C/6336/2016

ACJC/1377/2016 du 21.10.2016 sur JTPI/6356/2016 ( SFC ) , MODIFIE

Descripteurs : FAILLITE SANS POURSUITE PRÉALABLE; NOUVEAU MOYEN DE FAIT; INSOLVABILITÉ
Normes : LP.190
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6336/2016 ACJC/1377/2016

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du vendredi 21 octobre 2016

 

Entre

A______, agissant par ses administrateurs :

- M. B______ et

- M. C______, comparant tous deux par Me Gustavo Da Silva, avocat, rue de la Fontaine 13, case postale 3186, 1211 Genève 3, en l'étude duquel ils font élection de domicile,

- M. D______, comparant par Me Anil Nair, avocat, boulevard des Philosophes 9, 1205 Genève, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

recourante contre un jugement rendu par la 9ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 18 mai 2016,

et

E______, sise ______, Genève, intimée, comparant par Me Blaise Grosjean, avocat, rue De-Candolle 24, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement du 18 mai 2016, le Tribunal de première instance a prononcé la faillite de A______ le jour même à 14h00 (ch. 1 du dispositif), a mis à sa charge les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr. (ch. 2-3) et l'a condamnée à verser à E______ les sommes de 500 fr. à titre de remboursement de l'avance de frais fournie (ch. 4) et de 920 fr. à titre de dépens (ch. 5).

B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour le 30 mai 2016, D______, administrateur avec signature individuelle de A______ à teneur de l'extrait du Registre du commerce produit, agissant au nom de la société, forme recours contre ce jugement, concluant à son annulation et au rejet de la requête de faillite, avec suite de frais et dépens.

b. Par acte expédié au greffe de la Cour le même jour, C______, président du conseil d'administration de A______ à teneur de l'extrait du Registre du commerce produit, agissant au nom de la société, forme également recours contre ce jugement, concluant à son annulation et au rejet de la requête de faillite.

c. Le même jour encore, B______, administrateur unique avec signature individuelle de A______ à teneur d'une décision de l'assemblée générale de la société du 13 mai 2016, laquelle n'était pas encore inscrite au Registre du commerce, forme recours contre ce jugement, concluant à son annulation et au rejet de la requête de faillite.

d. Dans sa réponse aux recours, E______ indique s'en rapporter à justice, tout en relevant que A______ n'a payé des dettes incontestables et exigibles qu'après le jugement de faillite et qu'une créance de la PPE ______ - dans laquelle A______ est propriétaire de parts - n'avait fait l'objet que d'un acompte.

e. D______ n'a pas déposé de réplique dans le délai imparti.

Dans sa réplique, B______ a indiqué qu'il était désormais inscrit au Registre du commerce en qualité d'administrateur unique, D______ (dont le nom ne figure plus sur l'extrait produit) ayant été révoqué de ses fonctions lors de l'assemblée générale du 13 mai 2016. Il a fait valoir qu'il avait entrepris toutes les démarches afin de régler les dettes accumulées par l'ancien administrateur. Il produit des pièces nouvelles.

f. Dans sa duplique E______ a indiqué que A______ n'avait pas soldé ses dettes à l'égard de la PPE ______ et qu'elle n'avait pas proposé le moindre plan d'amortissement assorti de bonnes garanties, de sorte qu'il fallait sérieusement mettre en doute sa solvabilité.

g. Les parties ont été informées par avis de la Cour du 8 août 2016 de ce que la cause était gardée à juger.

h. Par courrier du 31 août 2016, E______ a informé la Cour de ce que A______ lui avait payé son dû en capital et qu'elle avait pris l'engagement d'amortir sa dette en capital, frais et intérêts concernant les charges de la PPE ______. A______ avait nommé un nouvel administrateur qui, contrairement au précédent, avait cessé de s'opposer systématiquement au paiement des créances incontestables de la société.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. Par jugement du 5 juin 2015, la Chambre patrimoniale cantonale vaudoise a condamné A______ à payer à E______ les sommes de 1'286 fr. à titre de remboursement de son avance de frais et de 17'640 fr. à titre de dépens.

