité solidaire des époux (solidarité passive) découle de la loi; elle naît automatiquement lorsque les conditions légales sont réalisées (cf. Deschenaux/Steinauer/Baddeley, Les effets du mariage, 3ème éd. 2017, n. 366 p. 277).

2.1.3 La reconnaissance de dette signée par le de cujus justifie la mainlevée provisoire contre chacun des membres de la communauté héréditaire poursuivi en sa qualité d'héritier tenu personnellement (art. 560 al. 2 CC) et solidairement (art. 603 al. 1 CC) des dettes de la succession (Abbet/ Veuillet, La mainlevée de l'opposition, 2017, n. 89).

La qualité d'héritier du poursuivi doit être établie par le poursuivant. Celui-ci n'a pas à prouver en revanche que le poursuivi a accepté la succession. C'est ce dernier qui doit rendre vraisemblable qu'il l'a répudiée (art. 560 ss CC; Abbet/ Veuillet, op. cit., n. 91).

2.1.4 Selon l'art. 90 al. 1 LDIP, la succession d'une personne qui avait son dernier domicile en Suisse est régie par le droit suisse. Un étranger peut toutefois soumettre sa succession par testament ou pacte successoral au droit de l'un de ses Etats nationaux (art. 90 al. 2 LDIP).

Le droit applicable à la succession détermine notamment en quoi consiste la succession, qui est appelé à succéder, pour quelle part et qui répond des dettes successorales (art. 92 al. 1 LDIP).

2.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que D______ avait son dernier domicile en Suisse au sens de l'art. 90 al. 1 LDIP de sorte qu'en application de cette disposition le droit suisse régit vraisemblablement sa succession.

Aucun élément résultant du dossier ne permet de retenir qu'elle aurait, conformément à l'art. 90 al. 2 LDIP, rédigé un testament ou conclu un pacte successoral afin de soumettre sa succession au droit congolais.

Cet élément n'a d'ailleurs pas été allégué par l'intimé.

L'on ne saurait inférer de la lettre de l'avocat congolais de l'intimé du
14 septembre 2015 que la défunte a valablement choisi de soumettre sa succession, dans son ensemble, au droit congolais. Le fait que l'avocat ait entrepris des démarches au Congo, en application du droit congolais, pour éviter que C______ ne se dessaisisse de biens sis au Congo et appartenant à son épouse décédée n'implique pas que le droit congolais régisse l'intégralité de la succession.

C'est par conséquent à tort que le Tribunal a rejeté la requête de mainlevée de l'opposition pour ce motif.

Le document signé par les deux époux C______/D______ le 16 novembre 2009 constitue bien une reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 LP pour le solde du prêt en 20'700 fr.

En application de l'art. 166 al. 3 CC, et au vu de la formulation de la reconnaissance de dette, signée par les deux époux, il convient de retenir que l'engagement pris par les époux était vraisemblablement un engagement solidaire.

L'exigibilité de la dette n'est quant à elle pas contestée par l'intimé.

Celui-ci n'a par ailleurs pas rendu vraisemblable sa libération. Le fait qu'il n'ait pas bénéficié des montants prêtés ou qu'il n'ait rien reçu dans le cadre de l'héritage de sa mère n'est pas déterminant. En effet, en tant qu'héritier, il répond solidairement des dettes de la succession en application de l'art. 603 al. 1 CC.

L'intimé n'a par ailleurs pas fait valoir que d'autres remboursements que ceux allégués par sa partie adverse seraient intervenus.

C'est par conséquent à tort que le Tribunal a débouté le recourant des fins de sa requête.

Le jugement querellé sera dès lors annulé et la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer litigieux prononcée.

3. L'intimé, qui succombe, sera condamné aux frais de première et seconde instance (art. 106 al. 1 CPC).

Les frais judiciaires de première instance seront fixés à 400 fr. et ceux de recours à 600 fr. (art. 48 et 61 OELP). Ils seront compensés avec les avances effectuées par le recourant, acquises à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'intimé sera condamné à verser 1'000 fr. à sa partie adverse au titre des frais judiciaires des deux instances.

Il devra en outre lui verser 1'500 fr. à titre de dépens pour la procédure de première instance et 1'000 fr. pour la procédure de recours, débours et TVA inclus (art. 85, 88, 89 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre le jugement JTPI/8558/2018 rendu le 30 mai 2018 par le Tribunal de première instance dans la cause C/24473/2017-12 SML.

Au fond :

Annule ce jugement et statuant à nouveau :

Prononce la mainlevée provisoire de l'opposition formée par B______ au commandement de payer poursuite n° 1______ notifié le 2 décembre 2016.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête à 1'000 fr. les frais judiciaires de première et seconde instance, les compense avec les avances effectuées, acquises à l'Etat de Genève et les met à charge de B______.

Condamne B______ à verser à A______ 1'000 fr. au titre des frais judiciaires des deux instances.

Condamne B______ à verser à A______ 2'500 fr. à titre de dépens de première et seconde instance.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN et Madame Eleanor McGREGOR, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

 

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

La greffière :

Mélanie DE RESENDE PEREIRA

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.