Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 10.12.2020 [4A_261/2020]

 

 

 

 

 

A.                               Le 15 juillet 1959, Y1________, né en 1920, a acquis le bien-fonds no [1111] du cadastre de Z.________, sis à la rue (aa), composé d’un immeuble locatif et de garages. Du jour de cette acquisition et jusqu’en 1992, Y1________ a exercé le commerce de produits chimiques pour la galvanoplastie et la gravure de boîtes de montres par procédés électrolytiques à la rue (aa), sous les raisons sociales « abc » et « def ».

B.                               a) Le 2 décembre 2010, Y1________ a signé avec A.________, par devant le notaire B.________, un acte de promesse de vente immobilière conditionnelle et constitution d’un droit d’emption, avec faculté de substitution, portant sur le bien-fonds no [1111], pour un prix de 750'000 francs.

                        b) Le 1er février 2011, un acte de vente portant sur ce même bien-fonds a été signé, toujours par devant B.________, entre Y1________ (« vendeur »), A.________ (« acquéreur ») et X.________ SA (société ayant pour buts une entreprise de construction générale, la promotion, le financement, le courtage et l’achat immobiliers, « substituant »), pour un prix de 750'000 francs.

                        Selon le chiffre II/2 de l’acte de vente, la substitution a eu lieu moyennant le versement de 250'000 francs, hors la vue du notaire.

«                         Le chapitre intitulé « conditions de la vente » (p. 4) contenait notamment les clauses suivantes :

1.  L’immeuble vendu est transféré dans son état actuel, avec ses droits, servitudes et charges, bien connu des parties et acceptées par l’acquéreur, avec tout ce qui en dépend à titre immobilier, selon le Registre Foncier et la loi.

2.  Le vendeur ne garantit que son droit de propriété en excluant expressément toute garantie quelconque quant aux éventuels défauts apparents ou cachés de l’immeuble promis-vendu, ce qu’accepte l’acquéreur.

     Les parties reconnaissent avoir été rendues attentives, par le notaire soussigné, à la portée ainsi qu’aux conséquences de la présente clause d’exclusion de garantie.

     [aa]

8.  Selon le site internet officiel de la République et Canton de Neuchâtel, le bien-fonds [1111] du cadastre de Z.________ est inscrit au cadastre neuchâtelois des sites pollués (CANEPO) en raison d’une activité historique polluante avec la mention "site pollué pour lequel on ne s’attend à aucune atteinte nuisible ou incommodante", selon extrait Internet du CANEPO du 31 janvier 2011, pièce produite et annexée à la minute du présent acte. »

 

                        c) Le 29 mars 2011, X.________ SA (bailleresse) et Y1________ (locataire) ont conclu un contrat de bail portant sur un appartement de 3 pièces sis au 1er étage de la rue (aa), moyennant un loyer de 1'000 francs par mois.

                        d) Y1________ est décédé le 16 juin 2011, à l’âge de 91 ans, laissant pour héritiers sa veuve, Y2________, née en 1960, ainsi que trois fils nés d’un premier mariage, soit Y3________, Y4________ et Y5________.

C.                               a) Vers septembre 2011, C.________ a été mandaté par X.________ SA « pour procéder à un examen et à un inventaire des produits qui se trouvaient dans l’immeuble [aa]. [S]on mandat consistait à déterminer la quantité comme la qualité des produits chimiques » qui s’y trouvaient, étant précisé que X.________ SA ne lui avait donné aucune précision quant à l’emplacement de ces produits dans l’immeuble.

                        C.________ a débuté son mandat (visite des locaux, couverture photographique, début de l’inventaire) en se rendant sur place le 15 septembre 2011. Le 22 septembre 2011, vu la nature des produits découverts, il a fait appel au Service de l’hygiène et de l’environnement de Z.________, afin de s’orienter sur la procédure à mettre en place pour gérer et contrôler la situation. Le 17 octobre 2011, il a terminé l’inventaire et le classement des produits chimiques et techniques.

                        Il ressort de cet inventaire que sur 9'096 kilos de produits chimiques découverts, 620 kilos de produits chimiques (mais pas nécessairement toxiques) se trouvaient dans divers laboratoires et ateliers au rez-de-chaussée (notamment 300 kg de produits dans les deux laboratoires de photographie ; 125 kg dans l’atelier de mécanique ; 150 kg dans le bureau ; 45 kg dans l’atelier de décalques). Par ailleurs, dans le corridor central du même étage, se trouvaient 275 kilos de produits, dont notamment des dilutifs, du cuivre, du sulfate, et de l’epoxy. L’atelier de galvanoplastie contenait quant à lui pas moins de 1'650 kilos de produits chimiques et toxiques divers (cuves non-comprises), dont notamment des cyanures, de l’acide sulfurique, du nickel, de l’acide nitrique, etc. Dans le corridor central du sous-sol se trouvaient 1'500 kilos de solvant, décrit par l’expert comme instables et explosifs. À cet étage était situé un local de produits chimiques qui contenait 6'339 kilos (emballage inclus) de produits chimiques et toxiques divers. À la page 9 de l’inventaire, l’auteur précise : « [u]n volume important de produits chimiques : acides et sels divers, ainsi que des cyanures se trouvent dans un endroit d’accès limité […] ces produits chimiques ne font pas partie de l’inventaire ils ne sont pas accessibles, ils seront inventoriés lors de l’inventaire d’évacuation ». Sur la page suivante de cet inventaire (p. 10), intitulée « Complément d’inventaire », on peut lire : « Produits chimiques se trouvant sous les escaliers de l’immeuble […] accès difficile », suivi d’une liste énumérative de 890 kilos de produits toxiques et de la mention suivante : « un nombre important de produits solide et liquide sans identification. Deux fûts de sels de chrome de 50 kg, percés à la base (corrosion) ont laissé se déverser sur le sol leur contenu. Le sol de cet endroit était recouvert d’une couche de produits chimiques (semi pâteux) […] ». La dernière page, intitulée « Informations et complément d’inventaire », mentionne que certains produits, dont notamment des sels cyanurés ont encore été retrouvés dans les garages qui étaient occupés, à l’époque par feu Y1________. L’inventaire se termine par la conclusion suivante « [p]our des informations complémentaires, consulter le rapport : D.________ […] poids total des produits évacués 9'096 kg ».

                        b) Le 25 octobre 2011, la commune de Z.________ a ordonné l’évacuation de tous les produits toxiques stockés dans l’immeuble sis rue (aa).

                        c) Le 21 novembre 2011, une séance de coordination a eu lieu sur place entre différents services de Z.________ et X.________ SA, lors de laquelle il a été décidé de confier l’encadrement de l’intervention d’évacuation des produits au Service d’incendie et de secours de Z.________ (ci-après : SIS).

                        Le même jour (21 novembre 2011), la gérance E.________ SA a écrit à la gérance F.________ que le décompte final de celle-ci relatif à l’immeuble [aa] était « parfaitement conforme » ; que X.________ SA lui avait toutefois donné pour instruction de ne pas honorer le solde de 2'753.25 francs en faveur de F.________ « pour le moment en raison des frais importants qui seront engendrés par le débarras du matériel qui se trouve dans les locaux occupés par Y1________ ».

                        Le 23 décembre 2011, la gérance F.________ a répondu que les prétextes invoqués par X.________ SA étaient injustifiés, à mesure que l’immeuble avait été vendu en l’état, bien connu des parties et accepté par l’acquéreur.

                        L’entreprise D.________ AG a procédé à l’évacuation du 12 au 13 décembre 2011.

                        d) Le 27 janvier 2012, la Commission de salubrité de Z.________ a écrit à X.________ SA qu’il restait une très grande quantité de divers matériaux combustibles dans presque tous les locaux et que ces charges thermiques inutiles devaient être éliminées ; qu’une grande partie des locaux qu’occupait l’atelier de galvanoplastie à l’étage étaient contaminés par l’évaporation des produits contenus dans les cuves et qu’en cas de « réhabilitation » des locaux, des précautions devraient être prises pour que les futurs occupants ne soient pas atteints dans leur santé ; des fils électriques semblaient corrodés par l’évaporation des produits toxiques, si bien que des précautions (p. ex. coupure de l’alimentation électrique) devaient être prises le plus rapidement possible pour éliminer le risque d’incendie ; vu la corrosion de certaines parties de l’atelier au 1er étage, il serait enfin utile d’en faire contrôler l’état de la structure.

D.                               Le 20 avril 2012, X.________ SA a écrit à Y3________, Y4________ et Y5________ avoir récemment constaté que l’immeuble no [1111] était « gravement pollué en raison de la présence sur place de quantités très importantes de produits chimiques dangereux, spécialement dans les caves » ; qu’une intervention « très lourde » serait nécessaire pour assainir l’endroit ; que cette grave pollution n’avait pas pu échapper à feu Y1________ au moment de la vente du 1er février 2011, si bien que X.________ SA entendait se retourner contre le vendeur ou ses héritiers pour obtenir le remboursement des frais d’assainissement.

E.                               a) Le 3 octobre 2012, le Service cantonal de l’énergie et de l’environnement (SENE) a informé X.________ SA que suite à l’évacuation des produits chimiques qui subsistaient dans l’immeuble no [1111], la mention y relative au CANEPO serait désormais « site pollué nécessitant une investigation afin de déterminer s’il requiert une surveillance ou un assainissement ». X.________ SA était en outre enjointe de mandater un bureau spécialisé, afin qu’une investigation préalable du site pollué soit réalisée dans les trois mois.

b) Les investigations exigées ont été confiées à l’entreprise G.________ SA, qui a produit deux rapports datés du 28 mai 2013.

Un rapport de mesure de la vapeur de mercure dans l’air a également été établi par la SUVA le 16 juillet 2013.

Sur la base de ce dernier document et de mesures effectuées le 29 juillet 2013, la Commission de salubrité publique a, en date du 2 août 2013, interdit l’occupation des locaux de l’immeuble sis (aa), leur utilisation et leur exploitation à d’autres fins que celles nécessitées par l’établissement d’une expertise, jusqu’à rétablissement de valeurs permettant l’occupation du bâtiment aux fins d’habitation ou de travail ; ordonné que des analyses des polluants soient entreprises immédiatement dans les immeubles (aa) et (bb), y compris dans les étages supérieurs ; retiré l’effet suspensif à une éventuelle opposition. Il était notamment précisé dans les considérants de cette décision que les mesures effectuées avaient établi que les valeurs limites de concentration des substances toxiques et les valeurs admissibles des agents physiques aux postes de travail établies par la SUVA étaient probablement dépassées dans l’immeuble, y compris au 4e étage ; que des concentrations en vapeur de mercure supérieures à la valeur limite admise aux postes de travail selon les directives de la SUVA avaient été relevées dans l’appartement d’habitation au 4e étage ; qu’il était « plus que probable que ces valeurs soient plus élevées aux étages inférieurs ».

c) La mise à ban de l’immeuble a été prononcée le 19 juin 2014 par le Tribunal civil des Montagnes et du Val-de-Ruz. Suite à cette mise à ban, il a été procédé à la fermeture complète des accès de l’immeuble.

F.                               Le 21 juin 2013, X.________ SA a saisi la Cour de droit public du Tribunal cantonal de deux actions en responsabilité dirigées respectivement contre Z.________ et contre la République et Canton de Neuchâtel. Le 26 septembre 2013, la présidente de la Cour de droit public du Tribunal cantonal a décidé de suspendre ces procédures jusqu’à droit connu sur la procédure civile intentée (recte : à intenter) par X.________ SA contre les héritiers de feu Y1________.

G.                               Le 27 août 2014, X.________ SA a saisi la Chambre de conciliation du Tribunal civil des Montagnes et du Val-de-Ruz d’une requête tendant à l’annulation avec effet rétroactif au 1er février 2011 de la vente conclue entre elle-même et feu Y1________ ; à ce que Y2________, Y3________, Y4________ et Y5________ soient condamnés à lui payer « le montant  d’au moins » 1'272'021.30 francs, plus intérêts à 5 % sur 750'000 francs dès le 1er février 2011 et intérêts à 5 % sur 522'021.30 francs dès le dépôt de la requête en conciliation ; à ce que les défendeurs soient condamnés à lui payer l’intérêt bancaire d’au moins 1.17 % sur le crédit de 1'520'000 francs qui lui avait été accordé dès le 28 janvier 2011, jusqu’à l’entrée en force du jugement au fond ; avec suite de frais et dépens.

                        Par lettre commune du 23 octobre 2014, les parties ont déclaré renoncer à la procédure de conciliation, conformément à l’article 199 al. 1 CPC, si bien qu’une autorisation de procéder a été délivrée le 28 octobre 2014.

H.                               Le 25 novembre 2014, X.________ SA a saisi le Tribunal civil des Montagnes et du Val-de-Ruz d’une demande en paiement dirigée contre Y2________, Y3________, Y4________ et Y5________. La demanderesse concluait à l’annulation avec effet rétroactif au 1er février 2011 de la vente conclue entre elle-même et feu Y1________ ; à ce que les défendeurs soient condamnés à lui payer « le montant d’au moins » 1'272'021.30 francs, plus intérêts à 5 % sur 750'000 francs dès le 1er février 2011 et intérêts à 5 % sur 522'021.30 francs dès le 25 novembre 2014 ; à ce que les défendeurs soient condamnés à lui payer l’intérêt bancaire d’au moins 1.17 % sur le crédit de 1'520'000 francs qui lui avait été accordé le 28 janvier 2011, jusqu’à l’entrée en force du jugement au fond ; avec suite de frais et dépens. 

