A/1287/1998

ATAS/462/2005 du 24.05.2005 ( AVS ) , ADMIS

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En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1287/1998 ATAS/462/2005

ARRET

DU TRIBUNAL CANTONAL DES

ASSURANCES SOCIALES

1ère chambre

du 24 mai 2005

En la cause

CAISSE INTERPROFESSIONNELLE AVS DE LA FEDERATION DES ENTREPRISES ROMANDES

(FER-CIAM), sise rue de Saint-Jean 98 à Genève

demanderesse

contre

Monsieur G__________,

défendeur

ex-administrateur de la société X__________G__________ SA (faillie)


EN FAIT

La société X__________G__________ SA ayant pour but la mise à disposition de personnel temporaire et stable dans le domaine de la construction et dans l’industrie a été créée à Genève en 1985. Elle employait entre vingt et cent salariés par mois.

Des difficultés financières ont commencé à surgir dès l’automne 1990, à telle enseigne que la société a été contrainte de demander à la Caisse interprofessionnelle AVS de la fédération des entreprises romandes (ci-après la Caisse), auprès de laquelle elle était affiliée, des arrangements de paiement pour les cotisations paritaires AVS-AI.

La faillite de la société a été prononcée le 27 juin 1997. Elle a été suspendue par constatation de défauts d’actifs le 30 septembre 1997. De l’état de collocation déposé le 28 janvier 1998, il résulte qu’aucun dividende n’est prévu pour les créanciers de troisième classe. Des actes de défaut de biens avaient du reste été délivrés à la Caisse par l’Office des poursuites le 21 novembre 1997.

Par décision du 24 mars 1998, la Caisse a réclamé à Monsieur G__________, administrateur unique inscrit au registre du commerce du mois d’août 1989 au 27 juin 1997, date de la faillite, le remboursement de la somme de 302'606 fr. à titre de réparation du dommage subi en raison du non paiement du solde des cotisations paritaires AVS-AI dû pour les années 1989 à 1992, ainsi que pour les mois de mai à novembre 1995, d’avril à décembre 1996 et mai 1997.

La Caisse a notifié une même décision en réparation du dommage à Monsieur G__________, qu’elle a considéré comme organe de fait, le 28 octobre 1998. Monsieur Claude G__________, représenté par Maître Serge MILANI, a formé opposition le 26 novembre 1998. Le 23 décembre 1998, la Caisse a saisi la Commission cantonale de recours AVS-AI, alors compétente, d’une demande visant à la levée de ladite opposition. Par jugement du 15 novembre 2001, la Commission cantonale de recours a déclaré irrecevable la demande de la Caisse pour cause de péremption de l’action en réparation du dommage. Ce jugement n’a pas été contesté et est entré en force de chose jugée.

Monsieur Roland G__________, représenté par Maître François CANONICA, a formé opposition le 20 avril 1998. Il souligne qu’à la suite des importants problèmes financiers subis dès 1992 dus à la crise dans le bâtiment, un plan d’assainissement avait été mis en place, de sorte que, entre le 1er janvier 1995 et le 30 juin 1997, la société s’était acquittée de 399'500 fr. de cotisations. Il allègue avoir également entrepris des démarches afin de trouver un éventuel acquéreur de la société. La société Y__________ s’était alors proposée d’acquérir la société en juillet 1996. Les négociations avaient cependant échoué en septembre 1996. Il a enfin rappelé qu’il avait pris contact avec Madame E__________ de la Caisse le 28 octobre 1996 afin de discuter d’une solution quant au problème des charges sociales restant dues. Il avait pris la décision de supprimer l’agence de Nyon et avait mis fin à son propre contrat de travail dès le mois de janvier 1997. Parallèlement, il avait pu obtenir du Crédit Suisse l’augmentation de la ligne de crédit afin de permettre le paiement de tous les salaires jusqu’à fin juin 1997, date à laquelle la société avait été déclarée en faillite.

