C/17529/2018

ACJC/121/2021 du 01.02.2021 sur JTBL/1251/2019 ( OBL ) , MODIFIE

Normes : CO.256.al1; CO.259a.al1
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En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17529/2018 ACJC/121/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 1ER FEVRIER 2021

 

Entre

A______ SA (anciennement B______ AG), sise ______ (ZG), appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 19 décembre 2019, comparant par Me Alain DUBUIS, avocat, case postale 234, 1001 Lausanne (VD), en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Madame C______, domiciliée ______ Genève, intimée, comparant par
Me Boris LACHAT, avocat, rue Saint-Ours 5, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/1251/2019 du 19 décembre 2019, communiqué aux parties le 23 décembre 2019, le Tribunal des baux et loyers a ordonné à B______ AG de remédier aux nuisances liées à l'activité de prostitution exercée dans l'immeuble sis 1______ à Genève (ch. 1 du dispositif), réduit de 45% le loyer de l'appartement de 6 pièces situé au 3ème étage de l'immeuble concerné, du 16 septembre 2017 et jusqu'à complète suppression des nuisances relatives à l'activité de prostitution (ch. 2), réduit le loyer de l'appartement concerné de 5% supplémentaires, du 16 septembre 2017 au 31 mars 2019 (ch. 3), validé la consignation de loyer opérée depuis le 28 juin 2018 sur le compte n° 2______ auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire (ch. 4), ordonné à ces derniers de libérer les loyers consignés en faveur de B______ AG, sous déduction des réductions de loyer octroyées (ch. 5), déclaré irrecevable la conclusion de C______ en baisse de loyer (ch. 6), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 7) et dit que la procédure était gratuite (ch. 8).

B. a. Par acte expédié le 29 janvier 2020 au greffe de la Cour de justice, B______ AG forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite la réformation des chiffres 1 à 5 de son dispositif.

Elle conclut à ce qu'il soit constaté qu'elle n'est ni tenue de remédier aux nuisances liées à l'activité de prostitution exercée dans l'immeuble, ni de réduire de 45% le loyer de l'appartement jusqu'à suppression des nuisances et de 5% supplémentaires du 16 septembre 2017 au 31 mars 2019, à ce que la consignation de loyer soit déclarée «invalide», à ce qu'il soit ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de libérer la totalité des loyers consignés en sa faveur, et, subsidiairement, au renvoi de l'affaire devant l'autorité précédente.

Elle produit des courriers qu'elle a adressés au Ministère public les 10 et 15 avril 2019.

b. Dans sa réponse du 3 mars 2020, C______ conclut à l'irrecevabilité des faits et moyens de preuve nouveaux, allégués et produits à l'appui de l'appel, au déboutement de B______ AG de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Par réplique expédiée le 27 mars 2020 à la Cour de justice, B______ AG a persisté, «sous suite de frais et dépens», dans ses conclusions.

d. Par courrier du 21 avril 2020, C______ a renoncé à dupliquer, persistant intégralement dans ses conclusions.

e. Les parties ont été avisées le 22 avril 2020 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
C.
Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 4 septembre 1997, D______ et E______,propriétaires, ainsi que F______ et C______, locataires, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 6 pièces situé au 3ème étage de l'immeuble sis 1______ à Genève.

Le contrat a été conclu pour une durée initiale d'une année, du 1er novembre 1997 au 31 octobre 1998, avec clause de renouvellement tacite d'année en année, selon l'article 2 des Conditions générales et règles et usages locatifs.

Le loyer annuel net a été fixé à 21'060 fr. et les acomptes annuels pour chauffage et eau chaude à 1'740 fr.

b. Par avenant du 18 octobre 2005, B______ AG, d'une part, et F______ et C______, de l'autre, ont convenu qu'à la suite du divorce de ces derniers, prononcé le 2 février 2004, le contrat de bail à loyer se poursuivrait uniquement au nom de C______, les autres clauses et conditions du contrat de bail demeurant inchangées.

c. Depuis le mois de septembre 2017 à tout le moins, des personnes exerçant une activité de prostitution occupent un appartement situé au 4ème étage de l'immeuble sis 1______ à Genève (audition de G______, C______, H______, I______, J______ et K______).

d. Cette activité génère du bruit de talons, musique, voix fortes et machines à laver, de 21h00 à 5h00 du matin (témoins C______ et K______).

