C/28586/2017

ACJC/1071/2018 du 02.08.2018 ( SFC ) , CONFIRME

Descripteurs : RESTITUTION DU DÉLAI ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : Cst.29; CPC.141.al1.letb
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/28586/2017 ACJC/1071/2018

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du jeudi 2 AOÛT 2018

 

Entre

A______ SA EN LIQUIDATION, sans siège social, recourante contre une ordonnance rendue par la 22ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 14 mai 2018, comparant par Me Michel Mitzicos-Giogios, avocat, chemin de la Gravière 6, 1227 Carouge, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

OFFICE DU REGISTRE DU COMMERCE, p.a. ______, Substitut, rue du Puits-Saint-Pierre 4, 1204 Genève, intimé, comparant en personne.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance du 14 mai 2018, le Tribunal de première instance a rejeté la requête en restitution formée par A______ SA, EN LIQUIDATION en lien avec le jugement JTPI/2593/2018 rendu le 19 février 2018 par le Tribunal dans la cause C/28586/2017 (ch. 1 du dispositif), a dit qu'il était statué sans frais (ch. 2), qu'il n'y avait pas lieu à l'allocation de dépens (ch. 3) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

En substance, le premier juge a retenu que la demande de restitution du délai pour demander la motivation du jugement était tardive. Par ailleurs, malgré l'écoulement du temps, la société ne disposait toujours d'aucun siège social ni d'une personne domiciliée en Suisse autorisée à la représenter.

B. a. Par acte expédié le 28 mai 2018 au greffe de la Cour de justice, A______ SA, EN LIQUIDATION a formé "recours" contre cette ordonnance, dont elle a sollicité l'annulation. Ella a conclu, préalablement, à être autorisée à répliquer et à ce qu'un délai raisonnable lui soit accordé pour produire le suivi des envois de la Poste et la réquisition d'inscription au Registre du commerce en vue de régulariser la carence dans l'organisation de la société, et, principalement, à ce que la Cour admette la demande de restitution du délai de dix jours pour requérir la motivation du jugement et révoque la dissolution de la société et sa liquidation selon les règles applicables à la faillite.

Elle a fait valoir qu'elle avait pris connaissance du jugement rendu le 19 février 2018, le 30 avril 2018, lorsque son conseil avait consulté la procédure auprès du Tribunal. Son administrateur était domicilié en Grèce et ne maîtrisait pas le droit des sociétés suisses. Par ailleurs, compte tenu de la "jeunesse" de la société, il se justifiait "de ne pas être trop sévère dans l'examen de la faute".

b. Par courrier du 20 juin 2018, le Registre du commerce s'est rapporté à l'appréciation de la Cour,

c. Les parties ont été avisées par pli du greffe du 28 juin 2018 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 3 mai 2017, le Registre du commerce (ci-après : le Registre) a indiqué à A______ SA qu'à la suite de la radiation de l'administrateur B______, elle devait demander rapidement l'inscription d'une personne domiciliée en Suisse, conformément à l'art. 718 al. 4 CO, à défaut de quoi le Registre procéderait à une sommation, au sens de l'art. 154 de l'Ordonnance sur le Registre du commerce.

Aucune suite n'ayant été donnée à cette demande, le Registre, par courrier recommandé du 28 septembre 2017, adressé au siège social de la société, à savoir ______, l'a sommée de rétablir, dans un délai de trente jours, la situation légale, en requérant l'inscription d'une personne domiciliée en Suisse pouvant la représenter.

La Poste n'a pas pu délivrer ce courrier, la société étant introuvable à l'adresse de son siège social.

Le Registre a publié ladite sommation dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC) le ______ 2017.

b. Aucune suite n'ayant été donnée à cette sommation, le Registre a saisi le Tribunal d'une requête tendant au rétablissement de la situation légale ou à la dissolution de la société, compte tenu de l'absence de signataire domicilié en Suisse.

c. Par citation à comparaître publiée dans la Feuille d'Avis officielle (FAO) du ______ 2017, le Tribunal a fixé une audience au 22 janvier 2018 et a sommé la société, sous peine de dissolution, de rétablir d'ici au 18 janvier 2018 une situation conforme au droit.

d. A l'audience du Tribunal du 22 janvier 2018, aucune partie n'était présente ni représentée.

e. Par jugement JTPI/2593/2018 du 19 février 2018, publié par FAO le ______ suivant et par la FOSC du ______ 2018, le Tribunal a ordonné la dissolution de A______ SA et sa liquidation selon les dispositions applicables à la faillite et l'a condamnée aux frais judiciaires arrêtés à 780 fr.

