C/5527/2014

ACJC/16/2015 du 09.01.2015 sur OTPI/1064/2014 ( SP ) , CONFIRME

Descripteurs : VENTE; CONTRAT INTERNATIONAL; MESURE PROVISIONNELLE; CONCLUSION DU CONTRAT; COMPÉTENCE RATIONE LOCI
Normes : LDIP.118; LDIP.10; CPC.261; CL.5.1.a; CL.5.1.b; CL.31
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/5527/2014 ACJC/16/2015

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du vendredi 9 janvier 2015

 

Entre

A______, ayant son siège ______ (GE), appelante d'une ordonnance rendue par la 4ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 11 août 2014, comparant par Me Christian Tamisier, avocat, rue Saint-Léger 8, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______, ayant son siège ______ (GE), intimée, comparant par Me Michel Bussard, avocat, cours des Bastions 5, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance du 11 août 2014, notifiée aux parties le 13 août 2014, le Tribunal de première instance de ce canton (ci-après : le Tribunal) a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée par A______ contre B______ (ch. 1 du dispositif), mis les frais judiciaires à la charge de A______ (ch. 2), arrêté ces frais à 2'500 fr., ceux-ci étant compensés avec les avances fournies (ch. 3), condamné A______ à verser à B______ la somme de 7'850 fr. à titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).![endif]>![if>

B.            a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 25 août 2014, A______ appelle de cette ordonnance, dont elle sollicite l'annulation.![endif]>![if>

Principalement, elle conclut à ce qu'il soit fait interdiction à B______, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, de vendre ou d'essayer de vendre à tout tiers autre qu'elle-même le solde de la quantité de mazout de 250'000 tonnes provenant de la société gabonaise de raffinage C______ et faisant l'objet du contrat de vente à terme conclu entre les parties le 24 octobre 2013. Elle conclut également à ce qu'il soit ordonné à B______ de lui annoncer si elle a vendu à un tiers ladite quantité de mazout, de lui fournir toutes informations sur les périodes de chargement des navires pour les prochaines livraisons, ainsi que de lui livrer le solde de la quantité de mazout de 250'000 tonnes susvisée, moyennant paiement du prix convenu. Elle conclut enfin au déboutement de B______ de toutes autres conclusions, avec suite de dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de ses conclusions, l'appelante produit certaines pièces non soumises au Tribunal, soit cinq factures de B______ datées du 20 septembre 2013 au 3 mars 2014 (pièces 23 à 27), un contrat daté du 30 août 2013 (pièce 28) et un courriel daté du 22 août 2014 (pièce 29).

b. Dans son mémoire de réponse du 25 septembre 2014, B______ a conclu "à titre liminaire" à ce que la Cour décline sa compétence pour statuer sur l'appel interjeté par A______ et raye la cause du rôle.

A titre principal, elle a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions, à ce qu'il soit constaté que la cause est devenue sans objet, à ce qu'il soit dit que le document "Term FOB sale contract" du 24 octobre 2013 ne lie aucunement les parties pour ce qui est du solde de la quantité de mazout provenant de la société gabonaise de raffinage et portant sur les cargaisons de décembre 2013 à août 2014, à ce qu'il soit dit qu'aucun contrat de vente à terme portant sur les quantités futures de mazout ne lie les parties, à ce qu'il soit constaté que A______ n'a ni allégué ni prouvé son dommage et à ce que celle-ci soit condamnée en tous les frais et dépens de la cause, comprenant une indemnité équitable à titre de participation aux honoraires de son conseil.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué respectivement les 13 et 24 octobre 2014, persistant dans leurs conclusions.

A______ a produit un contrat daté du 13 septembre 2013 (pièce 30), une confirmation de livraison datée du 8 septembre 2014 (pièce 31) et un contrat daté du 30 août 2013. B______ a produit une attestation écrite datée du 24 octobre 2014 (pièce 26).

d. Les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger par courrier du greffe du 27 octobre 2014.

C.           Les éléments pertinents suivants ressortent de la procédure :![endif]>![if>

a. A______ est une société inscrite au Registre du commerce de Genève, active dans le commerce international de produits pétroliers et d'autres matières premières, principalement à l'étranger.