À l’appui de sa démarche, elle alléguait notamment qu’une visite des lieux s’était déroulée le jour de la conclusion de l’acte de vente – soit le 1er février 2011 – ; que « l’appartement de Feu Y1________, un autre appartement, l’atelier de galvanoplastie et les caves de l’immeuble [avaient] pu être visités » ; qu’en revanche, les garages et les chambres hautes de l’immeuble n’avaient pas pu être visités, « faute d’avoir la clé d’accès » ; que cet « état des lieux » s’était fait en présence du notaire B.________ ; qu’à cette occasion, X.________ SA avait « fait preuve d’une attention appropriée » ; qu’en aucun cas, elle n’avait pu se douter ni se rendre compte de la présence de produits dangereux dans l’immeuble lors de cette visite (all. 4) ; que ses représentants avaient eu « la mauvaise surprise de découvrir petit à petit » une importante quantité de produits chimiques dans l’immeuble, spécialement dans ses caves, à l’automne 2011, alors qu’elle avait entrepris une étude en vue de sa transformation et de sa rénovation (all. 7) ; avoir alors immédiatement consulté un spécialiste de ce type de produits, en la personne de C.________ qui, d’entente avec les services sanitaires de Z.________, avait dirigé les premiers travaux d’analyse, d’évacuation et d’assainissement de l’immeuble ; avoir également annoncé le défaut aux défendeurs par courrier du 21 novembre 2011, confirmé par courrier du 20 avril 2012 (all. 8) ; que feu Y1________ ne disposait pas des autorisations nécessaires pour acheter et manipuler de tels produits (all. 10) ; que l’expertise menée par G.________ SA avait révélé une pollution des étages de l’immeuble et la présence d’amiante (all. 11) ; qu’elle-même avait été contrainte d’évacuer l’immeuble et de faire appel à une entreprise spécialisée pour prendre en charge et évacuer les produits dangereux, ce qui avait généré un coût de 25'753.35 francs, plus 10'946.25 francs afférents à l’encadrement et la sécurisation de lieux par le SIS (all. 12 s.) ; avoir, en sus de ces montants, dû payer des dizaines de factures, pour un montant total de 427'722.40 francs (all. 14), des frais de justice pour un total de 27'150 francs et des frais d’avocat avant procès de 30'449.30 francs (all. 15) ; que la fermeture complète des accès à l’immeuble lui avait coûté 8'100 francs (all. 25) ; se réserver le droit d’augmenter ses prétentions d’au moins 180'000 francs en rapport avec d’éventuels futurs frais d’assainissement de l’immeuble (all. 16) ; avoir, en sus d’un apport de fonds propres de 200'000 francs, obtenu le 28 janvier 2011 un crédit d’un montant total de 1'520'000 francs (crédit hypothécaire de 800'000 francs et crédit de construction de 720'000 francs) avec un taux d’intérêt de 1.17 % ; que le crédit de construction avait finalement été utilisé pour payer les frais consécutifs à l’assainissement de l’immeuble suite à la découverte des produits toxiques (all. 18) ; que tous les locataires des appartements avaient décidé de résilier leurs baux d’habitation et de garage, après avoir été informés par la gérance de l’évacuation des produits toxiques ; que certains locataires avaient demandé des indemnité de départ pour un montant total de 15'000 francs ; que les appartements ont été totalement vacants dès avril 2013 (all. 19) ; qu’il ressortait des dernières investigations menées dans l’immeuble que les étages et la charpente étaient pollués à des taux dépassant considérablement les seuils admissibles, si bien que les travaux d’assainissement impliqueraient une démolition, une dépollution et une reconstruction des planchers, des crépis et de la charpente ; que le coût de tels travaux était estimé à 2'944'080 francs (all. 23 s.).

En droit, X.________ SA faisait valoir que les défendeurs répondaient des dommages qu’elle-même avait subis, en leur qualité d’héritiers de l’auteur de la pollution de l’immeuble et des canalisations, soit feu Y1________ ; que ce dernier s’était « rendu fautif en cachant l’existence des produits toxiques dans les caves de l’immeubles et a[vait] violé son devoir d’informer la demanderesse » ; avoir annoncé le défaut par courrier du 21 novembre 2011 ; que « le degré hautement élevé de la dangerosité de la situation [s’était toutefois] révélé au compte-goutte », à mesure que l’organisation de l’évacuation des produits toxiques, les investigations, l’inventaire et les analyses des produits s’étaient étendus sur plusieurs mois ; que les frais d’assainissement dépassaient largement le prix de vente de l’immeuble, si bien qu’elle-même était contrainte d’agir en justice afin de faire annuler le contrat au moyen de l’action rédhibitoire de l’article 205 al. 3 CO ; que la présence des produits toxiques pouvait être qualifiée de défaut frauduleusement dissimulé affectant la validité de l’acte de vente, qu’il s’en suivait que la clause d’exclusion de garantie stipulée le 1er février 2011 était nulle ; que le défaut était d’une telle importance qu’il n’était pas raisonnable d’exiger d’elle qu’elle conserve l’immeuble ; que le vendeur était tenu d’indemniser l’acheteur pour le dommage résultant directement de la livraison de la marchandise défectueuse, ainsi que pour tout autre dommage, sauf à prouver qu’aucune faute ne lui est imputable. Sous l’angle des dispositions de droit administratif, en particulier des articles 2 et 59 LPE, X.________ SA faisait enfin valoir qu’elle-même devait être qualifiée de « pollueur par situation » ; que feu Y1________ était toutefois seul responsable de cette pollution, dans le cadre de l’exercice de son activité de galvanoplastie, et qu’il devait être qualifié de « pollueur par comportement » ; que ses héritiers répondaient de ce préjudice.

I.                                 Le 15 avril 2015, les défendeurs ont déposé un mémoire de réponse, ainsi qu’une requête d’appel en cause dirigée contre B.________, d’une part, et contre A.________, d’autre part.

                        a) Au terme de leur réponse, ils concluaient à titre préjudiciel à ce que la demande soit déclarée irrecevable et principalement à son rejet, en tout état de cause sous suite de frais et dépens.

                        La conclusion préjudicielle était motivée par le fait que l’immeuble avait été visité tant par A.________ et son architecte que par la demanderesse ; qu’au moment de signer respectivement la promesse de vente et la vente, ceux-ci connaissaient parfaitement l’état des lieux, notamment la présence de produits toxiques, l’exercice d’une activité de galvanoplastie et la présence d’un système d’aération spécifique ; que les courriers des 21 novembre 2011 et 20 avril 2012 ne valent pas avis de défauts ; que, subsidiairement, ces avis auraient été tardifs.

                        Les défendeurs alléguaient et faisaient en outre valoir que feu Y1________ avait acquis l’immeuble sis rue (aa) des époux H1________ et H2________ en 1959 (all. 28) ; que l’immeuble comprenait alors un ancien atelier de fabrique de boîtes en or (activité de H1________), un appartement familial, 4 appartements loués, des caves et une buanderie (all. 29) ;  que Y1________ avait gardé l’immeuble dans son aspect originel, soit : des entrepôts, les caves des locataires et la buanderie au sous-sol ; un atelier de galvanoplastie au rez ; le logement familial de Y1________ et le bureau de l’atelier au 1er étage ; deux appartements loués au 2e étage et deux appartements loués au 3e étage (all. 31) ;  que Y1________ avait confié la gérance de son immeuble à la gérance E.________ SA à Z.________, puis à la gérance F.________ dès 2005 environ (all. 34) ; que ces gérances « connaissaient parfaitement l’état de l’immeuble et étaient au courant de la présence de l’atelier de galvanoplastie » (all. 35) ; qu’après avoir décidé de vendre son immeuble, Y1________ s’était approché de la gérance immobilière F.________ (all. 36 s.) ; que le prix de vente de 750'000 francs avait été fixé compte tenu des importants travaux qui étaient « nécessaires pour le réaménagement et l’assainissement de l’atelier, ainsi que pour la mise en conformité de l’électricité » (all. 38), soit un prix « nettement inférieur à la valeur vénale, afin de contrebalancer la clause d’exclusion de garantie insérée dans le contrat » (all. 39) ; que la valeur vénale, sans défauts importants, pouvait avoisiner le montant de l’assurance ECAP, fixé en 2002 à 2'634'086 francs pour l’immeuble et à 135'580 francs pour les garages (all. 40) ; avoir résilié le mandat donné à la gérance F.________ suite à des différents familiaux entre lui-même et ses enfants, puis confié alors « la défense de ses intérêts privés, ainsi que le mandat de vente de son immeuble, aux mêmes conditions », au notaire B.________ (all. 43) ; que ce dernier « était au courant de la situation de l’immeuble et des défauts qui l’entachaient » (all. 44) ; que A.________ et I.________ – qui avait signé l’acte de vente du 1er février 2011 au nom de X.________ SA – se connaissaient, traitaient ensemble sur le plan professionnel et étaient des professionnels de l’immobilier (all. 51) ; que A.________ avait pu visiter l’immeuble avec un architecte avant de signer la promesse de vente du 2 décembre 2010 (all. 52) ; que, suite à cette visite, ni A.________, ni l’architecte n’avaient entrepris de démarche pour s’assurer de la qualité de l’immeuble et du site (all. 59) ; que X.________ SA avait visité l’immeuble le 1er février 2011 (all. 53) ; que l’état de l’immeuble était « parfaitement connu » tant de A.________ que de X.________ SA ; que « [t]ant la visite soi-disant partielle de l’immeuble que les mises en garde avisées de feu Y1________ aux signataires des actes notariés et à Me B.________ relatives aux importants travaux d’assainissement, n’[avaient] pas empêché la demanderesse de signer l’acte de vente et de s’acquitter d’un montant supplémentaire de CHF 250'000.00 en faveur de A.________ pour la mise en œuvre de la clause de substitution » (all. 55) ; que « toute personne visitant l’atelier de galvanoplastie et sans connaissance aucune de la chimie devait raisonnablement se poser la question de la conformité des lieux, vu l’activité déployée en ces lieux, la présence de produits toxiques et l’état général de l’atelier, dont le lavabo » (all. 57) ; que les caves de l’immeuble, dans lesquelles les produits toxiques étaient entreposés, avaient été visitées lors de l’état des lieux et que le nombre et l’état des fûts « devaient interpeller toute personne visitant les lieux avec l’attention requise » (all. 60) ; qu’une attention plus particulière pouvait être requise de la demanderesse, qui avait vécu une situation comparable auparavant (all. 62) ; qu’au vu de l’état de l’atelier et des avertissements donnés par Y1________, X.________ SA ne pouvait pas se fier à la mention au CANEPO (v. supra B/b/8), laquelle n’exclut pas une pollution plus grave (all. 64) ; que X.________ SA, A.________ et B.________ avaient fait preuve d’une « négligence évidente » en renonçant à se renseigner auprès du SENE « sur les contraintes techniques liées à la pollution du site » (all. 66) ; qu’il était notoire que l’utilisation de produits toxiques était nécessaire dans la galvanoplastie et que la réglementation pour l’utilisation de tels produits avait évolué avec le temps (all. 67) ; qu’aucune autorisation n’était requise pour acheter des produits toxiques jusqu’en 1970 environ ; que feu Y1________ avait obtenu l’autorisation nécessaire le 27 mars 1986 et qu’il avait suivi des cours sur les produits toxiques (all. 68).

                        b) Par appel en cause du même jour, les défendeurs concluaient à ce qu’il soit dit que A.________ et B.________ sont parties à la procédure, en tant qu’appelés en cause et, par voie de conséquence, à ce que B.________ soit condamné à verser à X.________ SA, d’une part, « le montant d’au moins » 1'272'021.30 francs, avec les intérêts réclamés par celle-ci et, d’autre part, l’intérêt bancaire d’au moins 1.17 % sur le crédit de 1'520'000 francs qui avait été accordé à X.________ SA dès le 28 janvier 2011, jusqu’à l’entrée en force du jugement au fond ; à ce que A.________ soit condamné à verser 250'000 francs à X.________ SA, avec intérêt à 5 % l’an dès le 1er février 2011 ; sous suite de frais et dépens.

                        Selon les défendeurs, B.________ avait, en négligeant de porter la moindre mention ou réserve dans la promesse de vente et l’acte de vente, malgré les avertissements de Y1________ concernant l’assainissement de son atelier, fait preuve d’une négligence grave qui leur avait porté préjudice. Quant à A.________, il avait visité l’immeuble en compagnie d’un architecte, connaissait parfaitement l’état de l’atelier de galvanoplastie et de l’entrepôt, et avait recommandé en toute connaissance de cause l’achat de l’immeuble à I.________, tout en fixant un prix très important pour la clause de substitution.  

