A/1535/2001

ATAS/234/2005 (3) du 30.03.2005 ( AI ) , ADMIS

Recours TF déposé le 23.01.2006, rendu le 23.01.2006, PARTIELMNT ADMIS
Descripteurs : ; AI(ASSURANCE) ; RENTE(EN GÉNÉRAL) ; DÉBUT; DROIT À LA PRESTATION D'ASSURANCE ; ÉTAT STABLE ; RENTE COMPLÉMENTAIRE(AVS/AI) ; ACTIVITÉ LUCRATIVE ; CHÔMAGE ; SURVENANCE DU CAS D'ASSURANCE ; SURVENANCE DU DOMMAGE ; CONDITION DU DROIT À LA PRESTATION D'ASSURANCE
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En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1535/2001 ATAS/234/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL CANTONAL DES
ASSURANCES SOCIALES

du 24 mars 2005

5e Chambre

 

En la cause

Monsieur Z__________, comparant par Maître Monique STOLLER FUELLEMANN, en l’étude de laquelle il élit domicile

recourant

contre

OFFICE CANTONAL DE L’ASSURANCE-INVALIDITE, 97 rue de Lyon, case postale 425, 1211 GENEVE 13

intimé

 

 

 


EN FAIT

Z__________, né le 2 janvier 1962, dispose d’une formation bancaire et exerçait le métier de courtier en obligations à titre dépendant.

Il ressort de l’extrait de cotisations AVS figurant au dossier que le recourant est professionnellement actif sans interruption notoire depuis l’année 1980, essentiellement dans le domaine bancaire. Il a travaillé dix ans auprès du groupe Crédit Suisse, de 1985 à 1995.

Ces derniers employeurs ont été la société Y__________ du mois de février 1997 au mois de mars 1998, puis la société X__________SA depuis le mois de juillet 1998 au 30 septembre 1999.

Depuis cette date, au terme d’une période d’épuisement physique et moral, le recourant et son épouse, Z__________, ont décidé de cesser de travailler pour s’accorder une période de congé sabbatique, consacrée notamment à un voyage en Australie.

Ils sont rentrés à Genève au mois de janvier 2000, pour s’y consacrer à différents projets prévus de longue date, en particulier la rénovation complète d’un appartement.

Dès le printemps de l’année 2000, le recourant et son épouse se sont remis activement à la recherche d’un emploi.

L’épouse du recourant a rapidement trouvé un poste, dans le cadre d’une mission temporaire, auprès de la société W__________, dans l’attente de trouver une activité à long terme lui convenant davantage.

Le recourant, pour sa part, a postulé auprès de différentes entreprises de placement. Il a effectué des offres spontanées et repris contact avec d’anciens collègues en vue de trouver un emploi.

Il n’a pas émargé auprès de l’assurance-chômage, expliquant que lui-même et son épouse avaient choisi d’assumer financièrement leur choix de s’accorder un congé sabbatique et qu’une période de chômage se serait par ailleurs révélée être un handicap pour retrouver un emploi dans un domaine d’activité où le chômage est mal perçu.

En date du 26 juin 2000, le recourant a été victime d’une anoxie cérébrale généralisée, probablement des suites d’un trouble cardiaque.

Aux termes d’un rapport médical daté du 19 juillet 2001, établi par le
Dr A__________, médecin associé du Service de Médecine physique et rééducation des Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après : HUG), il en a résulté une paralysie complète du corps (tétraplégie), une spasticité extrêmement importante et rebelle aux traitements médicamenteux, des positions "vicieuses" des quatre membres, une vessie et des intestins neurogènes, des troubles trophiques causant de fréquentes lésions cutanées, un état de conscience difficile à estimer mais extrêmement bas et une impossibilité à communiquer.

A la date du 19 juillet 2001, le recourant était toujours hospitalisé à l’Hôpital de Loëx. Un retour à domicile était envisagé, mais nécessitait de très nombreuses adaptations.

Par décision du 14 septembre 2001, l’Office cantonal de l’assurance-invalidité de Genève (ci-après : OCAI) a octroyé à le recourant une rente entière d’invalidité dès le 1er juin 2001.

Par acte du 15 octobre 2001, le recourant a formé recours contre ladite décision concluant sous suite de dépens à l’octroi d’une rente entière d’invalidité dès le 26 juin 2000 et d’une rente complémentaire pour conjoint.

A l’appui de son recours, le recourant a déposé un certificat médical du
Dr A__________ daté du 9 octobre 2001 attestant que son état de santé n’avait pour ainsi dire pas progressé depuis le 26 juin 2000 ; il était alors stable et non susceptible de réversibilité.

Le recourant a également exposé qu’il se trouvait en recherche active d’emploi à la date de la survenance de l’atteinte à sa santé et qu’une reprise de travail était alors imminente, si bien qu’il se justifiait d’octroyer à son épouse une rente complémentaire en vertu de l’article 34 LAI.

A l’occasion de ses observations du 28 janvier 2002, l’OCAI a conclu au rejet du recours.

Retenant du dossier médical que l’état de santé de le recourant était "labile" au moment de sa décision, ce que confirmait son médecin-conseil, l’OCAI a considéré que c’était à juste titre que le moment de l’ouverture du droit à la rente d’invalidité avait fixé en application de l’article 29 al. 1 let. b LAI et non la let. a de la même disposition.

L’OCAI a en outre persisté à nier le droit à une rente complémentaire pour l’épouse de l’assuré au motif que ce dernier n’exerçait pas d’activité lucrative ou d’activité assimilée avant la survenance de l’incapacité de travail à l’origine de l’invalidité.

Dans ses observations datées du 11 avril 2002, le recourant a persisté dans les termes et conclusions de son recours, à l’appui duquel il a déposé deux rapports médicaux supplémentaires.

Il ressort du rapport daté du 27 mars 2002 co-signé par Monsieur le
Prof. B__________, Médecin-Chef du Service du Département des neurosciences des HUG et la doctoresse C__________, Cheffe de Clinique du même département, qu’il a présenté une encéphalopathie post-anoxique le 26 juin 2000 secondaire à un probable trouble du rythme cardiaque.

Les praticiens susmentionnés précisaient que la mention selon laquelle "le patient était en train d’évoluer" figurant dans leur rapport du 13 septembre 2000 adressé à l’OCAI devait être replacée dans son contexte, décrit comme suit :

"En effet, à l’entrée dans notre service, le patient avait une ouverture spontanée des yeux intermittente, une tétraplégie spastique, aucune communication, aucun mouvement spontané, une trachéostomie, une gastrostomie et une sonde urinaire.

Lors du séjour en Rééducation, il y a eu en effet une petite évolution, puisque le temps d’éveil a augmenté, que Monsieur Z__________ a commencé à suivre du regard les personnes, que la trachéotomie a pu être sevrée, la déglutition débutée et la sonde urinaire retirée. La spasticité a également été légèrement diminuée par des mesures médicamenteuses et physiothérapeutiques.

Nous espérions encore pouvoir obtenir, lorsque nous avons écrit le rapport à l’Assurance Invalidité, un moyen de communication non verbale pour obtenir un oui ou un non fiable, ceci bien sûr aurait été un acquis important pour la qualité de vie de Monsieur Z__________, mais ne visait pas à augmenter sa capacité de travail. En effet, au vu de l’importance des lésions cérébrales (visualisées à l’IRM) et de la gravité de l’état clinique (patient mutique et tétraplégique), nous n’espérions pas la possibilité d’une quelconque reprise de travail. C’est pour cela que l’incapacité de travail a été estimée à 100% (point 1.5), que la capacité de travail a été considérée comme ne pouvant pas être améliorée par des mesures médicales (point 1.6) et qu’absolument aucune formation professionnelle ne pouvait être envisagée (point 1.7).

Nous confirmons donc que lorsque nous avons écrit que le patient était "en train d’évoluer" et que cela pouvait "encore changer", cela concernait une modification de sa qualité de vie, voire une participation aux activités de la vie quotidienne, mais non pas à sa capacité de travail."

Le rapport établi le 28 mars 2002 par le Dr A__________ confirme pour sa part que l’ampleur des lésions constatées d’emblée et lors des contrôles radiologiques et cliniques subséquents permettaient dès le début et à vue humaine de certifier que le patient ne pourrait jamais retrouver une quelconque capacité de travail. La notion d’évolution mentionnée dans le certificat du 13 septembre 2000 se limitait à quelques points de l’état neurologique tels que l’état d’éveil du patient ainsi qu’une récupération motrice de mauvaise qualité. Dans le cas particulier, l’importance de l’atteinte ne laissait, à trois mois déjà, que peu de doutes quant à une évolution négative.

Sur un autre plan, le Dr A__________ attestait que depuis l’entrée de le recourant à l’Hôpital de Loëx, son épouse avait été présente à ses côtés quasi journellement, participant aux soins quotidiens et aux nombreux efforts pour rester en interaction avec lui.

Dans ses observations du 5 juin 2002, l’OCAI a persisté dans ses conclusions, relevant que le recourant semblait faire une confusion entre la notion de stabilité de l’atteinte à la santé et ses retombées économiques.

Invitée à se prononcer sur la question du droit à la rente complémentaire pour l’épouse, la Caisse interprofessionnelle d’assurance-vieillesse et survivants de la Fédération romande des syndicats patronaux a conclu au rejet du recours, à l’occasion d’observations datées du 19 juillet 2002, relevant que l’assuré n’exerçait aucune activité lucrative et ne bénéficiait pas d’un revenu de substitution immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail.

Par pli daté du 26 juillet 2002, le recourant a persisté dans les termes et conclusions de son recours.

La cause a été transférée au Tribunal cantonal des assurances sociales conformément aux dispositions de la loi du 4 novembre 2002 modifiant la loi sur l’organisation judiciaire (LOJ) au 1er août 2003 et enregistrée sous référence A/1535/2001.

L’épouse du recourant, représentant son mari dans l’incapacité de communiquer, a été entendue à l’occasion d’une audience de comparution personnelle des parties le 10 novembre 2004.

Elle a expliqué que son époux avait recherché activement un emploi dès le printemps 2000. Il avait postulé auprès de différentes entreprises de placement et repris contact avec d’anciens collègues en vue de retrouver un emploi. Toutefois, à la date de la survenance de l’atteinte à la santé, le 26 juin 2000, ses démarches n’avaient pas abouti. Il n’avait pas émargé auprès de l’assurance-chômage car il avait choisi, avec son épouse, d’assumer financièrement leur congé sabbatique. De plus, cela aurait pu selon lui constituer un obstacle pour retrouver un emploi, dès lors qu’il n’était pas bien vu dans son milieu professionnel de l’époque d’être au chômage.

Sur la plan médical, l’épouse du recourant a indiqué que dès lendemain de l’attaque, les médecins lui avaient expliqué clairement la gravité de la situation et les séquelles que cela entraînerait. Durant les premiers jours, le pronostic était à ce point réservé que l’on ne savait pas si l’assuré allait survivre. D’emblée, il lui avait été clairement indiqué que la motricité avait été sévèrement et définitivement touchée et que, probablement, son mari ne retrouverait pas même la parole, ce qui s’est avéré exact.

Il subsistait une incertitude sur le point de savoir s’il pourrait sortir de l’état de coma profond. Après environ un mois, les médecins ont constaté un mouvement du bras, ce qui constituait un signe important qui a permis le transfert du patient en clinique de rééducation. Depuis lors, l’assistante sociale de la Clinique avait invité l’épouse du recourant a effectuer les démarches en vue de l’obtention de prestations au titre de l’assurance-invalidité, compte tenu de la gravité de l’état de son mari. Par la suite, ce dernier n’a jamais recouvré ni l’usage de ses membres, ni la parole, ni ses facultés intellectuelles. L’épouse du recourant indique communiquer avec son mari comme on le fait avec un enfant en bas âge, à l’instinct.

Elle dit avoir ressenti la décision de l’OCAI comme particulièrement injuste, dans la mesure où son mari était sur le point de reprendre une activité professionnelle juste avant l’attaque dont il a été victime. Pour sa part, elle a dû réduire considérablement son activité professionnelle et, par conséquent, ses gains, pour s’occuper de son mari au chevet duquel elle se rend six à sept fois par semaine. Elle dû mettre un terme à sa carrière professionnelle dans l’informatique pour se contenter d’une activité dans le secrétariat à mi-temps.

EN DROIT

1. La loi genevoise sur l’organisation judiciaire (LOJ) a été modifiée et a institué, dès le 1er août 2003, un Tribunal cantonal des assurances sociales, composé de
5 juges, dont un président et un vice-président, 5 suppléants et 16 juges assesseurs (art. 1 let. r et 56 T LOJ).

Suite à l’annulation de l’élection des 16 juges assesseurs, par le Tribunal fédéral le 27 janvier 2004 (ATF 130 I 106), le Grand Conseil genevois a adopté, le 13 février, une disposition transitoire urgente permettant au Tribunal cantonal des assurances sociales de siéger sans assesseurs à trois juges titulaires, ce, dans l’attente de l’élection de nouveaux juges assesseurs.