La Caisse a déposé le 20 mai 1998 une demande visant à la levée de l’opposition formée par le défendeur. Elle relève qu’au moment ou la société sollicitait divers arrangements de paiement, le défendeur recevait des gratifications importantes (cf. pièces 11, 16 et 31 chargé Caisse). Celui-ci s’était au surplus lancé dans des affaires immobilières en dehors de la société et avait ainsi perdu de grosses sommes d’argent. Il ressort du bilan intermédiaire arrêté au 31 août 1996 que la société était déjà en état de surendettement

Invité à se déterminer, le défendeur reprend les arguments déjà invoqués dans son opposition (cf. écritures du 25 juin 1998).

La cause a été transférée d’office au Tribunal de céans le 1er août 2003.

Le conseil du défendeur a informé le Tribunal de céans qu’il avait cessé d’occuper le 24 juin 2004.

Convoqué par le Tribunal, Monsieur L__________, comptable, a fait savoir qu’il était domicilié à Florac en Lozère (cf. courrier du 22 juin 2004).

Interrogé par écrit, il a répondu le 30 juillet 2004 comme suit :

« J’ai été engagé chez Starservices Roland Girod SA en mars 1990 en qualité de « conseiller en personnel chargé de l’industrie ». Jusqu’en 1996 je n’avais jamais eu accès aux bilans de la société et seul le chiffre d’affaire que je réalisais m’importait. Il y avait une secrétaire-comptable chargée des salaires du personnel temporaire et qui préparait régulièrement les ordres de paiements à l’attention de Monsieur G__________. La comptabilité générale était tenue par une fiduciaire.

Ce n’est que lorsque la fiduciaire qui tenait la comptabilité s’est trouvée en grosse difficulté et que Monsieur G__________ a dû en catastrophe en trouver une nouvelle, alors que le secteur du travail temporaire subissait la crise de plein fouet, que l’idée de faire une partie du travail à l’interne lui est venue et ce surtout pour des raisons d’économie.

Je n’ai jamais eu connaissance de l’importance des investissements « immobiliers » de Monsieur G__________ ; jamais ils ne sont apparus dans les comptes de Starservices.

J’ignore tout des prélèvements effectués par Monsieur G__________ avant 1996.

Les seuls prélèvements entre 1996 et 1997 de Monsieur G__________ dont j’ai eu connaissance étaient nettement trop faibles pour entraîner la déconfiture de la société.

Je pense que la déconfiture de la société est surtout due à la confiance aveugle que Monsieur G__________ avait dans sa fiduciaire qui depuis de nombreux mois ne faisait plus vraiment son travail et qu’il a pris conscience trop tard de la gravité de la situation. Quand nous avons avec la nouvelle fiduciaire constaté les dégâts et informé Monsieur G__________ de la situation réelle de la société, ce dernier a immédiatement réagi et pris des mesures d’économie draconiennes ; fermeture des agences de Nyon et Lausanne, diminution du personnel de siège de Genève, allant jusqu’à renoncer à son salaire pendant plusieurs mois. Il a tout mis en œuvre pour sauver [éviter] la faillite et il n’était pas loin d’y parvenir après avoir fait le tour des principaux créanciers. Monsieur G__________ a même été en contact pendant de longs mois avec un acheteur potentiel, opération qui a échoué à bout touchant.

Pour pouvoir répondre à cette question (NB ; peut-on dire que la société était surendettée avant août 1996 ?), il aurait fallu que la fiduciaire de Monsieur G__________ fasse son travail très régulièrement ce qui n’était pas le cas. Il est fort possible que l’endettement ait été masqué par le fait que tant que les affaires étaient florissantes, l’argent circulait bien et Monsieur G__________ ne rencontrait pas trop de problèmes de liquidités. Ce n’est qu’une fois que les affaires ont été plus difficiles, que l’argent circulait de plus en plus mal, que la réalité de la situation est apparue » (cf. courrier du 30 juillet 2004).

13. Les observations de Monsieur L__________ ont été communiquées aux parties. Le défendeur n’a pas souhaité se déterminer.

