C/12860/2004

ACJC/255/2006 (3) du 06.03.2006 sur JTBL/1262/2005 ( OBL ) , CONFIRME

Descripteurs : ; RÉCEPTION(SENS GÉNÉRAL)
Normes : CO.266h
Pdf
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12860/04 ACJC/255/06

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre d’appel en matière de baux et loyers

AUDIENCE DU LUNDI 6 MARS 2006

 

Entre

X______, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 5 septembre 2005, comparant par Me Raphaël QUINODOZ, avocat, place des Philosophes 8, 1205 Genève, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

d'une part,

et

Y______, intimé, comparant par Me Oswald BREGY, avocat, rue de Chêne-Bougeries 26, case postale 231, 1224 Chêne-Bougeries, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

d'autre part.

 


EN FAIT

Par acte du 13 octobre 2005, X______ appelle d’un jugement JTBL/1262/2005-1, rendu le 5 septembre 2005 et communiqué par plis du 12 du même mois, aux termes duquel le Tribunal des baux et loyers déclare inefficace la résiliation de bail portant sur un studio sis au rez-de-chaussée de l’immeuble 20, rue ______ à Carouge, notifié à Y______ le 13 avril 2004 pour le 31 mai 2004.

L’appelant conclut, ce jugement étant mis à néant, à ce que la Cour déclare ledit congé valable et condamne Y______ à évacuer immédiatement ce logement de sa personne et de ses biens.

L’intimé conclut à la confirmation du jugement déféré.

Les éléments suivants résultent du dossier :

A. La SOCIETE IMMOBILIÈRE A______, alors propriétaire de l’immeuble 20, rue ______ à Carouge, et Y______ (ci-après : le locataire) ont conclu le 19 juin 1998 un contrat de bail portant sur un studio sis au rez-de-chaussée de cet immeuble.

Le contrat a été conclu pour une durée initiale d’un an et quinze jours, du 16 juin 1998 au 30 juin 1999, renouvelable ensuite tacitement d’année en année.

Le loyer annuel, charges non comprises, a été fixé en dernier lieu à 6'552 fr. dès le 1er juillet 1999.

Le locataire a constitué des sûretés en faveur du bailleur par l’ouverture d’un compte garantie loyer auprès de M______, pour un montant de 1'575 fr.

X______ (ci-après : le bailleur) est devenu propriétaire de l’immeuble en janvier 2003.

La gérance de l'immeuble est confiée à B______.

B. Le 3 juillet 2002, la SI A______ avait accepté que le locataire sous-loue le studio pour une durée d’un an et demi en raison d’un séjour à l’étranger.

A l’issue de la période de sous-location qui venait à échéance le 31 décembre 2003, le bailleur a invité le locataire à l’informer de sa réintégration dans le studio.

Le locataire a répondu en février 2004 qu’il n’avait logé que quelques semaines dans le studio avant de le sous-louer derechef en raison d’un nouveau séjour de durée déterminée à l’étranger. Comme adresse du locataire, le courrier mentionnait 13, rue ______ à Carouge.

C. La faillite du locataire a été prononcée le 3 novembre 2003 et publiée dans la Feuille d’avis officielle le 21 avril 2004.

Dans l’intervalle, soit le 12 février 2004, M______ a informé le bailleur que le compte garantie loyer du locataire avait été clôturé et les avoirs virés en mains de l’Office des faillites.

Le 4 mars 2004, le bailleur a adressé un courrier LSI au locataire, à l’adresse 20, rue ______ à Carouge, le mettant en demeure de fournir, avant le 31 mars 2004, des sûretés équivalentes aux loyers dus jusqu’au 30 juin 2004.

L’original de l’enveloppe ayant contenu ce pli comporte l’autocollant avec le numéro du pli recommandé, le timbre de la date du dépôt du recommandé à la poste, un timbre de l’Office des faillites « Bon à délivrer au destinataire » et un timbre postal « centre courrier » daté du 9 mars 2004. Sur l’enveloppe, l’adresse du destinataire au 20, rue ______ a été barrée et remplacée par celle au 13, rue ______. Il ne figure aucune mention d’un délai de garde à la poste ou de timbre avec la date de retour à l’expéditeur sur l’enveloppe.