Le voisin de l'étage supérieur, H______, étudiant à l'Université, a été contraint de quitter son appartement deux semaines pour préparer ses examens en raison du bruit, monter une dizaine de fois se plaindre et appeler la police à plusieurs reprises (témoins C______, H______ et K______).

Des personnes sonnent régulièrement, parfois à 2h00 du matin, à la porte des locataires du 3ème étage (témoins C______, H______ et I______).

Hormis des périodes de quelques minutes, voire une heure au maximum, les bruits de déplacement de meubles, de talons ou d'ascenseur sont persistants (témoin H______).

Les bruits d'actes sexuels et de déplacement de meubles sont quotidiens et il arrive régulièrement que les occupants de l'immeuble croisent des clients dans l'ascenseur (témoins I______ et K______).

L'activité génère également des cris et bagarres sur le palier de l'appartement du 4ème étage et des bruits d'ascenseur durant la nuit (témoins J______ et K______).

Le concierge a envisagé de déménager si la situation perdurait (témoin K______).

e. Entre le mois de septembre 2017 et le mois de décembre 2018, le système de code de l'entrée de l'immeuble ne fonctionnait pas, de telle sorte que les portes principale et arrière sont demeurées ouvertes (témoins C______ et K______).

f. Par courrier du 14 septembre 2017, plusieurs locataires se sont plaints de nuisances sonores excessives (personnes parlant fort sur le balcon et/ou se déplaçant avec des hauts talons, placards s'ouvrant et se refermant constamment, forte musique, bagarres sur le palier ayant généré l'intervention de la police, personnes se trompant d'étage et sonnant avec insistance durant la nuit, etc.) provenant de l'activité déployée le soir dès 23h00 et jusqu'au petit matin dans l'appartement situé au 4ème étage de l'immeuble.

Les locataires se sont plaints également d'odeurs de fumée de cigarette dans l'ascenseur et d'urine. La porte principale de l'immeuble ne se fermait en outre plus et laissait l'accès libre aux personnes extérieures de l'immeuble.

Dans l'attente d'une réponse, les locataires se réservaient le droit de consigner leur loyer et demandaient une réduction de celui-ci.

g. Il ressort d'un article de presse paru le ______ 2017 que les locataires de l'immeuble ne supportaient pas qu'un salon de massage ait été créé au 4ème étage de leur immeuble quelques mois auparavant. Un locataire avait indiqué être effrayé d'avoir vu des hommes dormant dans le couloir, ce d'autant plus que l'immeuble n'était plus doté d'un code d'entrée. Une voisine se plaignait du bruit, pestant contre les portes qui claquaient, l'ascenseur qui descendait toute la nuit et les bruits de talons que les locataires entendaient et qui les empêchaient de dormir jusqu'au matin. Il ressort encore de cet article que les locataires n'étaient pas restés sans rien faire mais avaient appelé la police à plusieurs reprises et avaient écrit à l'Etat ainsi qu'à la régie. La police avait précisé que le lieu et les employées bénéficiaient de toutes les autorisations nécessaires, précisant que six contrôles avaient été menés. Contactée, la régie avait affirmé ne pas avoir été mise au courant et s'apprêter à contacter l'avocat de la société du propriétaire pour connaître sa position quant à ce changement d'activité du logement.

h. Par courrier du 22 décembre 2017, B______ SA a adressé au Ministère public une plainte pénale contre inconnu pour violation de domicile et toute autre infraction, exposant avoir appris qu'un salon de massage s'était installé de manière illégale au 4ème étage de l'immeuble et sollicitant que les personnes occupant illicitement les appartements du 4ème étage de l'immeuble soient rapidement identifiées et expulsées.