B______ est une société également inscrite au Registre du commerce de Genève, dont le but statutaire englobe notamment toutes activités dans le domaine du négoce et le commerce de matières premières.

b. Au cours de l'été 2013, B______ a remporté une offre de la société gabonaise de raffinage C______, portant sur l'achat et l'exportation de 250'000 tonnes de mazout sur une période allant de septembre 2013 à août 2014.

Par courriel du 18 juillet 2013, B______ a confirmé à A______ son obtention de ce contrat, ainsi que son intention de l'exécuter avec le soutien de celle-ci ("We confirm that the term contract with C______ for 250'000 Mt of LSSR Fuel Oil from Sept 2013 to Aug 2014 has been awarded to us. We also confirm that we will operate this contract with the backing of A______").

c. B______ et A______ se sont entendues pour organiser une première livraison de 25'000 tonnes de mazout, correspondant au chargement d'un navire, afin de s'assurer de leurs capacités effectives réciproques.

A cette fin, elles ont conclu un accord intitulé "FOB SALE TRANSACTION", daté du 5 juillet 2013. Cette première livraison s'est déroulée à la satisfaction des parties, notamment de A______, qui en a payé le prix.

d. Afin de formaliser leurs relations, B______ et A______ ont envisagé de conclure entre elles un contrat à terme ayant pour objet la revente des 250'000 tonnes de mazout provenant de la société C______.

Le 15 août 2013, B______ a notamment transmis à A______ un projet de contrat intitulé "TERM FOB SALE CONTRACT", prévoyant notamment que la quantité de 250'000 tonnes de mazout serait livrée en plusieurs fois à A______ sur la période du 1er septembre 2013 au 31 août 2014, pour autant que la marchandise ait été préalablement livrée par C______. La capacité des navires serait de 25'000-30'000 tonnes ou de 45'000 tonnes, au choix de l'acheteur, et le paiement du mazout interviendrait en dollars américains sur le compte du vendeur.

e. Ce projet de contrat n'a pas rencontré l'agrément de A______.

B______ lui en a soumis de nouvelles versions les 23 août, et 4 septembre 2013, qui n'ont pas davantage été acceptées par A______.

f. Nonobstant l'échec de ces négociations, B______ et A______ se sont entendues, au mois de septembre 2013, pour procéder à une deuxième livraison de mazout, qui est intervenue au mois d'octobre 2013.

Dans un courriel du 16 septembre 2013, A______ a notamment indiqué que chacun des contrats passés avec B______ était négocié et accepté indépendamment de chaque autre, notamment concernant le prix et les dispositions convenues. Elle procéderait encore de la sorte pour la suite, comme il était d'usage dans le secteur ("Each of the contracts we have with B______ were negotiated and agreed independently of each other; their finances and structures as well. […] We make our own onwards agreements in this manner as well – as it is normal, standard way to conduct business in this sector").

g. Au mois d'octobre 2013, A______ et B______ ont envisagé de procéder à une troisième livraison de mazout, sur le modèle des deux livraisons précédentes.

Dans un courriel du 22 octobre 2013, B______ a notamment indiqué que, dès lors que les parties n'avaient pas finalisé leur contrat à terme et que le prochain cargo était agendé pour les 9-11 novembre 2013, elle proposait de modifier un contrat précédent ("As we have not yet finalized our term contract and the next lift is for 09-11 November 2013, we propose to amend it in the same way as we did for the previous cargo").

Par courriel du 24 octobre 2013, B______ a transmis à A______ une nouvelle version du contrat en cours de négociation, destinée à couvrir la prochaine cargaison de mazout ("Please find attached our contract for the next lifting of fuel oil from Gabon (Port-Gentil)".

Ce projet prévoyait notamment l'application du droit anglais et le recours à un tribunal arbitral siégeant à Londres en cas de litige, sans préjudice du droit de chaque partie de saisir toute juridiction compétente pour obtenir des sûretés ou des mesures provisoires ("this will not prevent either party from taking proceedings in any jurisdiction to obtain security or provisional remedies").

La livraison prévue a eu lieu au mois de novembre 2013, sans que le contrat susvisé ne soit signé par A______. Celle-ci s'est acquittée du prix de la marchandise livrée.

h. Le 23 décembre 2013, B______ a transmis à A______ une nouvelle version du contrat en cours de négociation, en relation avec une cargaison prévue au début du mois de janvier 2014.

