C/3656/2015

ACJC/147/2016 du 12.02.2016 sur JTPI/10817/2015 ( SML ) , JUGE

Descripteurs : MAINLEVÉE DÉFINITIVE; RECOUVREMENT; OBLIGATION D'ENTRETIEN
Normes : LP.80
Pdf
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3656/2015 ACJC/147/2016

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du VENDREDI 12 FÉVRIER 2016

 

Entre

Monsieur A_____, domicilié _____, (GE), recourant contre un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 21 septembre 2015, comparant par
Me Daniela Linhares, avocate, rue du Marché 5, case postale 5336, 1211 Genève 11, en l'étude de laquelle il fait élection de domicile,

et

Madame B_____, domiciliée _____, (GE), intimée, comparant par Me Samir Djaziri, avocat, rue Leschot 2, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. B_____ et A_____ sont les parents d'C_____, né le _____ 1995, et de D_____, née le _____ 1998.

Par jugement du 7 mars 2002, le Tribunal de première instance a prononcé leur divorce et attribué à B_____ l'autorité parentale et la garde des enfants. A_____ s'est engagé et a été condamné en tant que de besoin à contribuer à l'entretien des enfants, en versant, par mois, d'avance et par enfant, allocations familiales ou d'études non comprises, 600 fr. jusqu'à l'âge de 15 ans et 800 fr. jusqu'à la majorité. Le Tribunal a également prévu une clause d'indexation dépendant de l'évolution des revenus du débirentier.

D_____ a eu 15 ans le _____ 2013 et C_____ 18 ans le _____ 2013.

b. Faisant suite à une réquisition de poursuite déposée le 13 juin 2014 par B_____, l'Office des poursuites a notifié à A_____ un commandement de payer, poursuite n° 1_____, portant sur la somme de 14'400 fr. plus intérêts à 5% dès le 1er janvier 2010, à titre de "pensions alimentaires dues du 1.1.2010 à ce jour".

Le débiteur y a formé opposition.

c. B_____, agissant en sa qualité de représentante légale de D_____, a chargé le Service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (SCARPA) d'entreprendre toutes les démarches nécessaires à l'encaissement de la pension alimentaire de l'enfant en cédant à l'Etat de Genève sa créance alimentaire et les droits qui lui sont rattachés avec effet au 1er octobre 2014.

d. Par acte déposée le 24 février 2015 au Tribunal de première instance, B_____ a requis la mainlevée définitive de l'opposition précitée à concurrence des montants suivants :

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 janvier 2005,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 29 février 2005,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 mai 2005,

- 200 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 juin 2005,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 2007,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 septembre 2008,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 octobre 2008,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 janvier 2010,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 janvier 2011,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 janvier 2012,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 janvier 2013,

- 800 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 mai 2014,

- 800 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 juin 2014,

- 800 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 juillet 2014,

- 800 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 août 2014,

- 800 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 septembre 2014,

- 800 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 octobre 2014,

- 800 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 novembre 2014,

- 800 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 décembre 2014,

- 800 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 janvier 2015 et

- 800 fr. dès le 28 février 2015,

à savoir un capital de 19'400 fr. (recte : 20'200 fr.) au total.

Dans une lettre accompagnant la requête, B_____ a exposé que sa réquisition de poursuite du 13 juin 2014 visait des pensions d'entretien dues pour la période du 1er octobre (recte : 1er janvier) 2010 au 1er juin 2014. A ce moment, elle ne connaissait pas "le montant exact ainsi que la date précise des pensions d'entretien non versées", car elle ne disposait pas des "relevés bancaires". A réception de ceux-ci, elle avait constaté que la date et le montant mentionnés dans le commandement de payer étaient erronés. Elle déposait "les détails des écritures bancaires du 01.01.2005 au 31.12.2014 qui prouv[aient] les pensions d'entretien versées et non versées".

Elle a produit notamment divers avis de crédit sur son compte bancaire
2_____ auprès du E_____, relatifs à la période du 9 mars 2005 au 24 décembre 2014.

e. Lors de l'audience du Tribunal du 12 juin 2015, B_____ a persisté dans sa requête.

A_____ a déclaré qu'il avait "payé les contributions d'entretien".