Ce jugement est définitif et exécutoire.

b. Le 1er février 2016, à la requête de E______, un commandement de payer les sommes précitées a été notifié à A______, qui y a formé opposition (poursuite n° 1______).

c. Par requête déposée au greffe du Tribunal de première instance le 30 mars 2016, E______ a requis la faillite sans poursuite préalable de A______.

Elle a allégué que cette dernière ne lui avait pas payé les sommes dues en vertu du jugement du 5 juin 2015 et qu'elle ne s'acquittait non plus pas des charges de copropriété de la PPE ______, laquelle lui avait fait notifier un commandement de payer auquel elle avait formé opposition.

d. Lors de l'audience devant le Tribunal du 12 mai 2016, E______ a persisté dans ses conclusions, précisant que les sommes qui lui étaient dues étaient toujours impayées.

A______ n'était ni présente ni représentée.

e. Dans son jugement du 18 mai 2016, le Tribunal a considéré que le fait que A______ ait formé opposition au commandement de payer qui lui avait été notifié à la réquisition de E______, fondée sur le jugement du 5 juin 2015, attestait de la cessation de paiements de A______. Cette dernière s'opposait ainsi au paiement d'une dette incontestée et exigible et l'inscription provisoire de quatre hypothèques légales en garantie des contributions de la PPE ______ sur ses parts de propriétés par étages témoignait encore de sa situation de cessation de paiements.

EN DROIT

1. L'appel étant irrecevable dans les affaires relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 CPC), seule la voie du recours est ouverte in casu (art. 319 let. a CPC; art. 174 LP, par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP).

Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC).

1.1 Pas moins de trois recours ont été déposés au nom de A______ contre le jugement du 18 mai 2016, par différents représentants indiquant agir en leur qualité d'administrateur.

La capacité d'ester en justice est le corollaire en procédure de l'exercice des droits civils (art. 67 al. 1 CPC). La personne morale exerce ses droits civils par l'intermédiaire de ses organes exécutifs (et non l'organe législatif ou l'organe de contrôle), qui expriment sa volonté à l'égard des tiers (art. 55 al. 1 CC). Savoir quelle(s) personne(s) est (sont) habilitée(s) à représenter la société anonyme en procédure ressortit ainsi à la capacité d'ester en justice de celle-ci. Il s'agit d'une condition de recevabilité de la demande (art. 59 al. 2 let. c CPC). Le tribunal saisi examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC). D'après les principes généraux du droit de procédure civile, celles-ci doivent encore exister au moment du jugement (ATF 140 III 159 consid. 4.2.4).

Les organes exécutifs, mais aussi toutes les personnes qui peuvent valablement représenter la société anonyme dans les actes juridiques avec des tiers en vertu des règles du droit civil, peuvent accomplir des actes judiciaires en son nom, comme signer des écritures, donner procuration à un avocat et comparaître aux audiences (ATF 141 III 80 consid 1.3).

Sont en premier lieu légitimés à représenter la société en justice les membres du conseil d'administration et, à moins que les statuts ou le règlement d'organisation ne l'exclue, un seul des membres de celui-ci (art. 718 al. 1 CO). En second lieu, la société peut être représentée en justice par un ou plusieurs des membres du conseil d'administration (délégués) ou par des tiers (directeurs), auxquels le conseil d'administration a délégué son pouvoir de représentation (art. 718 al. 2 CO). Toutes ces personnes sont organes, expriment directement la volonté de la société et sont inscrites au Registre du commerce (art. 720 CO). En troisième lieu, sans avoir la qualité d'organes, en vertu de leurs pouvoirs de représentation, peuvent représenter la société en justice les fondés de procuration (art. 458 CO), qui sont inscrits au Registre du commerce et n'ont pas besoin de pouvoir spécial pour plaider, à moins que leur procuration n'ait été restreinte (art. 460 al. 3 CO), ainsi que les mandataires commerciaux (art. 462 CO), qui ne sont pas inscrits au registre du commerce, à condition qu'ils aient reçu le pouvoir exprès de plaider (art. 462 al. 2 CO). Chacune des personnes habilitée à représenter la société en justice doit justifier de sa qualité et de son pouvoir en produisant soit un extrait du Registre du commerce, soit l'autorisation qui lui a été délivrée pour plaider et transiger dans l'affaire concrète dont le tribunal est saisi (cf. art. 68 al. 3 CPC).

1.2 En l'espèce, deux des trois recours ont été déposés par des administrateurs dont les pouvoir inscrits au Registre du commerce ont été radiés, sur la base de décisions de l'assemblée générale de la recourante du 13 mai 2016. A la date du dépôt du recours, le 30 mai 2016, ils ne disposaient donc pas de la capacité d'agir au nom de la société et, a fortiori, à la date de la présente décision. Les recours formés par D______ et C______ en leur prétendue qualité de représentants de la recourante sont donc irrecevables.

1.3 Formé selon la forme et dans le délai prévus par la loi (art. 321 al. 1 et 2 CPC), le recours formé par B______ en sa qualité de représentant de la recourante est recevable.

1.4 Pour apprécier l'existence d'une suspension de paiements, l'autorité judiciaire cantonale supérieure doit tenir compte des faits nouveaux (art. 174 al. 2 LP, applicable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP) et statuer sur le vu de la situation financière du débiteur à l'échéance du délai de recours cantonal (ATF 139 III 491 consid. 4; 136 III 294 consid. 3.1).

Les pièces nouvelles produites par la recourante avec son recours sont donc recevables, alors que celles produites avec la réplique sont irrecevables.

2. La recourante soutient être solvable, comme le démontraient les paiements qu'elle avait effectué les 25 et 26 mai 2016 en faveur de l'intimée, lesquels avaient soldé sa dette à son égard. Elle a également expliqué qu'un nouvel administrateur unique avait été désigné afin de régulariser sa situation financière en s'acquittant des dettes accumulées par l'ancien administrateur.

2.1 Selon l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP, le créancier peut requérir la faillite sans poursuite préalable si le débiteur sujet à la poursuite par voie de faillite a suspendu ses paiements.

La suspension de paiements est une notion juridique indéterminée qui accorde au juge un large pouvoir d'appréciation. La suspension de paiements a été préférée par le législateur à l'insolvabilité parce qu'elle est perceptible extérieurement et, dès lors, plus aisée à constater que l'insolvabilité proprement dite; il s'agit ainsi de faciliter au requérant la preuve de l'insolvabilité.

Pour qu'il y ait suspension de paiements, il faut que le débiteur ne paie pas des dettes incontestées et exigibles, laisse les poursuites se multiplier contre lui, tout en faisant systématiquement opposition, ou omette de s'acquitter même des dettes minimes; il n'est cependant pas nécessaire que le débiteur interrompe tous ses paiements; il suffit que le refus de payer porte sur une partie essentielle de ses activités commerciales. Même une dette unique n'empêche pas, si elle est importante et que le refus de payer est durable, de trahir une suspension de paiements; tel est notamment le cas lorsque le débiteur refuse de désintéresser son principal créancier (ATF 137 III 460 consid. 3.4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2015 du 11 septembre 2015 consid 6.1). La suspension des paiements ne doit pas être de nature purement temporaire, mais au contraire de durée indéterminée (ATF 137 III 460 consid. 3.4.1, traduit in SJ 2012 I 161).

Vu les lourdes conséquences de la déclaration de faillite sans poursuite préalable et le fait qu'elle constitue une exception dans le système de l'exécution forcée, de sorte qu'elle doit être appliquée et interprétée restrictivement, la preuve stricte, par opposition à la simple vraisemblance, est exigée en principe pour les causes matérielles de faillite, comme la suspension des paiements, quand bien même les moyens de preuve consentis en procédure sommaire sont limités (Cometta, Commentaire romand LP, 2005, n. 2 ad art. 190 LP).

2.2 En l'espèce, il s'agit de déterminer si la recourante a suspendu ses paiements, et non si elle est solvable ou insolvable, comme elle l'indique.

Ainsi que l'a relevé le Tribunal, le fait de s'opposer à une dette incontestée et exigible, laquelle résulte d'un jugement définitif et exécutoire, constitue un indice de suspension des paiements. Il apparaît cependant que rapidement après le remplacement des administrateurs de la recourante à la suite de l'assemblée générale du 13 mai 2016, ses dettes à l'égard de l'intimée fondées sur le jugement du 5 juin 2015 ont été acquittées. L'absence de paiements de ces dettes semble ainsi plutôt due à une mauvaise organisation de la société, à laquelle il a été remédié, plutôt qu'à une suspension des paiements.

L'intimée n'a pour le surplus pas établi, par la production d'un extrait du Registre des poursuites par exemple, que la recourante serait poursuivie pour d'autres dettes incontestées et exigibles et ferait systématiquement opposition. L'existence d'une dette à l'égard de la seule PPE ______ n'est pas suffisante à cet égard. Il n'est par ailleurs pas rendu vraisemblable que cette dette porte sur une partie essentielle des activités commerciales de la recourante.

Ainsi, au vu de l'ensemble des circonstances, et dans la mesure où la preuve stricte de la réalisation des conditions pour le prononcé d'une faillite sans poursuite préalable doit être apportée, il n'est pas établi à satisfaction de droit que la recourante aurait suspendu ses paiements. Le ch. 1 du dispositif du jugement attaqué sera annulé et la requête de faillite sans poursuite préalable rejetée.

3. Les frais des recours formés par D______ et C______, en leurs qualités de prétendus représentants de la recourante, déclarés irrecevables, seront arrêtés à 300 fr. chacun (art. 52 et 61 OELP), au vu de l'issue du litige, laissés à la charge de leur auteur, qui ne pouvaient agir en qualité de représentant de la société, et compensés à due concurrence avec les avances fournies qui restent acquises à l'Etat de Genève. Le solde de 450 fr. leur sera restitué.

La recourante n'ayant démontré l'absence de suspension de paiements que durant la procédure de recours, elle sera condamnée aux frais judiciaires et dépens de la procédure de première instance, dont le montant n'a pas été contesté, de sorte que le jugement attaqué sera confirmé à cet égard.

La recourante sera condamnée, pour les mêmes motifs, aux frais judiciaires de recours, fixés à 750 fr. (art. 52 et 61 OELP) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat. La recourante sera également condamnée aux dépens de l'intimée, arrêtés à 500 fr., les déterminations de cette dernière étant brèves (art. 96 et 105 al. 2 CPC; art. 85, 89 et 90 RFTMC; art. 20, 23 al. 1, 25 et 26 al. 1 LaCC).

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PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevables les recours interjetés par A______, soit pour elle D______ et C______, contre le jugement JTPI/6356/2016 rendu le 18 mai 2016 par le Tribunal de première instance dans la cause C/6336/2016-9 SFC.

Déclare recevable le recours interjeté par A______, soit pour elle B______, contre le jugement JTPI/6356/2016 rendu le 18 mai 2016 par le Tribunal de première instance dans la cause C/6336/2016-9 SFC.

Au fond :

Admet ce recours et annule le chiffre 1 du dispositif du jugement attaqué.

Cela fait, statuant à nouveau sur ce point :

Rejette la requête de faillite sans poursuite préalable formée par E______ le 30 mars 2016 dans la cause C/6336/2016-9 SFC.

Confirme le jugement attaqué pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours formé par A______, soit pour elle D______, à 300 fr., les met à la charge de ce dernier et dit qu'ils sont compensés à due concurrence avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer le solde de 450 fr. à D______.

Arrête les frais judiciaires du recours formé par A______, soit pour elle C______, à 300 fr., les met à la charge de ce dernier et dit qu'ils sont compensés à due concurrence avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer le solde de 450 fr. à C______.

Arrête les frais judiciaires du recours formé par A______, soit pour elle B______, à 750 fr., les met à la charge d'A______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser 500 fr. à E______ à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Pauline ERARD et Madame Fabienne GEISINGER-MARIÉTHOZ, juges; Madame Céline FERREIRA, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Céline FERREIRA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.