A/3644/2007

DCSO/529/2007 du 08.11.2007 ( PLAINT ) , REJETE

Descripteurs : Commandement de payer. Abus de droit.
Normes : CC.2; LP.67; LP.71
Résumé : En l'espèce, des circonstances exceptionnelles permettant de conclure à l'existence d'une poursuite abusive ne sont pas établies.
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En fait
En droit

 

DÉCISION

DE LA COMMISSION DE SURVEILLANCE

DES OFFICES DES POURSUITES ET DES FAILLITES

SIÉGEANT EN SECTION

DU JEUDI 8 NOVEMBRE 2007

Cause A/3644/2007, plainte 17 LP formée le 25 septembre 2007 par M. H______.

 

Décision communiquée à :

- M. H______

- Mme H______

- Office des poursuites


EN FAIT

A. En date du 22 juillet 2007, Mme H______, Y, chemin H______, à Genève, a requis une poursuite à l’encontre de M. H______, Y, rue G______, à Genève, en paiement de la somme de 3'500'000 fr. avec intérêts à 5% l’an dès le 1er janvier 1994 au titre d’un « détournement de salaires au sein de sociétés telles que C______ SA ».

Sur la base de la réquisition de poursuite déposée par Mme H______, l’Office des poursuites (ci-après : l’Office) a notifié à M. H______ un commandement de payer, poursuite n° 07 xxxx62 J, en date du 24 septembre 2007.

M. H______ a formé opposition audit commandement de payer.

B. Par acte du 25 septembre 2007, M. H______ a porté plainte devant la Commission de céans contre le commandement de payer précité. Il en demande l’annulation « au motif qu’il est abusif et sans fondement juridique ou économique ». Il demande également que Mme H______ soit invitée à « justifier sa prétendue créance en fournissant les moyens de preuve conformément à l’art. 73 alinéa 1 LP ».

M. H______ a réservé une copie de sa plainte à l’Office.

Déférant à l’injonction de la Commission de céans, M. H______ a produit, à l’appui de sa plainte, une copie du commandement de payer qu’il conteste.

C. Par pli recommandé du 2 octobre 2007, l’Office a sommé Mme H______ de déposer, par retour de courrier, les moyens de preuve afférents à sa créance.

D. Dans ses observations, Mme H______ a indiqué que la créance en poursuite concernait des salaires qui ne lui ont pas été versés, « mais retirés [par M. H______] des comptes des sociétés, copropriétés du couple ». Elle a encore exposé que pendant plusieurs années, lesdits salaires avaient été déclarés mais ne lui avaient jamais été payés. Il en irait de même des heures supplémentaires et des vacances.

Mme H______ a joint à ses observations les pièces pertinentes suivantes :

une copie d’un procès-verbal d’une audience tenue devant le juge d’instruction le 24 mars 2006 dans le cadre de la procédure pénale n° P/16437/2004, dans laquelle Mme H______ est partie civile et au cours de laquelle M. H______ a été inculpé d’escroquerie (art. 146 CP), de gestion déloyale (art. 158 CP), de diminution effective de l’actif au préjudice des créanciers (art. 164 CP), de gestion fautive (art. 165 CP), de détournement de valeurs patrimoniales mises sous main de justice (art. 169 CP) et d’infraction à l’art. 61 de la loi sur les marques avec l’aggravante du métier, « pour avoir, alors que tous les pouvoirs [lui] avaient été retirés en mars 2000 s’agissant de la société H______ SA (ci-après : la société), continué [son] activité comme [s’il] disposait encore de pouvoirs et encaissé sur [son] propre compte bancaire au Crédit Suisse le produit des factures de la société, étant précisé que la faillite de la société a été prononcée le 29 janvier 2002, pour [s’] être servi du nom, de la renommée et du papier à en-tête de la société pour continuer l’activité de ce dernier, en réalisant ainsi d’importants revenus qui auraient dû revenir à la société, pour avoir continué à utiliser le nom, la clientèle et la renommée de la société sans en avertir les administrateurs, les actionnaires et par la suite les chargés de la liquidation pour en retirer un bénéfice important [qu’il n’a] pas reversé à la société, pour n’avoir jamais cessé de fabriquer ni de vendre les produits de la société au nom même de celui-ci, comme cela ressort notamment des pièces comptables établies par [lui-même] pour la Régie Fédérale des Alcools (pièces 72 et 74), pour avoir, alors [qu’il] ne disposai[t] plus de pouvoirs dans la société, continué à fabriquer, à distribuer et à vendre les produits de l’entreprise en faillite de manière non autorisée et illicite et pour avoir encaissé [lui-même] le produit des ventes, pour avoir repris, sans droit, la licence de la société en indiquant faussement sur la demande de licence dans les remarques "changement de la raison sociale de la société client 17xxx" (pièce 75), en évitant ainsi les contrôles de la Régie Fédérale des Alcools s’agissant des nouvelles licences, étant précisé que cette licence est un actif de la société, et en reprenant à [son] seul profit des marques qui étaient encore protégées en faveur de la société, pour avoir continué, sans. droit, à agir pour le compte de la société, notamment auprès de B______ SA, société s’occupant de la protection des marques, en ne l’informant jamais de la fin de [ses] pouvoirs, pour n’avoir jamais transmis à Mme H______, liquidatrice de la société, ni à l’Office des poursuites de Zoug, les informations [qu’il] recevai[t] de B______ SA et de l’Institut P______ à Berne concernant l’échéance des marques et leur délai de renouvellement, préférant laisser passer les délais pour pouvoir les inscrire par la suite à [son] nom, pour avoir porté délibérément atteinte aux créanciers et à l’autre actionnaire de la société en omettant volontairement d’informer l’Office des poursuites de Zoug de l’échéance des marques de manière à pouvoir [se] les approprier, pour avoir repris astucieusement des marques appartenant à la société et les avoir utilisées pour la Pharmacie H______ Sàrl et avoir ainsi usurpé ces marques durant plusieurs années ».

une copie d’un procès-verbal d’une audience tenue devant le juge d’instruction le 2 mai 2006 dans le cadre de la procédure pénale n° P/16437/2004 et au cours de laquelle M. H______ a été inculpé à titre complémentaire d’escroquerie (art. 146 CP), de faux dans les titres (art. 251 CP) et d’usure (art. 157 CP), « pour n’avoir pas versé de salaires à Mme H______ pour son activité au sein de la société H______ [entreprise Dr. H______ SA] et pour d’autres sociétés pour les années 1995 à 2002, tout en établissant de faux certificats de salaires et en déclarant qu’un salaire avait été versé dans les déclarations d’impôts, étant précisé notamment qu'un montant de CHF 831'955,95 a été porté à l’état de collocation de la société relativement à ces salaires non versés et que le CIAM a retiré sa production de CHF 47'895.05 qui concernait les salaires de Mme H______ auprès de l’Office des faillites de Zoug concernant la faillite de la société H______ ».

une copie d’une lettre intitulée « contrat de travail » adressée le 17 mars 1999 par la société C______ AG à Zoug à Mme H______, confirmant son engagement en qualité de consultant au salaire mensuel net de 15'000 fr. dès le 30 avril 1999 ;

une copie d’une lettre intitulée « contrat de travail » adressée le 17 mars 1999 par la Pharmacie B______ SA à Mme H______, confirmant son engagement en qualité de consultant au salaire mensuel net de 10'000 fr. dès le 30 avril 1999 ;

une copie d’une lettre intitulée « contrat de travail » adressée le 17 mars 1999 par la société H______ SA à Mme H______, confirmant son engagement en qualité de consultant au salaire mensuel net de 10'000 fr. dès le 30 avril 1999 ;

une copie d’un contrat conclu le 11 septembre 1998 entre Mme et M. H______, par lequel M. H______ s’est engagé « à verser au débit de la Pharmacie B______ SA et/ou de la société H______ SA au minimum la somme de Fr. 35'000.- à Mme H______ sans demander de contrepartie dès fin octobre 1998 (argent de poche) », étant précisé que « cette prestation sera revue à la hausse en fonction de la croissance des sociétés » et que M. H______ « ne prendr[a] plus à [sa] charge aucune dépense privée de Mme H______ (cartes de crédit, boutiques, bijoux…) », mais « prendr[a] à sa charge les intérêts de la villa de Corsier et de l’appartement Y, rue M______, les dépenses médicales (…) [et] les dépenses concernant les enfants » ; et

une copie d’un courrier partiellement caviardé adressé le 7 octobre 1998 par F______ SA à M. H______, aux termes duquel il est notamment indiqué qu’« en ce qui concerne le salaire de Madame, il a été décidé de ne pas lui en octroyer, ceci comme pour l’exercice 1995 (…) ».

Mme H______ a également produit lesdites pièces à l’Office en réponse à la sommation qui lui avait été adressée le 2 octobre 2007. L’Office a transmis copie de ces pièces à M. H______ par pli du 11 octobre 2007.

Par courrier du 24 octobre 2007, M. H______ a indiqué à l’Office qu’au vu des pièces produites, il persistait à considérer la poursuite comme manifestement infondée et à en demander l’annulation pour cause d’abus de droit. L’Office a répondu à M. H______ en date du 26 octobre 2007, indiquant qu’il n’était « pas apte à rayer la poursuite » et l’invitant à « déposer une demande d’annulation de poursuite au Tribunal de 1ère instance de Genève, pour poursuite abusive ». L’Office a ultérieurement invité M. H______ à ne pas tenir compte de son courrier du 26 octobre 2007.

E. Dans son rapport, l’Office expose en détail l’état de la jurisprudence relative aux poursuites abusives. S’appuyant sur cette jurisprudence, il est d’avis qu’il ne saurait être question d’annuler la poursuite considérée pour cause d’abus de droit, dans la mesure notamment où de nombreuses procédures civiles et pénales complexes, portant sur des montants importants, semblent avoir opposé Mme et M. H______. L’Office conclut au rejet de la plainte.

F. Répondant à l’interpellation de la Commission de céans, M. H______ a indiqué, par courrier du 30 octobre 2007 posté le 1er novembre 2007, qu’aucune décision judiciaire n’avait encore été rendue dans le cadre de la procédure pénale n° P/16437/2004.

Il a joint à son envoi un courrier que son avocate a adressé le 18 octobre 2007 au juge d’instruction, priant notamment ce dernier de prendre une décision au sujet de (i) la qualité de partie civile de la masse en faillite de la société H______ SA, d’A______ SA et de Mme H______ à raison des faits ayant donné lieu à inculpation le 24 mars 2006, (ii) la levée des séquestres pénaux frappant les comptes de M. H______ et de sa mère S. H______, et (iii) la restitution de divers produits homéopathiques et vitamines Natur’s Plus saisis à tort en février 2007. Ledit courrier indique encore qu’une procédure civile en liquidation des relations patrimoniales ayant prévalu entre les époux mariés sous le régime de la séparation de biens est toujours pendante devant le Tribunal de première instance et que, dans ce contexte, M. H______ s’est d’ores et déjà vu allouer sur jugement partiel des sommes d’argent et vu reconnaître des droits se chiffrant à plusieurs millions à l’encontre de Mme H______.


EN DROIT

1. La présente plainte a été formée en temps utile auprès de l’autorité compétente contre une mesure sujette à plainte par une personne ayant qualité pour agir par cette voie (art. 17 LP ; art. 10 al. 1 et 13 LaLP ; art. 56R al. 3 LOJ).

Elle est donc recevable.

2.a. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (cf. notamment ATF 7B.36/2006 du 16 mai 2006 consid. 2.1 ; 7B.45/2006 du 28 juillet 2006 consid. 3.1 ; 7B.219/2006 et 7B.220/2006 du 16 avril 2007 consid. 4.2 et les arrêts cités), la procédure de plainte de l’art. 17 LP ne permet pas d’obtenir, en invoquant l’art. 2 CC, l’annulation de la procédure de poursuite dans la mesure où le grief d’abus de droit est invoqué à l’encontre de la prétention litigieuse ; la décision sur ce point est réservée au juge ordinaire (ATF 113 III 2, JdT 1989 II 120). La nullité d’une poursuite pour abus de droit peut toutefois être admise dans des cas exceptionnels : ainsi, lorsqu’il est manifeste que le créancier agit dans un but sans le moindre rapport avec la procédure de poursuite, en particulier pour délibérément tourmenter le poursuivi (ATF 115 III 18 ss, JdT 1991 II 76). Il en va également ainsi du créancier qui procède de manière générale par voie de poursuite contre une personne dans la seule intention de ruiner sa bonne réputation et du poursuivant qui admet devant l’office ou le poursuivi lui-même qu’il n’agit pas envers le débiteur effectif (même arrêt).

