A/472/2006

ATAS/290/2006 (3) du 28.03.2006 ( AF ) , ADMIS

Descripteurs : ; ASSISTANCE JUDICIAIRE ; DÉNUEMENT ; CHANCES DE SUCCÈS ; AVOCAT ; TECHNIQUE
Normes : LAF38D
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En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/472/2006 ATAS/290/2006

ARRET

DU TRIBUNAL CANTONAL DES

ASSURANCES SOCIALES

Chambre 2

du 29 mars 2006

 

En la cause

Madame V__________, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître GARBADE Jean-Pierre

 

recourante

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, route de Chêne 54, 1208 GENEVE

 

intimée

 


EN FAIT

Madame V__________, née en décembre 1960, a travaillé du 1er juillet 2000 au 26 décembre 2004 comme employée de maison au service de Monsieur et Madame L__________, sans autorisation de travail. Elle est mère de trois enfants, qui vivent aux Philippines avec leur père, dont deux n'avaient pas encore atteint l'âge de 16 ans au moment de son engagement, à savoir J., né en mai 1985 et I., né en septembre 1990.

Elle avait convenu avec ses employeurs que son contrat prendrait fin le 31 janvier 2005, mais elle aurait été licenciée le 26 décembre 2004 car elle exigeait de pouvoir rentrer chez elle pour ses vacances. N'ayant pas reçu son salaire du mois de décembre 2004, elle s'est adressée à un avocat qui lui apprit qu'elle avait droit à des allocations familiales et qui réclama à ses employeurs l'affiliation rétroactive à une caisse de compensation AVS de leur employée.

En date du 16 février 2005, l'intéressée a déposé une demande d'allocations familiales auprès de la caisse d'allocations familiales pour personnes sans activité lucrative (ci-après CAFNA) que celle-ci n'a pas été en mesure de traiter tant que la requérante n'était pas affiliée à une caisse de compensation AVS.

Les décomptes des cotisations AVS/AI/APG/AC ont été établis le 1er juillet 2005 pour la période allant du 1er juillet 2000 au 31 décembre 2004.

La CAFNA a donc rendu une décision le 9 août 2005 octroyant à la requérante des allocations familiales pour l'enfant I. du mois de février 2003 au 31 décembre 2004.

Par courrier reçu par la CAFNA le 15 août 2005, l'intéressée a formé opposition contre la décision du 9 août 2005 dans la mesure où les allocations ne lui sont versées qu'à partir du 1er février 2003 et a conclu à ce qu'elles lui soient versées depuis le 1er juillet 2000, date de son engagement. Parallèlement, elle a sollicité l'assistance juridique pour la procédure d'opposition.

Par décision du 5 janvier 2006, la CAFNA a rejeté la demande d'assistance juridique au motif que la procédure entreprise était dénuée de chances de succès. Elle a en effet considéré que le droit de demander des allocations familiales était toujours limité à deux ans mais pouvait s'exercer au plus tard sur cinq ans après la fin du mois pour lequel elles étaient dues et qu'en l'occurrence l'examen du droit aux allocations de la recourante s'étendait sur une période de deux ans à partir du moment où elle a eu connaissance de son droit de percevoir des allocations familiales, soit dès le dépôt de sa demande d'allocations familiales le 16 février 2005. L'octroi d'allocations familiales de février 2003 à décembre 2004 était dès lors parfaitement justifié. La CAFNA a par ailleurs considéré qu'aucun motif ne pouvait être qualifié d'exceptionnel au point d'admettre que l'assistance d'un avocat était nécessaire.

En date du 11 janvier 2005, la CAFNA a rejeté l'opposition.

Par mémoire du 9 février 2006, l'intéressée a recouru auprès du tribunal de céans contre la décision de refus d'assistance juridique du 5 janvier 2006 ainsi que contre la décision sur opposition du 11 janvier 2006. Elle a conclu à l'octroi du bénéfice de l'assistance juridique tant pour la procédure d'opposition que pour la procédure de recours. Deux procédures ont été ouvertes par le tribunal de céans, l'une relative à l'assistance juridique sous numéro de cause A/472/2006, qui est l'objet du présent recours, et l'autre concernant la procédure de recours contre la décision sur opposition sous numéro de cause A/475/2006.

Dans ses observations du 7 mars 2006, la CAFNA a rappelé en substance que les arriérés de prestations étaient limités à deux ans et que, contrairement à ce que soutient la recourante, le délai de prescription n'avait pas été étendu à cinq ans pour permettre aux assurés de réclamer cinq ans de prestations arriérées. Elle a pour le surplus persisté dans les termes et conclusions de sa décision du 5 janvier 2006.

Les observations ont été communiquées à la recourante le 14 mars 2006 et la cause gardée à juger.

EN DROIT

A teneur de l'art. 38D al. 1 de la loi sur les allocations familiales (LAF), l’assistance gratuite d’un conseil juridique est accordée au demandeur pour la procédure devant la caisse ou l’office lorsque les circonstances l’exigent.

Conformément à l’art. 22 al. 3 du règlement d'exécution de la loi sur les allocations familiales (RLAF), le refus de l’assistance juridique peut être attaqué par la voie du recours auprès du Tribunal cantonal des assurances sociales.

Le tribunal de céans est dès lors compétent pour statuer sur le recours contre la décision de la caisse refusant l’assistance juridique gratuite pour la procédure d’opposition.

Interjeté dans les forme et délai prescrits, le présent recours est recevable s'agissant du refus de l'assistance juridique pour la procédure d'opposition (art. 38A al. 1 LAF).

En revanche, lorsque le recours est interjeté auprès du Tribunal cantonal des assurances sociales contre une décision sur opposition, l’assistance juridique gratuite est accordée au demandeur conformément à l’art. 143A de la loi sur l’organisation judiciaire (LOJ) par le président du Tribunal de première instance (art. 38A al. 1 et 38D al. 3 LAF).

Le tribunal de céans doit par conséquent se déclarer incompétent pour statuer sur la demande d’assistance juridique relative à la procédure de recours; une copie du mémoire de recours ainsi qu'une copie conforme du présent arrêt seront transmises au service de l’assistance juridique.

L’assistance juridique gratuite prévue à l'art. 38D al. 1 LAF est octroyée conformément aux prescriptions fédérales en matière de contentieux dans l’assurance-vieillesse et survivants, dans l'assurance-invalidité, dans les allocations perte de gain et dans les prestations complémentaires. Elle ne peut être accordée que si la démarche ne paraît pas vouée à l’échec, si la complexité de l’affaire l’exige et si l’intéressé est dans le besoin ; ces conditions sont cumulatives (art. 22 RELAF).

a) Un procès est dénué de chances de succès lorsque les perspectives de le gagner sont notablement plus faibles que les risques de le perdre et qu'elles ne peuvent être considérées comme sérieuses, de sorte qu'une personne raisonnable et de condition aisée renoncerait à s'y engager en raison des frais auxquels elle s'exposerait. Il ne l'est en revanche pas lorsque les chances de succès et les risques d'échec s'équilibrent à peu près ou que les perspectives de succès ne sont que légèrement inférieures (ATF 129 I 135 consid. 2.3.1).

L'exigence contenue à l'art. 29 al. 3 de la constitution fédérale (Cst.) tend seulement à éviter que l'indigent ne se lance, parce qu'il plaide aux frais de la collectivité, dans des démarches vaines qu'une personne raisonnable renoncerait à entreprendre si, disposant de moyens suffisants, elle devait les financer de ses propres deniers. Pour apprécier les chances de succès, il faut faire abstraction de l'indigence du requérant. D'une manière purement objective, il y a lieu de se demander si une personne raisonnable, disposant des ressources nécessaires, agirait de cette manière si les coûts du litige lui incombaient. Lorsqu'il apparaît d'emblée que les risques de succomber l'emportent nettement sur les perspectives de l'emporter, la réponse est négative.

La situation s'apprécie sur la base d'un examen provisoire et sommaire et, en cas de doute, l'assistance judiciaire doit être octroyée, la décision étant laissée au juge du fond (ATF non publié du 8 décembre 2000 5P.362/2000 ; ATF 88 I 144; Arthur HAEFLIGER, Alle Schweizer sind vor dem Gesetze gleich, p. 168).

b) L’affaire doit être d’une complexité telle que l’on ne peut attendre de l’assuré qu’il forme opposition sans l’assistance d’un conseil.

c) Enfin, l’assuré doit être dans le besoin, en ce sens qu’il n’est pas en mesure d’assumer les frais d’assistance juridique sans compromettre les moyens nécessaires à son entretien normal et modeste. Les prescriptions fédérales en matière de contentieux dans l’assurance-vieillesse et survivants, dans l'assurance-invalidité, dans les allocations perte de gain et dans les prestations complémentaires précisent que pour déterminer le besoin économique de l’assuré, il convient de prendre en considération les revenus effectifs, y compris ceux du conjoint faisant ménage commun, et, au titre des dépenses, le montant mensuel de base selon les directives de la Conférence suisse des préposés aux offices des poursuites et des faillites, augmenté d’un supplément de 30%. A ce montant, il y a lieu d’ajouter notamment, le loyer et les charges, les primes d’assurance-maladie et les impôts.

d) Il convient encore de relever qu'en matière d'assurances sociales, la jurisprudence considère que la nécessité d'une assistance gratuite est fonction des circonstances du cas concret, des spécificités des règles de procédure applicables, ainsi que des particularités de la procédure en cause. Il y a lieu de prendre en compte à cet égard le degré de complexité des questions juridiques soulevées, ainsi que celui de l'état de fait de la cause, mais aussi des éléments de la personne même du requérant, tels que par exemple son aptitude à faire face aux exigences de la procédure. Si celle-ci a une très grande influence sur la situation juridique du requérant, l'assistance est en principe justifiée; dans le cas contraire, on ne l'admettra que si des questions délicates de droit ou de fait, auxquelles le requérant ne peut faire face seul se posent et que les conseils fournis par le représentant d'une association, un assistant social, un spécialiste ou toute autre personne de confiance désignée par une institution sociale n'entrent pas en ligne de compte. La nécessité d'une assistance n'est pas exclue du seul fait que la procédure est régie par la maxime d'office ou le principe inquisitoire, obligeant l'autorité à participer à l'établissement des faits déterminants. La maxime d'office justifie cependant une application restrictive des conditions susmentionnées (ATF 125 V 32; ATFA non publié I 186/04 du 6 juillet 2004 et les références citées dans ces arrêts).

La caisse considère que l'opposition était dénuée de chances de succès et que l'affaire n'était pas d'une complexité telle que l'intervention d'un avocat se justifiait. Elle relève par ailleurs que la recourante avait la possibilité de se présenter au guichet pour former opposition ou de s'adresser à un service officiel d'assistance sans devoir faire appel à un avocat, le litige ne pouvant être qualifié d'exceptionnel.

La recourante quant à elle s'oppose à la décision lui accordant uniquement 23 mois d'allocations familiales pour son fils cadet et conteste l'argumentation juridique de la caisse. Elle estime en outre que les conditions d'indigence donnant droit à l'assistance juridique sont manifestement réalisées eu égard à sa profession, à son départ de Suisse après avoir perdu son emploi, à la charge que représentent ses trois enfants et à l'absence d'indemnité de chômage.

S'agissant de la condition des chances de succès, il sied de constater que la problématique de la prescription des allocations familiales arriérées, seule question litigieuse en l'espèce, est juridiquement complexe. En effet, tant le texte de la loi que les travaux préparatoires peuvent prêter à interprétation de sorte que l'on ne saurait considérer d'emblée que l’opposition à la décision de la CAFNA limitant l'octroi d'allocations familiales pour une durée de 23 mois et pour le seul fils cadet de l'assurée était dénuée de toute chance de succès.

Selon la jurisprudence, la condition de la nécessité d'une assistance par un avocat est réalisée lorsque l’affaire est d’une complexité telle que l’on ne peut attendre de l’assuré qu’il forme opposition sans l'intervention d'un avocat. Le point de savoir si l'assistance d'un avocat est nécessaire ou du moins indiquée doit être tranché d'après les circonstances concrètes objectives et subjectives. Pratiquement, il faut se demander pour chaque cas particulier si, dans des circonstances semblables et dans l'hypothèse où le requérant ne serait pas dans le besoin, l'assistance d'un avocat serait judicieuse compte tenu du fait que l'intéressé n'a pas lui-même des connaissances juridiques suffisantes et que l'intérêt au prononcé d'un jugement justifierait la charge des frais qui en découle (ATFA non publié I 87/2001 du 11 mai 2001, consid. 4c; ATF 103 V 47; ATF 128 I 232 consid 2.5.2 et les références; par analogie ATF 122 III 393 consid. 3b et les références).

En l'occurrence, il est constant que la recourante, qui ne comprend que l'anglais, ne dispose d'aucune connaissance juridique et que compte tenu de sa situation personnelle et financière l'enjeu du litige revêt à ses yeux une certaine importance.

En outre, comme cela a déjà été relevé, la question litigieuse est juridiquement complexe et il était dès lors nécessaire d'étayer l'opposition par des arguments juridiques.

Par ailleurs, l'argument de la CAFNA selon lequel la recourante avait la possibilité de se présenter au guichet pour former opposition oralement ou de se rendre auprès de services officiels d'assistance ou d'autres institutions sociales n'est pas pertinent dans la mesure où celle-ci était déjà retournée dans son pays d'origine, les Philippines, au moment où la décision de la CAFNA a été rendue.

Le tribunal de céans constate par conséquent que le recours à un avocat était nécessaire dans le cadre de la procédure d'opposition.

Reste donc à examiner la condition du besoin.

Selon la jurisprudence et la doctrine, l’autorité administrative ou le juge ne doivent considérer un fait comme prouvé que lorsqu’ils sont convaincus de sa réalité (KUMMER, Grundriss des Zivilprozessrechts, 4ème édition Berne 1984, p. 136 ; GYGI, Bundesverwaltungsrechtspflege, 2ème édition, p. 278 ch. 5). Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5 let. b 125 V 195 consid. ch. 2 et les références).

En l’espèce, la recourante a quitté la Suisse après avoir perdu son emploi et vit aux Philippines avec son époux et leurs trois enfants, nés respectivement les 31 janvier 1984, 5 mai 1985 et 28 septembre 1990. Selon les éléments figurant dans le mémoire de recours, les trois enfants sont à la charge de la recourante qui ne touche aucune indemnité de chômage. Ces faits, qui apparaissent tout à fait probables et dont aucun élément ne vient mettre en doute la véracité, seront donc tenus pour établis.

Par ailleurs, il résulte du questionnaire de demande d'allocations familiales, daté du 2 mars 2005, que l'époux de la recourante était à cette époque au chômage sans que l'on sache s'il percevait des indemnités. Il n'est toutefois pas nécessaire de déterminer s'il perçoit ou non des indemnités ou des revenus dans la mesure où, compte tenu du niveau de vie aux Philippines, d'éventuelles ressources provenant du chômage ou d'un emploi ne permettraient pas à l'évidence de prendre en charge les honoraires d'avocat genevois sans compromettre les moyens indispensables à l'entretien d'un ménage de cinq personnes et cela même si les charges à prendre en compte sont bien moins élevées que les dépenses d'un ménage vivant en Suisse.

Les trois conditions d’octroi de l’assistance juridique gratuite pour la procédure d’opposition étant réalisées, la recourante doit être mise au bénéfice de l’assistance juridique pour la procédure devant la CAFNA.


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

(conformément à la disposition transitoire de l’art. 162 LOJ)

A la forme :

Déclare le recours recevable.

Au fond :

L’admet.

Annule la décision de la CAFNA du 5 janvier 2006.

Dit que l’assistance juridique gratuite doit être octroyée pour la procédure d’opposition.

Se déclare incompétent pour trancher la question de l’octroi de l’assistance juridique gratuite dans le cadre de la procédure de recours.

Transmet copie du mémoire de recours valant demande d’assistance juridique gratuite pour la procédure de recours au service de l’assistance juridique.

 

 

Le greffier

 

 

Pierre RIES

 

La présidente

 

 

Isabelle DUBOIS

 

 

 

La greffière-juriste :

 

Catherine VERNIER

 

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'au service de l'assistance juridique par le greffe