Par courriel du même jour, A______ s'est étonnée de recevoir un nouveau contrat. Exposant que les parties étaient déjà liées par un contrat, et que le temps pressait, elle a prié B______ de lui indiquer ou de mettre en évidence les clauses contractuelles différant du précédent contrat ("As we already have a binding contract, and to save time, can you point out or yellow highlight what is different?")

Le 26 décembre 2013, B______ a répondu que les modifications concernaient la clause relative aux frais d'entreposage ("demurrage"). Par courriel du même jour, A______ a manifesté son désaccord avec les termes proposés, indiquant que le contrat en vigueur demeurait applicable ("upon due consideration A______ does not agree to amend the contract which remains, as is, in full force and effect").

Nonobstant ce désaccord, une nouvelle livraison de mazout est intervenue au mois de janvier 2014. Comme précédemment, A______ s'est acquittée de son prix.

i. Le 24 janvier 2014, les responsables de B______ ont proposé de rencontrer leurs homologues de A______ afin de finaliser et signer une fois pour toutes ("once and for all") le contrat à terme régissant leur collaboration. Une réunion a été agendée au 5 février 2014, en vue de laquelle B______ a transmis à A______ une version "marquée" ("marked-up") du projet de contrat à terme.

Les parties se sont rencontrées le 5 février 2014, dans les locaux de A______. Les négociations ont achoppé notamment sur la clause réglant les garanties devant être fournies par A______; aucun contrat n'a été signé à cette occasion.

j. Le 18 mars 2014, A______ a indiqué à B______ que C______ l'avait informée de la prochaine période de chargement, qui devait avoir lieu du 30 mars au 1er avril 2014. Elle lui a reproché de ne pas lui avoir communiqué cette information, ce qui constituait à son sens une violation du contrat liant les parties. A______ a sommé B______ de respecter le contrat à terme conclu entre elles.

k. Le 19 mars 2014, B______ a répondu dans les termes suivants (en français) :

" Messieurs,

Nous nous étions rencontrés le 5 février 2014 dans vos locaux pour mettre à jour les points de désaccords substantiels en suspens relatifs au contrat à terme.

Vous vous étiez engagés à nous transmettre votre "marked-up version" du contrat à terme sous 8 jours suite à nos discussions de ce 5 février 2014.

Nous n'avons rien reçu de votre part à cet égard et nous ne sommes donc pas en mesure de finaliser les "terms and conditions" de ce contrat.

Par ailleurs, les transactions passées se sont plutôt mal déroulées et illustrent la mauvaise qualité de nos relations commerciales.

Dans ce contexte, nous ne souhaitons plus cristalliser [sic] un contrat à terme.

Nous restons néanmoins à votre disposition pour conclure des transactions spot dans le futur si nos offres devaient recevoir votre intérêt."

l. A ce jour, les livraisons de mazout de la société C______ à B______ se poursuivent.

m. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 mars 2014, A______ a formé une requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles tendant à ce qu'il soit fait interdiction à B______, sous la menace de la peine prévue à l'article 292 CP, de vendre ou d'essayer de vendre, à tout tiers hormis elle-même, le solde des 250'000 tonnes de mazout provenant de la société gabonaise C______, pour lesquelles les parties avaient conclu un contrat de vente à terme le 24 octobre 2013.

A______ a également conclu à ce qu'il soit ordonné à B______ de lui livrer le solde de la quantité de mazout susvisée, de lui indiquer si elle avait vendu une cargaison de mazout à un tiers et de lui fournir toutes informations sur les prochaines périodes de chargement des navires.

A l'appui de sa requête, elle a notamment indiqué que la valeur litigieuse était de 1'545'000 USD, correspondant à la valeur de la marge brute de USD 51.50 par tonne pour un bateau cargo de 30'000 tonnes.

n. Par ordonnance du 21 mars 2014, le Tribunal a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles.

o. Dans ses déterminations écrites du 28 avril 2014, B______ a conclu à l'irrecevabilité de la requête et au déboutement de A______ de toutes ses conclusions sur mesures provisionnelles. Elle a également conclu à ce qu'il soit constaté qu'aucun contrat de vente à terme ne liait les parties pour le solde des quantités de mazout provenant de la société C______.

p. A l'audience qui s'est tenue le 12 mai 2014, le Tribunal a entendu comme témoin D______, qui avait été employé de B______ jusqu'au 15 février 2014 et se trouvait depuis lors au service de A______.