2.b. En l’espèce, des circonstances exceptionnelles permettant de conclure à l’existence d’une poursuite abusive ne sont pas établies.

Il apparaît en effet qu’une procédure pénale au cours de laquelle le plaignant a été inculpé d’escroquerie, de faux dans les titres et d’usure pour n’avoir pas versé de salaires à Mme H______ pour son activité au sein de la société H______ SA et pour d’autres sociétés pour les années 1995 à 2002 est en cours d’instruction. La créancière produit en outre copie de trois contrats de travail d’où il ressort que les sociétés C______ AG, Pharmacie B______ SA et société H______ SA s’étaient engagées à lui verser un salaire. Il n’est donc pas possible, dans ces conditions, de considérer que la créancière, partie civile dans la procédure pénale précitée, agit dans un but totalement étranger au droit des poursuites. S’il est vrai que le montant qu’elle réclame par le biais de la poursuite considérée est nettement supérieur à celui produit dans la faillite de la société H______ SA, cela ne suffit pas pour que la poursuite considérée puisse être annulée par le biais de la présente plainte. Il n’appartient effectivement pas à l’autorité de surveillance de décider si une prétention est exigée à bon droit ou non. La plainte ne peut donc jamais aboutir à un jugement sur le fond du droit qui fait l’objet de l’exécution forcée, un tel jugement relevant exclusivement du juge ordinaire (Pierre-Robert Gilliéron, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 4ème éd., p. 43).

Saisi d’une réquisition de poursuite formée dans ce contexte et répondant aux exigences de l’art. 67 LP, l’Office était tenu d’y donner suite par la notification du commandement de payer (art. 71 al. 1 LP), sans avoir à se soucier de la réalité de la créance indiquée dans la réquisition de poursuite (ATF 7B.36/2006 du 16 mai 2006 consid. 2.2. citant Pierre-Robert Gilliéron, Commentaire, n° 16 ad art. 67 LP et Kurt Amonn / Fridolin Walther, Grundriss des Schuldbetreibungs- und Konkursrechts, 7ème éd., Berne 2003, § 17 n° 1).

2.c. Compte tenu de ce qui précède, la plainte sera rejetée.

3. Il sera rappelé que lorsque la poursuite demeure au stade de l’opposition sans que le créancier ouvre action en reconnaissance de dette ou requière la mainlevée de l’opposition, la jurisprudence du Tribunal fédéral reconnaît au débiteur indûment poursuivi, à certaines conditions, la faculté d’ouvrir action pour faire constater l’inexistence de la dette et obtenir la radiation de la poursuite (ATF 128 III 334, JdT 2002 II 76 et les arrêts cités).

Il y a donc lieu de renvoyer le plaignant, s’il l’estime opportun, à agir à cet effet devant le tribunal civil compétent.

4. Il est statué sans frais (art. 20a al. 2 ch. 5 LP ; art. 61 al. 2 let. a OELP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,

LA COMMISSION DE SURVEILLANCE

SIÉGEANT EN SECTION :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 25 septembre 2007 par M. H______ contre la poursuite n° 07 xxxx62 J.

Au fond :

1. La rejette.

2. Déboute les parties de toutes autres conclusions.

 

Siégeant : M. Grégory BOVEY, président ; Mme Florence CASTELLA et M. Philipp GANZONI, juges assesseur(e)s.

Au nom de la Commission de surveillance :

 

Marisa BATISTA Grégory BOVEY

Greffière : Président :

 

 

 

 

 

La présente décision est communiquée par courrier A à l’Office concerné et par courrier recommandé aux autres parties par la greffière le