Il a mentionné que la motivation écrite du jugement était remise aux parties si l'une d'elles le demandait dans un délai de 10 jours à compter de la communication de la décision.

f. Le 4 mai 2018, l'administrateur de A______ SA, EN LIQUIDATION, de nationalité ______ et domicilié en Grèce, a saisi le Tribunal d'une demande de restitution du délai de 10 jours pour procéder à la demande de motivation du jugement susmentionné. Il a fait valoir qu'en raison de son domicile à l'étranger, il n'avait pas été en mesure de prendre connaissance de la convocation à l'audience du ______ 2018 ni de la notification subséquente du jugement.

g. Sur quoi l'ordonnance présentement querellée a été rendue.

 

 

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 149 CPC in fine, le tribunal statue définitivement sur la restitution.

Cela exclut en principe tout appel ou recours sur l'admission ou le rejet de la requête en restitution (Tappy, in CPC, Code de procédure civile commenté, 2011, n. 12 ad art. 149 CPC).

Le Tribunal fédéral a cependant admis que la décision de refus de restitution d'une autorité était susceptible d'appel ou de recours lorsque, par l'effet d'un délai de péremption, le refus entraînait la perte définitive du droit en cause. Ainsi, le refus de la restitution est une décision finale lorsque l'autorité de conciliation ou le tribunal de première instance a déjà clos la procédure et que la requête de la partie défaillante tend à la faire rouvrir (ATF 139 III 478 consid. 6.3).

1.2 En l'espèce, par sa requête de restitution, la société tend à faire rouvrir la procédure de faillite devant le Tribunal. Ainsi, en application de la jurisprudence précitée, le refus de restitution du délai équivaut à une décision finale puisqu'il prive la société de la voie de droit dans le cadre de la procédure de faillite.

Il s'ensuit que la voie de l'appel ou du recours est ouverte.

2. 2.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

S'agissant d'une affaire soumise à la procédure sommaire (art. 250 let. c ch. 6 CPC), l'appel doit être introduit dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 314 al. 1 CPC).

2.2 En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. puisqu'elle correspond à la valeur du capital-social de la société dissoute (arrêt du Tribunal fédéral 4A_106/2010 du 22 juin 2010 consid. 6, non publié aux ATF 136 III 369).

Interjeté dans le délai prescrit par la loi, l'acte du 28 mai 2018 est recevable comme appel.

3. L'appelante a préalablement requis le droit de déposer une réplique et l'octroi d'un délai en vue de déposer des pièces.

3.1 Les parties sont tenues de faire valoir l'ensemble de leurs griefs contre le jugement attaqué dans le délai d'appel et de réponse à l'appel; un éventuel second échange d'écritures ou l'exercice du droit de réplique ne visent pas à compléter les griefs soulevés jusqu'alors ou à en invoquer de nouveaux (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 et les arrêts cités).

Le fait que les nova doivent être invoqués «sans retard», selon la formulation claire de l'art. 317 al. 1 let. a CPC, c'est-à-dire en principe à la première occasion et donc lors du premier échange d'écritures, plaide également en faveur d'une telle interprétation, ce d'autant plus que les parties ne peuvent pas tabler sur des débats dans le cadre de la procédure d'appel (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4).

Le droit d'être entendu, ancré à l'art. 29 Cst., garantit notamment au justiciable le droit de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, d'avoir accès au dossier, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, dans la mesure où elle l'estime nécessaire, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Il appartient aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Ce droit à la réplique vaut pour toutes les procédures judiciaires (ATF 139 I 189 consid. 3.2 et 138 I 154 consid. 2.3.3 et 2.5; arrêt du Tribunal fédéral 5A_262/2015 du 11 août 2015 consid. 3.1). A la partie assistée d'un avocat, l'autorité peut se borner à transmettre "pour information" les écritures de l'autorité précédente ou des adverses parties; la partie destinataire et son conseil sont alors censés connaître leur droit de réplique et il leur incombe de déposer spontanément, s'ils le jugent utile, une prise de position sur ces écritures, ou de solliciter un délai à cette fin. Après la transmission d'écritures, l'autorité doit ajourner sa décision de telle manière que la partie destinataire dispose du temps nécessaire à l'exercice de son droit de réplique (ATF 138 I 484 consid. 2 et 138 I 154 consid. 2.3.3; arrêt du Tribunal fédéral 4D_79/2014 du 23 janvier 2015 consid. 2).

Une violation du droit d'être entendu peut être réparée, s'il y a lieu, devant l'autorité de recours, pour autant que celle-ci dispose d'un pouvoir d'examen en fait et en droit identique à celui de l'instance précédente et qu'il n'en résulte aucun préjudice pour la partie recourante (ATF 138 II 77 consid. 4 et 126 I 68 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_366/2014 du 20 octobre 2014 consid. 3).

3.2 En l'espèce, l'intimé s'en est rapporté à l'appréciation de la Cour par courrier du 20 juin 2018. A ce jour, soit plus d'un mois après l'envoi de cette correspondance, l'appelante n'a pas pris position. Il incombait ainsi à l'appelante, assistée d'un avocat, dès lors qu'elle entendait se déterminer par écrit sur ce courrier, de déposer également spontanément une réplique, ce qu'elle n'a pas fait.