J.                                a) Le 8 mai 2015, A.________ a conclu au rejet de la demande d’appel en cause, sous suite de frais et dépens. Il exposait avoir eu connaissance de l’existence de l’ancien atelier de galvanoplastie, mais que rien ne laissait penser que cet atelier avait généré une pollution telle que découverte par la suite ; que l’appartement de feu Y1________, un autre appartement, l’atelier de galvanoplastie et les caves de l’immeuble avaient été visités le 1er février 2011, au contraire des garages qui étaient loués et des chambres hautes de l’immeuble, « faute d’avoir les clés d’accès » ; qu’en aucun cas il n’avait pu se douter ni se rendre compte de la présence de produits dangereux dans l’immeuble, ni que les murs, parquets et plafonds des appartements puissent contenir des polluants à haute dose ; qu’un montant de 20'000 francs « était prévu pour évacuer du matériel se trouvant dans l’ancien atelier notamment de vieux bidons vides » ; qu’il n’avait « jamais été question d’évacuer des produits dangereux » ; que ces produits « se trouvaient cachés sous l’escalier derrière une paroi en bois (découverts par C.________), dans les caves et les garages auxquels nous n’avions pas accès car ceux-ci étaient loués » ; soutenir les conclusions prises par X.________ SA.

                        b) Le 11 mai 2015, B.________ a écrit au tribunal civil que son activité s’était « strictement limitée à l’instrumentation d’une promesse de vente et d’une vente immobilière » ; qu’il était difficile, voire impossible, de déceler quelle responsabilité lui-même pourrait endosser dans cette affaire.

                        c) Les défendeurs ont répliqué aux réponses de A.________ et de B.________ le 8 juin 2015, en maintenant leurs conclusions.

                        d) Le tribunal civil a rejeté l’appel en cause par décision du 18 août 2015.

K.                               Le 26 octobre 2015, la demanderesse a déposé une réplique, confirmant les conclusions de la demande. En substance, elle a allégué que feu Y1________ n’avait jamais informé A.________, B.________, ni les représentants de la demanderesse « qu’il entreposait de manière illicite plus de neuf tonnes de produits chimiques dangereux dans son immeuble » ; que s’il l’avait fait, la transaction n’aurait jamais pu être conclue, l’opération devenant financièrement insupportable au vu du coût de l’assainissement de l’immeuble (all. 77) ; qu’il était possible d’exercer une activité de galvanoplaste « sans pour autant déverser dans les canalisations communales, ou stocker de manière illicite, des quantités très importantes de produits dangereux » (all. 79) ;  que Y1________ avait exercé la profession de galvanoplaste sans autorisation durant 14 ans (de 1972 à 1986) ; qu’il s’était permis de « pratiquer des trous dans les canalisation communales pour pouvoir y déverser des produits toxiques » ; qu’il entreposait dans un même local des produits générant un risque encore accru en cas de mélange entre eux, « dans des conditions de stockage inadmissibles et au moyen de récipients vétustes, rouillés ou pourris » ; qu’il avait vendu l’immeuble affecté de défauts majeurs, dont il connaissait l’existence, mais dont il avait tu la réalité, tout cela sous régime d’une exclusion de garantie (all. 80) ; qu’il avait également trompé les autorités puisque ces dernières n’étaient pas au courant d’un tel entreposage (all. 82) ; qu’il n’avait jamais indiqué à ses cocontractants qu’un garage et une cave étaient pleins de produits chimiques, mais avait au contraire affirmé que le garage était loué et qu’il n’en avait pas la clé ; que l’accès à la cave « se situait sous un escalier et était masqué par différents objets de grande taille, de telle manière à ce que la porte soit invisible » (all. 83) ; que personne ne pouvait se douter que feu Y1________, « contrairement à toutes ses obligations professionnelles, n’évacuait pas les déchets dangereux de son activité et qu’il les stockait à raison de plus de neuf tonnes dans un garage et une cave de l’immeuble » (all. 84) ; que, s’agissant des produits se trouvant dans l’atelier de galvanoplastie, dont les représentants de X.________ SA connaissaient l’existence, il ne devait s’agir que de quantités limitées et de produits sans danger particulier, dès lors que Y1________ avait cessé son activité professionnelle depuis près de 20 ans ; que la demanderesse avait constitué une provision « en vue de l’évacuation des produits en question » ; qu’en revanche, l’ampleur réelle du problème n’était pas décelable (all. 85) ; que c’était uniquement en septembre 2011, alors que C.________ avait été mandaté en lien avec les produits se trouvant dans l’atelier de galvanoplastie, qu’un locataire s’était approché de lui pour lui parler du garage ; que ledit garage avait été ouvert et la fameuse cave découverte suite à l’intervention du SIS (all. 86) ; qu’il avait fallu l’intervention d’un spécialiste des produits chimiques et du SIS pour découvrir le « pot aux roses » (all. 87).

L.                               Y3________ est décédé le 1er novembre 2015, laissant pour seule héritière sa fille, Y6________, qui n’a pas répudié la succession et qui a donné mandat à l’avocat de feu son père pour représenter ses intérêts.

M.                              a) Le 29 janvier 2016, les défendeurs ont déposé une duplique et confirmé les conclusions de leur réponse. En substance, ils ont ajouté que feu Y1________ n’avait rien à cacher ; que la quantité de produits chimiques importait peu ; que leur présence était connue (all. 89); que l’évolution du métier de galvanoplaste et des connaissances et des exigences en la matière ne permettaient pas de retenir une quelconque responsabilité de feu Y1________ dans le cadre de l’exercice de son activité ; qu’il convenait de prendre en compte le temps qui s’était écoulé depuis la fin de l’activité de feu Y1________ et l’évolution des connaissances scientifiques, qui avait mené l’Etat à prendre des mesures et que le prénommé ignorait de bonne foi (all. 91) ; que l’acheteur doit vérifier la chose, même si elle est louée (all. 92) ; que rien n’empêchait la demanderesse de procéder à une nouvelle visite pour accéder aux locaux inaccessibles ; que l’accès à tous les garages était possible.

                        b) La demanderesse s’est déterminée sur les allégués de la duplique le 16 mars 2016.

N.                               a) La juge civile a rendu son ordonnance sur les preuves le 11 mars 2016 (v. ég. correctif du 22 mars 2016) ; à cette occasion, elle a notamment réservé l’expertise sollicitée par la demanderesse et portant sur l’estimation des coûts liés à la démolition et à la reconstruction complète de l’immeuble.

                        b) Dans le cadre de la procédure probatoire, le tribunal civil a requis différents dossiers et pièces, en sus des pièces déposées par les parties.

                        c) Une première audience a eu lieu le 13 mai 2016. Les parties ont confirmé leurs conclusions, puis le tribunal a entendu A.________ et B.________ en qualité de témoins.

                        ca) A.________ a notamment déclaré avoir fondé X.________ SA en 2006 et avoir cédé ses parts en 2013 ; qu’il était actionnaire de X.________ SA et s’était « chargé des démarches relatives aux travaux pour le compte de la société » ; avoir été « payé au mandat » ; avoir agi pour le compte de la société déjà au moment de signer la promesse de vente ; que B.________ l’avait contacté pour lui proposer l’affaire ; avoir vu lors de la visite – qui avait eu lieu avant la signature de la promesse de vente – « deux énormes cuves en métal », vides dans ses souvenirs, ainsi qu’une installation de tuyaux qui ressortaient le long de la façade nord ; ne pas avoir eu accès aux greniers, au garage, ni au dépôt sous l’escalier ; que feu Y1________ leur avait dit qu’ils ne pouvaient pas voir ces locaux, qui étaient loués ; qu’une provision de 10'000 à 15'000 francs avait été prévue « pour évacuer les locaux » suite à la visite des architectes J.________ et K.________, « intervenus comme experts » ;  que Y1________ leur avait « montré quelques solvants qui se trouvaient à côté de la chaudière, soit une dizaine de bouteilles en plastique et en métal » ; que lui-même et B.________ ne s’étaient « pas posé plus de questions » ; que Y1________ ne leur avait « jamais parlé de tonnes de produits chimiques, ni des trous dans lesquels ceux-ci étaient déversés », ni ne leur avait dit « qu’il avait déversé des produits dans les puits perdus » ; que ce n’était que par la suite que C.________ en avait découvert neuf tonnes, dans des endroits auxquels ils n’avaient pas eu accès, notamment un bidon percé contenant du mercure et du cyanure « caché en enfilade derrière une porte en bois, sous l’escalier » ; que Y1________ lui avait paru « très sympathique et touchant » ; que concernant les rénovations à faire, ils avaient essentiellement parlé du chauffage ; que les 250'000 francs qu’il avait touchés couvraient les honoraires pour sa propre activité, ainsi que les honoraires des architectes qu’il avait mandatés. À la question de savoir pour quelles raisons, connaissant l’existence d’un atelier de galvanoplastie, il n’avait pas fait procéder à une expertise concernant la pollution de l’immeuble, A.________ a répondu que les deux cuves étaient sèches ; qu’il savait que feu Y1________ n’avait plus eu d’activité depuis 10 ans ; que l’atelier était petit, en comparaison de la taille des bureaux ; être parti du principe que les ateliers de galvanoplastie étaient suivis par les autorités et qu’en 40 ans, il y avait eu beaucoup de contrôles ; s’être également fié au CANEPO ; ne s’être douté à aucun moment que l’immeuble était pollué ; qu’il ne l’aurait pas fait acheter s’il l’avait su ; avoir « fait confiance au notaire qui avait une relation privilégiée avec Y1________ »

                        cb) B.________ a notamment déclaré que Y1________ lui avait demandé de lui signaler s’il connaissait une personne intéressée par l’achat de son immeuble ; avoir eu des contacts avec A.________, puis l’avoir accompagné chez Y1________ pour le lui présenter ; avoir, en compagnie de A.________, visité l’appartement de Y1________ et « fait un tour de l’atelier » ; ne pas avoir vu d’autres logements, ni les garages, au sujet desquels Y1________ avait dit qu’ils étaient loués, si bien qu’il n’était pas possible d’y accéder ; que des machines, de l’outillage et des récipients se trouvaient dans l’atelier, qui était composé de deux étages reliés par un escalier en colimaçon ; ne pas avoir participé aux discussions entre A.________ et Y1________ ; ignorer comment le prix de vente, d’une part, et celui de la clause de substitution, d’autre part, avait été fixés ; ignorer si les parties avaient « discuté de la pollution éventuelle de l’immeuble ou de la possibilité de réaliser une expertise » ; qu’à sa connaissance, les parties n’avaient pas discuté au sujet de la constitution d’une réserve ; que la clause d’exclusion de garantie figurait dans tous les actes qu’il instrumentait, sous réserve de ceux concernant de nouvelles constructions ; toujours expliquer la notion de défauts cachés au moyen d’exemples.

                        d) L.________ (déposition qu’il n’est pas utile de résumer ici), C.________ et J.________ ont été entendus en qualité de témoins à l’occasion d’une deuxième audience, qui s’est déroulée le 7 juin 2016.

                        da) C.________ a notamment déclaré avoir procédé dans un premier temps à une reconnaissance générale des lieux et photographié chaque local en l’état, avant déplacement des matériaux ; qu’une infime quantité des produits découverts (environ 5 ‰) étaient de type ménager ; que tous les autres étaient des produits de type mutagène et/ou cancérogènes ; que tous ces produits provenaient de l’activité de galvanoplastie et avaient été commandés par Y1________ et « nécessitaient tous d’être traités via une filière de recyclage ou d’élimination contrôlée » ; qu’« au rez-de-chaussée, certains produits étaient d’accès difficile, recouverts par des bâches, sous les établis » ; qu’« [i]l y en avait dans le local de décalque, dans les locaux de photographie et dans l’atelier de galvanoplastie » ; qu’« [a]u sous-sol, il y avait des produits en vrac dans un local qui cont[enai]t de grandes tables » ; que « [l]a majorité de ces produits (60 %) se trouvaient dans une cave fermée [qu’il avait lui]-même ouverte » ; que « [l]’entrée de cette cave n’était pas visible » ; que lui-même avait « dû déblayer des matériaux (cartons, planches, matériaux de rebus) pour dégager la porte qui n’était pas visible à priori » ; qu’il avait ensuite « dû dégager le matériel qui s’y trouvait pour pénétrer dans la cave » ; qu’« [e]n retrait, sur la droite, sous un escalier, dans un endroit qui n’était pas visible depuis l’entrée, se trouvaient beaucoup de fûts dont un était percé » ; que « [c]ertains produits se trouvaient dans des cartons ou des sacs en papier, eux-mêmes corrodés par l’humidité du local » ; que « [l]e sol était recouvert de sels de produits chimiques » ; qu’« [i]l y avait également des produits chimiques dans d’autres locaux, notamment dans les chambres hautes qui contenaient des cuves et des bombonnes ayant servi » ; avoir vécu plusieurs évacuations d’ateliers de galvanoplastie « mais rarement avec une telle quantité de produits ». À la question de savoir si la pollution de l’immeuble, en particulier des étages, provenait de l’activité de galvanoplastie pendant plusieurs années ou du dépôt des produits chimiques, C.________ a répondu : « [l]orsque l’activité de galvanoplastie s’est arrêtée, les cuves étaient pleines, l’installation de ventilation s’est arrêtée et le[s] produits se sont évaporés dans l’immeuble. Dans les cuves, on a retrouvé des cyanures cristallisés, ce qui démontre que cela a pris quelques décennies ».

                        db) J.________ a déclaré avoir été mandaté par A.________ pour « évaluer le potentiel actuel et futur de l’immeuble » litigieux ; s’être rendu sur les lieux à une reprise avec A.________, avant l’achat de l’immeuble ; ne pas avoir eu de contact avec Y1________ ; qu’il ignorait qu’une activité de galvanoplastie avait eu lieu dans l’immeuble ; avoir vu le sous-sol et que rien ne l’y avait fait penser à une activité industrielle ; ne pas avoir visité l’atelier, ou du moins ne pas en avoir le souvenir ; n’avoir constaté aucun signe de pollution, ni aucun élément qui aurait justifié une expertise ; que l’immeuble lui avait fait une « très bonne impression » (« immeuble de belle facture avec un beau potentiel ») ; qu’il pensait avoir « fait une visite complète des lieux », mais avait appris plus tard qu’ils n’avaient pas pu aller partout ; avoir néanmoins « visité tout ce qui était nécessaire à [s]on expertise, à savoir les différents étages, les locaux techniques et les aménagements extérieurs » ; avoir appris par la suite qu’on y avait retrouvé 9 tonnes de produits chimiques ; qu’au moment de sa visite, « rien ne pouvait [lui] faire penser à la présence de ceux-ci ».

                        e) Une troisième audience a eu lieu le 25 octobre 201. M.________ y a été entendu en qualité de témoin, puis I.________ a été interrogée. La demanderesse y a confirmé sa demande d’expertise. 

                        I.________ a déclaré avoir signé l’acte de vente parce que le propriétaire de la société – soit A.________ – souhaitait acquérir l’immeuble en question ; qu’avant la signature de l’acte, ce dernier ne lui avait rien dit « sur la situation de l’immeuble », mais lui avait juste exposé que ledit immeuble pouvait être rentable après travaux de rénovation. Il ne ressort pas du procès-verbal relatif à son audition qu’elle aurait répondu à la question de savoir si elle avait visité l’immeuble avant de signer l’acte de vente, ni que l’une ou l’autre des parties ou la juge lui auraient posé cette question. 

                        f) La juge civile a désigné N.________ en qualité d’expert et lui adressé le dossier, ainsi qu’une liste de questions. Ce dernier a rendu son rapport le 16 août 2017, puis un rapport complémentaire le 4 mars 2019, sur la base notamment d’un rapport de G.________ SA du 23 janvier 2019.

O.                               Les parties ont déposé leurs plaidoiries écrites en dates du 17 juillet 2019 pour la demanderesse et du 16 août 2019 pour les défendeurs.

P.                               Par jugement du 30 octobre 2019, le tribunal civil a condamné solidairement Y2________, Y6________, Y4________ et Y5________ à verser à X.________ SA, la somme de 16'086 francs, avec intérêt à 5 % dès le 25 novembre 2014 (dispositif, ch. 1) ; rejeté la demande pour toute autre et plus ample conclusion (ch. 2) ; arrêté les frais judiciaires à 149'001.70 francs et mis ces frais à la charge de X.________ SA à hauteur de 148'385.10 francs et à la charge solidaire des défendeurs précités à hauteur de 616.60 francs (ch. 3) ; condamné X.________ SA à verser aux mêmes défendeurs une indemnité de dépens de 22'000 francs (ch. 4). À l’appui de ce jugement, la juge civile a, en résumé, retenu et considéré ce qui suit.

                       

1) Le stockage des produits chimiques   

                        a) Vu l’importance relativement faible des frais qu’il avait engendrés proportionnellement au montant payé par la demanderesse pour acquérir l’immeuble (soit environ 3.5 %), il n’était pas d’emblée certain que le stockage des produits chimiques constituât un défaut, sous la forme d’une absence de qualités attendues. Toutefois, il fallait tenir compte de la somme des défauts pour déterminer si la gravité était suffisante pour que ces défauts soient qualifiés comme tels. Vu l’importance de la pollution de l’immeuble (v. infra 2.b), le fait que des produits chimiques aient été stockés dans l’immeuble devait donc être considéré comme un défaut (cons. 2).

                        b) Une très grande quantité de produits chimiques (not. 1'650 kg de produits dans l’atelier de galvanoplastie ; 275 kg dans le corridor central du rez-de-chaussée ; 1'500 kg dans celui du sous-sol ; 6'339 kg [emballage inclus] dans le local de produits chimiques du sous-sol) se trouvait dans les locaux que A.________ avait visités (not. l’atelier de galvanoplastie et le sous-sol, mais non les greniers, les garages et le dépôt sous l’escalier) avant la signature de la promesse de vente en compagnie de B.________ et de feu Y1________. La présence d’une telle quantité de produits pouvait difficilement leur échapper, contrairement à ce que A.________, B.________ et J.________ avaient déclaré. I.________, représentante de X.________ SA, « aurait également pu voir ces différents produits, si elle s’était donnée la peine de se rendre sur place, ce qu’elle n’a[vait] pas fait ». À la vue d’une telle quantité de produits, tout acheteur diligent devait se rendre compte que leur évacuation aurait un coût. Dès lors, la première juge a retenu qu’il y avait lieu de considérer que les produits chimiques qui n’étaient pas d’« accès limité » (soit entre 40 % et 90 % des produits retrouvés, en fonction de la version de C.________ que l’on retient [lors de son audition, C.________ avait déclaré que « [l]a majorité de ces produits (60 %) se trouvaient dans une cave fermée [qu’il avait lui]-même ouverte » mais, selon son propre inventaire – page 10 –, la quantité de produits retrouvés dans la cave fermée d’« accès limité » aurait représenté moins d’une tonne environ, soit environ 11 % de la totalité des produits évacués]) ne constituaient pas un défaut, dans la mesure où ils étaient – ou à tout le moins auraient dû être – connus de la demanderesse.

                        S’agissant des produits d’« accès limité », la demanderesse ne pouvait – et n’aurait pas dû – avoir connaissance de leur existence, dans la mesure où ils se trouvaient dans une pièce fermée, dont l’entrée n’était pas visible ; le même constat était valable pour les produits retrouvés dans les chambres hautes et dans les garages, dont la quantité n’était toutefois pas établie. Ces produits devaient donc être considérés comme un défaut « caché ».

                         C’est aux défendeurs qu’il incombait de prouver que la demanderesse avait – ou aurait dû avoir – connaissance de ces produits et donc de prouver quelle était la quantité exacte des produits en question. Or, pour prouver cet élément, ils n’avaient requis que les témoignages et interrogatoires des différents intervenants, et non l’inventaire ou d’autres pièces qui auraient pu permettre d’établir ce fait avec plus de certitude, si bien qu’il fallait considérer à ce stade que seuls 40 % des produits étaient – ou auraient dû être – connus de la demanderesse et ne constituaient donc pas un défaut (cons. 3).

                        c) En sa qualité d’exploitant de l’entreprise de galvanoplastie et propriétaire de l’immeuble durant « toutes ces années », feu Y1________ avait connaissance du défaut « caché » ; c’était d’ailleurs lui-même qui avait mis les produits chimiques dans la cave du sous-sol, sous l’escalier, dans les garages et dans les chambres hautes (greniers). Feu Y1________ avait frauduleusement dissimulé ce défaut caché à la demanderesse, puisqu’il avait dissimulé la porte de la cave au moyen d’objets encombrants et « faussement prétendu que les chambres hautes ainsi que les garages étaient loués et qu’il n’en avait pas les clés ». Le dol était donc établi sur le principe.

                        Toutefois, la quantité exacte de produits chimiques dissimulés n’était pas établie, à mesure que l’inventaire de C.________ détaillant les produits qui se trouvaient dans l’immeuble ne tient pas compte, s’agissant de la cave sous l’escalier, des produits qui se sont répandus sur le sol ; qu’il ne précise pas quelle quantité de produits se trouvait dans le garage ; qu’il ne fait pas mention de ceux qui auraient été retrouvés dans les chambres hautes ; qu’il mentionne un rapport de l’entreprise D.________ AG qu’il s’agirait de consulter pour obtenir des « informations complémentaires » ; que la demanderesse n’a pas fourni ce rapport. Le manque de collaboration, respectivement de transparence de la demanderesse sur ce point conduisait le tribunal à interpréter ces différents moyens de preuve en sa défaveur. La juge civile a partant retenu que la quantité de produits chimiques dissimulés était d’une tonne (correspondant à la quantité de produits décrite comme étant d’« accès limité » dans l’inventaire de C.________), soit 11 % des 9'096 kilos retrouvés. Pour ces produits-là, la clause d’exclusion de garantie n’était pas opposable à la demanderesse ; s’agissant du solde (89 %), 40 % des produits étaient – ou auraient dû être – connus de la demanderesse et ne constituaient donc pas un défaut (v. supra b) ; quant aux 49 % restants (89 % – 40 %) de produits, ils devaient être considérés comme défaut « caché » mais non « dissimulé », si bien qu’à ce stade du raisonnement, la clause d’exclusion de garantie restait opposable à la demanderesse pour 89 % des produits (cons. 5).

                        d) La jurisprudence selon laquelle une clause d'exclusion ne s'attache pas à des défauts totalement étrangers aux éventualités qu'un acheteur doit raisonnablement prendre en considération n’était d’aucun secours à X.________ SA. Premièrement, ce n’était pas le stockage des produits qui rendait l’immeuble inutilisable, mais bien plutôt la pollution. Deuxièmement, X.________ SA avait – ou aurait dû avoir – connaissance du fait qu’au moins 3'600 kilos de produits chimiques se trouvaient dans l’immeuble au moment de la vente ; elle pouvait donc raisonnablement s’attendre à en découvrir d’autres, dès lors que la visite de l’immeuble par son représentant A.________ n’avait pas été complète. Troisièmement, les frais d’évacuation (25'753.35 francs) et les frais liés à la sécurisation de l’évacuation (10'946.25 francs) représentent environ 3.5 % du prix payé par la demanderesse pour l’acquisition du bien-fonds ; une telle proportion était insuffisante pour admettre que ce défaut était tout à fait en dehors de ce avec quoi un acheteur devait raisonnablement compter et donc que la clause d’exclusion de garantie ne le couvrait pas (cons. 6).

                        e) S’agissant des produits ayant été dolosivement dissimulés par feu Y1________ (11 %), X.________ SA n’avait pas à prouver qu’elle en avait correctement avisé les défendeurs pour pouvoir se prévaloir des règles de la garantie (cons. 7).

                        f) X.________ SA ne pouvait résoudre le contrat que si la résolution était justifiée par les circonstances ; à défaut, le juge pouvait se borner à réduire le prix (art. 205 al. 2 CO) ; l’importance du défaut était une « circonstance » importante pour juger du caractère justifié ou non de la résolution. En l’occurrence, la demanderesse ne remplissait pas les conditions d’application de l’action rédhibitoire, étant donné que le dommage découlant du seul défaut qu’elle pouvait invoquer dans le cadre des règles de la garantie pour les défauts était « très nettement en dessous du prix de vente de l’immeuble », si bien que les circonstances ne justifiaient pas la résiliation du contrat.

                        Le prix de vente de l’immeuble était de 750'000 francs ; l’évacuation de tous les produits et la sécurisation de cette évacuation avaient coûté 36'699.60 francs ; il n’avait pas été prouvé que le prix de vente ne correspondait pas au prix du marché ; la question de la moins-value engendrée par les différents défauts n’avait pas été discutée par les parties dans leurs écritures. Dans ces conditions, la première juge a décidé de réduire le prix d’un montant correspondant au coût de la remise en état de la chose, relativement au défaut en cause, soit l’évacuation de la partie des produits chimiques – 11 % – considérés comme ayant été dissimulés par feu Y1________, étant donné que pour remédier au défaut relatif au stockage de ces produits, il suffisait de les évacuer. Les factures déposées ne permettaient toutefois pas d’individualiser le coût relatif à ces produits en particulier, si bien que, « [e]n équité », la juge civile a tenu compte de l’entier des coûts de sécurisation de l’évacuation (10'946.25 francs) et d’immobilisation du camion de l’entreprise D.________ AG (2'592 francs TTC), ainsi que du 11 % des autres coûts (23'161.35 x 11 % = 2'547.75 francs), soit un total de 16'086 francs.

                        2) La pollution de l’immeuble et ses conséquences      

                        a) Les défendeurs avaient allégué que le prix de vente avait été fixé particulièrement bas, en tenant compte du fait que l’immeuble était pollué et que cela nécessiterait d’importants travaux d’assainissement. Ce raisonnement ne pouvait être suivi. En effet, la valeur d’assurance d’un immeuble correspond en général à sa valeur à neuf ; elle doit permettre de couvrir les dépenses qu'exigerait la reconstruction, en exécution contemporaine, d'un bâtiment de même affectation, de même volume, de structure et de qualité similaires et élevé au même emplacement (art. 29 LAB-NE) ; elle ne correspondait donc pas à la valeur vénale (ou prix du marché), laquelle tient notamment compte de l’âge et de l’état général du bâtiment au moment de la vente, ainsi que de l’offre et de la demande. Quant à la valeur fiscale de l’immeuble (ou estimation cadastrale), la législation cantonale prévoit qu’elle doit être révisée lorsqu’un immeuble est aliéné à une valeur qui s’en écarte de plus de 20 % (art. 209 al. 1 et 2 let. b LCdir-NE) ; dès lors que le prix de vente fixé par les parties (750'000 francs) ne dépassait la valeur fiscale du bien (635'000 francs) que de 15 %, rien ne permettait de retenir que le prix de vente ne correspondait pas à la valeur vénale, compte tenu uniquement de l’âge et de l’état général de l’immeuble, sans qu’il ne soit tenu compte de l’importante pollution qui affectait l’immeuble et de ses conséquences.

                        b) La pollution de l’immeuble et ses conséquences constituaient un défaut, sous la forme de l’absence d’une qualité attendue, à mesure que cette pollution diminuait dans une très forte mesure – voire complètement – aussi bien la valeur que l’utilité prévue (ou, à tout le moins, l’utilité que l’on pouvait normalement attendre d’un immeuble locatif) (cons. 2).

                        c) Le fait que la demanderesse ait dû avoir connaissance de l’entreposage de nombreux produits chimiques dans l’immeuble ne signifiait pas encore qu’elle aurait dû avoir connaissance de la pollution et des importants frais d’assainissement en découlant : d’une part, il n’était pas établi que la pollution était la conséquence directe du stockage (elle pouvait avoir été causée par l’activité de galvanoplastie elle-même) ; d’autre part et même suite à la découverte de l’entier des produits, les autorités et les experts en charge de l’analyse de l’immeuble n’ont pas tout de suite saisi l’importance et les conséquences de la pollution (dans un rapport du 18 février 2013 encore, les experts de l’entreprise G.________ SA écrivaient à ce sujet que l’activité de galvanoplastie n’aurait semblerait-il pas affecté les étages ; c’était uniquement par la suite, après des analyses scientifiques détaillées, que la pollution globale de l’immeuble avait fini par être découverte). L’inscription au CANEPO mentionnée dans l’acte de vente permettait à X.________ SA de penser en toute bonne foi que l’immeuble n’était pas pollué dans une mesure qui ne permettrait pas son utilisation à des fins d’habitation, ceci même en ce qui concerne l’atelier de galvanoplastie, puisqu’il y était mentionné qu’aucune atteinte nuisible ou incommodante n’était attendue. En outre, le fait que des personnes – dont le vendeur – habitaient effectivement dans l’immeuble, devait permettre à tout acheteur de penser que l’immeuble respectait les normes sanitaires. Au moment du transfert des risques, X.________ SA n’avait donc pas – et n’aurait pas dû avoir – connaissance du fait que la pollution de l’immeuble était telle qu’elle nécessitait une dépollution, si bien que la pollution et ses conséquences devaient être considérées comme un défaut « caché ». Le défaut étant « totalement étranger aux éventualités que la demanderesse devait raisonnablement prendre en considération », la clause d’exclusion de garantie ne lui était pas opposable pour ce défaut (cons. 3 et 6).

                        d) La juge civile ne parvenait pas à se convaincre que feu Y1________ avait une connaissance effective de la pollution de l’immeuble et de ses conséquences. Cette pollution n’était pas flagrante, puisque mêmes les experts ne l’avaient pas constatée d’emblée et qu’il avait fallu attendre plusieurs mois, voire même des années, pour que son ampleur réelle et ses conséquences soient finalement découvertes. Il ne ressortait pas du dossier que des investigations relatives à cette pollution auraient été menées alors que feu Y1________ était propriétaire de l’immeuble. Le fait que feu Y1________ ait toujours travaillé et vécu dans cet immeuble avec toute sa famille laissait également penser qu’il n’avait pas connaissance de cette pollution et de ses conséquences. À mesure que la demanderesse n’était pas parvenue à prouver la connaissance effective du défaut par feu Y1________, elle ne parvenait pas à apporter la preuve stricte du dol. À ce stade du raisonnement, la clause d’exclusion de garantie restait applicable au défaut relatif à la pollution et à ses conséquences (cons. 5).

                        e) Le prix de vente n’était « pas extrêmement élevé (CHF 750'000.-), eu égard vraisemblablement à la clause d'exclusion de la garantie et à l'âge de l'immeuble » mais les parties n’avaient pas tenu compte, dans le cadre de la fixation de ce prix, de la pollution de l’immeuble et du fait qu’il faudrait l’assainir. Le coût d’assainissement de l’immeuble (évalué à CHF 1'234'000.- hors taxes) était quant à lui supérieur au prix payé par la demanderesse pour l’acquisition du bien-fonds. L’importance économique du défaut dépassait ainsi très largement les 10 % du prix de vente (cons. 6).

                        f) Toutefois et en l’absence de dol de la part de feu Y1________ sur ce point, X.________ SA avait, conformément à l’article 201 CO, l’obligation de signaler « immédiatement » au vendeur les défauts qu’il ne pouvait découvrir à l'aide des vérifications usuelles (al. 2) ; à défaut, la chose était tenue pour acceptée, même avec ces défauts (al. 3). Or, en l’occurrence, le courrier du 21 novembre 2011 de « E.________ SA » à « Gérance F.________ » (v. supra let. C/c) ne pouvait pas être considéré comme un avis de défaut valable, dans la mesure où il n’était pas suffisamment précis. De plus, il n’était pas établi que cet « avis de défaut » avait été notifié à la bonne personne, à mesure que la demanderesse n’avait pas allégué – et donc, a fortiori, pas prouvé – que la « Gérance F.________ » représentait les défendeurs à cette époque.

                        En outre, X.________ SA n’avait pas allégué – et donc, a fortiori, pas prouvé – à quel moment elle avait eu connaissance du fait que l’immeuble était « gravement pollué ». À la lecture du courrier du 20 avril 2012 (v. supra let. C/c), on comprenait que l’avocat de X.________ SA l’avait écrit après avoir été consulté par la demanderesse, qui aurait, selon ces lignes, découvert « récemment » cette pollution ; or X.________ SA avait été mise au courant par courrier de la Commission de salubrité de Z.________ du 27 janvier 2012 (v. supra let. C/d), qu’une grande partie des locaux de galvanoplastie étaient contaminés et que cela nécessiterait des précautions en cas de réaffectation de ces locaux, pour éviter que les futurs occupants ne soient atteints dans leur santé. Il ne s’agissait pas là des premiers signes d’un défaut progressif, qui aurait permis à la demanderesse d’attendre que le défaut soit réalisé dans son entier avant qu’elle ne doive en aviser les défendeurs. En tant que professionnelle de l’immobilier, X.________ SA était tenue, en découvrant un tel défaut – qui nécessitait donc des mesures d’assainissement et constituait dès lors manifestement une inexécution du contrat – de le signaler immédiatement aux défendeurs, à moins qu’elle ne l’accepte. L’avis donné le 20 avril 2012, soit plus de deux mois et demi après le courrier des autorités, devait être considéré comme étant tardif. S’il s’était avéré, en fait, que la demanderesse n’avait réellement découvert ce défaut que plus tard, il lui incombait alors de l’alléguer et de le prouver, ce qu’elle n’avait pas fait.

                        Supposé non tardif, l’avis de défaut du 20 avril 2012 n’était pas suffisamment précis quant à l’importance du défaut : il ne permettait pas aux défendeurs de se faire une idée de l’importance réelle du défaut ; il ne précisait pas de quel type de pollution il s’agissait ni quels étaient les étages touchés.

                        Enfin, l’avis de défauts du 20 avril 2012 ne visait pas la pollution affectant les étages habités de l’immeuble, laquelle n’avait pas encore été découverte à cette date. Au moment où elle avait découvert que tout l’immeuble était affecté, X.________ SA aurait dû en aviser avec précision les défendeurs, ce qu’elle n’avait pas fait.

                        Dans ces conditions, la juge civile n’avait « d’autre choix que de considérer que le défaut relatif à la pollution de l’immeuble et à ses conséquences a[vait] été accepté par la demanderesse, étant donné qu’elle n’a[vait] pas respecté l’incombance de l’avis des défauts, dont le caractère strict ne pouvait échapper à une entreprise active dans l’immobilier » (cons. 7).

Q.                               X.________ SA appelle de ce jugement le 2 décembre 2019, en concluant à son annulation et partant à l’annulation avec effet rétroactif au 1er février 2011 de la vente conclue entre elle-même et feu Y1________ ; à ce que les intimés soient condamnés à lui payer le montant de 1'462'422 francs, plus intérêts à 5 % sur 750'000 francs dès le 1er février 2011 et intérêts à 5 % sur le tout dès le dépôt de la requête de conciliation ; à ce que les intimés soient condamnés à lui payer l’intérêt bancaire d’au moins 1.17 % sur le crédit de 1'520'000 francs qui lui avait été accordé le 28 janvier 2011, jusqu’à l’entrée en force du jugement au fond ; avec suite de frais et dépens. Les griefs à l’appui de l’appel seront exposés dans les considérants qui suivent. 

R.                               Au terme de leur réponse et appel joint du 21 janvier 2020, les intimés et appelants joints concluent au rejet de l’appel principal ; à l’annulation du chiffre 1 du dispositif du jugement du 30 octobre 2019 ; à ce que le chiffre 3 dudit dispositif soit réformé dans le sens de la mise de la totalité des frais judiciaires à la charge de X.________ SA ; à ce que le chiffre 4 dudit dispositif soit réformé dans le sens de la condamnation de X.________ SA à payer aux intimés et appelants joints une indemnité de dépens de 22'846 francs ; avec suite de frais et dépens. Les griefs à l’appui de l’appel joint seront exposés dans les considérants qui suivent.

S.                               Au terme de sa réplique et réponse à appel joint du 27 février 2020, X.________ SA maintient l’ensemble des conclusions prises dans son appel et conclut au rejet de l’appel joint, sous suite de frais judiciaires et dépens.

T.                               Le 3 mars 2020, le juge instructeur a écrit aux parties que l’échange d’écriture était clos, sous réserve du droit de réplique inconditionnel à exercer dans les 10 jours, et qu’il serait statué ultérieurement, sur pièces et sans débats.

U.                               Les intimés et appelants joints n’ont pas réagi dans le délai imparti.

C O N S I D E R A N T

1.                                a) Interjetés dans les formes et délai légaux, l’appel et l’appel joint sont recevables à cet égard (art. 311-313 CPC), sous réserve des défauts de motivation mis en évidence ci-après, ainsi que du considérant 1/b ci-dessous.

                        b) Les conclusions en appel de l’appelante vont au-delà des dernières conclusions présentées en première instance. Celles-ci sont irrecevables, en tant qu’elles excèdent celles-là, à mesure qu’on ne voit pas – et que l’appelante n’expose pas – en quoi les conditions de l’article 317 al. 2 CPC seraient réalisées.      

2.                                Il n’est pas contesté que feu Y1________ et X.________ SA ont conclu un contrat de vente immobilière régi par les articles 216 ss CO et que la garantie pour les défauts de la chose vendue est régie par les articles 197 ss CO, applicables par renvoi de l’article 221 CO. à teneur de l'article 197 CO, le vendeur est tenu de garantir l'acheteur tant en raison des qualités promises qu'en raison des défauts qui, matériellement ou juridiquement, enlèvent à la chose soit sa valeur, soit son utilité prévue, ou qui les diminuent dans une notable mesure (al. 1) ; il répond de ces défauts même s'il les ignorait (al. 2).           

2.1                   Le défaut au sens de cette disposition se définit comme l’absence d’une qualité dont le vendeur avait promis l’existence ou à laquelle l’acheteur pouvait s’attendre selon les règles de la bonne foi. Il faut à cet égard comparer deux états : l’état de la chose qui a été livrée et l’état de la chose qui devait être livrée ; le défaut doit déjà exister au moment du transfert des risques (défaut primaire) ou au moins trouver son origine dans un défaut qui existait déjà au moment du transfert des risques (défaut secondaire). La question de savoir si l’acheteur aurait ou non conclu le contrat ou ne l’aurait pas conclu aux mêmes conditions s’il avait connu le défaut dépend de l’ensemble des circonstances, du contenu (souvent implicite) de l’accord et des règles de la bonne foi, et non des seules attentes subjectives de l’acheteur ; si la chose a plusieurs défauts, c’est la somme de ces défauts qui est déterminante (Tercier/Bieri/Carron, Les contrats spéciaux, 5e éd., nos 659 ss ; Venturi/Zen-Ruffinen in CR CO I, n. 17 ad art. 197 et les réf. citées).

2.2                   L'article 200 CO précise que le vendeur ne répond pas des défauts que l'acheteur connaissait au moment de la vente (al. 1), ni des défauts dont l'acheteur aurait dû s'apercevoir lui-même en examinant la chose avec une attention suffisante, sauf s'il lui a affirmé qu'ils n'existaient pas (al. 2). Dans ces cas, dont il appartient au vendeur de prouver que l’hypothèse est réalisée, il n'y a pas à proprement parler de défaut. L'article 200 al. 2 CO présume la connaissance du défaut lorsqu'il est reconnaissable pour une personne faisant preuve de l'attention commandée par les circonstances ; il s'agit d'un cas d'application de l'article 3 al. 2 CC ; la règle vise un cas où l’ignorance de l’acheteur n’est pas digne de protection (arrêt du TF du 20.05.2014 [4A_619/2013] cons. 4.1 et les réf. citées). Pour éviter de se voir opposer l’exclusion de la garantie, l’acheteur doit procéder à un examen de la chose avant ou lors de la conclusion du contrat, en faisant preuve de « l’attention habituelle » (Tercier/Bieri/Carron, op. cit., n. 698 ; Venturi/Zen-Ruffinen, op. cit., n. 6 ad art. 200). Ce devoir n’impose en particulier pas à l’acheteur de recourir à un expert (ATF 131 III 145 cons. 6.3). Par exemple, l’acheteur d’un appartement en construction n’a pas à vérifier que la surface du logement corresponde à celle prévue par le contrat (arrêt du TF du 14.02.2008 [4A_417/2007]). Lorsque le contrat contient une clause exclusive de garantie, on peut toutefois attendre de l’acheteur, qui accepte de ne plus pouvoir se prévaloir de certains défauts, qu’il examine plus attentivement la chose avant la conclusion du contrat. Le devoir de vérifier la chose va dès lors au-delà de « l’attention habituelle » dont l’acheteur doit, en général, faire preuve ; il n’en va différemment que lorsque la vérification plus attentive de la chose n’est pas (ou n’est que difficilement) possible ou ne peut raisonnablement être exigée de l’acheteur, ou lorsque le vendeur dissuade l’acheteur d’y procéder (Venturi/Zen-Ruffinen, op. cit., n. 3 ad art. 199).

2.3                   Selon l’article 199 CO, toute clause qui supprime ou restreint la garantie est nulle si le vendeur a frauduleusement dissimulé à l'acheteur les défauts de la chose. La « dissimulation frauduleuse » au sens de cette disposition couvre tous les comportements pouvant être qualifiés de dolosifs au sens de l’article 28 CO ; le dol éventuel suffit, en ce sens que la tromperie intentionnelle est déjà réalisée lorsque le vendeur qui connaît le défaut envisage et accepte la possibilité que l'acheteur ne le découvre pas ; le fardeau de la preuve du dol incombe à l'acheteur. La dissimulation frauduleuse est notamment réalisée lorsque le vendeur omet d'aviser son cocontractant d'un défaut alors qu'il a une obligation de renseigner, laquelle peut découler des règles de la bonne foi ; savoir s'il existe un devoir d'informer dépend des circonstances du cas concret ; le vendeur est tenu de détromper l'acheteur lorsqu'il sait – ou devrait savoir – que celui-ci est dans l'erreur sur les qualités de l'objet, ou lorsqu'il s'agit d'un défaut (notamment caché) auquel l'acheteur ne peut de bonne foi pas s'attendre, et qui revêt de l'importance pour celui-ci ; le vendeur est dispensé d'informer l'acheteur lorsqu'il peut de bonne foi partir du principe que l'acheteur va s'informer lui-même, qu'il va découvrir le défaut sans autre, sans difficultés ;  est décisive la question de savoir si le vendeur, dans les circonstances concrètes, est autorisé à supposer que l'acheteur découvrira le défaut (ATF 131 III 145, cons. 8.1, JdT 2007 I, p. 261 ; arrêt du TF du 20.05.2014 [4A_619/2013] cons. 4.1 et les réf. citées).  

                        L'invalidité de la clause d'exclusion suppose que le vendeur connaisse l'existence des défauts, car la dissimulation est un comportement intentionnel (arrêt du TF du 04.07.2011 [4A_196/2011] cons. 3, qui cite l’ATF 66 II 132 cons. 6 p. 139 et l’ ATF 131 III 145 cons. 8.1 p. 151). L’on parle ici d’une connaissance effective du défaut par le vendeur, l'ignorance due à une négligence même grave ne suffisant pas (arrêt du TF du 20.08.2009 [4A_226/2009] cons. 3.2.3, qui cite notamment l’ATF 81 II 138 cons. 3).

                        La nullité a une portée limitée : elle est d’abord limitée à la garantie pour les seuls défauts dissimulés, la clause limitative ou exclusive demeure valable s’agissant des défauts que le vendeur n’a pas frauduleusement dissimulés ; la nullité n’est ensuite que partielle, en ce sens qu’elle n’affecte que la clause en question, à l’exclusion des autres clauses du contrat ou du contrat lui-même, et cela indépendamment des conditions de l’article 20 al. 2 CO (Venturi/Zen-Ruffinen, op. cit., n. 4 ad art. 199).

2.4                   La jurisprudence admet également qu'une clause d'exclusion de garantie ne s'attache pas à des défauts totalement étrangers aux éventualités qu'un acheteur doit raisonnablement prendre en considération ; en d’autres termes, un défaut ne tombe pas sous le coup de la clause d'exclusion de la garantie, s'il est tout à fait en dehors de ce avec quoi un acheteur devait raisonnablement compter (ATF 130 III 686 cons. 4.3.1, JdT 2005 I 247 ; 126 III 59 cons. 4a et 5a ; 107 II 161 cons. 6c ; arrêt du TF du 02.12.2010 [4A_551/2010] cons. 2.6). Il faut établir, dans le cadre d'un seul examen d'ensemble, si l'acheteur devait compter avec des défauts d'une nature déterminée dans la mesure existante ; par exemple, même si un acheteur qui acquiert une maison pour y habiter doit en principe compter avec des défauts d'une nature déterminée, cela ne signifie pas qu'il doive les envisager dans une ampleur telle que la maison soit dans une large mesure inutilisable pour l'usage d'habitation qui était prévu ; le point de savoir si un défaut d'un immeuble compromet sensiblement le but du contrat ne peut en principe pas être résolu sans prendre en considération le rapport entre le prix de vente pour l'objet présumé sans défaut et apte à l'utilisation prévue et les frais d'une éventuelle élimination des défauts pour rendre l'objet apte à l'usage prévu ; il faut cependant réserver le cas où un acheteur fixe un prix de vente bas, eu égard à la clause d'exclusion de la garantie et à l'âge de l'immeuble ; dans ces conditions, même des frais d'élimination des défauts relativement élevés par rapport au prix de vente ne peuvent guère compromettre sensiblement le but économique du contrat (ATF 130 III 686 cons. 4.3.1, JdT 2005 I 247).

3.                                Dans un premier grief (appel, ch. IV/B), l’appelante reproche à la première juge d’avoir opéré une distinction entre le stockage des produits chimiques, d’une part (v. supra Faits, let. P/1), et la pollution de l’immeuble et ses conséquences, d’autre part (v. supra Faits, let. P/2) ; de l’avis de l’appelante, cette distinction ne faisait « aucun sens » (appel, p. 13), à mesure que l’éventuel lien de causalité entre l’un et l’autre n’était pas pertinent ; que, même pris isolément, la présence de chacun d’eux entraînait la classification de l’immeuble en tant que site contaminé, au sens de l’Ordonnance fédérale du 26 août 1998 sur l’assainissement des sites pollués (OSites, RS 814.680), parce que « tant la pollution que la présence des produits chimiques ont nécessité des mesures d’intervention ».

3.1                   Le raisonnement de l’appelante repose sur un allégué prémisse, à savoir que par la mention figurant au chiffre 8 de la page 4 de l’acte de vente (dont la teneur est reproduite ci-dessus [Faits, let. B]), les parties auraient « expressément convenu que l’une des qualités (convenues ou, à tout le moins, promise par le vendeur) est […] qu’il s’agit d’un "site pollué pour lequel on ne s’attend à aucune atteinte nuisible ou incommodante" ».

Déterminer quelle était l’intention des parties au moment d’adopter la clause d’un contrat est une question de fait et non de droit. Or l’appelante n’a pas allégué le fait en question en temps utile lors de la procédure de première instance, si bien que l’allégué est tardif – et partant irrecevable – au stade de l’appel, faute pour les conditions de l’article 317 al. 1 CPC d’être réalisées.

Par surabondance, il ressort des explications données par B.________ que ce notaire avait pris seul l’initiative de la consultation du CANEPO et que cette mention correspondait à une pratique notariale existant depuis 2008 ou 2009, puis devenue obligatoire en 2014 ou 2015. Une telle exigence vise manifestement à informer d’office l’acquéreur d’un immeuble du contenu du CANEPO. Dans ces conditions, on ne saurait déduire de la mention dans l’acte de vente de l’inscription au CANEPO que le vendeur entendait garantir à l’acquéreuse qu’aucune atteinte nuisible ou incommodante était attendue. Au contraire, rien ne permet de penser que cette mention serait le résultat d’une discussion entre les parties, ni même que les parties auraient discuté de cette mention. De plus, feu Y1________ ne disposait manifestement pas des connaissances techniques pour donner à l’appelante la garantie que celle-ci prétend avoir reçue. Même supposé introduit en procédure en temps utile, l’allégué selon lequel les parties auraient eu l’intention d’intégrer dans le contrat de vente des notions de droit administratif, de manière à ce qu’elles « deviennent l’expression de la manifestation de volonté des parties » ne pourrait donc pas être retenu, à mesure qu’il n’est clairement pas établi.   

3.2                   En faisant valoir que le stockage des produits chimiques, d’une part, et la pollution de l’immeuble et ses conséquences, d’autre part, devaient être appréhendés comme une unité, en ce sens que « l’emploi et le stockage de produits chimiques et la pollution de l’immeuble ont entraîné la contamination de ce dernier », l’appelante contredit la conclusion de la première juge selon laquelle « il n’a pas été établi que ces deux éléments aient forcément été dépendants l’un de l’autre, étant donné que rien au dossier ne permet de prouver que c’est le stockage de produits chimiques dans l’immeuble et pas l’activité de galvanoplastie elle-même qui a engendré la pollution ».

                        Premièrement, le point de vue de l’appelante n’est guère compréhensible, en ce sens qu’on ne saisit pas quelle distinction elle opère entre la pollution de l’immeuble et la contamination de celui-ci.

                        Deuxièmement, à l’appui de son point de vue, l’appelante n’oppose – hormis l’allégué tardif et en tout état de cause mal fondé examiné ci-avant (cons. 2.1) – aucun argument au raisonnement de la première juge, si bien que le grief n’a pas à être examiné plus avant, vu l’exigence de motivation posée à l’article 311 al. 1 CPC.

                        Troisièmement et à supposer que l’appelante entendait faire valoir que la pollution de l’immeuble avait été causée tant par l’activité de galvanoplastie que par le stockage dans l’immeuble de produits chimiques, force est de constater en premier lieu que cet allégué relatif aux causes de la pollution n’a pas été présenté en temps utile, si bien qu’il est tardif et, en second lieu, qu’on ne voit pas – et que l’appelante n’indique pas – quels éléments du dossier prouveraient ce fait. Enfin, on précisera par surabondance qu’à suivre un tel raisonnement, il faudrait alors conclure que l’appelante connaissait ou aurait dû connaitre la pollution de l’immeuble au jour de la vente, puisque son représentant A.________, d’une part, avait pu constater la présence de plusieurs tonnes de produits chimiques lors de la visite des lieux effectuée le 2 décembre 2010 et, d’autre part, savait que feu Y1________ avait exercé dans l’immeuble une activité de galvanoplastie pendant des décennies. À toutes fins utiles, on précisera que le raisonnement de la première juge sur ces questions est tout à fait convaincant et que la Cour de céans s’y rallie. 

4.                                Dans son deuxième grief, l’appelante conteste avoir eu, au moment de la vente, une « connaissance effective (positive) des 40 % des produits chimiques ». À l’appui de ce grief, elle se réfère aux témoignages de J.________, L.________, B.________ et C.________, dont il ressortirait « qu’il n’était pas possible, en visitant les lieux, de constater la présence des produits chimiques ». Selon l’appelante, la première juge aurait dû retenir, en faits, « que l’appelante n’avait pas la connaissance effective (positive) du défaut dans son ensemble ».

4.1                   Ce grief est irrecevable, car insuffisamment motivé, au sens de l’article 311 al. 1 CPC. En effet, l’appelante n’oppose aucune objection au raisonnement de la première juge selon lequel A.________ avait – en compagnie de B.________ – visité « une partie importante des locaux, avant même la signature de la promesse de vente, dont notamment l’atelier de galvanoplastie et le sous-sol » ; selon l’inventaire dressé par C.________, « il devait indéniablement se trouver dans les locaux visités, une très grande quantité de produits chimiques, tels que notamment : 1'650 kg de produits dans l’atelier de galvanoplastie, 275 kg dans le corridor central du rez-de-chaussée, 1'500 kg dans celui du sous-sol et 6'339 kg (emballage inclus) dans le local de produits chimiques du sous-sol » ; il allait « sans dire que la présence d’une pareille quantité de produits pouvait difficilement leur échapper, contrairement à ce que A.________, B.________ et J.________ ont déclaré ». Par surabondance, on ajoutera ce qui suit.

4.2                   Entendu comme témoin dans le cadre de la procédure, A.________, qui avait visité les locaux pour le compte de l’appelante avant la signature de la promesse de vente, a déclaré avoir vu à cette occasion « deux énormes cuves en métal », vides dans ses souvenirs, ainsi que « quelques solvants qui se trouvaient à côté de la chaudière, soit une dizaine de bouteilles en plastique et en métal ».

                       Il est manifeste que cette description faite par A.________ consacre une sous-évaluation crasse des produits ayant été vus par le prénommé lors de sa visite. Cette sous-évaluation s’explique du fait que A.________ n’a pas tiré les conséquences qui s’imposaient du fait du constat de ces produits. En effet, à la vue d’une grande quantité de produits chimiques entreposés dans des locaux, n’importe quel acheteur diligent se serait, avant d’envisager l’achat de l’immeuble, renseigné auprès d’un expert en produits chimiques sur la nature de ces produits, la conformité de leur stockage, le coût de leur évacuation et les risques d’une éventuelle pollution provoquée par ce stockage. L’absence non seulement de professionnalisme, mais aussi de diligence élémentaire dont A.________ a fait preuve ressortent aussi du fait qu’il n’avait même pas conscience de la surface totale des locaux – à mesure qu’il ne s’est pas rendu compte que l’accès à une cave avait été dissimulé – et surtout qu’il n’avait pas demandé à visiter les locaux prétendument loués à des tiers, alors qu’en sa qualité de professionnel de l’immobilier, A.________ ne pouvait que savoir que les locataires avaient l’obligation d’autoriser le bailleur – soit Y1________ – à inspecter la chose dans la mesure où cet examen était nécessaire à la vente de l’immeuble (art. 257h al. 2 CO).

                        Or il ressort tant du témoignage de C.________ que de son inventaire que plusieurs tonnes de produits chimiques étaient entreposés dans les locaux auxquels A.________ avait eu accès, si bien que ce dernier ne pouvait qu’en avoir une connaissance effective. Sur le détail de ces produits (qualité et quantité), il est manifeste que l’inventaire est plus fiable que le témoignage de C.________.

                        Par ailleurs, le fait que A.________ déclare avoir fait appel à deux architectes « intervenus comme experts » lors de la visite pour déterminer le coût de l’évacuation des locaux démontre que A.________ savait avant la visite ou avait constaté lors de sa visite que les locaux étaient fortement encombrés, et non pas qu’ils abritaient simplement deux cuves vides et dix bouteilles.

                        Le fait aussi que tant X.________ SA (all. 85) que A.________ aient indiqué qu’une provision avait été prévue « pour évacuer les locaux » illustre que le désencombrement desdits locaux n’était pas une formalité, comme le serait l’évacuation de deux cuves vides et de dix bouteilles. 

                        Finalement, le fait que X.________ SA ait, vers septembre 2011, mandaté un expert, en la personne de C.________, « pour procéder à un examen et à un inventaire des produits qui se trouvaient dans l’immeuble (aa) [, s]on mandat consista[n]t à déterminer la quantité comme la qualité des produits chimiques » qui s’y trouvaient – étant précisé que X.________ SA ne lui avait donné aucune précision quant à l’emplacement de ces produits dans l’immeuble – illustre qu’à ce moment-là, X.________ SA avait une connaissance effective (ou positive) non pas de la présence dans les locaux de deux cuves vides et dix bouteilles, comme l’a admis A.________, mais bien d’une quantité de produits justifiant l’intervention d’un expert, d’une part, et l’élaboration d’un inventaire, d’autre part.

5.                                Dans le troisième chapitre de son appel, consacré au dol du vendeur, l’appelante fait valoir que feu Y1________ « était pleinement conscient du fait, d’une part, que ces produits chimiques étaient déposés dans son immeuble et, d’autre part, du fait qu’ils étaient dangereux, risquaient de polluer l’immeuble et devaient être éliminés, d’autre part » (p. 20 ; ég. p. 23 évoquant les « risques de contamination » représentés par ces produits) ; qu’il avait « dissimulé cet entreposage à tel point que même des spécialistes ayant visité l’immeuble n’y ont rien vu de suspect », « recouvert et dissimulé certains contenants » ou « empêché le représentant de l’acheteuse d’accéder à certaines parties du bâtiment, fortement polluées et/ou qui renfermaient des produits chimiques » ; que feu Y1________ « avait les compétences nécessaires pour évaluer et connaître la toxicité des 9 tonnes de produits chimiques stockés dans l’immeuble litigieux » ; qu’il avait aussi « les compétences et les capacités suffisantes pour être conscient des dangers et des risques de pollution que le stockage de ces produits, respectivement leur manipulation, pouvait engendrer » ; qu’il était « resté dans l’immeuble aussi longtemps afin précisément de surveiller ses produits, de les éliminer sans éveiller les soupçons des autorités », vu la date d’acquisition de l’immeuble litigieux, la durée de l’exercice de l’activité de galvanoplastie en ce lieu, le fait que feu Y1________ n’était « en aucun cas titulaire d’une autorisation pour acheter ni manipuler le genre de produits chimiques toxiques qu’il a utilisés pendant plusieurs années », le fait qu’il avait volontairement caché certains produits et empêché l’accès à certains autres, le fait qu’il avait percé des canalisations publiques pour y déverser des produits et s’en débarrasser.

                        Ces éléments ne sont pas propres à convaincre la Cour que, dans les faits, feu Y1________ connaissait l’état de la pollution de l’immeuble ou se doutait de cet état.

5.1                   Est en effet déterminant à cet égard en premier lieu le fait que les experts en produits chimiques qui sont intervenus dans ce dossier n’ont pas immédiatement saisi l’existence ni l’ampleur de la pollution de l’immeuble. Dans son raisonnement, l’appelant ignore totalement cet élément, que la première juge avait pourtant pris en compte (cons. 5, p. 29).

                        a) Il ressort en premier lieu d’une lettre du SENE à Y1________ du 15 décembre 2005 que l’exercice d’une activité de galvanoplastie durant 33 années consécutives dans l’immeuble litigieux – laquelle impliquait forcément non seulement l’utilisation, mais aussi le stockage de produits chimiques – n’était pas de nature à faire soupçonner à l’autorité compétente une possible pollution de l’immeuble. Dans cette lettre, le Service en question écrivait en effet à Y1________ qu’au vu de l’activité historique sur sa parcelle, le site allait être inscrit comme site pollué au CANEPO, étant précisé qu’« en l’état des connaissances : on ne s’attend à aucune atteinte nuisible ou incommodante pour l’environnement ; dès lors, aucune investigation du site ne sera demandée malgré l’inscription dans le cadastre » et qu’« en cas de réaménagement du site, il faudra veiller à considérer cet état de fait de la façon suivante : avant tous travaux impliquant des terrassements en particulier, il conviendra d’identifier les mesures à prendre, après un examen approprié du site par un spécialiste, et notamment veiller au respect des filières d’élimination des déchets générés ». Selon les connaissances du SENE en décembre 2005, l’analyse d’un spécialiste n’était ainsi préconisée qu’en cas de travaux de terrassement. Or X.________ SA n’allègue pas avoir envisagé de tels travaux, ni a fortiori en avoir informé feu Y1________. De plus, si le SENE évoquait des précautions à prendre en termes d’élimination des déchets, il ne mentionnait aucun risque de pollution. Au moment de recevoir cette lettre, Y1________ était âgé de 85 ans et il avait cessé son activité professionnelle depuis 13 ans, si bien qu’on ne saurait lui imputer des connaissances que les experts du SENE n’avaient pas. Du moment qu’il avait cessé son activité professionnelle et compte tenu de son âge avancé, on ne saurait davantage partir du principe que feu Y1________, depuis 1992, aurait continué de se tenir au courant de l’évolution des connaissances de la branche, notamment celles relatives à la pollution générée par l’activité de galvanoplastie ou le stockage de produits utilisés pour la galvanoplastie.  

                        b) C.________ a pénétré dans l’immeuble pour mener à bien son mandat le 15 septembre 2011 et il a terminé son inventaire le 17 octobre 2011. Il ne ressort pas du dossier que cet expert ou les spécialistes de Z.________, dont les Services avaient été alertés le 22 septembre 2011, auraient envisagé une probable ou même possible pollution ou contamination de tout ou partie de l’immeuble, à la vue de cet inventaire. Au contraire, Z.________ s’est dans un premier temps contentée d’ordonner l’évacuation des produits.

                        c) En janvier 2012, les experts de Z.________ n’envisageaient des risques pour la santé qu’en cas de « réhabilitation » de l’ancien atelier de galvanoplastie (v. supra Faits, let. C/d). Ce n’est qu’en date du 2 août 2013 – soit près de deux ans après les premières investigations de C.________ et après la mise en œuvre d’expertises techniques complexes (on en veut pour preuve, à titre d’exemple, les expertises de G.________ SA du 28 mai 2013 et du 23 janvier 2019) – que la Commission de salubrité publique a interdit l’occupation de l’immeuble, après avoir constaté une pollution, laquelle affectait possiblement les étages supérieurs (v. supra Faits, let. E). 

                        d) Dans ces conditions, l’appelante ne saurait raisonnablement soutenir que feu Y1________ connaissait l’état de la pollution de l’immeuble ou se doutait de cet état. Elle le peut d’autant moins qu’elle allègue que feu Y1________ n’était « en aucun cas titulaire d’une autorisation pour acheter ni manipuler le genre de produits chimiques toxiques qu’il a utilisés pendant plusieurs années », si bien qu’elle ne saurait sérieusement lui prêter des connaissances que même les titulaires de telles autorisations n’avaient pas.

                        e) Contrairement à ce que semble prétendre l’appelante, le fait que les experts n’aient pas immédiatement découvert la pollution n’est pas dû au fait que feu Y1________ aurait « dissimulé cet entreposage ». On rappellera au surplus que la dissimulation en question n’avait rien de subtil et encore moins d’astucieux, si bien qu’elle n’était pas de nature à échapper à un acheteur – a fortiori professionnel de l’immobilier – faisant preuve de la diligence minimale commandée par les circonstances, et qui consistait à visiter la totalité de l’immeuble dont l’acquisition était envisagée, y compris d’exiger d’avoir accès aux parties louées (cf. art. 257h al. 2 CO). Le fait que l’appelante ait renoncé à cette démarche illustre son manque de sérieux. Il en va de même du fait que son représentant n’a pas réagi après avoir constaté la présence de plusieurs tonnes de produits chimiques sur les lieux. Le fait que l’accès à une cave ait pu être dissimulé donne enfin une idée de l’état d’encombrement des lieux, que X.________ SA a toléré. 

5.2                   La thèse de l’appelante selon laquelle feu Y1________ aurait non seulement exposé sa santé, mais aussi celle de ses propres enfants à une pollution qui justifiait l’interdiction de l’occupation de l’immeuble, pour échapper à une poursuite pénale et/ou pour parvenir à vendre son immeuble au meilleur prix n’est enfin guère vraisemblable. Le fait que feu Y1________ ait vécu dans l’immeuble litigieux entre 1959 et le jour de son décès le 16 juin 2011, et qu’il y ait installé sa famille durant de nombreuses années, démontre au contraire qu’il ne se doutait pas que l’immeuble puisse être pollué. Feu Y1________ appartenait manifestement à une « vieille école » d’artisans qui ignoraient largement les risques de leur activité, comme l’illustre la déclaration suivante de C.________ : « si le rapport mentionne des écoulements dans la cage d’escaliers en colimaçon reliant les deux étages de l’atelier, c’est certainement dû à la vidange des cuves ou au nettoyage de l’atelier. À une certaine époque, cela se faisait. J’appelle cela la tache noire de l’horlogerie ».

5.3                   L’appelante considère comme « décisif pour retenir que le vendeur était non seulement pleinement conscient de l’ensemble de la contamination de l’immeuble […], mais surtout du fait que cette contamination était dangereuse et qu’il fallait la dissimuler, voire s’en débarrasser » le fait que feu Y1________ avait « creus[é] les fondations de l’immeuble pour parvenir aux canalisations publiques », puis « perc[é] celles-ci pour y déverser des produits toxiques présents dans son immeuble, afin de s’en débarrasser à l’insu de tous, y compris des autorités publiques ».

                        X.________ SA s’abstient toutefois d’exposer – et la Cour de céans ne voit pas – en quoi les pièces auxquelles elle se borne à renvoyer prouveraient les faits allégués, si bien que le grief est infondé pour ce premier motif. En tout état de cause, il est certain que feu Y1________ n’a pas déversé dans les canalisations publiques les plus de 9 tonnes de produits qui se trouvaient encore dans l’immeuble au jour de la vente de cet objet.

                        Au surplus, et même à retenir, en fait, que feu Y1________ aurait creusé les fondations de l’immeuble pour parvenir aux canalisations publiques, puis percé celles-ci pour y déverser des produits toxiques, on ne voit pas en quoi ces faits prouveraient qu’il était conscient de l’état de pollution de l’immeuble ; au contraire, de tels faits tendraient plutôt à prouver la méconnaissance de feu Y1________ de la toxicité de ces produits et son appartenance à cette « vieille école » d’artisans déjà évoquée, qui ignoraient largement les risques de leur activité.

6.                                Vu l’ensemble de ce qui précède, les développements de l’appelante relatifs aux conséquences du dol du vendeur (ch. IV/E) et aux droits spécifiques à la garantie pour les défauts (ch. IV/F), qui reposent sur l’admission du bien-fondé des griefs précédents n’ont pas à être examinés. 

7.                                Le grief intitulé « arbitraire » (ch. IV/G) est insuffisamment motivé, et partant irrecevable. L’exigence de motivation ancrée à l’article 311 al. 1 CPC implique en effet l’obligation pour l’appelant de reprendre la démarche du premier juge en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement ; de délimiter clairement les critiques relatives à la constatation des faits et celles concernant l’application du droit ; d’exposer avec précision en quoi, pour les premières, les faits retenus seraient en contradiction avec les preuves administrées et en quoi, pour les secondes, le raisonnement juridique du premier juge serait erroné. Dans ce contexte, se contenter d’alléguer, à l’appui du grief d’arbitraire, que l’« on "tombe littéralement de sa chaise" à la lecture de l’arrêt tant la situation de fait constitue un exemple qui pourrait illustrer parfaitement la notion de dol du vendeur dans un cours de droit des contrats » n’est de loin pas suffisant. 

