Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 08.12.2020 [5A_680/2020]

 

 

 

A.                               a) X.________ a été condamné en 2010 à une peine privative de liberté à vie, peine confirmée suite à des recours. Il a été détenu pendant une dizaine d’années, avec quelques interruptions, aux Etablissements de la Plaine de l’Orbe, dans le canton de Vaud (ci-après : EPO). Pendant sa détention aux EPO des commandements de payer lui ont été notifiés à cet endroit.

                        b) Le 13 novembre 2018, l’intéressé a été transféré, pour une durée illimitée, à l’établissement d’exécution des peines Bellevue, à Gorgier (ci-après : EEPB).

                        c) Le 25 janvier 2019, l’office des poursuites du district du Jura-Nord-vaudois, à Yverdon-les-Bains, a avisé l’office des poursuites du canton de Neuchâtel (ci-après : l’office) de ce transfert.

                        d) Le 28 janvier 2019, l’office a invité X.________ à se constituer, dans un délai de deux semaines, un représentant légal au sens de l’article 60 LP. L’intéressé ne s’est pas manifesté sur cette question.

B.                               a) Entre le 14 février 2019 et le 30 avril 2020, l’office a enregistré huit poursuites et ouvert deux séries de poursuites au nom de X.________. Plusieurs commandements de payer lui ont été notifiés à l’EEPB. Il y a fait opposition.

                        b) Entre le 4 mars 2019 et le 19 mai 2020, X.________ a envoyé à l’office divers courriers dans lesquels il contestait la compétence dudit office, tout en confirmant avoir fait opposition aux divers commandements de payer qui lui avaient été notifiés à l’EEPB ; il mentionnait qu’il tenait à garder, en tant que for de la poursuite, l’office des poursuites de Yverdon-les-Bains.

                        c) L’office a répondu à l’intéressé, par divers courriers expédiés entre le 5 mars 2019 et le 25 mai 2020, que le for de la poursuite se trouvait bien dans le canton de Neuchâtel, puisqu’il séjournait désormais à la prison de Gorgier.

                        d) Le 19 mai 2020, X.________ a envoyé à l’office un nouveau courrier, dans lequel il contestait le for de la poursuite dans le canton de Neuchâtel. Il se référait à des avis que l’office lui avait adressés le 15 mai 2020 (références mentionnées dans son courrier).

                        e) Le 15 juin 2020, l’office a notamment transmis à l’AiSLP la lettre du 19 mai 2020, en priant l’autorité inférieure de l’enregistrer comme une plainte, au sens de l’article 17 LP.

                        f) Interpellé par l’AiSLP, X.________ a écrit le 24 juin 2020 qu’il considérait ne pas avoir déposé de plainte, réitérant cependant qu’il ne reconnaissait pas la compétence de l’office des poursuites du canton de Neuchâtel pour établir des actes à son encontre. Il précisait avoir été transféré contre son gré à l’EEPB pour une durée très limitée. Selon lui, il résidait encore dans le canton de Vaud.

                        g) Dans des observations du 1er juillet 2020, l’office a indiqué que X.________ était incarcéré à l’EEPB pour une longue durée, la date de sortie étant inconnue. Il concluait au rejet de la plainte.

C.                               Par décision du 27 juillet 2020, l’AiSLP a rejeté la plainte. Elle a considéré, en résumé, que c’était à bon droit que l’office lui avait transmis le dossier pour qu’elle statue sur la question litigieuse du for de la poursuite, au vu des nombreux courriers de l’intéressé, qui contestait la compétence de l’office et prétendait que les poursuites notifiées par celui-ci étaient nulles, tout en faisant opposition aux commandements de payer. Il devait ainsi être entré en matière sur la plainte. Sur le fond, l’AiSLP a retenu que le lien du plaignant avec sa commune de résidence antérieure, soit B.________ (VD), où il aurait encore ses papiers, était « largement dépassé ». Le plaignant n’avait plus de domicile fixe et ne prétendait pas devoir être poursuivi à B.________. Des commandements de payer lui avaient été notifiés aux EPO, ce qu’il ne contestait pas. L’office des poursuites de Yverdon-les-Bains avait transféré sa compétence à son homologue neuchâtelois et avait ensuite rejeté, le 6 février 2019, une réquisition de poursuite contre l’intéressé, pour incompétence de for. C’était donc à bon droit que l’office avait fait notifier divers commandements de payer à X.________ à l’EEPB. On peinait à concevoir que des actes de poursuite puissent lui être notifiés aux EPO, alors qu’il n’y séjournait plus.

D.                               Le 3 août 2020, X.________ recourt contre la décision de l’AiSLP, en concluant à son annulation. Il expose, en résumé, que, transféré par la contrainte dans le canton de Neuchâtel, il a fait valoir son domicile fixe à B.________, ses papiers étant toujours déposés à cet endroit. L’office n’avait pas la compétence de transmettre des courriers à l’AiSLP, sans mandat de sa part. Le recourant conteste le for neuchâtelois. Le lieu de séjour d’un détenu ne constitue pas un domicile. C’est par la contrainte qu’on lui a fait quitter B.________, pour le mettre en prison. Sa maison a été vendue aux enchères en novembre 2013 et il a alors « fait [son] domicile à l’adresse de la maison de [son] amie A.________ à D.________(VD) ». Ses affaires sont déposées dans cette maison. Il n’a pas créé de relation étroite à Gorgier. Dans sa famille et ses amis, personne n’habite le canton de Neuchâtel. Son séjour actuel lui est imposé. C’est arbitrairement que la décision entreprise retient que ses liens avec B.________ sont dépassés. Si des actes de poursuite lui ont été notifiés aux EPO, c’est parce que l’adresse de cet établissement résultait de son droit de dévier ses courriers de manière provisoire, le temps de l’exécution de la peine. Il peut être transféré n’importe quand vers un autre établissement et il n’est pas exclu qu’il soit libéré provisoirement en janvier 2021. Il avait accepté l’office des poursuites de Yverdon-les-Bains comme for des poursuites, car cet office se trouve dans le canton de Vaud. Le recourant expose en outre que sa culpabilité dans l’affaire pour laquelle il purge une peine n’a pas été prouvée.

E.                               Le 7 août 2020, l’AiSLP a produit son dossier et indiqué qu’elle n’avait pas d’observations à formuler au sujet du recours et concluait à son rejet, en se référant aux considérants de la décision attaquée.

C O N S I D E R A N T

1.                                Selon l'article 18 al. 1 LP, toute décision de l'autorité inférieure peut être déférée à l'autorité cantonale supérieure de surveillance dans les dix jours à compter de sa notification. La compétence de l'Autorité supérieure de surveillance en matière de poursuites et faillites (ci-après : ASSLP) est fondée sur cette disposition, ainsi que sur l'article 3 al. 1 LILP, l'article 40 al. 2 OJN précisant que la Cour civile du Tribunal cantonal est l'autorité supérieure de surveillance en matière de poursuite pour dettes et de faillite.

2.                                Le recours a été déposé dans le délai légal de 10 jours prévu par l'article 18 al. 1 LP et il s'en prend à une décision rendue par l'AiSLP, ce qui ouvre la voie du recours (cf. Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, n. 10 ad art. 18). Le recourant est directement touché par la décision. Le recours est ainsi recevable.

3.                                S'agissant de la procédure applicable, le litige est soumis à l'article 20a LP, aux dispositions de la LILP et, à titre supplétif, à la loi sur la procédure et la juridiction administratives (LPJA, art.19 LILP). Le recours est recevable pour violation de la loi et inopportunité (Gilliéron, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 5ème édition, no 254 p. 60). L’ASSLP statue avec un plein pouvoir d'examen, dans le cadre d'une voie de recours réformatoire et non cassatoire (arrêt du TF du 07.10.2005 [7B.229/2004] cons.3), et doit non seulement contrôler la conformité à la loi de la décision attaquée, mais aussi, le cas échéant, substituer son appréciation à celle de l'autorité inférieure (Gilliéron, Commentaire, n. 24 ad art. 18 et les références citées).

4.                       a) Au sens de l’article 17 CP, la plainte est recevable contre les mesures et décisions de l’office des poursuites. Par mesure, il faut entendre tout acte matériel accompli par l’office, c’est-à-dire tout acte d’autorité accompli en exécution d’une mission officielle dans une affaire concrète (Gilliéron, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 5ème éd., nos 247-248, p. 59).

                        b) Des avis ont été adressés au recourant, le 15 mai 2020, dans diverses poursuites dont il donnait la référence dans son courrier du 19 mai 2020 à l’office. Même s’il aurait été préférable que ces avis figurent au dossier, on peut admettre qu’ils constituaient des décisions ou mesures de l’office. Par sa lettre du 19 mai 2019, le recourant en a accusé réception et a contesté la compétence de l’office. Ce dernier a agi correctement en considérant cette lettre comme une plainte, au sens de l’article 17 LP, et en la transmettant à l’AiSLP. Interpellé par cette autorité, X.________ a écrit le 24 juin 2020 qu’il considérait ne pas avoir déposé de plainte, réitérant cependant qu’il ne reconnaissait pas la compétence de l’office des poursuites du canton de Neuchâtel pour établir des actes à son encontre. L’AiSLP aurait donc pu classer le dossier, mais il pouvait aussi considérer, vu l’argumentation contradictoire de l’intéressé (contestant avoir déposé une plainte, mais aussi la compétence de l’office neuchâtelois), que la lettre du 19 mai 2020 valait plainte et qu’il y avait lieu de statuer. Cette solution pragmatique permettait de trancher la question du for des poursuites, litigieuse depuis plusieurs mois. La décision de l’AiSLP n’est donc pas nulle – parce qu’elle aurait été rendue sans saisine, en dehors de tout acte de procédure, la question du caractère nul ou annulable, le cas échéant, pouvant au surplus rester ouverte – et il convient d’examiner le recours sur le fond.

5.                       a) Le for de la poursuite est au domicile du débiteur (art. 46 LP). Le débiteur qui n’a pas de domicile fixe peut être poursuivi au lieu où il se trouve (art. 48 LP).

                        b) Le domicile est déterminé selon les critères prévus par l'article 23 al. 1 CC, dont il résulte qu’une personne physique a son domicile au lieu ou dans l'État où elle réside avec l'intention de s'y établir, ce qui suppose qu'elle fasse du lieu en question le centre de ses intérêts personnels et professionnels. Pour savoir quel est le domicile d'une personne, il faut tenir compte de l'ensemble de ses conditions de vie, le centre de son existence se trouvant à l'endroit, lieu ou pays, où se focalisent un maximum d'éléments concernant sa vie personnelle, sociale et professionnelle, de sorte que l'intensité des liens avec ce centre l'emporte sur les liens existant avec d'autres endroits (ATF 125 III 100 cons. 3 p. 102). La jurisprudence ne se fonde pas sur la volonté intime de l'intéressé, mais sur l'intention manifestée objectivement et reconnaissable pour les tiers (ATF 119 II 64 consid. 2b/bb).

                        c) Le lieu de séjour, au sens de l’article 48 LP, se trouve là où le débiteur réside pour une certaine durée et il convient de se baser sur l’apparence extérieure, plutôt que sur des éléments subjectifs tels que la volonté (Gilliéron, Commentaire LP, n. 13 et 14 ad art. 48 LP).

                        d) Le débiteur qui séjourne dans un établissement de détention et qui a, à son ancien domicile, une personne chez qui il peut retourner, conserve son domicile à cet endroit, mais le détenu qui a complètement renoncé à son ancien domicile doit être poursuivi à son lieu de détention (Schmid, Basler Kommentar SchKG, 2ème éd., n. 51 ad art. 46).

                        e) En l’espèce, le recourant n’a plus de domicile à B.________, même si ses papiers y sont éventuellement encore déposés. Comme il l’explique lui-même, la maison dont il était propriétaire dans cette localité a été vendue aux enchères, en novembre 2013, à la demande de ses créanciers. Le recourant ne soutient pas que quelqu’un y vivrait, chez qui il pourrait retourner à sa libération. Vu les circonstances, c’est d’ailleurs extrêmement peu probable. C’est donc à bon droit que l’AiSLP a retenu que le domicile à B.________ est « largement dépassé ».

                        f) Dans une argumentation contradictoire, le recourant soutient, d’une part, ne pas avoir abandonné son domicile à B.________ et, d’autre part, avoir, après la vente de sa maison, « fait [son] domicile à l’adresse de la maison de [son] amie A.________ à D.________ », où ses affaires seraient déposées. Dans des lettres à l’office des 23 avril et 7 octobre 2019, il prétendait que son domicile se trouvait toujours à B.________. Aucun des courriers du recourant qui se trouvent dans le dossier de l’office des poursuites n’évoque un domicile à D.________. Dans ces courriers, le recourant demandait que la compétence de l’office des poursuites de Yverdon-les-Bains soit reconnue, tout en prétendant, comme déjà dit, à un domicile à B.________, localité qui se trouve sur les hauts de Vevey et donc pas dans l’arrondissement couvert par l’office de Yverdon-les-Bains. Cet office, en rejetant le 6 février 2020 une réquisition de poursuite contre X.________, a retenu que le débiteur était incarcéré à l’EEPB, que l’adresse de D.________ était une adresse secondaire qui ne constituait pas un for de poursuite et que l’office compétent était celui du canton de Neuchâtel. Comme on l’a vu, le recourant n’a jamais, avant le dépôt de son recours, soutenu qu’il se serait constitué un nouveau domicile à D.________, chez celle qu’il présente comme son amie. Il ne soutient pas qu’il pourrait aller habiter chez elle s’il était libéré. En fonction de ce qui précède et en particulier des arguments contradictoires du recourant, formulés pour les besoins de la cause, il faut retenir que le recourant ne s’est pas constitué un nouveau domicile à D.________.

                        g) Dès lors que le recourant n’a manifestement plus de domicile à B.________, même s’il ne l’a pas abandonné volontairement, et qu’il n’a pas constitué un nouveau domicile, il n’a pas de domicile fixe et le for de la poursuite doit être fixé à son lieu de séjour, conformément à l’article 48 LP. Ce lieu est manifestement à Gorgier, où se trouve l’EEPB, dans lequel le recourant est détenu. Le placement dans cet établissement n’a pas un caractère temporaire. Le recourant y séjourne depuis le 13 novembre 2018 et rien n’indique qu’un prochain transfert serait envisagé (il n’appartient évidemment pas à l’ASSLP d’émettre un avis quelconque sur les chances du recourant d’obtenir une libération conditionnelle en janvier 2021). Que le recourant n’ait pas tissé de liens à Gorgier est sans importance, puisqu’il ne s’agit que de déterminer le lieu où il séjourne, dans les faits. Le for de la poursuite se trouve ainsi dans le canton de Neuchâtel.

6.                       Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté. Dans les procédures de plainte et de recours devant les autorités de surveillance, il n’est pas perçu de frais ni alloué de dépens (art. 20a al. 2 ch. 5 LP, 62 al. 2 OELP).

Par ces motifs,
L’AUTORITÉ SUPÉRIEURE DE SURVEILLANCE
EN MATIÈRE DE POURSUITES ET FAILLITES

1.    Rejette le recours.

2.    Statue sans frais, ni dépens.

 

Neuchâtel, le 13 août 2020

 

Art. 46 LP
For ordinaire de la poursuite
 

1 Le for de la poursuite est au domicile du débiteur.

2 Les personnes morales et sociétés inscrites au registre du commerce sont poursuivies à leur siège social, les personnes morales non inscrites, au siège principal de leur administration.1

3 Chacun des indivis peut, en raison des dettes d’une indivision qui n’a pas de représentant, être poursuivi dans le lieu où ils exploitent l’indivision en commun.2

4 La communauté des propriétaires par étages est poursuivie au lieu de situation de l’immeuble.3


1 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 16 déc. 1994, en vigueur depuis le 1er janv. 1997 (RO 1995 1227; FF 1991 III 1).
2 Introduit par l’art. 58 tit. fin. CC, en vigueur depuis le 1er janv. 1912 (RO 24 245 tit. fin. art. 60; FF 1904 IV 1, 1907 VI 402).
3 Introduit par le ch. I de la LF du 16 déc. 1994, en vigueur depuis le 1er janv. 1997 (RO 1995 1227; FF 1991 III 1).

Art. 48 LP
Fors spéciaux de la poursuite
For du lieu de séjour
 

Le débiteur qui n’a pas de domicile fixe peut être poursuivi au lieu où il se trouve.