Il a déposé un chargé de pièces comprenant un décompte des pensions alimentaires dues pour les enfants du 1er janvier 2010 au 30 juin 2014, ainsi qu'un décompte des montants versés au même titre durant les années 2010 à 2014, accompagné de diverses pièces bancaires relatives à la période du 30 décembre 2009 au 22 septembre 2014. Il a allégué que pour ladite période il avait versé 79'600 fr. au total, alors qu'il devait 70'400 fr. au total.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

B. Par jugement JTPI/10817/2015 du 21 septembre 2015, reçu par A_____ le 23 septembre 2015, le Tribunal de première instance a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1_____, à concurrence de :

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 janvier 2005,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 28 février 2005,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 mai 2005,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès 30 juin 2005,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès 31 décembre 2007,

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 septembre 2008 et

- 1'200 fr. avec intérêts à 5% dès le 31 octobre 2008 (chiffre 1 du dispositif).

Il a rejeté la requête pour le surplus (ch. 2) et "compensé les dépens" (ch. 3).

Le Tribunal a considéré qu'une comparaison entre les pièces produites par A_____ et la "liste" établie par B_____ dans sa requête (cf. let. A d ci-dessus) "tendait à démontrer" que les mensualités relatives aux années 2010 à 2014 avaient été dûment acquittées. En revanche, pour les sept premiers montants mentionnés dans les conclusions de la requête (arriérés de contributions relatifs aux années 2005 à 2008), le débiteur n'avait pas démontré sa libération et n'avait pas "fait valoir d'objections ou exceptions devant conduire le Tribunal à ne pas donner suite à la requête".

C. a. Par acte déposé le 5 octobre 2015 à la Cour de justice, A_____ recourt contre le jugement précité, dont il demande l'annulation. Il prend les conclusions suivantes : "déclarer non fondée la prétention de CHF 14'400.00 dirigée par Madame B_____ contre Monsieur A_____" (ch. 3), "dire et constater que Monsieur A_____ s'est acquitté de toutes les pensions alimentaires du 1er janvier 2010 au 9 juillet 2014 " (ch. 4), dire en conséquence que le commandement de payer, poursuite N°1_____ n'ira pas sa voie" (ch. 5) et "condamner Madame B_____ en tous les frais et dépens de l'instance lesquels comprendront une équitable indemnité de procédure valant participation aux honoraires d'avocat de Monsieur A_____" (ch. 6).

Subsidiairement, il excipe de prescription relativement aux contributions dues pour la période antérieure au 9 juillet 2009.

b. Par arrêt du 15 octobre 2015, la Cour a rejeté la requête formée par A_____ tendant à suspendre l'effet exécutoire attaché au jugement attaqué et dit qu'il serait statué sur les frais liés à cette décision dans l'arrêt au fond.

c. Dans sa réponse du 19 octobre 2015, B_____ a conclu à la confirmation du jugement attaqué et à la condamnation de A_____ "en tous les frais et dépens, lesquels comprendraient une indemnité équitable à titre de participation" à ses frais d'avocat.

d. Par courriers des 23 novembre et 7 décembre 2015, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

e. Elles ont été informées par courrier du 8 décembre 2015 de ce que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique (art. 251 let. a CPC).

Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée, pour les décisions prises en procédure sommaire.

En l'espèce, le recours a été interjeté dans le délai (art. 143 al. 3 CPC) et la forme prévus par la loi, de sorte qu'il est recevable.

1.2 Les conclusions, les allégations de fait et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

En particulier, l'exception de prescription ne peut être invoquée de manière illimitée, mais uniquement dans la mesure où la règlementation des nova le permet (cf. arrêts du Tribunal fédéral 4A_432/2013 du 14 janvier 2014 consid. 2.2 et 2.3, 4A_305/2012 du 6 février 2013 consid. 3.3).

En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles lors de l'audience du Tribunal du 12 juin 2015. Il a cependant fait valoir qu'il avait payé les contributions d'entretien, de sorte qu'il était clair qu'il sollicitait le rejet de la requête de mainlevée. Les conclusions 3 à 5 du recours sont ainsi recevables uniquement dans la mesure où elles tendent à obtenir le rejet de la requête. Elles ne sont par ailleurs pas admissibles dans le cadre d'une procédure de mainlevée définitive.

Par ailleurs, l'exception de prescription du recourant, soulevée pour la première fois dans le mémoire de recours, est irrecevable.

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits
(art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par la partie recourante (Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème édition, Berne, 2010, n° 2307).

Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 255 let. a
a contrario et 58 al. 1 CPC).

2. Le recourant fait grief au Tribunal d'avoir prononcé la mainlevée définitive pour des prétentions relatives aux années 2005 à 2008, alors que le commandement de payer visait la période de janvier 2010 à juin 2014.

2.1 Lorsque la poursuite tend au recouvrement de prestations périodiques (contributions d'entretien, salaires, loyers, etc.), la jurisprudence exige que la réquisition de poursuite indique avec précision les périodes pour lesquelles ces prestations sont réclamées; même si elles dérivent d'une même cause juridique ("Rechtsgrund"), elles ne sont pas moins des créances distinctes, soumises à leur propre sort (ATF 141 III 173 consid. 2.2.2).