A teneur de renseignements fournis le 29 avril 2005 aux premiers juges par B______, tout le courrier adressé au locataire (tant à l’adresse 20, rue ______ que 13, rue ______), faisait l'objet d'un séquestre ordonné par l'administration de la faillite, et partant était détourné en mains de l’Office des faillites.

Le courrier LSI adressé au locataire a ensuite été réexpédié le 9 mars 2004 par l’Office des faillites, à l'adresse du locataire 13, rue ______, afin de lui être distribué personnellement.

A teneur d’une attestation de la Poste, ce pli n’a toutefois « malheureusement » pas été tenu à disposition du locataire pendant le délai de garde de 7 jours, mais a été retourné au bailleur, à une date qui ne résulte pas du dossier.

C’est le lieu de préciser que, dans le cadre de la procédure, le locataire a affirmé avoir donné à la Poste l’instruction générale de réacheminer à son adresse 13, rue ______, tout le courrier qui lui était adressé 20, rue ______.

E. Le bailleur affirme avoir expédié la sommation susmentionnée au locataire par pli simple du 4 mars 2004 ; à l’appui de ce dire, il produit le mémo accompagnant la sommation, à teneur duquel le locataire est invité à prendre connaissance, en annexe, de la copie d’une lettre LSI qui lui est adressée le jour-même.

Copie du courrier exigeant des sûretés a encore été envoyé par pli LSI à l’Office des faillites.

F. Par avis du 13 avril 2004, adressé au locataire par lettre signature à l’adresse 20, rue ______, le bailleur a résilié le bail pour le 31 mai 2004 en application de l’art. 266h CO, au motif que les sûretés n’avaient pas été fournies dans le délai imparti.

Ce pli a été retourné au bailleur, faute d’avoir été retiré dans le délai de garde auprès de la Poste par le destinataire, après avoir été acheminé sans succès au 13, rue ______.

G. Le 25 mai 2004, le locataire a déposé une requête en contestation du congé devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers.

Par requête déposée le 14 juin 2004 devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, le bailleur a pour sa part requis l’évacuation du locataire. Ces deux requêtes, inscrites réciproquement sous numéros de cause C/12860/2004 et C/13824/2004, ont fait l’objet d’une tentative de conciliation commune le 7 septembre 2004, qui a échoué.

Les deux requêtes furent régulièrement et en temps opportun portées devant le Tribunal des baux et loyers, lequel a ordonné leur jonction sous no de cause C/12860/2004.

A l’appui de sa position, le bailleur a fait valoir que la requête en contestation du congé était tardive, partant irrecevable. Par ailleurs, le locataire en faillite n’avait pas fourni les sûretés requises dans le délai qui lui avait été imparti, si bien que le bail pouvait être résilié de manière anticipée.

Le locataire a pour sa part fait valoir qu’il n’avait jamais reçu la demande de fourniture de sûretés du 4 mars 2004 et qu’il n’avait reçu le congé que le 24 mai 2004, par pli simple adressé par le bailleur en date du 17 mai 2004. Il était domicilié 13, rue ______, le studio du 20, rue ______ étant sous-loué, ce dont le bailleur avait connaissance. Cette adresse était connue tant de l’Office des faillites que du bailleur, auquel il avait écrit en date du 10 février 2004 en la mentionnant. Il aurait donc pu être atteint par le bailleur pour la fourniture de sûretés si ce dernier avait écrit à la bonne adresse. Il n’avait ainsi pas été valablement atteint par la demande de sûretés du 4 mars 2004 et les conditions pour résilier le bail conformément à l’article 266h CO n’étaient par conséquent pas réunies.