Par ailleurs, s'agissant de l'octroi d'un délai en vue de verser de nouvelles pièces à la procédure, il appartenait à l'appelante de les déposer, à l'appui de son appel ou de les déposer spontanément à la Cour, ce qu'elle n'a également pas fait, plus de deux mois après le dépôt de son recours.

Par conséquent, il ne sera pas donné suite aux conclusions préalables de l'appelante.

4. L'appelante soutient que son administrateur était domicilié en Grèce et ne maîtrisait pas le droit des sociétés suisses. Par ailleurs, compte tenu de la "jeunesse" de la société, il se justifiait "de ne pas être trop sévère dans l'examen de la faute".

4.1 Le Tribunal peut accorder un délai supplémentaire ou citer les parties à une nouvelle audience lorsque la partie défaillante en fait la requête et rend vraisemblable que le défaut ne lui est pas imputable ou n'est imputable qu'à une faute légère (art. 148 al. 1 CPC). La requête est présentée dans les dix jours qui suivent celui où la cause du défaut a disparu (art. 148 al. 2 CPC).

La faute légère vise tout comportement ou manquement qui, sans être acceptable ou excusable, n'est pas particulièrement répréhensible, tandis que la faute grave suppose la violation de règles de prudence vraiment élémentaires qui s'imposent impérieusement à toute personne raisonnable. Une maladie subite d'une certaine gravité qui empêche la partie de se présenter ou de prendre à temps les dispositions nécessaires peut constituer un empêchement non fautif (arrêt du Tribunal fédéral 4A_163/2015 du 12 octobre 2015 consid. 4.1).

Le point de savoir quelles circonstances excusables une partie a rendu vraisemblables concerne l'appréciation des preuves et constitue une question de fait (arrêt du Tribunal fédéral 5A_927/2015 du 22 décembre 2015 consid. 5.1).

Pour admettre la simple vraisemblance des faits, il suffit que, se fondant sur des éléments objectifs, le juge ait l'impression que les faits pertinents se sont produits, mais sans qu'il doive exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement (ATF 132 III 715 consid. 3.1; 130 III 321 consid. 3.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_877/2011 du 5 mars 2012 consid. 2.1; 5A_870/2010 du 15 mars 2011 consid. 3.2). Comme le Tribunal fédéral a eu l'occasion de relever en relation avec la vraisemblance de l'existence d'une créance en matière de séquestre, si les conditions posées au degré de vraisemblance ne doivent pas être trop élevées, un début de preuve doit cependant exister. La partie concernée doit alléguer les faits et, pratiquement, produire une pièce ou un ensemble de pièces qui permettent au juge d'acquérir, sur le plan de la simple vraisemblance, la conviction que le fait allégué s'est produit (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_877/2011 du 5 mars 2012 consid. 2.1).

4.2 Lorsqu'une notification n'est pas possible, elle est effectuée par publication dans la feuille officielle cantonale ou dans la FOSC (art. 141 al. 1 let. b CPC). L'acte est réputé notifié le jour de la publication.

4.3 En l'espèce, l'administrateur de l'appelante a allégué qu'il n'avait pris connaissance du jugement du 19 février 2018 que le 30 avril 2018, lorsque son conseil s'est rendu au Tribunal en vue de consulter la procédure. Cet allégué ne résiste pas à l'examen. En effet, la décision du Tribunal a été publiée non seulement dans la FAO, le ______ 2018, mais également dans la FOSC le ______ 2018. Comme l'a retenu à bon droit le Tribunal, lesdites publications sont accessibles par internet. Par ailleurs, elles sont réputées notifiées le jour de la publication.

Le fait que l'administrateur de l'appelante ne s'occupe pas personnellement des activités de l'appelante et n'ait pas de connaissances de droit suisse des sociétés est quant à lui dénué de pertinence, de même que la "jeunesse" de l'appelante. Ainsi, la demande de restitution du délai formée le 4 mai 2018 est tardive.

Partant, l'ordonnance entreprise sera confirmée.

5. L'appelante, qui succombe, sera condamnée aux frais judiciaires d'appel (art. 106
al. 1 CPC), arrêtés à 500 fr. (art. 25 RTFMC) et compensés avec l'avance de frais fournie (art. 111 al. 1 CPC), laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.

Il n'y a pas lieu à l'allocation de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 28 mai 2018 par A______ SA, EN LIQUIDATION contre l'ordonnance rendue le 14 mai 2018 par le Tribunal de première instance dans la cause C/28586/2017-22 SFC.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 500 fr., les met à la charge de A______ SA, EN LIQUIDATION et les compense avec l'avance de frais du même montant, acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Madame Nathalie LANDRY-BARTHE et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.

 

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

La greffière :

Mélanie DE RESENDE PEREIRA

 

Indication des voies de recours :

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.