i. Par courriers des 31 octobre 2017 et 15 février 2018, C______ s'est adressée au Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie ainsi qu'à la Brigade de lutte contre la traite et la prostitution illicite pour s'enquérir de la légalité de l'activité exercée dans l'appartement concerné.

j. Par courrier du 13 juin 2018, C______ a rappelé les nuisances subies et mis la bailleresse en demeure de mettre intégralement fin aux nuisances et défauts affectant son appartement au plus tard le 25 juin 2018, à défaut de quoi le loyer serait intégralement consigné. Elle a réservé l'intégralité de ses droits, notamment celui de solliciter une réduction de loyer dès le mois de février 2017.

k. Le 28 juin 2018, C______ a consigné le loyer dès le mois de juillet 2018 (consignation n°2______).

l. Par requête du 27 juillet 2018 adressée à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, non conciliée lors de l'audience du 15 octobre 2018 et portée devant le Tribunal le 12 novembre 2018, C______ a conclu à la validation de la consignation du loyer, à la condamnation de B______ AG à mettre fin aux activités de prostitution ayant cours au 4ème étage de l'immeuble, nettoyer ou faire nettoyer et maintenir ou faire maintenir dans un état irréprochable les parties communes, notamment l'ascenseur de l'immeuble, réparer ou faire réparer l'interphone à l'entrée de l'immeuble, le tout dès l'entrée en force de la décision à rendre et sous menace d'une peine d'amende prévue par l'art. 292 CP en cas d'insoumission à une décision de l'autorité, à ce qu'elle soit autorisée à faire nettoyer et faire maintenir dans un état irréprochable les parties communes de l'immeuble et faire réparer l'interphone à l'entrée de l'immeuble, aux frais de B______ AG si cette dernière ne l'avait pas fait cinq jours ouvrables après l'entrée en force de la décision à rendre, à ce qu'une réduction du loyer net de 50% lui soit accordée dès le 14 septembre 2017 et jusqu'à l'élimination totale des nuisances et défauts, à l'attribution des loyers consignés et au déboutement de B______ AG de toutes autres ou contraires conclusions.

m. Par réponse du 22 février 2019, B______ AG a conclu, sous suite de frais et dépens, au rejet des conclusions de C______.

n. Dans leurs plaidoiries du 14 juin 2019, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

o. Le 11 août 2020, B______ AG a modifié sa raison sociale en A______ SA.


EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, au dernier état des conclusions, la réduction de loyer sollicitée par l'intimée représentait la somme de 18'427 fr. 50 (1'755 fr. x 50% x 21 mois). Sans même tenir compte des autres conclusions de l'intimée, la valeur litigieuse est ainsi supérieure à 10'000 fr, de telle sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.3 L'appelante a produit les courriers qu'elle a adressés au Ministère public les 10 et 15 avril 2019 et fait valoir de nouveaux faits, à savoir qu'elle a déposé d'autres plaintes que celle adressée au Ministère public le 22 décembre 2017.

1.3.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

1.3.2 En l'espèce, les pièces produites et faits nouveaux allégués devant la Cour sont antérieurs à la date à laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger, sans que l'appelante n'explique pour quelle(s) raison(s) elle n'aurait pas pu les produire ou les alléguer dans ses écritures du 14 juin 2019. Ils sont, partant, irrecevables.

1.4 L'intimée ayant changé de raison sociale le 11 août 2020, la désignation de celle-ci sera préalablement rectifiée en ce sens.

2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir considéréqu'elle n'aurait rien entrepris pour supprimer les nuisances liées à l'activité de prostitution exercée dans l'immeuble concerné et réparer les portes d'entrée et le digicode de l'immeuble entre le 16 septembre 2017 et le 31 mars 2019. S'agissant de l'aspect pénal, dès qu'elle avait appris que l'appartement était occupé illégalement, elle avait immédiatement déposé une plainte pénale. S'agissant de l'aspect civil, elle ne pouvait entreprendre aucune action judiciaire, dans la mesure où elle ne connaissait pas l'identité des squatteurs. En ce qui concernait les portes d'entrée et le digicode de l'immeuble, le Tribunal ne s'était fondé que sur les propos de l'intimée pour déterminer qu'elles n'avaient pas fonctionné entre le 16 septembre 2017 et le 31 mars 2019, à l'exclusion de toute pièce. Quoi qu'il en soit, il n'avait pas été démontré que les portes d'entrée et le digicode avaient été régulièrement vandalisés.

2.1 Le bailleur est tenu de délivrer la chose dans un état approprié à l'usage pour lequel elle a été louée (art. 256 al. 1 CO).

2.1.1 Le législateur ne définit pas la notion de défaut, qui relève du droit fédéral. Celle-ci doit être reliée à l'obligation de délivrer la chose louée dans un état approprié à l'usage auquel elle est destinée (art. 256 al. 1 CO). En d'autres termes, il y a défaut lorsque l'état de la chose diverge de ce qu'il devrait être selon l'art. 256 CO, c'est-à-dire lorsque la chose ne présente pas une qualité que le bailleur avait promise, ou sur laquelle le locataire pouvait légitimement compter en se référant à l'état approprié à l'usage convenu (ATF 136 III 186 consid. 3.1.1; 135 III 345 consid. 3.2).

Le défaut de la chose louée est une notion relative; son existence dépend des circonstances du cas concret; il convient de prendre en compte notamment la destination de l'objet loué, l'âge et le type de la construction, ainsi que le montant du loyer (ATF 135 III 345 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_582/2012 du 28 juin 2013 consid. 3.2). Pour déterminer si la chose louée n'est pas dans un état approprié à l'usage convenu, il convient de prendre en compte également des éléments subjectifs liés à la personne du locataire, cela à la condition que le bailleur en ait eu connaissance lors de la conclusion du contrat. Par exemple, lorsqu'un logement est loué à une personne handicapée, on peut, selon les circonstances, en déduire qu'il doit être accessible aux chaises roulantes (Lachat/Rubli, Le bail à loyer, Lausanne, 2019, p. 259 et 260).

2.1.2 Les menus défauts sont à la charge du locataire (art. 259 CO). Les défauts de moyenne importance et les défauts graves ouvrent au locataire les droits prévus à l'art. 259a CO.

Selon l'art. 259a al. 1 CO, lorsqu'apparaissent des défauts de la chose qui ne sont pas imputables au locataire et auxquels il n'est pas tenu de remédier à ses frais ou lorsque le locataire est empêché d'user de la chose conformément au contrat, il peut exiger du bailleur la remise en état de la chose (let. a), une réduction proportionnelle du loyer (let. b), des dommages-intérêts (let. c) et la prise en charge du procès contre un tiers (let. d). Le locataire d'un immeuble peut en outre consigner le loyer (art. 259a al. 2 CO).

Un défaut doit être qualifié de moyenne importance lorsqu'il restreint l'usage pour lequel la chose a été louée sans l'exclure ou le restreindre complétement. L'usage de la chose louée demeure possible et peut être exigé du locataire. Celui-ci ne subit, en règle générale, qu'une diminution du confort. Il s'agit d'une catégorie "tampon" : est considéré comme défaut moyen tout défaut qui ne peut être rangé ni dans les menus défauts, ni dans les défauts graves en fonction des circonstances du cas concret (Lachat/Rubli, op. cit., p. 273 et 274; Aubert, Droit du bail à loyer et à ferme, 2ème éd. 2017, n. 41 ad art. 258 CO).

Le défaut est grave lorsqu'il exclut ou entrave considérablement l'usage pour lequel la chose a été louée. Tel est notamment le cas lorsque le défaut met en danger des intérêts vitaux, notamment la santé du locataire et de sa famille. Il en va de même lorsque le locataire ne peut pas faire usage de pièces importantes (cuisine, salon, chambre à coucher, salle de bains) pendant un certain temps. S'agissant de baux immobiliers, un défaut grave existe si les locaux, biens qu'utilisables, le sont uniquement au prix d'inconvénients inadmissibles pour le locataire (Lachat/Rubli, op. cit., p. 272; Aubert, op. cit., n. 40 ad art. 258 CO).

Le fardeau de la preuve de l'existence du défaut, de l'avis du défaut et de la diminution de l'usage de l'objet loué appartient au locataire (art. 8 CC).

2.1.3 Lorsqu'un défaut entrave ou restreint l'usage pour lequel la chose a été louée, le locataire peut exiger du bailleur une réduction proportionnelle du loyer à partir du moment où le bailleur a eu connaissance du défaut et jusqu'à l'élimination de ce dernier (art. 259a al. 1 let. b et 259d CO).

La réduction de loyer que peut exiger le locataire en application de l'art. 259d CO se détermine par rapport à la valeur de l'objet sans défaut (ATF 135 III 345 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_130/2018 du 26 juillet 2018 consid. 4). Elle vise à rétablir l'équilibre des prestations entre les parties (ATF 126 III 388 consid. 11c).

En principe, il convient de procéder selon la méthode dite relative ou proportionnelle, telle qu'elle est pratiquée dans le contrat de vente : la valeur objective de la chose avec défaut est comparée à sa valeur objective sans défaut, le loyer étant ensuite réduit dans la même proportion. Cependant, le calcul proportionnel n'est pas toujours aisé. Il est alors admis qu'une appréciation en équité, par référence à l'expérience générale de la vie, au bon sens et à la casuistique, n'est pas contraire au droit fédéral (ATF 130 III 504 consid. 4.1). La réduction porte sur le seul loyer mais n'affecte pas les frais accessoires (Lachat/Rubli, op. cit., p. 316; Aubert, op. cit., n. 18 ad art. 259d CO). Il est possible de considérer plusieurs défauts dans leur ensemble (arrêt du Tribunal fédéral 4A_565/2009 du 21 janvier 2010 consid. 3.3 ss).

Le juge doit apprécier objectivement la mesure dans laquelle l'usage convenu se trouve limité, en tenant compte des particularités de chaque espèce, au nombre desquelles la destination des locaux joue un rôle important. Il ne s'agit pas de circonstances subjectives propres à un locataire, mais bien de l'usage prévu contractuellement dans le cas d'espèce (Aubert, op. cit., n. 21 ad art. 259d CO).

En ce qui concerne la casuistique, une réduction de loyer de 25% a été accordée en raison de deux voisins bruyants, lesquels salissaient également les parties communes de l'immeuble (CJ GE, DB 2000 n. 9).

Une réduction de loyer de 20% a été octroyée à un locataire dont le sommeil était perturbé par le bruit provenant de son voisin (arrêt du Tribunal fédéral 4C_65/2002 du 31 mai 2002 consid. 3c). Une réduction de même quotité a été fixée s'agissant de troubles dans l'usage d'un appartement dus au bruit d'une boucherie (CJ GE arrêt du 12 novembre 1984 X. c/ P.).

Une réduction de 15% a été consentie à un locataire subissant des nuisances causées par les locataires du logement contigu (ACJC/111/1990 du 10 septembre 1990 X. c/ S.). Un tel pourcentage a également été accordé à un locataire souffrant de nuisances sonores (vibrations) provenant du système de ventilation d'un restaurant (ACJC/624/2006 du 12 juin 2006 S. c/ H.).

Les nuisances sonores (discussions, interjections, cris et altercations) provenant, le week-end et essentiellement en été, de personnes sortant de la discothèque d'un immeuble d'habitation ont justifié une réduction de loyer moyenne (sur toute l'année) de 15% (ACJC/722/2008 du 16 juin 2008). Enfin, des bruits perceptibles dans la chambre à coucher, attribués à la chaufferie, et troublant le sommeil du locataire ont donné lieu à une réduction de 15% (arrêt du Tribunal fédéral 4C_65/2002 du 31 mai 2002 consid. 3).