En substance, le jugement attaqué retient qu’il résulte des pièces produites « des indices sérieux » en faveur du fait que la Poste aurait commis une erreur dans le processus de distribution du pli LSI du 4 mars 2004, en ce sens qu’elle ne l’aurait pas conservé durant le délai de garde à disposition du locataire, mais l’aurait réexpédié à la bailleresse après avoir tenté de le notifier au 13, rue ______. Il ne pouvait ainsi être retenu que ce pli avait atteint le locataire. Quant au pli simple adressé ce même jour, il était « moins douteux » que le locataire l’ait reçu, mais il était impossible d’établir ce fait, ni la date à laquelle ce courrier aurait été réceptionné par le locataire. Compte tenu de cette « absence de certitude », le congé adressé au locataire le 13 avril 2004 pour le 31 mai 2004 devait être déclaré inefficace, puisqu’il n’était pas établi que le locataire ait été mis en mesure de déférer à l’exigence de fournir des sûretés à son bailleur dans le délai imparti.

Les arguments des parties en appel seront repris ci-après dans la mesure utile.

EN DROIT

1. L’appel respecte le délai et la forme prescrits par la loi (art. 443 et 444 LPC). Il est dès lors recevable.

Compte tenu de la matière (constatation de l’inefficacité d’un congé et demande d’évacuation), le jugement entrepris a été rendu en premier ressort (art. 56 P al. 2 LOJ; ACJ 25/1986; 84/1986; 145/1986), ce qui ouvre la voie de l’appel ordinaire (art. 291 LPC). La cognition de la Cour est, partant, complète.

2. Devant la Cour, le bailleur n'invoque plus, à juste titre, la tardiveté de la requête en contestation de congé formée par le locataire.

Les premiers juges ont en effet rappelé avec raison que si la demande en contestation de congé doit être formée dans les trente jour dès la réception de celui-ci, à teneur de l'art. 273 al. 1 CO, la constatation de l'inefficacité d'un congé peut intervenir en tout temps et même au stade de la procédure d'évacuation. Or, en l'espèce, le locataire conteste précisément que les conditions d'un congé anticipé au sens de l'art. 266h CO soient réunies et invoque donc l'inefficacité (ATF 121 III 156, JdT 1996 191).

3. L'art. 266h CO permet au bailleur, en cas de faillite du locataire après la délivrance de la chose louée, de résilier le bail avec effet immédiat, après avoir sommé tant le locataire que l'administration de la faillite de lui fournir des sûretés pour les loyers à échoir dans un délai convenable, si lesdites sûretés ne lui sont pas fournies.

Savoir quand une telle sommation est valablement reçue par le locataire n'est pas une question réglée par le droit du bail, mais par les règles générales applicables aux actes soumis à réception. Ainsi, pour déployer ses effets, un tel acte doit non seulement être expédié, mais encore parvenir dans la sphère d'influence tant du locataire que de l'administration de la faillite, s'il est adressé par pli simple; s'il est adressé par pli recommandé (ou courrier LSI), l'envoi est réputé avoir été reçu au moment où il est remis au destinataire ou, s'il n'est pas retiré pendant le délai postal de garde de 7 jours, à l'expiration dudit délai (ATF 118 II 42; 119 II 147).

En application de l’art. 8 CC, la preuve de l’envoi et la réception de la sommation incombe au bailleur, qui s’en prévaut. En revanche, il incombe au destinataire d’un pli recommandé de prouver qu’aucun avis de garde n’aurait été déposé dans sa boîte aux lettres ou dans sa case postale après une tentative infructueuse de présentation (SJ 2001 p. 195 ; 1972 p. 56).

4. Les premiers juges ont retenu que la réception par le locataire tant du courrier LSI que du pli simple expédié le 4 mars 2004, contenant la mise en demeure du bailleur l'invitant à constituer des sûretés, n'était pas établie.

L'appelant ne conteste pas que le locataire n'a pas été atteint par le pli adressé par LSI le 4 mars 2004; il soutient toutefois qu'aucun élément du dossier ne permet de douter de la réception par le locataire du pli simple expédié le même jour, le locataire ayant admis avoir donné un ordre à la Poste de réacheminer le courrier qui lui était adressé 20, rue ______ à son adresse 13, rue ______.

La Cour relève que la sommation adressée - et reçue - par l'administration de la faillite du locataire n'était pas propre, à elle seule, à déployer les effets prévus à l'art. 266h CO : encore fallait-il qu'elle parvienne également au locataire lui-même, ce que l'appelant ne conteste pas.

Sur le sujet, les premiers juges ont retenu avec raison que le locataire n'avait pas été valablement atteint par la sommation adressée par le bailleur le 4 mars 2004 par courrier LSI : il résulte en effet des renseignements fournis par la Poste que ce pli, après son réacheminement par l'Office des faillites à l'adresse 13, rue ______ avec la mention "Bon à délivrer au destinataire", n'a pas été délivré au locataire, mais a été réexpédié au bailleur sans être tenu à la disposition du destinataire pendant le délai de garde de 7 jours. La fiction selon laquelle le pli a été reçu le dernier jour utile du délai de garde admise par la jurisprudence ne trouve ainsi pas application en l'espèce.

S'agissant du pli simple, il incombait à l'appelant de prouver, et non seulement de rendre vraisemblable, que la sommation adressée par pli simple le 4 mars 2004 a été reçue par le locataire, à savoir qu'elle est parvenue dans sa sphère d'influence. Or, la copie du mémo d'accompagnement produite sur le sujet est un document établi par la régie elle-même qui est impropre à prouver la réception du pli simple. Il résulte par ailleurs des renseignements fournis le 29 avril 2005 au Tribunal des baux et loyers par B______, mandataire du bailleur, que l'ordre de réacheminer à l'Office des faillites le courrier destiné au locataire concernait non seulement celui adressé au 20, rue ______, mais encore celui adressé au 13, rue ______. Il est ainsi hautement vraisemblable que le courrier par pli simple du 4 mars 2004, s'il a bien été expédié, n'ait pas été mis dans la boîte aux lettres du locataire, mais ait été réacheminé, à l'instar du courrier LSI du même jour, à l'Office des faillites. Or, d'une part, on ne saurait considérer qu'en parvenant à l'administration de faillite, la sommation serait entrée dans la sphère d'influence du failli lui-même; d'autre part, rien n'établit qu'à l'instar du courrier LSI, le pli simple adressé au locataire lui aurait été renvoyé au 13, rue ______, avec la mention "Bon à délivrer au destinataire" et que, distribué à cette dernière adresse, il serait alors parvenu dans la sphère d'influence du locataire.

Enfin, aucun élément du dossier ne laisse à penser que le locataire aurait été informé par l’Office des faillites de la teneur de la sommation du bailleur du 4 mars 2004.

Il résulte de ce qui précède que l’appelant a échoué à établir la réception par le locataire de la sommation du 4 mars 2004, lui impartissant un délai au 31 mars 2004 pour fournir des sûretés.

Il s’ensuit que les conditions d’une résiliation du bail au sens de l’art. 266h al. 2 CO ne sont pas réunies et qu’ainsi les premiers juges ont avec raison constaté l’inefficacité du congé notifié le 13 avril 2004 pour le 31 mai 2004.

5. Ce qui précède conduit à la confirmation du jugement attaqué.

L’appelant, qui succombe, sera condamné à un émolument d’appel.

* * * * *

PAR CES MOTIFS

LA COUR

A la forme :

Reçoit l’appel interjeté par X______ à l’encontre du jugement JTBL/1262/2005 rendu le 5 septembre 2005 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/12860/2004-1-B.

Au fond :

Confirme ledit jugement.

Condamne X______ à verser à l’Etat de Genève un émolument d’appel de 300 fr.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur François CHAIX, président; Madame Marguerite JACOT-DES-COMBES, Madame Florence KRAUSKOPF, juges; Madame Nathalie LANDRY, Madame Nathalie THURLER, juges assesseurs; Madame Muriel REHFUSS, greffier.

Le président :

François CHAIX

 

Le greffier :

Muriel REHFUSS