En matière de poursuites concernant des prestations périodiques, le commandement de payer et la requête de mainlevée doivent renseigner le débiteur sur le détail de chaque créance poursuivie et sur les imputations à faire valoir (SJ 1988 p. 506). En effet, lorsque le poursuivi ne sait pas exactement ce qui lui est réclamé, il se trouve abusivement dans l'obligation de remonter à l'origine du rapport contractuel et de justifier tous les paiements effectués (arrêt du Tribunal fédéral 5P.149/2005 consid. 2.3 2). Toutefois, le débiteur peut savoir à quoi s'en tenir sans que le commandement de payer et la requête de mainlevée le renseignent de façon détaillée sur le détail de chaque créance, dans la mesure où il dispose d'éléments clairs et cohérents quant à la teneur de la créance en poursuite (arrêt du Tribunal fédéral 5P.149/2005 consid. 2.3).

2.2 En l'espèce, le commandement de payer porte sur la somme de 14'400 fr. à titre d'arriéré de pensions alimentaires dues pour la période de janvier 2010 à juin 2014. Il ne comporte aucune précision sur le détail de chaque créance poursuivie ni sur les imputations à faire valoir. Il n'est ainsi pas possible de déterminer à quoi correspond le montant précité. Par ailleurs, la requête de mainlevée vise la somme de 19'400 fr. (recte : 20'200 fr.) qui représente des pensions alimentaires pour les mois de janvier, février, mai et juin 2015, décembre 2007, septembre et octobre 2008, janvier 2010, janvier 2011, janvier 2012, février 2013 et mai 2014 à février 2015. La requête porte donc sur des périodes qui ne sont pas visées par la poursuite, à savoir les années 2005, 2007 et 2008, ainsi que les mois de juillet 2014 à février 2015. De surcroît, la requête ne comporte aucune précision relativement à cette dernière période, étant relevé que le fils des parties est devenu majeur en octobre 2013 et que les créances relatives à la contribution due pour leur fille ont été cédées au SCARPA à compter d'octobre 2014.

Le Tribunal a considéré que le débiteur avait prouvé par titres que sa dette relative à la période visée par la poursuite avait été éteinte. Il a toutefois retenu que tel n'avait pas été le cas pour les années 2005 à 2008. En prononçant la mainlevée définitive pour des contributions d'entretien qui n'étaient pas visées par la poursuite, le premier juge a violé la loi.

Le recours sera donc admis et le jugement attaqué annulé. L'intimée sera déboutée de l'intégralité de ses conclusions en mainlevée définitive.

3. L'intimée, qui succombe, supportera les frais de première instance et de recours (art. 106 al. 1 CPC).

Les frais judiciaires seront fixés à 1'000 fr. au total (400 fr. pour la première instance et 600 fr. pour la seconde instance; art. 48 et 61 al. 1 OELP). Ils seront compensés avec les avances de frais effectuées par les parties (art. 111 al. 1 CPC), qui restent acquises à l'Etat. L'intimée sera condamnée à restituer au recourant la somme de 600 fr. qu'il a versée à titre d'avance de frais (art. 111 al. 2 CPC).

L'intimée sera également condamnée aux dépens (art. 106 al. 1 et 3 CPC) de recours, arrêtés à 900 fr., débours et TVA compris (art. 96 et 105 al. 2 CPC; art. 85, 89 et 90 du règlement fixant le tarif des greffes en matières civile du 22 décembre 2010, E 1 05.10; art. 25 et 26 LaCC; art. 25 LTVA).

A teneur de ses conclusions, le recourant ne sollicite pas la condamnation de l'intimée aux dépens de première instance (cf. ATF 139 III 334 consid. 4.2).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 5 octobre 2015 par A_____ contre le jugement JTPI/10817/2015 rendu le 21 septembre 2015 par le Tribunal de première instance dans la cause C/3656/2015-JS SML.

Au fond :

Annule le jugement attaqué et, statuant à nouveau :

Rejette la requête de B_____ en mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1_____.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de première instance et de recours à 1'000 fr., les met à la charge de B_____ et les compense avec les avances effectuées par les parties, acquises à l'Etat de Genève.

Condamne B_____ à verser à A_____ 600 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires de recours.

Condamne B_____ à verser à A_____ 900 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nathalie LANDRY-BARTHE et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Céline FERREIRA, greffière.

 

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Céline FERREIRA

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.