Celui-ci a affirmé que le contrat à terme portant sur la quantité de 250'000 tonnes de mazout avait été finalisé entre les parties le 24 octobre 2013. Le contrat de base remontait quant à lui au mois de juillet 2013. La version du contrat émise le 24 octobre 2013 était la version finale; les échanges postérieurs concernant ce contrat ne portaient que sur des questions opérationnelles.

D.           Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a considéré qu'au vu du siège genevois des parties, il était compétent à raison du lieu pour connaître de la requête. Sur le fond, il apparaissait que les parties avaient continué à négocier les termes de leur projet de contrat à terme au-delà du 14 octobre 2013. La teneur des courriels d'accompagnement des diverses versions de ce projet laissaient transparaître l'absence d'accord des parties, qui n'avaient pas dépassé le stade des pourparlers contractuels à ce propos. Les différentes livraisons opérées entre septembre 2013 et janvier 2014 étaient des livraisons "spot", fondées sur des versions ponctuellement négociées du contrat, et ne s'inscrivaient pas dans le cadre de la vente à terme initialement envisagée. Par conséquent, la requérante ne rendait pas vraisemblables ses droits sur de futures livraisons et sa requête devait être rejetée. Les conclusions constatatoires de la partie citée sortaient quant à elles du cadre des mesures provisionnelles, ce qui conduisait également à leur rejet.![endif]>![if>

EN DROIT

1.             1.1 Interjeté dans le délai et les forme utiles (art. 130, 131 et 314 al. 1 CPC), par une partie qui y a intérêt (art. 59 al. 2 let. a CPC), à l'encontre d'une décision rendue sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC), qui statue sur des conclusions pécuniaires dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 91 al. 1 et 308 al. 2 CPC), l'appel est recevable.![endif]>![if>

1.2 La Cour revoit le fond du litige avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC); dans le cadre de mesures provisionnelles, instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. 4 CPC), sa cognition est toutefois circonscrite à la vraisemblance des faits allégués ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 2C_611/2011 du 16 décembre 2011, consid. 4.2). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n°1556).

1.3 Il n'y a pas lieu d'examiner les conclusions prises par l'intimée dans son mémoire de réponse à l'appel, tendant à ce qu'il soit constaté qu'aucun contrat à terme ne lie les parties, dès lors que l'appel joint est irrecevable en procédure sommaire (art. 314 al. 2 CPC).

2.             Les parties produisent devant la Cour diverses pièces nouvelles.![endif]>![if>

2.1 Les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (art. 317 al. 1 let. a CPC) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance, bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Code de procédure civile commenté, Bohnet et al. [éd.], 2011, n. 6 ad art. 317). La Cour examine d'office la recevabilité des faits et les moyens de preuve nouveaux en appel (Reetz/Hilber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 2013, n. 26 ad art. 317 CPC).

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles produites par l'appelante ont été établies avant le dépôt de sa requête, à l'exception d'un courriel daté du 22 août 2014 (pièce 29) et d'une confirmation de livraison datée du 8 septembre 2014 (pièce 31). L'appelante n'expose pas pour quelle raison elle n'aurait pas été en mesure de produire lesdites pièces devant le Tribunal. Par conséquent, ces pièces sont irrecevables, à l'exception des deux pièces susmentionnées. Etablie le 24 octobre 2014, la pièce nouvelle produite par l'intimée est recevable.

3.             L'intimée conteste la compétence des juridictions genevoises pour statuer sur la requête formée par l'appelante, respectivement sur l'appel interjeté par celle-ci. Il convient d'examiner préalablement au regard de quelles règles cette compétence doit être déterminée.![endif]>![if>

3.1.1 En matière internationale, le for et, partant, l'exception d'incompétence sont régis par la LDIP, sous réserve des traités internationaux (art. 1 al. 1 et 2 LDIP).

La notion de matière internationale n'est pas définie par la loi. Cette absence de définition semble favoriser une notion variable, adaptée aux spécificités de chaque domaine. Il faut ainsi admettre que l'on se trouve en présence d'une situation internationale lorsque l'une des parties au moins a son domicile ou son siège à l'étranger et chaque fois que, dans le domaine considéré, au moins l'un des rattachements retenus par la loi (ou une convention internationale) est situé à l'étranger. Ces critères étant destinés aux divers conflits de juridictions et de lois, il est naturel d'en déduire que, chaque fois qu'ils ne sont pas tous réunis en Suisse, la situation est internationale. Pour délimiter le champ d'application des règles sur la compétence, on devra également tenir compte des rattachements retenus par les règles sur la loi applicable (Bucher, Commentaire romand, LDIP - CL, 2011, n. 22s. ad art. 1 LDIP).

3.1.2 La Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution de décisions en matière civile et commerciale conclue à Lugano le 30 octobre 2007 (CL; RS 0.275.12), prévoit notamment qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat contractant peut être attraite dans un autre Etat lié par la Convention, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée (art. 5 ch. 1 let. a CL). Pour la vente de marchandises, le lieu de l'obligation qui sert de base à la demande est le lieu d'un Etat lié par la Convention où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées (art. 5 ch. 1 let. b CL).

L'art. 113 LDIP prévoit que lorsque la prestation caractéristique du contrat doit être exécutée en Suisse, l'action peut aussi être portée devant le tribunal suisse du lieu où elle doit être exécutée.

Selon l'art. 118 LDIP, les ventes mobilières sont régies par la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels (RS 0.221.211.4).

Au sens de cette convention, la vente a nécessairement un caractère international lorsque les deux parties ont leur résidence (ou leur siège) dans deux Etats différents, même si tous les autres éléments du contrat se rattachent à un seul pays. Cependant, l'application de la Convention de la Haye n'est pas exclue lorsque les deux parties sont établies dans un seul et même Etat car, dans pareille situation, le caractère international de la vente peut résulter de l'existence d'autres éléments d'extranéité, notamment le fait que le lieu d'exécution d'une des obligations contractuelles se trouve à l'étranger (Bonomi, Commentaire romand, LDIP – CL, 2011, n. 9 ad art. 118 LDIP).

3.2 En l'espèce, les parties possèdent toutes deux leur siège à Genève. Le cas d'espèce ne présente de ce point de vue pas d'élément d'extranéité.

Cela étant, les relations des parties avaient pour objet la vente par l'intimée à l'appelante de quantités successives de mazout. Ces quantités étaient livrées à l'appelante au Gabon, à charge pour elle de les acheminer ensuite vers le port de destination de son choix. Il apparaît ainsi que, sous l'angle d'un critère de rattachement retenu tant par la CL que par la LDIP s'agissant de la compétence, ainsi que par la Convention de La Haye s'agissant de la loi applicable, soit le critère du lieu d'exécution ou de livraison, la cause présente un élément d'extranéité important. Conformément aux dispositions et principes rappelés ci-dessus, il faut dès lors admettre que la présente cause présente un caractère international et qu'en dépit du siège genevois des parties, la compétence des juridictions genevoises doit être examinée au regard des règles de droit international privé applicables.

4.             4.1.1 Selon l'art. 31 CL, les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un Etat lié par la Convention peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet Etat même si, en vertu de la Convention, une juridiction d'un autre Etat lié par la Convention est compétente pour connaître du fond.![endif]>![if>

Cette disposition est également applicable dans l'hypothèse où il n'existe pas de juridiction compétente pour connaître du fond du litige, du fait que les parties sont convenues de soumettre celui-ci à une juridiction arbitrale (Bucher, op. cit., n. 31 ad art. 23 CL).

4.1.2 L'art. 10 LDIP prévoit que sont compétents pour prononcer des mesures provisoires soit les tribunaux ou les autorités suisses qui sont compétents au fond (let. a), soit les tribunaux ou les autorités suisses du lieu de l'exécution de la mesure (let. b).

4.2 En l'espèce, l'intimée soutient que les juridictions genevoises seraient incompétentes à raison du lieu pour statuer sur les mesures requises, dès lors que les différents projets du contrat à terme négocié par les parties, en particulier la version datée du 24 octobre 2013, prévoyaient une attribution exclusive de compétence en faveur d'un tribunal arbitral siégeant à Londres en cas de litige. Cette prorogation de for serait applicable, bien que ledit contrat n'ait selon elle jamais été finalisé.

