A/2173/2005

ATAS/199/2006 du 03.03.2006 ( LAA )

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En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2173/2005 ATAS/199/2006

ORDONNANCE D’EXPERTISE

DU TRIBUNAL CANTONAL DES
ASSURANCES SOCIALES

du 3 mars 2006

2ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A__________, mais comparant par Me Michael ANDERS, avocat, en l'étude duquel il élit domicile

recourant

 

contre

SUVA, CAISSE NATIONALE SUISSE EN CAS D'ACCIDENTS, dont le siège social est Fluhmattstrasse 1 à Lucerne

intimée

 

 


 

 


EN FAIT

1.Monsieur A__________ (ci-après le recourant), né en 1958, est professeur de dessin au Cycle d'orientation. Il est, à ce titre, assuré contre les accidents à la SUVA, CAISSE NATIONALE SUISSE EN CAS D'ACCIDENT (ci-après SUVA).En date du 10 avril 2003, alors qu'il sortait de l'école et se trouvait sur le trottoir, un pétard a rebondi sur une voiture parquée et a éclaté alors qu'il se trouvait à terre, provoquant un traumatisme sonore au recourant qui s'était penché pour voir de quoi il retournait. La SUVA a pris le cas en charge.

2. Selon le rapport du Dr B__________, spécialiste FMH en oto-rhino-laryngologie et chirurgie cervico-faciale, du 8 septembre 2003, le recourant souffre principalement d'acouphènes bilatéraux, prédominant à gauche, et d'hypersensibilité au bruit.

3. Le recourant s'est trouvé en incapacité totale de travail dès le 25 novembre 2003. Selon rapport médical du Dr B__________, du 12 mars 2004, l'incapacité totale de travail perdure. A l'examen des oreilles, les tympans sont normaux des deux côtés, et à l'audiogramme tonal, les seuils sont normaux des deux côtés. L'oto-émission acoustique et produits de distorsion révèlent un tracé conservé à droit et un tracé partiel à gauche. En conclusion l'audiogramme est actuellement normal mais les oto-émissions et produits de distorsion restent un peu perturbés à gauche. Cela pourrait correspondre aux séquelles du traumatisme acoustique dont il a été victime. L'activité professionnelle devrait être reprise le plus rapidement possible.

4. Par décision du 11 juin 2004, la SUVA a refusé de prendre en charge toutes prestations relatives à l'incapacité de travail, au motif que celle-ci n'était pas en relation de causalité pour le moins probable avec l'accident du 10 avril 2003.

5. Suite à l'opposition du recourant, la SUVA a confirmé sa décision en date du 18 mars 2005. Elle ajoute que la question relative au lien de causalité naturelle peut rester ouverte puisqu'en tous les cas il n'y a pas de causalité adéquate. L'accident est qualifié de moyennement grave, de sorte que les troubles psychiques du recourant doivent être examinés selon la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances (ci-après TFA), 115 V 133, dont les conditions ne sont pas réalisées. Elle se réfère à l'avis de son médecin-conseil oto-rhino-laryngologue du 20 août 2004, selon lequel seule persiste l'hypersensibilité au bruit, qui ne relève pas d'un simple problème ORL mais d'une problématique psychiatrique.

6. Dans son recours du 21 juin 2005, le recourant conclut à l'annulation de cette décision, et à ce qu'il soit dit que la SUVA doit au recourant toutes les prestations issues de la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA) du 10 avril 2003, avec suite de dépens. Subsidiairement, il conclut à l'ordonnance d'une expertise médicale. Il allègue qu'un traumatisme acoustique existe bel et bien, le rapport graphique du Dr B__________ manquant cependant au dossier. Il se réfère également à un rapport de l'hôpital cantonal de Fribourg, du 7 décembre 2004, qui conclut à un examen ORL dans les limites de la norme, les acouphènes et l'intolérance au bruit étant apparus suite au traumatisme acoustique.

7. Dans sa réponse du 30 août 2005 la SUVA conclut au rejet du recours. Elle se réfère pour l'essentiel au contenu de sa décision sur opposition.

8. Le Tribunal a ordonné la comparution personnelle des parties qui s'est tenue en date du 25 octobre 2005. Après avoir décrit, à la demande du Tribunal, l'évènement du 10 avril 2003, le recourant a expliqué qu'après celui-ci, il avait repris le travail, s'attendant à ce que son état s'améliore régulièrement alors que c'est le contraire qui s'est produit, de sorte que dès l'automne 2003, il s'est trouvé en arrêt de travail. Le représentant de la SUVA a rappelé que le litige portait uniquement sur les indemnités journalières et frais médicaux postérieurs au mois de juin 2004, la SUVA ayant pris en charge le cas jusqu'à cette période. Une instruction écrite par le Tribunal de céans a été prévue auprès des Dr B__________ à Genève et C__________ de l'hôpital cantonal de Fribourg, aux fins de savoir s'il y a des lésions à des cellules nerveuses objectivables, dans l'affirmative si ces lésions génèrent les acouphènes ou l'hypersensibilité au bruit, ou les deux. Le contexte particulier relatif à l'enseignement d'un cours de dessin au cycle d'orientation, s'est-à-dire auprès d'adolescents, devait être expliqué aux médecins qui devaient également se déterminer sur la question de savoir si l'état de santé était ou non à ce jour stabilisé, et quelles en étaient le cas échéant les séquelles.

9. Par courrier du 6 décembre 2005, circonstancié, le Dr B__________ rappelle l'historique et l'anamnèse actuelle et répond, en substance, comme suit aux questions du Tribunal :

- Il n'y a aucune méthode permettant d'objectiver des lésions des cellules nerveuses auditive de l'oreille interne du vivant d'une personne. La différence constatée dans les tracés des oto-émissions acoustiques entre les deux oreilles, pourrait être liée à une destruction partielle des cellules cillées externes comme conséquence du traumatisme acoustique du 10 avril 2003.

- S'agissant de la totale incapacité de travail, ce praticien a du mal à l'admettre, car le recourant n'est pas fortement exposé au bruit comme le sont les personnes qui travaillent dans l'industrie ou le bâtiment. L'état de santé lui parait stabilisé à ce jour. Une expertise psychiatrique serait utile vu l'importance des plaintes relatives à l'intolérance au bruit par rapport aux résultats des examens.

Par courrier du 9 janvier 2006, le Dr D__________, médecin adjoint de la clinique oto-rhino-laryngologie de l'hôpital cantonal de Fribourg a répondu qu'il n'y a pas de lésions objectivables à des cellules nerveuses vu les rapports des examens effectués. Les acouphènes bilatéraux et l'hypersensibilité au bruit sont en rapport direct avec le traumatisme acoustique subi, mais il ne s'agit pas de lésions objectivables ni quantifiables. L'incapacité de travail peut être justifiée dans une profession fortement exposée au bruit. L'état de santé est stabilisé à ce jour, les séquelles sont le scotome du point de vue auditif à 8000 Hz avec un seuil auditif élevé à 30 dB, les acouphènes invalidants et l'hypersensibilité au bruit.

10. Une nouvelle comparution personnelle des parties a eu lieu le 31 janvier 2006. A cette occasion les parties ont déclaré être d'accord que le Tribunal ordonne une expertise psychiatrique du recourant. Un délai au 28 février a été fixé aux parties pour donner un ou deux noms d'experts ainsi qu'une liste de questions.

11. Par courrier du 9 février 2006 la SUVA a indiqué renoncer à cette faculté.

12. Par courrier du 28 février 2006 le recourant a proposé comme nom d'expert le Dr Pierre E__________, ainsi qu'une liste de questions qui sera en partie reprise ultérieurement.

 

EN DROIT

1. Le Tribunal constate préalablement qu’il est compétent en la matière (art. 56 V al. 1 let a ch. 5 LOJ) et que le recours est recevable à la forme (art. 56 à 60 LPGA et 106 LAA).