2.2 En l'espèce,l'instruction a permis d'établir que des activités de prostitution se déroulent dans l'immeuble dans lequel se situent les locaux loués et que ces activités engendrent, particulièrement durant la nuit, des nuisances sonores persistantes et quotidiennes. Ainsi, la chose, qui ne présente en l'occurrence pas la qualité que l'appelante avait promise à l'intimée, ou à tout le moins celle sur laquelle l'intimée pouvait légitimement compter en se référant à l'état approprié à l'usage convenu, à savoir la tranquillité dans un immeuble d'habitation, est affectée d'un défaut. Or, aucune faute n'étant imputable à l'intimée (ce que l'appelante ne plaide d'ailleurs à juste titre pas), la réparation du défaut incombe à l'appelante. Peu importe à cet égard que l'appelante ait été ou non «désinvolte», comme l'indiquent les premiers juges, la notion de faute de la bailleresse n'entrant pas en considération pour déterminer si la chose est - ou non - affectée d'un défaut. Par ailleurs et si tant est qu'il soit considéré que l'appelante ne le plaide, le défaut n'est pas irréparable, la bailleresse pouvant, par exemple, solliciter, de la Brigade des moeurs, l'identité de la personne responsable du salon ou à tout le moins l'intervention de cette brigade pour que l'activité se déroule sans que la tranquillité des habitants de l'immeuble ne soit affectée. Le jugement querellé, en tant qu'il ordonne à l'appelante de remédier aux nuisances liées à l'activité de prostitution exercée dans l'immeuble, n'est donc pas critiquable et son chiffre 1 sera confirmé.

En ce qui concerne la quotité de réduction de loyer de 45%, elle n'est pas critiquée par l'appelante. Le chiffre 2 du jugement entrepris sera donc confirmé.

Pour le surplus, la réduction de loyer de 5% supplémentaire octroyée par les premiers juges en raison du dysfonctionnement de la fermeture des portes n'apparaît pas critiquable sur le principe, dès lors que tant l'intimée que le concierge ont confirmé ledit dysfonctionnement. En revanche, dans la mesure où le concierge a déclaré que les portes avaient parfaitement fonctionné dès le mois de décembre 2018, le chiffre 3 du jugement querellé sera annulé et la réduction de loyer octroyée du 16 septembre 2017 au 30 novembre 2018, l'intimée n'ayant pas démontré que le défaut a perduré au-delà de cette date.

3. 3.1 S'agissant de la libération des loyers consignés, l'art. 259g CO prévoit que le locataire d'un immeuble qui exige la réparation d'un défaut peut consigner son loyer, moyennant qu'il fixe préalablement un délai raisonnable au bailleur pour remédier au défaut, et qu'il l'avise de son intention de procéder à la consignation de ses loyers à échoir si sa mise en demeure ne devait pas être suivie d'effet.

3.2 En l'occurrence, la chose est affectée de plusieurs défauts connus de l'appelante. En outre, l'intimée a imparti à cette dernière un délai raisonnable afin de remédier à ces défauts, démarche s'étant révélée infructueuse. L'intimée a par ailleurs menacé l'appelante de consigner par écrit son loyer. Les conditions de la consignation étant ainsi réalisées, les chiffres 4 et 5 du dispositif du jugement entrepris seront confirmés.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6). L'appelante sera déboutée en conséquence de ses conclusions sur ce point.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 29 janvier 2020 par B______ AG contre le jugement JTBL/1251/2019 rendu le 19 décembre 2019 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/17529/2018.

Déclare irrecevables les faits et moyens de preuve allégués et produits à l'appui de l'appel.

Préalablement :

Rectifie la qualité de B______ AG en A______ SA.

Au fond :

Annule le chiffre 3 du jugement entrepris.

Cela fait :

Réduit le loyer de l'appartement concerné de 5% supplémentaires, du 16 septembre 2017 au 30 novembre 2018.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur
Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
(LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.