A/1414/2000

ATAS/171/2005 du 08.03.2005 ( AVS ) , ADMIS

Recours TF déposé le 26.04.2005, rendu le 16.05.2006, PARTIELMNT ADMIS, H 68/05
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En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1414/2000 ATAS/171/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL CANTONAL DES
ASSURANCES SOCIALES

1ère Chambre

du 8 mars 2005

 

 

 

En la cause

 

 

 

CAISSE DE COMPENSATION AVS GASTROSUISSE demanderesse

sise H. Wirri-Strasse 37 à AARAU

 

 

 

contre

 

 

 

Monsieur S________, domicilié à Genève, ex-administrateur

mais comparant par Maître Marc LIRONI en l’étude de la société

duquel il élit domicile X________ SA

(faillie)

 

 


EN FAIT

1. La société X________ SA, ayant pour but l’exploitation de restaurants et de cabarets, a été créée en décembre 1997 à Genève. Monsieur S________ en était l’administrateur unique, titulaire d’une signature individuelle. Le 11 octobre 1997, la société avait déjà déposé auprès de la GASTROSUISSE (ci-après la Caisse) une demande d’affiliation pour l’exploitation du cabaret Y__________. La société a ainsi été affiliée du 15 octobre 1997 au 13 juin 1999.

2. Par jugement du 18 janvier 2000, le Tribunal de première instance a prononcé la faillite de la société. La Caisse a produit une créance de 61'577 fr. 90. Selon l’état de collocation publié le 5 juillet 2000, ladite créance a été admise en 3ème classe, étant précisé qu’aucun dividende n’était prévisible pour les créanciers chirographaires.

3. Par décision du 8 septembre 2000, notifiée en l’étude de Maître Eric STAMPFLI, mandataire, la Caisse a réclamé à Monsieur S________ le remboursement de la somme de 58'842 fr. 40, à titre de réparation du dommage subi suite au non-paiement des cotisations paritaires AVS-AI dues par la société pour les années 1998 et 1999.

4. Monsieur S________ a formé opposition à ladite décision le 11 octobre.

5. Le 3 novembre 2000, la Caisse a requis de la Commission cantonale de recours AVS-AI, alors compétente, la levée de l’opposition.

6. Invité à se déterminer, Monsieur S________ a souligné qu’il ne s’était jamais occupé personnellement de la gestion de la société, puisque la direction en avait été confiée à Monsieur B________. Il a contesté l’affirmation de la Caisse selon laquelle aucun dividende ne serait prévisible pour les créanciers chirographaires. Il a expliqué que le fonds de commerce du cabaret-dancing Y__________ avait été cédé, par convention signée en date du 1er juillet 1999, à Z________ Sàrl, pour un prix de 300'000 fr. Il avait été convenu qu’une partie du prix de vente, soit 170'000 fr., serait payable par mensualités, mensualités dont s’acquittait régulièrement Z________ Sàrl. La masse en faillite disposerait ainsi d’un montant important à répartir entre les créanciers de la société. Monsieur S________ a considéré au surplus n’avoir commis ni faute ni négligence grave au sens de l’article 52 LAVS, alléguant avoir, bien que la direction ait été confiée à Monsieur B________, veillé à la bonne marche de la société, s’être en particulier inquiété du paiement des cotisations AVS-AI et avoir mis tout en œuvre pour que la Caisse ne subisse aucun dommage.

7. La Caisse a pris connaissance des écritures de Monsieur S________ et a proposé à la Commission cantonale de recours AVS-AI la suspension de la procédure, le temps pour elle de prendre des renseignements précis auprès de l’Office des faillites.

8. Maître STAMPFLI a informé le greffe de la Commission cantonale de recours AVS-AI le 8 novembre 2002 qu’il cessait d’occuper. Maître Marc LIRONI, nouveau mandataire constitué, s’est déclaré d’accord avec la proposition de suspension.

9. Par jugement incident du 10 décembre 2002, la Commission cantonale de recours AVS-AI a cependant considéré qu’une suspension ne se justifiait pas et qu’il était plus judicieux d’accorder un délai à la Caisse pour détermination, ce qui a été fait.

10. Renseignement pris auprès de l’Office des faillites par la Caisse, il est apparu que les créanciers ne recevraient qu’un dividende de 9% (cf. courrier du 3 février 2003).

11. Monsieur S________ contestant la réalité de cette information, le Tribunal de céans auquel la cause a été transférée d’office le 1er août 2003, a interrogé directement l’Office des faillites.

Par courrier du 8 décembre 2003, ce dernier a communiqué sous les réserves d’usage, les chiffres suivants :

- « les créances privilégiées de la 1ère classe s’élèvent à 47'041 fr. 95 ;

- il n’y a pas de production pour la 2ème classe ;

- après désintéressement des créanciers de la 1ère classe, un dividende de l’ordre de 5% est prévisible pour les créanciers chirographaires de la 3ème classe ».

12. Au vu de ces chiffres, le défendeur a constaté que « de nouvelles rentrées d’actifs peuvent être envisagées » et proposé au Tribunal d’attendre la clôture de la faillite, alors que la demanderesse souhaiterait que le Tribunal rende d’ores et déjà un jugement (cf. courriers des 12 et 27 janvier 2004).

13. Interrogé, Monsieur B_________ a déclaré:

« je suis ulcéré de la position de Monsieur S________ qui a lui-même causé la faillite de la Y_________ SA (…). Monsieur S________ a justement voulu tout contrôler lui-même et m’évincer quand cela l’arrangeait du contrôle des paiements (…). Sa stratégie à l’époque a été d’orienter délibérément les choses vers une provocation de la faillite dans l’espoir, juridiquement erroné, que l’AVS serait payée par privilège ; son avocat l’ayant vraisemblablement bien mal orienté » (cf. courrier du 22 juin 2004).

Il a produit sept pièces, soit un échange de correspondance entre Maître RIVARA et STAMPFLI.

14. Le défendeur a pris connaissance de ce courrier et des pièces annexées et sollicité sa comparution personnelle (cf. courrier du 16 juillet 2004).

15. Entendu le 12 octobre 2004, il a affirmé avoir su que les cotisations AVS n’avaient pas été payées, puisqu’il était au courant de tout, tout en précisant qu’il ne s’était jamais occupé des affaires directement, et qu’il avait mandaté Maître STAMPFLI pour s’occuper notamment du versement de ces cotisations. Il a par ailleurs souligné que Monsieur B________, dans une lettre du 1er juillet 1999, avait expressément reconnu sa responsabilité. Celui-ci y déclare, en effet, qu’en sa qualité d’organe de fait de la société, il est co-débiteur de toutes les dettes sociales pour lesquelles le défendeur pourrait être personnellement recherché. Le défendeur lui a du reste fait notifier à cet égard un commandement de payer le 26 novembre 2001 pour un montant de 100'000 fr. Il n’a cependant pas requis la levée de l’opposition.

16. Sur demande de Tribunal de céans, la Caisse a produit copie de la décision en réparation du dommage du 31 août 2000 notifiée à Monsieur B________ et de l’opposition du 29 septembre 2000 (cf. courrier du 18 octobre 2004).

17. Entendu en qualité de témoin le 26 octobre 2004, Monsieur C________, réviseur de la société depuis sa création, a confirmé que Monsieur B________ assumait la gestion de celle-ci et que la comptabilité était tenue par sa propre société, Z________ INVEST SA. Selon Monsieur C________,

« Monsieur B________ gérait la société de manière obscure et confuse. Il n’y avait pas de suivi, sa pratique était déplaisante surtout au moment de la vente du fonds de commerce. Il n’y avait de sa part aucune transparence ».