La Cour relève que la clause arbitrale en question prévoyait expressément que les parties demeuraient libres de saisir toute juridiction compétente pour obtenir des sûretés ou des mesures provisoires. Il ne fait aucun doute que cette réserve était notamment destinée à couvrir les mesures provisionnelles telles que celles faisant l'objet du présent procès. Ainsi, à supposer qu'elle soit applicable, cette clause arbitrale ne saurait en l'espèce faire obstacle à la compétence des tribunaux genevois, et cela sans qu'il soit nécessaire d'examiner plus avant si les parties l'ont valablement adoptée, au regard des principes applicables en la matière.

La compétence ratione loci des juridictions genevoises est au surplus conforme aux dispositions des art. 31 CL (pour l'Etat compétent), et de l'art. 10 LDIP (pour la compétence des juridictions au sein de cet Etat), vu l'exécution probable au siège genevois de l'intimée de la mesure d'interdiction et des différentes injonctions dont le prononcé est requis par l'appelante.

Par conséquent, la compétence des juridictions genevoises pour statuer sur les mesures requises doit être admise. L'intimée sera déboutée de ses conclusions préalables tendant à ce que la Cour de céans décline sa compétence et raye la cause du rôle.

4.3 La loi du for, soit en l'occurrence le droit suisse, est applicable à toutes les questions indépendantes du droit matériel, notamment celles relatives au déroulement de la procédure, aux moyens probatoires et aux exigences quant à la preuve des faits allégués (cf. Bucher, op. cit., n. 10 ad art. 10 LDIP).

5.             Sur le fond, l'appelante reproche au Tribunal d'avoir rejeté sa requête au motif qu'un contrat à terme n'avait vraisemblablement pas été conclu par les parties et qu'elle ne disposait dès lors pas de prétentions sur de futures livraisons de mazout.![endif]>![if>

5.1 Selon l'art. 261 al. 1 CPC, le Tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire remplit les conditions suivantes : elle est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a); cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué. Le requérant doit ainsi rendre vraisemblable que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès (arrêt du Tribunal fédéral 5P.422/2005 consid. 3.2 = SJ 2006 I p. 371; Bohnet, Code de procédure civile commenté, Bohnet et al. [éd.], 2011, n. 7 ad art. 261 CPC). Il doit donc également rendre vraisemblable une atteinte au droit ou son imminence (Bohnet, op. cit., n. 10 ad art. 261 CPC).

En outre, la vraisemblance requise doit porter sur un préjudice difficilement réparable, qui peut être patrimonial ou immatériel, et peut même résulter du seul écoulement du temps pendant le procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC; Kofmel Ehrenzeller, KuKo-ZPO, 2010, n. 8 ad art. 261 CPC; Huber, Kommentar zur schweizerischen Zivilprozessordnung, 2010, n. 20 ad art. 261 CPC), ce qui est largement admis en matière d'atteinte à la personnalité (Bohnet, op. cit., n° 13 ad art. 261 CPC).

5.2 En l'espèce, l'appelante soutient avoir conclu avec l'intimée un contrat à terme lui réservant le droit d'acquérir les futures quantités de mazout fournies à celle-ci par la société C______.

Cependant, aucune version d'un tel contrat n'a apparemment été signée par les parties. A teneur de la procédure, plusieurs projets et différentes versions de ce contrat ont été échangés, sans qu'aucun d'entre eux n'ait été formellement signé ou finalisé. De tels échanges ont notamment encore eu lieu après l'établissement de la version datée du 24 octobre 2013, que l'appelante considère comme contraignante pour les parties (sans toutefois démontrer qu'elle l'aurait formellement acceptée). Or, en droit suisse, dont l'application est admise par l'appelante, il est constant que les parties qui ont convenu de donner une forme spéciale à un contrat sont réputées n'avoir entendu se lier que dès l'accomplissement de cette forme (cf. art. 16 al. 1 CO). Les parties ayant apparemment convenu de conclure un contrat en la forme écrite, la signature des parties était nécessaire à cette fin
(cf. art. 14 CO). L'intimée, qui soutient que le droit anglais serait applicable sur le fond, admet pour sa part que les dispositions de ce droit ne diffèrent pas significativement du droit suisse quant à la conclusion du contrat. A bon droit, le Tribunal a dès lors admis que les parties n'avaient formellement pas conclu de contrat à terme donnant à l'intimée des droits sur de futures livraisons de mazout.

Le fait que certaines versions du contrat, ou certains de ses termes et conditions, aient pu être utilisés par les parties pour régir ponctuellement les premières livraisons de marchandise, comme ce fut le cas de la version du 24 octobre 2013, ne signifie pas que les parties, en particulier l'intimée, aient accepté de se lier aux mêmes conditions pour l'ensemble des livraisons. En l'occurrence, l'intimée avait expressément transmis à l'appelante le projet du 24 octobre 2013 en lui indiquant, par courriels des 22 et 24 octobre 2013, que cette version n'était destinée à régir que la prochaine livraison de mazout, qui devait être chargée au début du mois de novembre 2013. L'appelante, qui avait elle-même annoncé vouloir procéder de la sorte dans un courriel daté du 16 septembre 2013, ne pouvait pas de bonne foi comprendre, dans ces conditions, que ce projet était destiné à lier définitivement les parties, comme elle l'a manifesté dans son courriel du 23 décembre 2013. Le fait même que l'intimée ait alors spontanément adressé à l'appelante une nouvelle version du contrat, destinée à régir la cargaison prévue pour le mois de janvier 2014, puis que les parties aient accepté de se rencontrer, au mois de février 2014, afin de régler définitivement leurs relations, confirme ce qui précède. Peu importe qu'un employé de l'intimée, aujourd'hui au service de l'appelante, estime que la version du contrat datée du 24 octobre 2013 était la version finale.

Les allégations de l'appelante selon lesquelles les parties se seraient mises d'accord sur les points essentiels du contrat, de sorte que celui-ci serait réputé conclu (cf. art. 2 al. 1 CO), ne sont par ailleurs pas rendues vraisemblables. A teneur de la procédure, des désaccords subsistaient notamment sur les frais d'entreposage et sur les garanties devant être fournies par l'appelante. Or, on ne voit pas en quoi ces points seraient secondaires dans le type de commerce considéré; le second de ceux-ci notamment, excède les questions purement opérationnelles, contrairement à l'avis du témoin entendu par le Tribunal. Il apparaît dans ces conditions, au stade de la vraisemblance, que des questions essentielles demeuraient en suspens et que les parties n'entendaient pas se lier durablement tant que celles-ci ne seraient pas réglées.

La conclusion d'un contrat à terme ne pouvant être retenue à ce stade, l'appelante a ainsi échoué à rendre vraisemblable qu'elle disposerait de prétentions envers l'intimée sur de futures livraisons de mazout et qu'elle pourrait par conséquent prétendre à ce que le solde de la cargaison ne soit pas vendu à un tiers. Partant, l'ordonnance entreprise sera confirmée en tant qu'elle a débouté l'appelante des fins de sa requête.

6.             Les frais judiciaires de l'appel, arrêtés à 2'000 fr. (art. 26 et 37 RTFMC), seront mis à la charge de l'appelante, qui succombe pour l'essentiel (art. 95 al. 2, 105 al. 1 et 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par l'appelante, avance qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).![endif]>![if>

L'appelante sera condamnée à payer à l'intimée la somme de 5'200 fr. à titre de dépens d'appel (art. 85, 88 et 90 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 al. 1 LaCC, RS Ge E 1 05).

7.             Le présent arrêt est susceptible d'un recours en matière civile au Tribunal fédéral (art. 72 al. 1 LTF), la valeur litigieuse étant supérieure à 30'000 fr. au sens de l'art. 74 al. 1 let. b LTF (cf. consid. 1.1 ci-dessus). Les moyens sont toutefois limités à la violation des droits constitutionnels (art. 98 LTF).![endif]>![if>

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PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 25 août 2014 par A______ contre l'ordonnance OTPI/1064/2014 rendue le 11 août 2014 par le Tribunal de première instance dans la cause C/5527/2014-4 SP.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr. et les met à la charge de A______.

Compense les frais judiciaires d'appel avec l'avance de frais de même montant fournie par A______, avance qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à payer à B______ la somme de 5'200 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nathalie LANDRY-BARTHE et Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Céline FERREIRA, greffière.

 

La présidente :

Sylvie DROIN

 

La greffière :

Céline FERREIRA

 



Indication des voies de recours
:

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.