8.                                Dans une « argumentation subsidiaire » (ch. IV/H), l’appelante fait valoir que « [l]es avis de défauts […] sont sans aucun doute intervenus en temps utile, dès lors qu’il a fallu attendre le rapport de C.________ pour connaître l’importance des mesures à prendre et que les avis sont antérieurs à ce rapport » ; qu’il n’était « pas possible de connaitre exactement l’ampleur du problème » avant le dépôt du rapport d’expertise du 23 janvier 2019 ; avoir « correctement procédé à l’avis des défauts, au fur et à mesure qu’elle découvrait l’ampleur de la contamination ».

8.1                   Sur ce point encore, la motivation de l’appel ne respecte pas aux exigences minimales de motivation posées à l’article 311 al. 1 CPC, en ce sens que l’appelante ne reprend pas la démarche de la première juge (v. supra Faits, let. P/2/f) en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement fort complet. Par surabondance, on ajoutera ce qui suit.

8.2.                  Au sujet du sens et de la portée de l’article 201 CO, on peut renvoyer au considérant 7a du jugement attaqué, qu’il est inutile de paraphraser.

8.3                   a) En l’espèce, bien que C.________ a terminé le 17 octobre 2011 l’inventaire pour lequel X.________ SA l’avait mandaté, il ne ressort pas du dossier que celle-ci ait réagi en interpellant le vendeur immédiatement à réception de cet inventaire. Au contraire, elle a attendu le 21 novembre 2011 pour écrire – non pas au vendeur directement mais à la gérance F.________ – qu’elle refusait « pour le moment » de payer le montant de 2'753.25 francs qui ressortait du « décompte final » établi par cette régie en rapport avec l’immeuble litigieux, bien qu’elle qualifiait de décompte de « parfaitement conforme », « en raison des frais importants qui seront engendrés par le débarras du matériel qui se trouve dans les locaux occupés par Y1________ ». Non seulement cet « avis » est tardif, mais il ne respecte pas les exigences minimales de précision pour être qualifié d’avis des défauts valable, à mesure que bien qu’elle disposait de l’inventaire établi par C.________, X.________ SA se dispensait d’indiquer le détail des produits à débarrasser (quels produits ? en quelles quantités ? où et comment ces produits étaient-ils stockés ?), comment, à quel coût ces produits devaient être débarrassés et surtout voir dans cet état de fait un défaut dont elle entendait rendre la partie venderesse responsable, plus encore au-delà du simple coût pour évacuer les produits.

                        b) Fin janvier 2012, X.________ SA a été informée par la Commission de salubrité de Z.________ qu’une « grande partie des locaux qu’occupait l’atelier de galvanoplastie à l’étage [étaient] contaminés par l’évaporation des produits contenus dans les cuves » et qu’en cas de « réhabilitation » des locaux, « des précautions devront être prises pour que les futurs occupants ne soient pas atteints dans leur santé ». À réception de ce courrier et si elle entendait ne pas accepter ce défaut, X.________ SA devait immédiatement informer le vendeur de la découverte de cette contamination et, dans la mesure du possible, de ses causes et de ses conséquences, ce qu’elle n’a toutefois pas fait puisque ce n’est qu’en date du 20 avril 2012 qu’elle a fait état de cette pollution aux héritiers de feu Y1________.

                        c) Début août 2013, la même Commission a notifié à X.________ SA sa décision d’interdire l’occupation de l’immeuble litigieux, de même que son utilisation et son exploitation à d’autres fins que celles nécessitées par l’établissement d’une expertise, jusqu’à rétablissement de valeurs permettant l’occupation du bâtiment aux fins d’habitation ou de travail. Cette décision était notamment motivée par le fait que les mesures effectuées avaient établi que les valeurs limites de concentration des substances toxiques et les valeurs admissibles des agents physiques aux postes de travail établies par la SUVA étaient probablement dépassées dans tout l’immeuble, y compris au 4e étage. Il ne ressort pas du dossier qu’à réception de cette décision, X.________ SA aurait immédiatement informé les vendeurs de la décision prise par Z.________ et de sa motivation. 

                        d) Dans ces conditions, la première juge ne pouvait que parvenir à la conclusion que X.________ SA n’avait pas respecté l’obligation d’avis qui lui incombait en vertu de l’article 201 al. 3 CO, avec pour conséquence que l’immeuble devait être tenu pour accepté avec la pollution qui l’affectait.

9.                                Vu l’ensemble de ce qui précède, l’appel doit être intégralement rejeté.

10.                             Les appelants joints reprochent à la première juge d’avoir retenu que feu Y1________ avait, de manière frauduleuse, dissimulé à X.________ SA le stockage de produits chimiques dans les chambres hautes, les garages et la cave dont l’entrée était obstruée par divers éléments (soit au total 11 % des produits découverts dans l’immeuble). À mesure que 89 % des produits « apparaissaient au grand jour », on peinait à comprendre les potentielles motivations qui auraient mené feu Y1________ à volontairement et délibérément cacher « ce faible pourcentage » des produits ; que ces 11 % des produits ne présentaient pas de particularités significatives qui auraient permis d’expliquer le prétendu comportement frauduleux de feu Y1________ ; que ce dernier n’avait « jamais caché le fait que son activité s’était arrêtée à l’orée des années 1990 et qu’à compter de cette date, les différentes pièces ayant servi à l’exploitation de son entreprise de galvanoplastie étaient restées en l’état » ; qu’il appartenait à X.________ SA d’exiger de pouvoir accéder à toutes les parties de l’immeuble ; qu’au vu « du comportement peu sérieux » des personnes ayant visité les lieux pour le compte de X.________ SA, « il peut être raisonnablement avancé que même si la porte [d’accès à une cave] avait été clairement visible et accessible, ces derniers n’auraient rien relevé de particulier, comme cela a été le cas s’agissant des autres parties visitées qui comportaient les 89 % des produits chimiques retrouvés » ; aucun élément du dossier ne permettait d’établir que feu Y1________ avait en sa possession les clés de l’ensemble des locaux, si bien que le prénommé n’avait pas menti en disant qu’il ne disposait pas des clés des chambres hautes et des caves ; les chambres hautes et les caves étaient mis à la disposition exclusive des locataires.   

10.1                 Le vendeur est dispensé d'informer l'acheteur lorsqu'il peut admettre de bonne foi que l'acheteur réalisera sans autre la situation exacte (ATF 116 II 431 cons. 3a) ; à cet égard, il suffit en principe que l'acheteur puisse s'en rendre compte en faisant preuve de l'attention commandée par les circonstances (ATF 102 II 81 cons. 2 ; arrêts du TF du 12.04.2011 [4A_70/2011] cons. 4.1 ; du 13.07.2005 [4C.16/2005] cons. 1.5). La dissimulation doit jouer un rôle déterminant dans la conclusion du contrat ; le rapport de causalité est rompu si l'acheteur aurait de toute façon conclu aux mêmes conditions sans la tromperie (ATF 129 III 320 cons. 6.3 ; arrêt du TF du 12.04.2011 [4A_70/2011] cons. 4.1). 

10.2                 En l’espèce, il a été dit plus haut que X.________ SA s’était, à plusieurs égards, comportée de manière contraire à la diligence qui était commandée par les circonstances. 

                        Plusieurs tonnes de produits chimiques étaient présentes dans les locaux visités par A.________ avant la signature de la promesse de vente. Le prénommé a déclaré avoir agi à cette occasion pour le compte de X.________ SA. Il n’a toutefois pas tiré les conséquences qui s’imposaient du fait du constat de la présence de ces produits (se renseigner auprès d’un expert en produits chimiques sur la nature de ces produits, la conformité de leur stockage, le coût de leur évacuation et les risques d’une éventuelle pollution provoquée par ce stockage). C’est là un premier manquement de X.________ SA à l’obligation de diligence que lui imposaient les circonstances, étant précisé qu’il ne ressort pas du dossier qu’un(e) représentant(e) de X.________ SA aurait visité l’immeuble litigieux dans les heures, voire les jours ayant précédé la vente.

                        Au moment de la visite de A.________, les locaux étaient dans un tel état d’encombrement que l’intéressé n’avait même pas réalisé que cette accumulation d’objets dissimulait une porte, derrière laquelle se trouvait encore de l’espace faisant partie de l’immeuble dont l’achat était envisagé. Accepter d’acheter des locaux présentant un tel degré d’encombrement constitue un deuxième manquement de X.________ SA à l’obligation de diligence que lui imposaient les circonstances. Ce faisant, la société acquéreuse ne pouvait que s’accommoder du fait que des produits chimiques en grandes quantités se soient également trouvés dans les locaux qu’elle renonçait à visiter, en sus de ceux vus par son représentant.

                        Il est établi que X.________ SA n’a pas exigé de pouvoir visiter les locaux soi-disant loués, alors qu’en sa qualité de professionnelle de l’immobilier, elle ne pouvait que savoir que les locataires avaient l’obligation d’autoriser le bailleur – soit Y1________ à ce moment-là – à inspecter la chose dans la mesure où cet examen était nécessaire à la vente de l’immeuble (art. 257h al. 2 CO). Il s’agit là du troisième manquement à l’obligation de diligence que lui imposaient les circonstances. Ce faisant, elle ne pouvait que s’accommoder du fait que des produits chimiques en grandes quantités se soient également trouvés dans les locaux qu’elle renonçait à visiter. 

                        Dans ces conditions, les comportements imputés à feu Y1________ par la première juge (dissimuler la porte d’accès à une cave au moyen d’objets encombrants ; prétendre qu’il n’avait pas les clés de certains espaces qui étaient loués) ne revêtent pas une intensité suffisante pour pouvoir être qualifiés de trompeurs ou d’astucieux, vu les manquements crasses de X.________ SA aux devoirs de diligence que lui imposaient les circonstances.

                        Même à supposer que les comportements imputés à feu Y1________ par la première juge puissent être qualifiés de dolosifs, au sens de l’article 199 CO, on ne pourrait pas retenir, toujours en raison des manquements crasses de X.________ SA aux devoirs de diligence que lui imposaient les circonstances, que les actes de dissimulation en question auraient joué un rôle déterminant dans la conclusion du contrat. Au contraire, il faudrait constater la rupture du lien de causalité entre le comportement prétendument dolosif du vendeur et la conclusion du contrat, en ce sens que X.________ SA aurait conclu aux mêmes conditions si feu Y1________ n’avait pas dissimulé la porte d’accès à une cave au moyen d’objets encombrants, ni prétendu qu’il n’avait pas les clés de certains espaces qui étaient loués (voir ATF 129 III 320 cons. 6.3). 

10.3                 Finalement, faute pour X.________ SA d’avoir avisé le vendeur du défaut relatif au stockage des 11 % des produits qui se trouvaient dans les locaux qu’elle avait négligé de visiter (v. supra cons. 8 et sous-considérants), l’appelante n’a droit à aucune réduction du prix, ni se voir indemnisée du coût de remise en état de la chose en lien avec l’évacuation de 11 % des produits chimiques entreposés. L’appel joint doit par conséquent être admis.

11.                             Les frais de la procédure d’appel doivent être mis intégralement à la charge de X.________ SA, qui sera en outre condamnée à verser à Y2________, Y6________, Y4________ et Y5________ une indemnité de dépens (art. 95 al. 1 cum 106 al. 1 CPC ; art. 13 al. 1 et 60 ss de la loi fixant le tarif des frais, des émoluments de chancellerie et des dépens en matière civile, pénale et administrative [LTFrais, RSN 164.1]). 

12.                             Vu le sort de l’appel et de l’appel joint, les frais de première instance doivent être mis intégralement à la charge de X.________ SA (art. 318 al. 3 et 106 al. 1 CPC). Y2________, Y6________, Y4________ et Y5________ ont en outre droit à une pleine indemnité de dépens pour la procédure de première instance.

Devant la première juge, le mandataire des défendeurs avait déposé un mémoire d’honoraire tendant à l’octroi d’une indemnité de dépens de 22'846 francs. X.________ SA n’a contesté ce montant ni en première instance ni en appel, si bien que c’est ce montant qui sera alloué.

Par ces motifs,
LA COUR D'APPEL CIVILE

1.    Rejette l’appel, dans la mesure de sa recevabilité.

2.    « Admet l’appel joint et réforme en conséquence comme suit le jugement querellé :

1.  Rejette la demande.

2.  Arrête les frais judiciaires à 149'001.70 francs et les met intégralement à la charge de X.________ SA.

3.  Condamne X.________ SA à verser à Y2________, Y6________, Y4________ et Y5________ une indemnité de dépens de 22'846 francs. »

3.    Arrête les frais de la procédure d’appel à 30'000 francs et les met à la charge de X.________ SA.

4.    Invite le greffe du Tribunal cantonal à restituer à X.________ SA le montant de 20'000 francs, correspondant au montant de l’avance de frais versée qui excède le montant arrêté au chiffre 3 du présent dispositif.

5.    Condamne X.________ SA à payer à Y2________, Y6________, Y4________ et Y5________ une indemnité de dépens de 5'000 francs pour la procédure d’appel.

Neuchâtel, le 9 avril 2020

 

Art. 197 CO
Garantie en raison des défauts de la chose
Objet de la garantie
En général
 

1 Le vendeur est tenu de garantir l’acheteur tant en raison des qualités promises qu’en raison des défauts qui, matériellement ou juridiquement, enlèvent à la chose soit sa valeur, soit son utilité prévue, ou qui les diminuent dans une notable mesure.

2 Il répond de ces défauts, même s’il les ignorait.