Monsieur C________ a tenu à dire qu’il avait assisté aux efforts du défendeur pour obtenir de Monsieur B________ des documents comptables. Il a précisé que :

« Monsieur S________ souhaitait que les créanciers soient remboursés grâce au prix de vente. Lorsque Monsieur B________ a compris qu’il avait besoin de l’accord de Monsieur S________ pour vendre, il a voulu révoquer son mandat d’administrateur. Monsieur B________ agissait comme un administrateur de fait de la société. Il ne voulait donner aucune information. Je peux dire qu’ainsi il a empêché Monsieur S________ d’agir. (…) Selon moi, Monsieur S________ a été abusé par Monsieur B________. C’est en tout cas l’intention de ce dernier ».

18. Dans ses écritures du 19 novembre 2004, le défendeur a persisté à demander la suspension de la procédure jusqu’à ce que la faillite de la société soit clôturée. Au fond, il conteste avoir engagé sa responsabilité au sens de l’art. 52 LAVS, rappelant qu’il a été établi d’une part, que Monsieur B________ gérait la société et qu’il l’avait sciemment trompé, et d’autre part, que lui-même était intervenu à plusieurs reprises auprès de Monsieur B________ pour obtenir les informations nécessaires et le prier de faire en sorte que le produit de la vente du fonds de commerce serve au remboursement des dettes de la société. Il fait également état d’infractions pénales commises par Monsieur B________, lesquelles avaient finalement impliqué le non-paiement des charges sociales.

19. Ces écritures ont été communiquées pour information à la Caisse ainsi qu’à Monsieur B________ et la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1. La loi genevoise sur l’organisation judiciaire (LOJ) a été modifiée et a institué, dès le 1er août 2003, un Tribunal cantonal des assurances sociales, composé de 5 juges, dont un président et un vice-président, 5 suppléants et 16 juges assesseurs (art. 1 let. r et 56 T LOJ).

Suite à l’annulation de l’élection des 16 juges assesseurs, par le Tribunal fédéral le 27 janvier 2004 (ATF 130 I 106), le Grand Conseil genevois a adopté, le 13 février, une disposition transitoire urgente permettant au Tribunal cantonal des assurances sociales de siéger sans assesseurs à trois juges titulaires, ce, dans l’attente de l’élection de nouveaux juges assesseurs.

Conformément à l'art. 56 V al. 1 let. a ch.1 LOJ, le Tribunal cantonal des assurances sociales connaît en instance unique des contestations prévues à l’article 56 LPGA qui sont relatives à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946.

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2. La loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l’AVS, notamment en ce qui concerne l’article 52 LAVS. Désormais, la responsabilité de l’employeur est réglée de manière plus détaillée qu’auparavant à l’article 52 LAVS et les articles 81 et 82 RAVS ont été abrogés. Le cas d’espèce reste toutefois régi par les dispositions en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002, eu égard au principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminant se sont produits (ATF 127 V 467 consid. 1).

3. Aux termes de l'article 82, alinéa 1 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS), le droit de demander la réparation d'un dommage se prescrit lorsque la caisse de compensation ne le fait pas valoir par une décision de réparation dans un délai d'une année à compter du moment où elle a eu connaissance du dommage et, en tout cas, à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter du fait dommageable.

Contrairement à la teneur de cette disposition, il s'agit en l'occurrence d'un délai de péremption à considérer d'office (cf. ATF 112 V 8, consid. 4c; RCC 1986 p. 493). Lorsque ce droit dérive d'un acte punissable soumis par le code pénal à un délai de prescription de plus longue durée, ce délai est applicable (article 82, alinéa 2 RAVS).

Le Tribunal fédéral des assurances (TFA) a posé le principe qu'une caisse de compensation a "connaissance du dommage" au sens de la disposition précitée, à partir du moment où elle doit reconnaître, en y prêtant l'attention qu'on est en droit d'attendre d'elle et en tenant compte de la pratique, que les circonstances ne lui permettent plus de recouvrer les cotisations, mais pourraient justifier une obligation de réparer le dommage (ATF 116 V 75, consid. 3b; 113 V 181, consid. 2; 112 V 8, consid. 4d, 158; 108 V 52, consid. 5; RCC 1983, p. 108). Le fait déterminant est donc de constater qu'il n'y a "rien dont on puisse tirer profit, rien à distribuer" (cf. FRITSCHE : "Schuldbetreibung und Konkurs II, 2ème éd. p. 112), d'où résulte la perte de la créance de la Caisse.