14. Entendu par le Tribunal de police dans le cadre de la plainte pénale déposée par la Caisse le 16 octobre 1997 contre le défendeur, Monsieur L__________ avait déclaré que :

« J’ai constaté que depuis 1991 la société rencontrait des difficultés dues à la conjoncture. Monsieur G__________ a pris des mesures draconiennes pour sauver la société. Après 1994, nous avons eu un contrôle de la CNA et de la CIAM. Il s’est avéré qu’en 1989 le salaire interne des employés n’avait pas été déclaré. Ce qui a fait qu’un redressement de 70'000 fr. a été fait par la CIAM. Il s’agissait d’un problème informatique dans lequel n’avait été enregistré que le personnel temporaire et non le personnel stable. Dans notre secteur 80% des charges est représenté par les salaires et ce qui en découle. La priorité était toujours le salaire direct de nos collaborateurs temporaires jusqu’au 30 juin 1997. Monsieur G__________ était très présent pour trouver des solutions possibles afin de sauver la société. Il n’a plus touché de salaire depuis janvier 1997 ».

Par jugement du 31 octobre 1997, le Tribunal de police a considéré qu’en continuant à exploiter un commerce d’une façon qui n’était plus viable et en faisant le choix d’affecter les fonds disponibles à d’autres fins, en sachant pertinemment, ou devant savoir, que les charges sociales ne pourraient être acquittées dans les délais prescrits, G__________ s’est rendu coupable d’infraction aux art. 87 al. 3 LAVS et 26 let. b LAF. Il a ainsi condamné le défendeur à la peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis.

15. Le Tribunal de céans a ordonné une comparution personnelle des parties pour le 22 mars 2005, puis pour le 26 avril 2005.

16. Le défendeur est venu au greffe du Tribunal consulter le dossier en date du 1er avril 2005. Il ne s’est en revanche ni présenté ni excusé le jour de l’audience.

17. Sur quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

La loi genevoise sur l’organisation judiciaire (LOJ) a été modifiée et a institué, dès le 1er août 2003, un Tribunal cantonal des assurances sociales, composé de 5 juges, dont un président et un vice-président, 5 suppléants et 16 juges assesseurs (art. 1 let. r et 56 T LOJ).

Suite à l’annulation de l’élection des 16 juges assesseurs, par le Tribunal fédéral le 27 janvier 2004 (ATF 130 I 106), le Grand Conseil genevois a adopté, le 13 février, une disposition transitoire urgente permettant au Tribunal cantonal des assurances sociales de siéger sans assesseurs à trois juges titulaires, ce, dans l’attente de l’élection de nouveaux juges assesseurs.

Conformément à l'art. 56 V al. 1 let. a ch.1 LOJ, le Tribunal cantonal des assurances sociales connaît en instance unique des contestations prévues à l’article 56 LPGA qui sont relatives à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946. Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003 entraînant la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l’AVS-AI. Le cas d’espèce reste toutefois régi par les dispositions en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002, eu égard au principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 127 V 467, consid. 1 ; 121 V 366).

3. Aux termes de l'article 82, alinéa 1 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants RAVS), le droit de demander la réparation d'un dommage se prescrit lorsque la caisse de compensation ne le fait pas valoir par une décision de réparation dans un délai d'une année à compter du moment où elle a eu connaissance du dommage et, en tout cas, à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter du fait dommageable.

Contrairement à la teneur de cette disposition, il s'agit en l'occurrence d'un délai de péremption à considérer d'office (cf. ATF 112 V 8, consid. 4c; RCC 1986 p. 493). Lorsque ce droit dérive d'un acte punissable soumis par le code pénal à un délai de prescription de plus longue durée, ce délai est applicable (article 82, alinéa 2 RAVS).

Le Tribunal fédéral des assurances (ci-après le TFA) a posé le principe qu'une caisse de compensation a "connaissance du dommage" au sens de la disposition précitée, à partir du moment où elle doit reconnaître, en y prêtant l'attention qu'on est en droit d'attendre d'elle et en tenant compte de la pratique, que les circonstances ne lui permettent plus de recouvrer les cotisations, mais pourraient justifier une obligation de réparer le dommage (ATF 116 V 75, consid. 3b; 113 V 181, consid. 2; 112 V 8, consid. 4d, 158; 108 V 52, consid. 5; RCC 1983, p. 108). Le fait déterminant est donc de constater qu'il n'y a "rien dont on puisse tirer profit, rien à distribuer" (cf. FRISCHE : "Schuldbetreibung und Konkurs II, 2ème éd. p. 112), d'où résulte la perte de la créance de la caisse.

En cas de faillite ou de concordat par abandon d'actifs, la caisse n'a pas nécessairement connaissance du dommage au moment seulement où elle peut consulter le tableau de distribution et le décompte final établis par l'Office des faillites ou le liquidateur, ou à la date à laquelle elle reçoit un acte de défaut de biens. En effet, celui qui subit une perte dans une faillite ou dans une procédure concordataire et veut intenter une action en dommages-intérêts a, en général, selon la pratique des tribunaux, déjà suffisamment connaissance du dommage, au moment où la collocation des créances lui est notifiée, ou à celui où l'état de collocation et l'inventaire ont été déposés et peuvent être consultés. A ce moment-là, le-la créancier-ère est, ou devrait être en général, en mesure de connaître l'état des actifs, la collocation de sa créance et le dividende probable (cf. ATF 116 II 161, consid. 4a; 116 V 75, consid. 3b = RCC 1990, p. 415; ATF 113 V 182, consid. 2, avec réf. = RCC 1987, p. 607).

Selon la jurisprudence, le dommage est réputé survenu lorsque les cotisations dues ne peuvent plus être perçues, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 113 V 258, consid. 3c; RCC 1988, p. 137; BGE 109 V 92, consid. 9 et les arrêts cités; RCC 1983, p. 477). Lorsque les cotisations demeurent impayées en raison de l'insolvabilité de l'employeur (personne morale), le dommage est réputé survenu au moment où les créances de cotisations sont irrécouvrables, c'est-à-dire au moment où, eu égard à l'insolvabilité de l'employeur, les cotisations ne peuvent plus être perçues selon la procédure ordinaire (ATF 112 V 157, consid. 2; MAURER, Schweizerisches Sozialversicherungsrecht, volume II, p. 69).

4. En l’espèce, la faillite de la société a été suspendue par constatation de défauts d’actifs le 30 septembre 1997. C’est à compter de cette date que la Caisse était en mesure de comprendre qu’elle subissait un dommage au sens de l’art. 52 LAVS. En notifiant au défendeur une décision le 24 mars 1998, elle a respecté le délai d’un an conformément à l’art. 82 al. 1 RAVS.

Elle a également agi dans le délai de cinq ans à compter du fait dommageable qui court dès la faillite (RCC 1991 p. 136).

5. Le défendeur a formé opposition le 20 avril 1998, soit dans le délai de trente jours prescrit par l’art. 81 al. 2 RAVS. De même la Caisse a-t-elle agi dans le délai légal de l’art. 81 al. 3 RAVS en déposant sa requête en main levée le 20 mai 1998 ; ladite requête est dès lors recevable à la forme.

6. En vertu de l'article 52 LAVS, l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à la caisse de compensation est tenu à réparation. Si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes responsables (VSI 1993 consid. 2a p. 83; ATF 114 V 79 consid. 3 = RCC 1988 p. 631; ATF 113 V 256 consid. 3c = RCC 1988 136; ATF 111 V 173 consid. 2 = RCC 1985 p. 650s.; RCC 1985 p. 603 consid. 2 et réf. citées).

Les prescriptions que doit respecter l'employeur sont tout d'abord celles de la LAVS et de ses dispositions d'exécution, notamment celles concernant l'obligation de déduire, à chaque paiement de salaire, la cotisation du-de la salarié-e puis de la verser à la caisse de compensation en même temps que sa propre cotisation, ainsi que l'obligation de remettre périodiquement à la caisse les pièces comptables concernant les salaires versés aux employé-e-s, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions (RCC 1985 consid. 5 p. 607s.; RCC 1985 consid. 3a p. 646).

L'obligation de percevoir les cotisations et de régler les comptes est pour l'employeur une tâche de droit public prescrite par la loi. Celui qui néglige de l'accomplir enfreint les prescriptions au sens de l'article 52 LAVS et doit par conséquent réparer la totalité du dommage ainsi occasionné (VSI 1993 p. 83s. consid. 2a; ATF 111 V 173 consid. 2 = RCC 1985 p. 649; ATF 108 V 186 consid. 1a; ATF 108 V 192 consid. 2a = RCC 1983 p. 100; RCC 1985 p. 646 consid. 3a).

7. En l'espèce, le dommage consiste en la perte de la créance de cotisations subie par la Caisse en raison de la faillite de la société, pour un montant de 302'606 fr. représentant le solde de cotisations dû pour les périodes 1989 à 1992, mai à novembre 1995, avril à décembre 1996 (rapport de contrôle) et mai 1997.

8. Lorsque l'employeur est une personne morale, ses organes répondent solidairement, à titre subsidiaire, du dommage causé par celui-ci. En cas d'insolvabilité de l'employeur, ils peuvent donc être directement poursuivis, même si la personne morale existe toujours (cf. ch. 7004 des directives de l'Office fédéral des assurances sociales sur la perception des cotisations [DP]; ATF 114 V 79 consid. 3; ATF 113 V 256 consid. 3c; RCC 1988 p. 136 consid. 3c).

Dans le cas des sociétés anonymes, le TFA s'est toujours référé à l'article 754 alinéa 1 du Code des obligations (CO), en corrélation avec l'article 759 alinéa 1 CO. Conformément à ces dispositions, toutes les personnes chargées de l'administration, de la gestion ou du contrôle répondent à l'égard de la société, de même qu'envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu'elles leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs. Les personnes qui répondent d'un même dommage en sont tenues solidairement. Sont réputés chargés de l'administration ou de la gestion au sens de l'article 756 CO non seulement les organes de décision désignés expressément comme tels (organes formels), mais également les personnes qui prennent effectivement des décisions relevant des organes ou qui assument la gestion proprement dite et ont ainsi une part prépondérante à la formation de la volonté au sein de la société (organes de fait; voir notamment RCC 1988 consid. 3 p. 632).

Il se justifie d'appliquer les mêmes principes dans le cadre de l'article 52 LAVS car la responsabilité subsidiaire des organes d'une personne morale, dans le domaine de l'AVS, découle indirectement des articles 55 alinéa 3 du Code civil (CC) et 754 CO, considérés comme l'expression de règles générales (ATF 96 V 125 = RCC 1971 p. 478). Au demeurant, les motifs qui sont à la base d'une extension de la notion d'organe en droit civil et qui procèdent de la volonté d'accorder une protection efficace aux créanciers sociaux sont tout aussi valables s'agissant de la responsabilité de droit public instituée par l'article 52 LAVS.

En l'espèce, selon les extraits du registre du commerce, le défendeur était inscrit en qualité d’administrateur unique avec signature individuelle d’août 1989 à juin 1997, date de la faillite de la société.

9. Il s'agit encore d'examiner si le défendeur s’est rendu coupable de violation intentionnelle des prescriptions légales ou de négligence grave. En effet, l'obligation de réparer le dommage n'existe, dans le cas concret, que s'il n'y a pas de circonstances faisant apparaître comme justifié le comportement de l'employeur ou excluant qu'il ait commis une faute intentionnellement ou par négligence. Il est donc concevable qu'un employeur cause un dommage à une caisse de compensation en violant intentionnellement les prescriptions de l'AVS mais ne soit néanmoins pas tenu de la réparer, si des circonstances spéciales permettent de conclure que la non observation desdites prescriptions était permise ou ne représentait pas une faute (RCC 1985 p. 603 consid. 2 et réf. citées).