2. Conformément à l’article 3 alinéa 3 des dispositions transitoires de la loi du 14 novembre 2002 modifiant la LOJ, les causes introduites avant l’entrée en vigueur de la loi précitée et pendantes devant la Commission cantonale de recours en matière d’assurance-invalidité ont été transmises d’office au TCAS, qui statue en instance unique, dans la composition prévue par l’article 162 LOJ, adoptée le 13 février 2004. La compétence du Tribunal de céans est dès lors établie pour trancher du présent litige.

3. La LPGA, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, a entraîné de nombreuses modifications dans le domaine de l’assurance-invalidité. Le cas d’espèce demeure toutefois régi par les dispositions en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002, eu égard au principe selon lequel le juge des assurances sociales n’a pas à prendre en considération les modifications du droit ou de l’état de fait postérieures à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 127 V 467, consid. 1, 121 V 386 consid. 1b ; cf. également dispositions transitoires, art. 82 al. 1er LPGA). Le présent litige sera en conséquence examiné à la lumière des dispositions de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1961 (ci-après LAI) en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002.

Déposé dans les forme et délai imposés par la loi, le recours dirigé contre la décision de l’OCAI du 14 septembre 2001 est recevable à la forme, en vertu des articles 69 LAI et 84 de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002 (ci-après : LAVS).

Sont en l’espèce litigieux le point de départ de l’ouverture du droit à la rente d’invalidité ainsi que le droit à une rente d’invalidité complémentaire pour l’épouse du recourant.

En vertu de l’article 4 al. 2 LAI, l’invalidité est réputée survenue dès qu’elle est, par sa nature et sa gravité, propre à ouvrir droit aux prestations entrant en considération. Ce moment doit être déterminé objectivement, d’après l’état de santé ; des facteurs externes fortuits n’ont pas d’importance. Il ne dépend en particulier ni de la date à laquelle une prestation a été requise, et ne coïncide pas non plus nécessairement avec le moment où l’assuré apprend, pour la première fois, que l’atteinte à sa santé peut ouvrir droit à des prestations d’assurance (ATF 126 V 9 consid. 2b, 118 V 82 consid. 3a; SVR 1998 IV n° 9 p. 36
consid. 2a/aa).

S’agissant du droit à une rente, la survenance de l’invalidité se situe au moment où celui-ci prend naissance, conformément à l’article 29 al. 1 LAI, soit dès que l’assuré présente une incapacité de gain durable de 40 % au moins ou dès qu’il a présenté, en moyenne, une incapacité de travail de 40 % au moins pendant une année sans interruption notable ; mais au plus tôt le 1er jour qui suit le dix-huitième anniversaire de l’assuré (art. 29 al. 1 LAI) (ATF 126 V 9 consid. 2b et arrêt cité).

A l’occasion d’un arrêt de principe du 10 décembre 1971 (ATF 97 V 244 C. 2), le Tribunal fédéral des assurances, en faisant la synthèse de sa jurisprudence antérieure, a relevé que la jurisprudence a très tôt posé les critères permettant de distinguer les cas relevant de la variante 1 de ceux réglés par la variante 2 de l’article 29 al. 1 LAI (ainsi que par les autres variantes "longue maladie" introduites par le Tribunal fédéral des assurances, sous l’empire de l’ancien art. 29 LAI).

Le Tribunal fédéral des assurances a commencé par déclarer que la notion d’invalidité permanente présupposait l’existence d’un état de santé physique ou mental suffisamment stabilisé pour laisser prévoir que l’incapacité de gain s’étendrait vraisemblablement à toute la période normale d’activité et que la capacité de gain ne pourrait pas être rétablie entièrement ou dans une mesure notable par des mesures de réadaptation (v. p. ex. ATFA 1962 pp. 246, 353 et 357 ; RCC 1963 pp. 225 et 367 ; ATFA 1963 pp. 279, 290, 295 ; RCC 1964 p. 394).

Puis le Tribunal fédéral des assurances a précisé cette définition, en y faisant en outre entrer le concept d’irréversibilité. Il a ainsi exposé que l’invalidité permanente n’était donnée que si l’on pouvait admettre avec une vraisemblance prédominante l’existence d’une atteinte à la santé en bonne partie stabilisée, ne conduisant pas inéluctablement au décès, essentiellement irréversible et de nature à diminuer probablement la capacité de gain d’une manière durable et dans une mesure suffisante pour ouvrir droit à une rente malgré d’éventuelles mesures de réadaptation. Le Tribunal fédéral des assurances a expliqué que seule était visée la stabilité de l’état de santé physique ou mental ; qu’il fallait, dans ce domaine, se fonder sur le pronostic du médecin ; que l’exigence de la stabilité ne se rapportait pas aux répercussions économiques de l’atteinte constatée ; qu’un état largement stabilisé ne pouvait être réputé permanent que lorsqu’on pouvait admettre qu’il était essentiellement irréversible ; que la condition de permanence requise ne concernait que la période d’activité déterminante pour l’application de la LAI ; que, par conséquent, s’agissant de personnes âgées, il suffisait qu’un état de santé en bonne partie stabilisé fût irréversible jusqu’à la fin de cette période pour que l’on puisse admettre l’application de la variante 1 de l’article 29 al. 1 LAI (v. ATFA 1964 pp. 108 et 173 ; 1965 pp. 130, 270, 278 ; RCC 1965 pp. 333 et 431 ; RCC 1966 p. 258).

Enfin, dans un troisième temps, le Tribunal fédéral des assurances a évoqué à de nombreuses reprises l’importance des deux critères de stabilité et d’irréversibilité dégagés par la jurisprudence. Il a alors insisté sur le fait que la condition première, pour que l’on puisse parler d’invalidité permanente, est l’existence d’un état en bonne partie stabilisé (largement stabilisé, dans les arrêts les plus récents) ; que la notion d’irréversibilité a été introduite parce qu’il est très rare de rencontrer, dans la réalité quotidienne, des états absolument stables ; que ce critère accessoire est destiné à délimiter objectivement les cas d’invalidité permanente de ceux d’incapacité de gain de longue durée, seule pouvant être réputée permanente une atteinte, suffisamment stabilisée, essentiellement irréversible ; que si, exceptionnellement, l’état peut être réputé absolument stable, le critère de l’irréversibilité est pratiquement sans intérêt, cette condition étant en général remplie dans une semblable hypothèse ; qu’en revanche, en présence d’une atteinte relativement stabilisée seulement, il faut se montrer d’autant plus exigeant, pour admettre le caractère irréversible requis, que l’état de santé est moins nettement stabilisé. Le Tribunal fédéral des assurances a encore rappelé que les notions de stabilité et d’irréversibilité doivent être définies d’une manière purement médicale et ne concernent donc que l’état de santé. Il a toutefois admis que, s’il est établi qu’un assuré, présentant des séquelles stables et irréversibles, reprendra dans un proche avenir une activité excluant l’octroi d’une rente (à cause du phénomène de l’accoutumance à une amputation, p. ex.) le droit à la rente ne saurait naître en application de la variante 1 de l’article 29 al. 1 LAI (v. ATFA 1966 p. 122 ; RCC 1968 p. 438 ; RCC 1970 pp. 121 et 289 ; RO 96 V 134 ; RCC 1971 pp. 365, 432 et 437).

En synthèse, comme le Tribunal fédéral des assurances l’a confirmé dans un arrêt ultérieur, il y a incapacité de gain permanente lorsque l’atteinte à la santé est largement stabilisée et essentiellement irréversible et qu’elle est probablement de nature à réduire la capacité de gain de l’assuré avec effet permanent dans une mesure qui justifie l’octroi d’une rente de l’assurance-invalidité (ATF 111 V 21 consid. 2b; RCC 1989 p. 282 consid. 1).

Il s’agit donc en l’occurrence de déterminer, à l’aune des critères rappelés ci-dessus, si l’on est en présence d’un cas d’invalidité permanente (art. 29 al. 1 let. a LAI) ou dans un cas d’incapacité de gain de longue durée (art. 29 al. 1 let. b LAI).

Au vu des éléments médicaux figurant au dossier, en particulier les rapports médicaux établis par le Département des neurosciences des HUG des 27 et 28 mars 2002, le Tribunal constate que l’atteinte à la santé du recourant se caractérise par sa soudaineté et sa gravité.

L’état de santé du recourant s’est en effet immédiatement révélé d’une telle gravité qu’il était d’emblée très vraisemblable, sinon acquis, qu’il ne recouvrerait jamais de réelle motricité, ni l’usage de la parole, ni une capacité quelconque de travail et de gain.

Lesdits rapports mettent en effet l’accent sur l’importance des lésions cérébrales constatées d’emblée (visualisées à l’IRM) et sur la gravité de l’état clinique (patient mutique et tétraplégique).

En outre, comme l’ont précisé les praticiens spécialisés, la mention dans le certificat médical du 13 septembre 2000 adressé à l’OCAI du fait que "le patient était en train d’évoluer", replacée dans son contexte, signifie seulement qu’il existait encore un espoir d’obtenir une amélioration très modeste, limitée au recouvrement partiel d’une forme de communication non verbale.