En cas de faillite ou de concordat par abandon d'actifs, la caisse n'a pas nécessairement connaissance du dommage au moment seulement où elle peut consulter le tableau de distribution et le compte final établis par l'Office des faillites ou le liquidateur, ou à la date à laquelle elle reçoit un acte de défaut de biens. En effet, celui qui subit une perte dans une faillite ou dans une procédure concordataire et veut intenter une action en dommages-intérêts a, en général, selon la pratique des tribunaux, déjà suffisamment connaissance du dommage, au moment où la collocation des créances lui est notifiée, ou à celui où l'état de collocation et l'inventaire ont été déposés et peuvent être consultés. A ce moment-là, le créancier est, ou devrait être en général, en mesure de connaître l'état des actifs, la collocation de sa créance et le dividende probable (cf. ATF 116 II 161 consid. 4a; 116 V 75, consid 3b = RCC 1990, p. 415, ATF 113 V 182 consid. 2 avec réf. = RCC 1987, p. 607).

Selon la jurisprudence, le dommage est réputé survenu lorsque les cotisations dues ne peuvent plus être perçues, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 113 V 258, consid. 3c; RCC 1988, p. 137; BGE 109 V 92, consid. 9 et les arrêts cités; RCC 1983, p. 477). Lorsque les cotisations demeurent impayées en raison de l'insolvabilité de l'employeur (personne morale), le dommage est réputé survenu au moment où les créances de cotisations sont irrécouvrables, c'est-à-dire au moment où, eu égard à l'insolvabilité de l'employeur, les cotisations ne peuvent plus être perçues selon la procédure ordinaire (ATF 112 V 157, consid. 2; MAURER, Schweizerisches Sozialversicherungsrecht, volume II, p. 69).

La procédure ordinaire de perception des cotisations relève des règles applicables dans le cadre des articles 14 et suivants LAVS. Selon l'article 15, alinéa 1 LAVS, les cotisations non versées après sommation sont perçues sans délai par voie de poursuites, à moins qu'elles ne puissent être compensées avec des rentes échues. Les cotisations seront, en règle générale, recouvrées par voie de saisie également contre un débiteur soumis à la poursuite par voie de faillite (cf. article 15, alinéa 2 LAVS; article 43 LP).

Lors de poursuites par voie de saisie, le créancier qui n'a pas été payé intégralement sur le produit de la réalisation reçoit un acte de défaut de biens définitif après saisie - lequel est fondé sur le résultat de la réalisation - à la différence de l'acte de défaut de biens provisoire après saisie, qui est fondé sur l'estimation de l'office - pour le montant impayé, c'est-à-dire pour le montant de son découvert (cf. article 149, alinéa 1 LP; GILLIERON, Poursuites pour dettes, faillite et concordat, in Collection juridique romande, Lausanne 1985, p. 224). Il peut arriver qu'un acte de défaut de biens définitif après saisie soit délivré sans réalisation préalable. Ainsi, le procès-verbal de saisie vaut acte de défaut de biens définitif, lorsqu'il indique que les biens saisissables font entièrement défaut (article 115, alinéa 1 en relation avec l'article 149 LP; ATF 113 V 258, consid. 3 c, RCC 1988, p. 137; GILLIERON, op. cit. pages 179, 224).

En l’espèce la faillite a été prononcée le 18 janvier 2000. L’état de collocation aux termes duquel aucun dividende n’était prévisible pour les créanciers chirographaires, a été publié le 5 juillet 2000. C’est à ce moment-là que la demanderesse a su qu’elle subirait un dommage. Force dès lors est de constater que par son action en réparation du dommage notifiée le 8 septembre 2000, la Caisse a respecté le délai de péremption d’un an dès la connaissance du dommage prévu à l’article 82 al. 1 RAVS (RCC 1990, p. 302), ainsi que le délai de cinq ans à compter du fait dommageable, les cotisations impayées datant de 1998 et 1999.

3. Le défendeur a formé opposition le 11 octobre, soit en temps utile (article 81 al. 2 RAVS).

4. La Caisse a déposé sa requête en mainlevée de l’opposition auprès de la Commission cantonale de recours AVS-AI, alors compétente le 17 octobre, soit dans le délai de 30 jours, de sorte que celle-ci est recevable à la forme (article 81 al. 3 RAVS).

La cause a été transmise d’office au présent Tribunal le 1er août 2003 conformément à l’article 3, al. 3 de la loi du 14 novembre 2002 modifiant la loi sur l’organisation judiciaire (LOJ).

5. Selon l’article 52 LAVS, l’employeur qui intentionnellement ou par négligence grave n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à la caisse de compensation est tenu à réparation.

Le montant du dommage correspond à la perte subi par la caisse. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et d’employés ou ouvriers) dues par l’employeur, les contributions, frais d’administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (Directives sur la perception des cotisations N° 6010).

En l’espèce, le dommage subi par la Caisse consiste en la perte de la créance qu’elle possédait contre la société, représentant le complément de cotisations paritaires AVS-AI restées impayées pour un total de 58'842 fr.40. Il appert de la partie en fait qui précède que les créanciers 3ème classe recevront un dividende de 5%. Le Tribunal fédéral des assurances a déjà eu l’occasion de juger que lorsque l’ampleur du dommage ne peut pas être mesurée ni exactement ni approximativement parce que le dividende est incertain, la caisse devra dans sa décision en réparation ordonner au responsable de payer la totalité du montant dont elle a été privée, moyennant une cession de son droit à un dividende éventuel (ATF 114 V 82, consid. 3b ; 113 V 183, consid. 3b). Il n’y a dès lors pas lieu de suspendre la présente cause dans l’attente de connaître précisément le montant du dommage dont la réparation est demandée par la Caisse. Il suffit de savoir que celle-ci va assurément subir un dommage.

6. L'art 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les art. 34 et ss. RAVS, prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses périodiquement les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions.

L'obligation de payer les cotisations et de fournir des décomptes est pour l'employeur une tâche de droit public prescrite par la loi. A cet égard, le Tribunal fédéral des assurances (TFA) a déclaré à réitérées reprises que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public (RCC 1987 p. 220). L'employeur qui ne s'acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (RCC 1985 p. 646).

Le TFA a affirmé expressément que l’obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l’employeur, des prescriptions régissant l’AVS (RCC 1978, p. 259 ; RCC 1972, p. 687). La caisse de compensation qui constate qu’elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l’employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n’existe pas d’indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l’absence d’une faute (cf. ATFA du 28 juin 1982, RCC 1983, p. 101).

Lorsque l'employeur est une personne morale, ses organes répondent solidairement, à titre subsidiaire, du dommage causé par celui-ci, notamment quand la personne morale n'existe plus au moment où la responsabilité est engagée (cf. No 6003 des directives de l'OFAS sur la perception des cotisations - DP; ATF 114 V 79, consid. 3; 113 V 256, consid. 3c; RCC 1988, page 136, consid. 3c; ATF 111 V 173, RCC 1985, page 649, consid. 2).

Par "organe", il faut entendre toute personne physique qui représente la personne morale à l'extérieur ou qui peut exercer une influence décisive sur le comportement de celle-ci (cf. no 6004 DP). Lorsqu'il est saisi du cas d'une société anonyme, le TFA s'est toujours référé à l'article 754, 1er alinéa, en corrélation avec l'article 759, 1er alinéa du CO. Conformément à ces articles, toutes les personnes chargées de l'administration, de la gestion ou du contrôle, répondent, à l'égard de la société, de même qu'envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu'elle leur cause en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs et les personnes qui répondent d'un même dommage en sont tenues solidairement. Sont réputés chargés de l'administration ou de la gestion au sens de l'article 756 CO "non seulement les organes de décision désignés expressément comme tels, mais également les personnes qui prennent effectivement des décisions relevant des organes, ou qui assument la gestion proprement dite et ont ainsi une part prépondérante à la formation de la volonté au sein de la société" (ATF 107 II 353, consid. 5a; ATF 112 II 1985 et l'arrêt du 21 avril 1988 en la cause A; Forstmoser, Die aktienrechtlische Verantwortlichkeit, 2ème éd., pages 209 et ss).

En l’occurrence, le défendeur est administrateur unique de la société et inscrit comme tel au Registre du commerce. Il a dès lors indiscutablement la qualité d’organe formel de la société anonyme. (cf. FORSTMOSER, op. cit. N° 654 et 655, p. 2089 ; GUHL, MERZ & KUMMER, Das schweizerische Obligationenrecht, 7ème édition, p. 691; ATF 86 II 271 et 93 II 22).

7. De jurisprudence constante, le TFA a reconnu qu’il y avait négligence grave lorsque l'employeur ne se conforme pas à ce qui peut être raisonnablement exigé de toute personne capable de discernement, dans une situation identique et dans les mêmes circonstances (cf. RCC 1972, p. 690). La mesure de ce que l'on est en droit d'exiger à cet égard doit donc être évaluée d'après ce que l'on peut ordinairement attendre, en matière de comptabilité et de gestion, d'un employeur de la même catégorie que l'intéressé. Lorsqu’il s’agit d’une société anonyme, on peut, par principe, poser des exigences sévères en ce qui concerne l’attention qu’elle doit accorder au respect des prescriptions (cf. RCC 1972, p. 690 ; RCC 1978, p. 261). Une différenciation semblable s’impose également, lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur (ATF 108 V 202 consid. 3a; RCC 1985, p. 51, consid. 2a et p. 648, consid. 3b).

Selon l'article 716a alinéa 1 CO, l'administration est tenue en particulier de surveiller les personnes chargées de la gestion et de se faire renseigner régulièrement sur la marche des affaires. Elle doit s'acquitter de cette obligation avec toute la diligence nécessaire, en tenant compte des circonstances spéciales du cas particulier. Cela implique notamment, pour le conseil d'administration, l'obligation d'assister aux séances du conseil d'administration, de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires, de lire d'un œil critique les rapports qui lui sont soumis, de demander au besoin des renseignements complémentaires et d'intervenir lorsque des erreurs ou des irrégularités ont été constatées.

8. Selon la jurisprudence du TFA, la personne qui n’exerce pas elle-même la gestion ou l’administration de la société, mais qui délègue ces tâches, reste tenue de surveiller la gestion. Cette obligation fait partie de la responsabilité des administrateurs-trices. C'est une attribution inaliénable et intransmissible (ATF 122 III 195). Ainsi, lorsque la gestion est essentiellement le fait du Président du conseil d'administration, un administrateur commet une négligence grave s'il ne déploie pas toute la diligence nécessaire à la surveillance de cette gestion. Il a non seulement le devoir d'assister aux séances du Conseil d'administration, mais également l'obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires. Il est tenu de prendre les mesures appropriées lorsqu'il a connaissance ou aurait dû avoir connaissance d'irrégularités commises dans la gestion de la société (art. 716 a CO; RCC 1992, p. 268). Il doit plus particulièrement veiller à l'accomplissement de l'obligation légale de payer des cotisations (RCC 1989, p. 114). Même le membre exclu ou tenu à l’écart de la gestion reste tenu de surveiller les personnes qui gèrent la société jusqu’à ce qu’il soit relevé de ses fonctions (RCC 1989, p. 114). S’accommoder, par passivité, du non-paiement des cotisations est constitutif d’une négligence grave. De même, constitue une faute grave le fait d’accepter et de conserver un mandat d’administrateur-trice sans exercer les pouvoirs et les devoirs qui sont attachés à cette charge (ATFA non publié du 7.4.1993, en la cause C.B., D.B.).