De jurisprudence constante, il y a négligence grave lorsque l'employeur ne se conforme pas à ce qui peut être raisonnablement exigé de toute personne capable de discernement dans une situation identique et dans les mêmes circonstances. La mesure de ce que l'on est en droit d'exiger à cet égard doit donc être évaluée d'après ce que l'on peut ordinairement attendre, en matière de comptabilité, d'un employeur de la même catégorie que l'intéressé-e (RCC 1988 consid. 5a p. 634; ATF 112 V 159 consid. 4 = RCC 1987 p. 217; ATF 108 V 202 consid. 3a = RCC 1983 106; RCC 1985 consid. 2a p. 51; RCC 1983 p. 377ss).

Lorsqu'il s'agit d'une société anonyme, on peut, par principe, poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différentiation analogue s'impose lorsqu'il s'agit de déterminer la part de responsabilité des organes de l'employeur (ATF 108 V 202 consid. 3a; RCC 1985 p. 51 consid. 2a et p. 648 consid. 3b).

Un administrateur peut causer intentionnellement un préjudice à la caisse de compensation sans toutefois devoir le réparer, uniquement s’il retarde le paiement des cotisations pour maintenir son entreprise en vie, lors d’une passe de trésorerie difficile, et pour autant qu’il ait des raisons sérieuses et objectives de penser qu’il pourrait s’acquitter de sa dette dans un délai raisonnable (RCC 1992 p. 261).

Le fait que l’employeur demande et obtienne des arrangements de payer ne change rien au caractère illicite du non-paiement des cotisations, mais doit être pris en compte dans l’examen de la faute, en particulier lorsque l’accord avec la caisse modifie les termes ordinaires de paiement ; il peut y avoir, en effet, faute concomitante de la caisse qui peut justifier une réduction du dommage (voir not. VSI 1999, p. 23 et ATFA du 19 août 2003 cause H 142/03).

On peut également tenir compte de la durée pendant laquelle les cotisations sont restées impayées, car si la période concernée est courte, voire très courte, l’organe peut être disculpé (cf. VSI 1996 p. 228). Cela est en lien avec le fait que la responsabilité de l’employeur au sens de l’art. 52 LAVS suppose un rapport de causalité adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions de la survenance du dommage (MAURER, Schweizerisches Sozialversicherungsrecht, vol. II, p. 70 ad let. f; KNUS, Die Schadenersatzpflicht des Arbeitgebers in der AHV, thèse Zurich 1989, p. 58/59; FRESARD, La responsabilité de l’employeur pour le non-paiement de cotisations d’assurances sociales selon l’art. 52 LAVS, in Revue Suisse d’Assurances, 1987 p. 11). Selon la jurisprudence, la causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 118 V 290 consid. 1c et les références ; ATF 119 V 407).

10. En l’espèce, le défendeur allègue avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour redresser la situation : il a mis en place un plan d’assainissement, la société a versé à la Caisse 399'500 fr. entre le 1er janvier 1995 et le 30 juin 1997, il a entrepris des démarches pour trouver un acquéreur, il a sollicité de la Caisse des plans de paiement, il a mis fin à son propre contrat de travail et parallèlement il a demandé une augmentation de la ligne de crédit bancaire aux fins de payer les salaires jusqu’à fin juin 1997.

Force est cependant de constater que les arrangements de paiement n’ont pas été respectés, que les difficultés financières ont commencé en 1991 déjà, date à compter de laquelle la société ne s’acquittait des cotisations que très irrégulièrement. Il ressort du bilan intermédiaire établi au 31 août 1996 que la société était en état de surendettement en 1995 déjà, ce qui est confirmé par l’organe de révision dans son rapport du 25 septembre 1996. Le défendeur ne peut ainsi prétendre s’être trouvé dans une situation difficile qui n’aurait été que passagère et sérieusement penser qu’il pourrait s’acquitter du solde AVS encore dû dans un délai raisonnable. Il y a, à cet égard, lieu de relever que l’augmentation de la ligne de crédit obtenue a servi à payer les salaires jusqu’à juin 1997. Le défendeur a ainsi délibérément choisi de privilégier les créances de salaires au détriment des charges sociales. Il souligne avoir mis fin à son propre contrat de travail. Il ne s’est toutefois résolu à cette démarche qu’en janvier 1997.

La durée pendant laquelle les cotisations n’ont pas été payées ne peut être qualifiée de courte au sens de la jurisprudence, même si l’on ne tient pas compte du solde dû pour les années 89 à 92 calculé ultérieurement par la Caisse à la suite d’un contrôle d’employeur.

La Caisse lui reproche par ailleurs d’avoir reçu des gratifications importantes, soit 325'000 fr. et 425'396 fr. ; ces sommes ont toutefois été versées durant les exercices 1989 et 1990, avant que la situation ne devienne réellement préoccupante (pièces 11 et 16 chargé Caisse). Selon la Caisse, la société aurait été privée de ressources importantes du fait que le défendeur avait procédé à des investissements malheureux dans l’immobilier aux frais de la société (pièce 31 chargé Caisse). Monsieur L__________, comptable, ne l’a cependant pas confirmé. Il n’en reste pas moins que la société souffrait d’un manque de liquidités indéniable depuis 1991, ce qui n’a pas empêché le défendeur de prélever quatre fois 50'000 fr. environ pour ouvrir un bureau d’emplois temporaires en Valais en 1991-1992 (cf. déclarations de Monsieur L__________ et Monsieur G__________ au Tribunal de police du 16 octobre 1997).

Selon Monsieur L__________, la déconfiture de la société est surtout due à la confiance aveugle que le défendeur avait dans sa précédente fiduciaire. Ce n’est pas exclu. Il y a cependant lieu de rappeler que selon la jurisprudence du TFA, la personne qui n’exerce pas elle-même la gestion ou l’administration de la société mais qui délègue ces tâches, reste tenue de surveiller la gestion. Elle doit plus particulièrement veiller à l’accomplissement de l’obligation légale de payer les cotisations (RCC 1989 p. 114).

Force est de constater, au vu de ce qui précède, que le défendeur a engagé sa responsabilité au sens de l’art. 52 LAVS et répond dès lors du dommage causé à la Caisse.


PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

(conformément à la disposition transitoire de l’art. 162 LOJ)

A la forme :

1. Déclare recevable la demande en mainlevée d’opposition déposée le 20 mai 1998 par la CAISSE INTERPROFESSIONNELLE AVS DE LA FEDERATION DES ENTREPRISES ROMANDES (FER-CIAM), dirigée contre Monsieur G__________.

Au fond :

2. L’admet et lève l’opposition formée par Monsieur G__________ à concurrence de 302'606 fr.

3. Déboute les parties de toutes autres ou contraires conclusions.

4. Dit que la procédure est gratuite.

5. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par pli recommandé adressé au Tribunal fédéral des assurances, Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE, en trois exemplaires. Le délai ne peut être prolongé. Le mémoire doit : a) indiquer exactement quelle décision le recourant désire obtenir en lieu et place de la décision attaquée; b) exposer pour quels motifs il estime pouvoir demander cette autre décision; c) porter sa signature ou celle de son représentant. Si le mémoire ne contient pas les trois éléments énumérés sous lettres a) b) et c) ci-dessus, le Tribunal fédéral des assurances ne pourra pas entrer en matière sur le recours qu’il devra déclarer irrecevable. Le mémoire de recours mentionnera encore les moyens de preuve, qui seront joints, ainsi que la décision attaquée et l’enveloppe dans laquelle elle a été expédiée au recourant (art. 132, 106 et 108 OJ).

La greffière:

Marie-Louise QUELOZ

La Présidente :

Doris WANGELER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le