2. Selon la jurisprudence et la doctrine, l’autorité administrative ou le juge ne doivent considérer un fait comme prouvé que lorsqu’ils sont convaincus de sa réalité (Kummer, Grundriss des Zivilprozessrechts, 4ème édition Berne 1984, p. 136 ; Gygi, Bundesverwaltungsrechtspflege, 2ème édition, p. 278 ch. 5). Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5 let. b ; 125 V 195 consid. ch. 2 et les références). Aussi, n’existe-t-il pas en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 322 consid. 5 let. a).

3. En l'espèce, il apparaît qu'il n'y a pas d'examen médical ou d'analyse qui permette d'établir l'existence de lésions objectivables de l'oreille interne. Les plaintes du recourant sont par ailleurs concentrées sur la problématique de l'hypersensibilité au bruit.

Celle-ci est clairement en lien avec l'état psychique du recourant comme l'ont relevé tous les médecins consultés. La question à résoudre est donc de savoir si l'hypersensibilité invalidante dont souffre aujourd'hui le recourant est due à un trouble psychique causé par l'évènement du 10 avril 2003 ou sans lien de causalité avec ce dernier.

4. Par conséquent une expertise psychiatrique du recourant se justifie, ce que les parties ont par ailleurs admis.

Les parties ont bénéficié des facultés prévues par les art. 38 et ss de la loi sur la procédure administrative (LPA). Le Dr E__________ a confirmé, sur téléphone du greffe, qu'il pourrait accepter le mandat d'expertise et procéder à celle-ci dans des délais raisonnables. Par conséquent, la présente expertise lui sera confiée.

 

***


PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

Ordonne une expertise psychiatrique de Monsieur A__________.

La confie au Dr E__________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, 41, rue de la Synagogue, 1204 Genève.

Dit que sa mission sera la suivante :

Prendre connaissance de l'intégralité du dossier médical du recourant, examiner ce dernier, s'entourer si nécessaire d'autres avis, cela fait, rendre un rapport d'expertise écrit, et traiter les point suivants :

1. Anamnèse.

2. Données subjectives de la personne (description des plaintes).

3. Constatations objectives.

4. Diagnostic(s) avec influence sur la capacité de travail.

5. Appréciation du cas.

6. Réponse aux questions spécifiques suivantes :

a. Le(s) trouble(s) psychique(s) diagnostiqué(s) sont-ils à l'origine de l'hypersensibilité au bruit.

b. Le(s) trouble(s) psychique(s) diagnostiqué(s) sont-ils en lien de causalité avec l'évènement du 10 avril 2003 de façon possible, probable, certaine?

c. Si les troubles psychiques sont préexistants, l'accident du 1er avril 2003 les a-t-il aggravés?

d. Quelles sont les limitations dues à l'atteinte à la santé.

e. Degré de la capacité résiduelle en % dans l'activité lucrative exercée (enseignement du dessin au cycle d'orientation)?

f. La capacité de travail peut-elle être cas échéant améliorée par des mesures médicales.

g. La capacité de travail peut-elle être améliorée par des mesures d'ordre professionnelle.

h. Votre pronostic.

7. Remarques et commentaires de l'expert.

Invite l’expert à déposer au Tribunal de céans, à sa meilleure convenance, un rapport en deux exemplaires et sa note d'honoraires.

Réserve le fond.

Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 10 jours dès sa notification par plis recommandé adressé au Tribunal fédéral des assurances, Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE, en trois exemplaires. Le délai ne peut être prolongé. Le mémoire doit : a) indiquer exactement quelle décision le recourant désire obtenir en lieu et place de la décision attaquée; b) exposer pour quels motifs il estime pouvoir demander cette autre décision; c) porter sa signature ou celle de son représentant. Si le mémoire ne contient les trois éléments énumérés sous lettres a) b) et c) ci-dessus, le Tribunal fédéral des assurances ne pourra pas entrer en matière sur le recours qu’il devra déclarer irrecevable. Le mémoire de recours mentionnera encore les moyens de preuve, qui seront joints, ainsi que la décision attaquée et l’enveloppe dans laquelle elle a été expédiée au recourant (art. 132, 106 et 108 OJ).

 

Le greffier

 

 

 

Pierre RIES

 

La Présidente

 

 

 

Isabelle DUBOIS

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe le