C/24553/2015

ACJC/1314/2016 du 07.10.2016 sur JTPI/6238/2016 ( SCC ) , JUGE

Descripteurs : CAS CLAIR ; PROCÉDURE SOMMAIRE ; CESSION DE CRÉANCE(CO) ; CAUTIONNEMENT ; GAGE IMMOBILIER
Normes : CPC.257; CO.169; CO.492; CC.884;
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24553/2015 ACJC/1314/2016

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du VENDREDI 7 OCTOBRE 2016

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ (France), appelant d'un jugement rendu par la 2ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 20 mai 2016, comparant par Me Jean Orso, avocat, chemin des Papillons 4, 1216 Cointrin (GE), en l'étude duquel il fait élection de domicile,

et

B______, ayant son siège ______ Genève, intimée, comparant par Me Antoine Boesch, avocat, rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. Par requête en protection du cas clair expédiée le 20 novembre 2015 au Tribunal de première instance, B______ a conclu, avec suite de frais et dépens, à ce que A______ soit condamné à lui verser la somme de 786'500 fr. plus intérêts à 5% dès le 27 juin 2015.

b. B______ a allégué que C______ lui avait cédé une créance de 786'500 fr. dont il était titulaire à l'égard de A______. Elle a exposé que C______, en tant que caution, s'était subrogé (art. 110 et 507 CO) aux droits de D______ (ci-après : D______) à concurrence du montant précité, qu'il avait payé à la banque. Selon B______, C______ avait conclu un contrat de cautionnement avec D______ (cautionnement "transféré" de la E______ - qui avait accordé un prêt à A______ en 1987 - à D______) en garantie d'un crédit accordé par cette dernière à A______ (cf. notamment allégués 8, 11, 25 et 26 de la requête).

c. B______ n'a produit aucun contrat de cautionnement.

Elle a, en revanche, déposé deux actes de nantissement par lesquels le titulaire des comptes 1______ "Special Account" et 2______, soit C______, avait constitué en gage en faveur de D______ ses avoirs bancaires en relation avec lesdits comptes, en garantie de toute créance actuelle ou future que la banque pourrait avoir contre A______.

d. Dans sa réponse du 21 mars 2016 au Tribunal, A______ a conclu "à titre préjudiciel" à l'irrecevabilité de la requête en protection du cas clair et "au fond", "préalablement", à ce qu'un délai complémentaire lui soit accordé pour compléter sa réponse et, "principalement", à la constatation de la nullité de la cession de créance, avec suite de frais et dépens.

Il a fait état de "contrats de cautionnement" conclus entre C______ et D______, sans les produire dans la procédure et en visant les actes de nantissement précités.

Il a émis "des doutes sérieux tant sur la validité du contrat de cautionnement que sur celle de la cession de créance en faveur de B______". En particulier, il a fait valoir que dans la mesure où il ne disposait pas d'informations sur l'état civil de C______, il n'était pas "en mesure de déterminer s'il était nécessaire d'obtenir le consentement de l'éventuel conjoint de celui-ci et partant, de juger de la validité du contrat de cautionnement".

e. Par ordonnance du 6 avril 2016, le Tribunal a avisé les parties de ce que la cause serait gardée à juger à l'issue d'un délai de dix jours à compter de la notification de ladite ordonnance.

B. Par jugement JTPI/6238/2016 du 20 mai 2016, reçu par les parties le 23 mai 2016, le Tribunal a condamné A______ à verser à B______ la somme de 786'500 fr. avec intérêts à 5% dès le 27 juin 2015 (ch. 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 3'000 fr., compensés avec l'avance fournie et mis à la charge de A______, condamné ainsi à payer ladite somme à B______ (ch. 2), condamné A______ à payer à B______ le montant de 6'500 fr. à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

Le Tribunal a fondé son raisonnement sur les dispositions légales sur le contrat de cautionnement (art. 492 ss. CO) et sur la cession (art. 164 ss. CO). Il a considéré que l'état de fait avait été prouvé et que la situation juridique était claire.

C. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 2 juin 2016, A______ forme appel contre le jugement précité, dont il requiert l'annulation. Il conclut, avec suite de frais et dépens, principalement, à l'irrecevabilité de la requête en protection du cas clair, subsidiairement, à la constatation de la nullité de la cession de créance entre C______ et B______ et, plus subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour qu'il complète l'état de faits dans le sens des considérants.

Il produit des pièces nouvelles.

b. Par arrêt du 28 juin 2016, la Cour a dit que la requête formée par A______ tendant à suspendre la force de chose jugée et l'effet exécutoire du jugement attaqué était sans objet, et qu'il serait statué sur les frais liés à la décision dans l'arrêt rendu sur le fond.

c. Dans sa réponse du 1er juillet 2016, B______ conclut à la confirmation du jugement attaqué, avec suite de fais et dépens.

Il produit une pièce nouvelle.

d. Dans sa réplique du 15 juillet 2016, A______ a persisté dans ses conclusions.

Il a produit des pièces nouvelles.

e. Le 5 août 2016, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger, B______ n'ayant pas fait usage de son droit de dupliquer.

 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, la valeur litigieuse est de 786'500 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 L'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311
al. 1 CPC). Si la décision a été rendue en procédure sommaire, le délai pour l'introduction de l'appel est de dix jours (art. 314 al. 1 CPC), ce qui est le cas des procédures en protection des cas clairs (art. 248 let. b et 257 CPC).

En l'espèce, l'appel a été formé dans le délai et la forme prescrits par la loi, il est donc recevable.

2. Les parties ont produit des pièces nouvelles.

2.1 La nature particulière de la procédure sommaire en protection des cas clairs de l'art. 257 CPC exige que le juge d'appel évalue les faits sur la base des preuves déjà appréciées par le premier juge. La production de pièces nouvelles est ainsi exclue, même si celles-ci pourraient être considérées comme recevables en conformité de l'art. 317 al. 1 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_312/2013 du 17 octobre 2013 consid. 3.2).

2.2 Ainsi, les pièces nouvelles déposées par les parties et les allégations y afférentes sont irrecevables et la Cour examinera la cause sur la base du dossier tel que soumis au Tribunal.

3. L'appelant fait grief au Tribunal d'avoir admis la voie de la protection du cas clair, alors que l'état de fait n'était pas susceptible d'être immédiatement prouvé et que la situation juridique n'était pas claire.

3.1 La procédure sommaire prévue par l'art. 257 CPC est une alternative aux procédures ordinaire ou simplifiée normalement disponibles, destinée à offrir à la partie demanderesse, dans les cas dits clairs, une voie particulièrement simple et rapide. Selon l'art. 257 al. 1 let. a et b CPC, cette voie suppose que l'état de fait ne soit pas litigieux ou qu'il soit susceptible d'être immédiatement prouvé (let. a), et que la situation juridique soit claire (let. b). Selon l'art. 257 al. 3 CPC, le juge n'entre pas en matière si l'une ou l'autre de ces hypothèses n'est pas vérifiée. Le cas n'est pas clair, et la procédure sommaire ne peut donc pas aboutir, lorsqu'en fait ou en droit, la partie défenderesse oppose à l'action des objections ou exceptions motivées sur lesquelles le juge n'est pas en mesure de statuer incontinent. L'échec de la procédure sommaire ne suppose pas que la partie défenderesse rende vraisemblable l'inexistence, l'inexigibilité ou l'extinction de la prétention élevée contre elle; il suffit que les moyens de cette partie soient aptes à entraîner le rejet de l'action, qu'ils n'apparaissent pas d'emblée inconsistants et qu'ils ne se prêtent pas à un examen en procédure sommaire. L'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il demeure incontesté par la partie défenderesse; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans frais excessifs. La preuve est en principe apportée par titres conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée; la partie demanderesse doit au contraire apporter une preuve stricte des faits qu'elle allègue. La situation juridique est claire lorsque l'application du droit au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées. En règle générale, la situation juridique n'est pas claire s'il est nécessaire que le juge exerce un certain pouvoir d'appréciation, voire rende une décision en équité (ATF 141 III 23 consid. 3.2, 138 III 123 consid. 2.1.2, 138 III 620 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral 4A_92/2016 du 21 mars 2016 consid. 6).

3.2 Selon l'art. 169 al. 1 CO, le débiteur peut opposer au cessionnaire, comme il aurait pu les opposer au cédant, les exceptions qui lui appartenaient au moment où il a eu connaissance de la cession.

3.3 Le cautionnement est un contrat par lequel une personne s'engage envers le créancier à garantir le paiement de la dette contractée par le débiteur (art. 492
al. 1 CO). Lorsque la caution est une personne physique, la déclaration de cautionnement doit revêtir la forme authentique conformément aux règles en vigueur au lieu où l'acte est dressé (art. 493 al. 2 1ère phrase CO). Par ailleurs, une personne mariée ne peut cautionner valablement qu'avec le consentement écrit de son conjoint donné préalablement ou au plus tard simultanément dans l'espèce, à moins que les époux ne soient séparés de corps par jugement (art. 494 al. 1 CO).

La caution est subrogée aux droits du créancier à concurrence de ce qu'elle lui a payé. Elle peut les exercer dès l'exigibilité de la dette (art. 507 al. 1 CO). La caution qui a payé en vertu d'un cautionnement qui s'est révélé nul, ne dispose pas du droit de recours de l'art. 507 CO (Meyer, in Commentaire romand, Code des obligations I, 2003, n. 7 ad art. 507 CO).

3.4 Le gage mobilier est régi par les art. 884 ss CC. Sa constitution nécessite un contrat par lequel le débiteur manifeste la volonté de créer un droit de gage (arrêt du Tribunal fédéral 4A_540/2015 du 1er avril 2016 consid. 2.2). Pour garantir le remboursement des montants qui leur sont dus, les banques obtiennent souvent des garanties de nature réelle sur des actifs appartenant soit à leur débiteur, soit à des tiers (Lombardini, Droit bancaire suisse, 2ème éd., 2008, p. 878 n. 11). Le tiers dont les garanties consenties sont réalisées est subrogé aux droits du créancier gagiste vis-à-vis du débiteur (Lombardini, op. cit., p. 894 et 895, n. 54 et 55).

3.5 En l'espèce, l'intimée requiert de l'appelant le paiement de 786'500 fr., en se fondant sur la cession d'une créance résultant du droit de recours de la caution. L'appelant est légitimé à opposer à l'intimée/cessionnaire la nullité du cautionnement. Cela étant, l'acte de cautionnement, dont l'existence est alléguée par les deux parties, n'a pas été versé à la procédure. Il n'est donc pas possible d'examiner la validité de celui-ci. En outre, à la lumière des pièces soumises au Tribunal, il apparaît plutôt que c'est sur la base d'actes de nantissement que la banque a obtenu du cédant le paiement de la dette de l'appelant. Ainsi, l'application des dispositions légales invoquées par l'intimée ne s'impose pas de façon évidente.

Il résulte des développements qui précèdent que les faits allégués ne correspondent pas aux titres produits et que la situation juridique n'est pas claire. Il ne peut être statué immédiatement sur les arguments soulevés par l'appelant, lesquels n'apparaissent pas manifestement mal fondés ou dénués de pertinence et nécessitent un examen approfondi, incompatible avec la procédure sommaire de la protection des cas clairs. Il ne se justifie ainsi pas de priver l'appelant de son droit de faire administrer des moyens de preuve en procédure ordinaire.

Dans la mesure où les conditions de l'art. 257 CPC ne sont pas réalisées, la requête en protection du cas clair devait être déclarée irrecevable. Le jugement attaqué sera réformé en ce sens.

4. 4.1 Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

Les frais judiciaires de première instance, arrêtés à 3'000 fr., et les dépens de première instance, fixés à 6'500 fr., ne sont pas contestés dans leur quotité. Ils seront mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Les frais judiciaires de première instance seront compensés avec l'avance de frais fournie, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

4.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 3'000 fr. (art. 26 et 35 RTFMC), comprenant l'émolument de l'arrêt de la Cour du 28 juin 2016, mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 106 al 1 CPC) et compensés avec l'avance de frais fournie, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). L'intimée sera condamnée à verser 3'000 fr. à l'appelant (art. 111 al. 2 CPC).

L'intimée sera également condamnée à verser à l'appelant 2'500 fr. à titre de dépens, débours et TVA compris (art. 84, 85, 88 et 90 RTFMC; 25 et 26 LaCC).

* * * * * *

PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 2 juin 2016 par A______ contre le jugement JTPI/6238/2016 rendu le 20 mai 2016 par le Tribunal de première instance dans la cause C/24553/2015-2 SCC.

Au fond :

Annule le jugement attaqué et, statuant à nouveau :

Déclare irrecevable la requête en protection du cas clair formée le 20 novembre 2015 par B______ à l'encontre de A______.

Arrête les frais judiciaires de première instance à 3'000 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec l'avance fournie, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser à A______ la somme de 6'500 fr. à titre de dépens de première instance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 3'000 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec l'avance effectuée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser à A______ la somme de 3'000 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires d'appel.

Condamne B______ à verser à A______ la somme de 2'500 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nathalie LANDRY-BARTHE et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Céline FERREIRA, greffière.

 

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Céline FERREIRA

 

 

Indication des voies de recours:

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, les moyens étant limités à la violation dews droits constitutionnels.(art. 98 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.