Dans ces circonstances, l’application de l’article 29 al. 1 let a LAI s’imposait à l’évidence.

A cet égard, l’affirmation de l’OCAI selon laquelle le recourant confondrait la notion de stabilité de l’état de santé avec les retombées économiques de ce dernier apparaît dénuée de fondement.

Certes, les critères de stabilité et d’irréversibilité doivent s’examiner du point de vue médical, la jurisprudence ayant précisé que l’exigence de stabilité ne se rapportait pas aux répercussions économiques de l’atteinte constatée.

Il n’en demeure pas moins que le texte même de la loi fait référence aux notions de capacité de gain ou de travail, comme critères déterminants pour la fixation de l’ouverture du droit à la rente, dans les deux hypothèses visées par l’article 29 al. 1 LAI.

En synthèse, comme le souligne la jurisprudence, la question consiste à déterminer si l’assuré présentait d’emblée une incapacité de gain permanente et tel est le cas lorsque l’atteinte à la santé est largement stabilisée et essentiellement irréversible et qu’elle est probablement de nature à réduire la capacité de gain de l’assuré avec effet permanent dans une mesure qui justifie l’octroi d’une rente de l’assurance-invalidité.

Or, il ne fait aucun doute que tel était d’emblée le cas en l’espèce.

Les deux critères médicaux déterminants (stabilité et irréversibilité de l’état de santé) pour distinguer le cas de l’invalidité permanente du cas d’incapacité de gain de longue durée sont réunis.

Comme cela ressort des éléments médicaux du dossier rappelés ci-dessus, l’atteinte à la santé du recourant est d’emblée apparue d’une extrême gravité et dans une très large mesure stable et irréversible.

Au surplus, la soudaineté avec laquelle est survenue cette atteinte ainsi que sa gravité distinguent à elles seules le cas d’espèce de celui d’une incapacité de gain dite de longue durée. Ce qui frappe en l’occurrence, c’est précisément la concomitance de la survenue de l’atteinte avec le pronostic immédiat et quasiment certain d’une incapacité totale de travail et de gain permanente. Il s’agit-là de l’élément décisif, qui précisément distingue le cas d’espèce de l’autre hypothèse visée par l’article 29 al.1 LAI, où l’on assiste le plus souvent à un constat rétrospectif d’invalidité : l’état de santé se dégrade au fil des ans dans une mesure telle que l’assuré a finalement dû abandonner toute activité lucrative (cf. en ce sens ATF 97 V 244).

Partant, le recours sera admis sur ce point et la décision annulée.

Une rente entière d’invalidité sera allouée au recourant avec effet au 1er juin 2000 (art. 29 al. 1 let. a et al. 2 LAI).

S’agissant du droit à la rente complémentaire, la loi dans sa teneur au moment de la décision litigieuse, applicable en l’espèce, prévoyait que les personnes mariées qui pouvaient prétendre une rente ont droit, si elles exerçaient une activité lucrative immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail, à une rente complémentaire pour leur conjoint, pour autant que ce dernier n’ait pas droit à une rente de vieillesse ou d’invalidité (art. 34 al. 1, première phrase LAI, dans sa version modifiée lors de la 10ème révision de l’AVS, en vigueur depuis le 1er janvier 1997).

Faisant usage de la compétence conférée à l’article 34 al. 2 LAI, le Conseil fédéral avait édicté l’article 30 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (ci-après : RAI). Aux termes de cette disposition réglementaire, sont assimilées aux personnes exerçant une activité lucrative les personnes au chômage qui sont au bénéfice de prestations de l’assurance-chômage (let. a) et les personnes qui, après avoir cessé leur activité lucrative suite à une maladie ou à un accident, sont au bénéfice d’une revenu de substitution sous forme d’indemnités journalières (let. b).

Le droit à la rente complémentaire pour conjoint a été supprimé à l’occasion de la 4e révision de la loi sur l’assurance-invalidité, avec effet au 1er janvier 2004.

La loi s’interprète pour elle-même, c’est-à-dire selon sa lettre, son esprit et son but, ainsi que selon les valeurs sur lesquelles elle repose, conformément à la méthode téléologique. Le juge s’appuiera sur la ratio legis, qu’il déterminera non pas d’après ses propres conceptions subjectives, mais à la lumière des intentions du législateur. Le but de l’interprétation est de rendre une décision juste d’un point de vue objectif, compte tenu de la structure normative, et doit aboutir à un résultat satisfaisant fondé sur la ratio legis. Ainsi, une norme dont le texte est à première vue clair peut être étendue par analogie à une situation qu’elle ne vise pas ou, au contraire, si sa teneur paraît trop large au regard de sa finalité, elle ne sera pas appliquée à une situation par interprétation téléologique restrictive (ATF 121 III 219 consid. 1d; 128 I 34 consid. 3b p. 40; 128 III 113 consid. 2a et les arrêts cités). Si la prise en compte d’éléments historiques n’est pas déterminante pour l’interprétation, cette dernière doit néanmoins s’appuyer en principe sur la volonté du législateur et sur les jugements de valeur qui la sous-tendent de manière reconnaissable, tant il est vrai que l’interprétation des normes légales selon leur finalité ne peut se justifier par elle-même, mais doit au contraire être déduite des intentions du législateur qu’il s’agit d’établir à l’aide des méthodes d’interprétations habituelles (ATF 121 précité ; 128 I 34 consid. 3b 41).

En l’occurrence, la ratio legis de l’article 34 al. 1 LAI est évidente : il s’agit d’allouer au conjoint d’un bénéficiaire de rente d’invalidité une compensation partielle de la perte de soutien consécutive à l’invalidité de son conjoint, précédemment actif, ce dernier étant tenu à l’obligation légale d’entretien découlant des règles régissant les effets généraux du mariage.

Le message du Conseil fédéral concernant la 10e révision de l’AVS du 5 mars 1990 est parfaitement explicite à ce sujet :

"Ainsi, une personne mariée doit pouvoir prétendre à une rente complémentaire pour son conjoint si, immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail, elle a exercé une activité lucrative. Pour empêcher la survenance de cas pénibles, le Conseil fédéral doit pouvoir, par voie d’ordonnance, permettre l’octroi de la rente complémentaire dans d’autres cas encore. On songe avant tout aux personnes qui, avant leur invalidité, ont été au chômage.

Cette solution est fondée sur le principe selon lequel une part des revenus réalisés par l’assuré sont destinés à l’entretien de la famille (art. 163 CC). La perte totale ou partielle de ce revenu sera compensée par l’octroi d’une rente complémentaire. Peu importe alors de savoir qui de l’homme ou de la femme a réalisé les revenus considérés. Cette fonction compensatoire devrait également s’opérer si l’autre conjoint exerce une activité lucrative à la survenance du risque assuré ou postérieurement." (FF 1990 II 45).

Faisant usage de la délégation de compétence que lui a octroyé le législateur dans le but d’éviter des cas pénibles, le Conseil fédéral a adopté l’article 30 RAI, qui élargit le champ d’application de l’article 34 LAI en assimilant au conjoint actif le conjoint empêché de travailler sans sa faute, à l’instar du bénéficiaire de prestations de l’assurance-chômage ou d’un revenu de substitution sous la forme d’indemnités journalières consécutives à une maladie ou un accident.

En synthèse, l’intention qui se dégage des articles 34 LAI et 30 RAI est claire : il s’agit de compenser partiellement la perte de soutien consécutive à l’invalidité du conjoint actif débiteur d’un devoir d’entretien au sens du droit matrimonial.

La notion de conjoint actif doit naturellement s’étendre, pour éviter des cas pénibles et réaliser le but de protection sociale de la norme, aux situations dans lesquelles le conjoint se trouve empêché de travailler sans sa faute, objectif concrétisé par l’article 30 RAI.

Au reste, dans un arrêt récent (ATFA I 296/01 du 26 novembre 2001), le Tribunal fédéral des assurances a fait une application relativement large de l’article 34 LAI.

Il s’agissait du cas d’un artisan ferronnier qui avait expliqué qu’après une période d’interruption de son activité lucrative, il avait des commandes en cours pour divers travaux de ferronnerie et avait été empêché de les effectuer en raison d’un conflit avec son bailleur. Le Tribunal fédéral des assurances a considéré qu’il fallait, dans une telle situation, retenir que le recourant avait rendu vraisemblable qu’il avait repris, du moins en partie, son activité professionnelle avant la survenance de l’incapacité de travail.

Le Tribunal fédéral des assurances a en particulier relevé que l’une des caractéristiques essentielles d’une activité lucrative était l’intention d’obtenir un gain en effectuant un travail et qu’une telle activité à titre indépendant existait déjà avant qu’un revenu effectif ne soit réalisé.

Au vu de l’intention claire du législateur, telle qu’explicitée ci-dessus, le Tribunal de céans considère qu’il y a lieu en l’espèce d’allouer au recourant une rente complémentaire, en appliquant par analogie les articles 34 LAI et 30 RAI, interprétés à la lumière du but de protection sociale de la norme, conformément à la jurisprudence.

La solution inverse serait choquante et contraire à ce but.

Il est en effet indéniable que le recourant apportait un soutien financier important à son épouse, soutien anéanti par la survenance de son invalidité. Le recourant a été professionnellement actif, essentiellement dans le domaine bancaire, sans interruption notoire de 1985 au mois de septembre 1999. Certes, le recourant et son épouse avaient tous deux fait le choix de s’accorder une période de congé sabbatique qui a débuté à cette date. Il est cependant établi qu’avant la survenance de l’atteinte à l’origine de l’invalidité du recourant, cette période avait pris fin. Le recourant se trouvait, depuis plusieurs semaines, à la recherche active d’un emploi. Il avait postulé auprès de différentes entreprises de placement, effectué des offres spontanées et repris contact avec d’anciens collègues en vue de retrouver un emploi, comme cela ressort des différents documents produits. L’épouse du recourant, quant à elle, avait déjà repris une activité professionnelle lorsque est survenue l’atteinte qui a causé l’invalidité du recourant, le 26 juin 2000.

En outre, le recourant remplissait toutes les conditions légales requises pour prétendre à des indemnités de chômage en vertu des articles 8 et ss de la loi fédérale sur l’assurance-chômage et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 25 juin 1982 (ci-après : LACI). En particulier, les conditions relatives à la période de cotisation (art. 9 et 13 LACI) étaient réalisées, étant donné qu’il avait exercé durant plus de 12 mois une activité soumise à cotisation durant le délai-cadre, du mois de juillet 1998 au mois de septembre 1999.

Dans ces circonstances, ne pas allouer de rente complémentaire au recourant reviendrait à le pénaliser pour avoir volontairement renoncé à des prestations d’assurance-chômage auxquelles il avait droit, en le privant pour ce seul motif du droit à la rente complémentaire.

Une telle solution, en soi choquante, serait incompatible avec le but de protection sociale voulu par le législateur.

L’interprétation des articles 34 LAI et 30 RAI à la lumière de cette intention conduit par conséquent, dans le cas d’espèce, à accorder au recourant la rente complémentaire à laquelle il prétend. Cette solution s’inscrit d’ailleurs dans l’esprit de l’arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 26 novembre 2001 précité.

Toutefois, cette solution, justifiée par les particularités du cas d’espèce, doit demeurer exceptionnelle et soumise à de strictes conditions.

Partant, une application par analogie des articles 34 LAI et 30 RAI ne saurait entrer en considération qu’à la double condition que l’assuré ait démontré qu’il se trouvait à la recherche active d’un emploi et qu’il remplissait toutes les conditions légales pour l’octroi d’indemnités de chômage ou d’un revenu de substitution au sens de l’article 30 RAI immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail à l’origine de l’invalidité.

Au vu de ce qui précède, le recours sera admis sur ce point également.

Le recourant, qui obtient gain de cause, a droit à une indemnité équitable à titre de dépens, qui sera fixée en l’occurrence à CHF 1'500.--.

 

 

 

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PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

A la forme :

Déclare le recours recevable.

Au fond :

L’admet.

3. Dit que le recourant a droit à une rente entière de l’assurance-invalidité, ainsi qu’une rente complémentaire pour conjoint, dès le 1er juin 2000.

4. Condamne l’Office cantonal de l’assurance-invalidité à verser au recourant, à titre de dépens, la somme de CHF 1'500.--.

5. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par pli recommandé adressé au Tribunal fédéral des assurances, Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE, en trois exemplaires. Le délai ne peut être prolongé. Le mémoire doit : a) indiquer exactement qu’elle décision le recourant désire obtenir en lieu et place de la décision attaquée ; b) exposer pour quels motifs il estime pouvoir demander cette autre décision ; c) porter sa signature ou celle de son représentant. Si le mémoire ne contient pas les trois éléments énumérés sous lettres a) b) et c) ci-dessus, le Tribunal fédéral des assurances ne pourra pas entrer en matière sur le recours qu’il devra déclarer irrecevable. Le mémoire de recours mentionnera encore les moyens de preuve, qui seront joints, ainsi que la décision attaquée et l’enveloppe dans laquelle elle a été expédiée au recourant (art. 106 et 108 OJ).

 

 

La greffière :

Yaël BENZ

 

Le Juge suppléant :

Marc MATHEY-DORET

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le