9. Le défendeur allègue ne s’être jamais occupé personnellement de la gestion de la société ; il précise toutefois avoir veillé au paiement des charges sociales. Il souligne avoir régulièrement demandé à prendre connaissance des documents comptables utiles auprès de Monsieur B________. Monsieur C________ a en effet déclaré avoir assisté à ses efforts pour les obtenir. Selon lui, « si Monsieur B________ a voulu évincer Monsieur S________ lors de l’assemblée générale extraordinaire, c’est bien parce que celui-ci insistait pour obtenir les comptes » (cf. procès-verbal d’enquêtes du 26 octobre 2004).

Il affirme avoir donné des instructions très précises à Monsieur B________ quant au paiement des cotisations AVS-AI. Il a par exemple convoqué le 26 avril 1999 une assemblée extraordinaire de la société, dont l’ordre du jour comprenait le point 4 suivant : « remise de la comptabilité au 31 mars 1999, y compris les déclarations AVS, impôt à la source et TVA ». Il avait ainsi été convenu que les créances sociales seraient payées en mai 1999. Il a en particulier demandé à ce que le produit de la vente du fonds de commerce serve à la société à s’acquitter de la dette envers la Caisse.

On peut ainsi admettre qu’il s’est inquiété de savoir ce qui se passait, ce qui est du reste confirmé par Monsieur B________ lui-même, lorsque celui-ci déclare que « Monsieur S________ a justement voulu tout contrôler lui-même » (cf. courrier du 22 juin 2004).

Dans l’opposition formée le 29 septembre 2000 à la décision en réparation du dommage du 31 août, Monsieur B________ reconnaissait avoir été non seulement actionnaire de la société mais également l’un de ses animateurs aux côtés du défendeur, précisant que si ce dernier figurait au registre du commerce comme administrateur, il ne s’occupait en réalité pas de la gestion de la société.

Il y a ainsi lieu de conclure qu’en réalité, bien que le défendeur avait la maîtrise de la société avec tous les pouvoirs d’un administrateur, aux côtés de Monsieur B________, il n’a pris lui-même aucune disposition concrète pour tenter de diminuer le dommage causé à la Caisse. Il ne s’est notamment pas assuré auprès de la Caisse du versement effectif des cotisations. Il n’a pas non plus songé à démissionner de son mandat d’administrateur. Or, accepter une charge d’administrateur sans se réserver la possibilité d’assumer les obligations légales qui en sont le corollaire constitue une faute (ATFA R.M. 11 décembre 1987).

Le défendeur a reproché à Monsieur B________ de l’avoir sciemment trompé et l’accuse d’avoir commis des infractions pénales. Monsieur C________ a à cet égard souligné que Monsieur B________ « ne voulait donner aucune information. Je peux dire qu’ainsi il a empêché Monsieur S________ d’agir (…). Selon moi, Monsieur S________ a été abusé par Monsieur B________ » (cf. procès-verbal d’enquêtes du 26 octobre 2004).

Si effectivement, Monsieur B________ l’empêchait d’agir, le défendeur avait d’autant plus de motifs de démissionner. Le fait qu’un tiers intervienne dans la gestion au point d’empêcher l’intéressé de remplir ses obligations ne saurait en effet excuser celui-ci (J.-F. EGLI, Aperçu de la jurisprudence récente du Tribunal fédérale relative à la responsabilité des administrateurs de société anonyme, in Publication CEDIDAC 8, 1987, p. 32). Or, non seulement il n’a pas démissionné, mais il a contesté la révocation de son mandat, ce  « pour garder la maîtrise des paiements » (cf. procès-verbal de comparution personnelle du 12 octobre 2004). Il s’est alors contenté de déléguer les tâches concernant l’AVS à son mandataire.

Selon Monsieur B________, tout a changé au mois de mai 1999, date à laquelle le défendeur s’était opposé à la résiliation de son mandat d’administrateur et avait obtenu que la société le confirme dans ses pouvoirs. Il avait ainsi été convenu que la gestion de la société était dorénavant assurée par Maître STAMPFLI, son avocat (cf. accords du 1er juillet 1999). Monsieur B________ a considéré que dès cette période, lui-même n’avait plus aucun pouvoir effectif et devait se contenter de son rôle d’actionnaire.

Entendu par le Tribunal de céans, le défendeur a notamment déclaré : « Je ne me suis jamais occupé des affaires directement. J’ai préféré mandater Maître STAMPFLI pour s’occuper notamment du versement des charges sociales » (cf. procès-verbal de comparution personnelle du 12 octobre 2004). Il était en effet prévu dans le cadre de l’accord passé entre Monsieur B________ et le défendeur en date du 1er juillet 1999 que la société donne mandat à Maître STAMPFLI « de négocier avec les créanciers sociaux concernés (AVS-AI, etc, impôt à la source, LPP) le règlement et la mise à jour de sa dette auprès desdits créanciers sociaux ».

Ainsi dès juillet 1999, c’est à son mandataire que le défendeur a confié la tâche de s’occuper du paiement des charges sociales. Il n’a manifestement pas exercé son obligation de surveillance envers lui, lui faisant entièrement confiance. Il a dès lors, selon la jurisprudence sus-évoquée, engagé sa responsabilité au sens de l’art. 52 LAVS. Il s’est avéré que le mandataire croyait que la créance de la Caisse serait privilégiée dans la procédure de la faillite, ce qui l’a conduit à considérer que le règlement des cotisations n’était pas prioritaire.

A cela s’ajoute le laps de temps relativement long durant lequel les cotisations n’ont pas été payées (ATF 121 V 243).

Enfin, le fait que Monsieur B________ ait reconnu sa co-responsabilité, en signant « bon pour accord » au bas de la lettre du 1er juillet 1999, n’est pas de nature à libérer le défendeur de sa responsabilité dans le domaine des cotisations. Il ne s’agit-là que d’une question de règlement interne des responsabilités qui n’est pas pertinente s’agissant de l’application de l’art. 52 LAVS.

La passivité du défendeur, tant avant qu’après juillet 1999, est, de surcroît, en relation de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par la caisse de compensation. En effet, s’il avait correctement exécuté son mandat, il aurait pu veiller au paiement des cotisations d’assurances sociales ou, à tout le moins, il aurait pu constater que des cotisations d’assurances sociales étaient impayées et prendre les mesures qui s’imposaient ; s’il se trouvait dans l’incapacité de prendre ces mesures en raison de l’opposition de Monsieur B________ qui dirigeait en fait la société, il devait alors démissionner de ses fonctions (ATFA R.B. du 18 février 2000).

En conséquence, le Tribunal de céans considère que le défendeur a pour le moins commis une négligence grave au sens de l’art. 52 LAVS et doit répondre du dommage causé à la Caisse.

 


PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

conformément à la disposition transitoire de l’article 162 LOJ

A la forme :

Déclare recevable la demande en mainlevée déposée le 3 novembre 2000 par la Caisse de compensation AVS GASTROSUISSE dirigée contre Monsieur S________.

Au fond :

Lève l’opposition formée par Monsieur S________ en date du 11 octobre 2000.

Déboute les parties de toutes autres ou contraires conclusions.

Dit que la procédure est gratuite.

Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par pli recommandé adressé au Tribunal fédéral des assurances, Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE, en trois exemplaires. Ce mémoire doit : a) indiquer exactement quelle décision le recourant désire obtenir en lieu et place de la décision attaquée; b) exposer pour quels motifs le recourant estime pouvoir demander cette autre décision; c) porter la signature du recourant ou de son représentant. Si le mémoire ne contient pas les trois éléments énumérés sous lettres a) b) et c) ci-dessus, le Tribunal fédéral des assurances ne pourra pas entrer en matière sur le recours qu'il devra déclarer irrecevable. Le mémoire de recours mentionnera encore les moyens de preuve, qui seront joints au mémoire s'il s'agit de pièces en possession du recourant. Seront également jointes au mémoire la décision attaquée et l'enveloppe dans laquelle elle a été expédiée au recourant (art. 132, 106 et 108 OJ).

 

La greffière :

Marie-Louise QUELOZ

 

La présidente :

Doris WANGELER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe le