Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 12.05.2020 [4A_588/2019]

 

 

 

 

 

A.                            Le 15 octobre 2012, Y.________ SA (bailleresse) et X.________ (locataire) ont signé un contrat de bail pour local commercial ayant pour objet un salon de coiffure sis à la rue (aaa) à Z.________. Le bail commençait le 1er avril 2012 et se terminait le 31 mars 2017 ; sauf avis de résiliation donné par l’une ou l’autre des parties au moins une année à l’avance, il se renouvelait de plein droit aux mêmes conditions pour cinq ans et ainsi de suite de cinq ans en cinq ans.

B.                            a) Le 26 février 2018, X.________ a saisi la Chambre de conciliation du Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers (ci-après : la Chambre de conciliation) pour s’opposer à une hausse de loyer que Y.________ SA lui avait notifiée le 5 février 2018 (proposition de jugement du 5 juillet 2018).

                        b) La procédure de conciliation a été classée par décision du 20 mars 2018, après que la bailleresse avait, le 16 mars 2018, déclaré retirer la hausse de loyer litigieuse (idem).

C.                            Le 6 avril 2018, la bailleresse a communiqué à la locataire la résiliation du bail pour le 1er avril 2023.

D.                            a) Le 13 avril 2018, X.________ a saisi la Chambre de conciliation d’une contestation de l’avis de résiliation de bail précité, qu’elle qualifiait de congé de représailles. Elle faisait valoir que la bailleresse avait tenté vainement de modifier en sa défaveur les conditions du bail, la dernière fois en invoquant des hausses de charges qu’elle ne parvenait pas à justifier ; que la bailleresse avait « abandonné ses prétentions, selon décision du 20 mars 2018 annexée » ; que le 1er avril 2023, elle-même sera à deux ans de la retraite, « plus en mesure d’investir dans un nouveau local et en plus dans l’impossibilité de remettre [s]on salon ». Elle sollicitait donc l’annulation de cette résiliation qu’elle jugeait injustifiée.

                        b) Le 4 juin 2018, Y.________ SA a conclu au rejet de la requête en conciliation, sous suite de frais et dépens. Elle alléguait que X.________ avait introduit une procédure judiciaire pour contester une hausse de charge demandée par la bailleresse et que suite à cette contestation, la bailleresse avait renoncé à sa demande de hausse de charges, ce qui avait eu pour conséquence un classement du dossier, sans jugement ni transaction judiciaire ; qu’elle-même aurait pu convenir des arguments de contestation des hausses de charge sans que la locataire n’ait besoin d’introduire une action judiciaire ; que X.________ avait le temps de trouver une autre solution d’ici au 1er avril 2023 ; qu’elle-même avait précisément annoncé le congé de manière anticipée, afin de laisser à la locataire – qu’elle appréciait – le temps de « se retourner largement et/ou prendre les devants ».

                        c) Le 14 juin 2018, la Chambre de conciliation a convoqué Y.________ SA et X.________ à une audience de conciliation fixée le 5 juillet 2018.

                        d) Le 3 juillet 2018, A.________ a écrit à la Chambre de conciliation qu’il représenterait X.________ lors de la séance du 5 juillet 2018 ; il annexait à sa lettre une procuration datée du 25 juin 2018. Cet écrit et son annexe ont été déposés au greffe du Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers le 3 juillet 2018.

                        e) A.________ et B.________, administrateur de Y.________ SA, ont comparu à l’audience de conciliation du 5 juillet 2018, étant précisé que ce dernier était assisté d’un avocat. A.________ a confirmé les conclusions de la requête du 3 avril 2018. L’avocat de Y.________ SA a conclu à ce que la requête soit considérée comme retirée, à mesure que X.________ n’avait pas comparu. A.________ a indiqué que sa cliente « ne souhaitait pas être confrontée à l’adverse partie au vu des tensions importantes existant entre elles ». Après délibérations, la Chambre de conciliation a considéré que l’absence de X.________ était excusable, de sorte que l’intéressée était dispensée de comparaître. Après avoir tenté la conciliation sans succès, la Chambre de conciliation a informé les parties qu’une proposition de jugement leur parviendrait ultérieurement.

                        f) Le 4 septembre 2018, Y.________ SA a demandé à la Chambre de conciliation de lui faire parvenir une décision sur la question incidente soulevée en audience relativement à la comparution en personne des parties. 

«                         g) Le 4 janvier 2019, la Chambre de conciliation a notifié aux parties une « proposition de jugement du 5 juillet 2018 » avec le dispositif suivant :

1.  Annule le congé donné à la locataire le 6 avril 2018 pour le 1er avril 2023.

2.  Statue sans frais ni dépens. » 

                        À l’appui de cette proposition, la Chambre de conciliation retenait que le congé avait été donné par la bailleresse « dans les trois ans à compter de la fin d’une procédure de conciliation ou d'une procédure judiciaire au sujet du bail et [que] le bailleur avait abandonné ou considérablement réduit ses prétentions ou conclusions », au sens de l’article 271a al. 1 let. e ch. 2 CO.

                        h) Y.________ SA s’est opposée à cette proposition de jugement le 8 janvier 2019, en faisant valoir que le dossier devait « être purement et simplement liquidé » en raison du défaut de la demanderesse lors de l’audience de conciliation du 5 juillet 2018.

                        i) La Chambre de conciliation a délivré à Y.________ SA une autorisation de procéder datée du 11 janvier 2019.

E.                            Le 21 janvier 2019, Y.________ SA a saisi le Tribunal civil Littoral et du Val-de-Travers d’une demande tendant, à titre préjudiciel à ce que soit constaté le défaut de X.________ en audience de conciliation ; à ce que la requête de la prénommée soit considérée comme retirée au sens de l’article 206 CPC et à ce que la cause soit rayée du rôle ; principalement à ce qu’il soit dit que la résiliation du bail du 6 avril 2018 était valable et au rejet de toute demande de prolongation de bail ; le tout sous suite de frais judiciaires et de dépens.

F.                            Au terme de sa réponse du 13 février 2019, X.________ a conclu principalement au rejet de la demande et moyen préjudiciel, d’une part, et à l’annulation de la résiliation du 6 avril 2018, d’autre part ; subsidiairement à la prolongation du bail pour une durée de quatre ans, soit jusqu’au 31 mars 2027 ; plus subsidiairement à la prolongation du bail jusqu’au 31 décembre 2025 ; le tout avec suite de frais et dépens.

G.                            Le 25 février 2019, la juge civile a informé les parties que la procédure serait limitée dans un premier temps à la question de la validité de l’autorisation de procéder du 11 janvier 2019 délivrée au mandataire de la demanderesse dans le cadre de la procédure tenue devant la Chambre de conciliation.

H.                            Y.________ SA et X.________ ont déposé leurs observations respectives sur cette question le 26 février et le 18 mars 2019.

I.                              Par jugement du 4 juin 2019, le tribunal civil a constaté que l’autorisation de procéder délivrée le 11 janvier 2019 n’était pas valable (dispositif, ch. 1) et, partant, déclaré la demande irrecevable (ch. 2) ; laissé les frais judiciaires de la cause à la charge de l’Etat (ch. 3) ; condamné X.________ à payer à Y.________ SA une indemnité de dépens de 2'800 francs (ch. 4).

À l’appui de ce prononcé, la juge civile a considéré que bien qu’elle avait été valablement citée et informée des conséquences du défaut, X.________ n’avait pas comparu personnellement à l’audience de conciliation du 5 juillet 2018 ; qu’elle avait « envoyé à cette audience un représentant sans réaliser les prévisions de l’article 204 al. 3 CPC » ; qu’elle avait donc fait défaut à l’audience de conciliation en question ; que sa requête du 13 avril 2018 aurait donc dû être considérée comme retirée par la Chambre de conciliation ; que l’affaire aurait dû être rayée du rôle, à mesure que la procédure était devenue sans objet.

Faute d’autorisation de procéder valable, le tribunal devait d’office déclarer la demande irrecevable.

                        Au chapitre des frais, la juge civile a considéré que suite à la délivrance de l’autorisation de procéder à Y.________ SA, celle-ci n’avait pas d’autre choix que d’introduire la procédure, dès lors que l’autorisation de procéder n’était pas une décision sujette à recours, mais que sa validité devait être examinée par le tribunal saisi de la cause. Les frais judiciaires n’étaient donc pas imputables à Y.________ SA, ni à X.________ d’ailleurs. En tant que partie requérante lors de la procédure de conciliation, X.________ devait être condamnée à verser une indemnité de dépens à Y.________ SA – qui était la partie requise lors de la procédure de conciliation.

J.                            X.________ appelle de ce jugement le 4 juillet 2019, en concluant à son annulation ; à ce que l’autorisation de procéder délivrée le 11 janvier 2019 soit déclarée valable ; à ce que la cause soit renvoyée au tribunal civil pour instruction et jugement sur le fond ; le tout avec suite de frais et dépens.

                        À l’appui de sa démarche, elle fait valoir que la première juge a statué « ultra petita, eu égard aux conclusions effectives de l’intimée dans la phase consécutive à l’opposition à la proposition de jugement par la Chambre de conciliation » ; qu’elle-même pouvait se prévaloir d’un juste motif au sens de l’article 204 al. 3 let. b CPC, soit celui retenu par la Chambre de conciliation ; que c’est en violation de son droit d’être entendu que la première juge ne s’est pas exprimée sur ce motif (p. 4) ; que le jugement attaqué est d’une sévérité excessive et son résultat choquant (p. 5). Au chapitre des frais et dépens, elle reproche à la première juge d’avoir condamné l’appelante à supporter des dépens pour la phase de conciliation en violation de l’article 113 CPC, d’une part, et sanctionné l’appelante en mettant à sa charge des dépens pour un motif qui, selon l’avis de la première juge, était imputable à la Chambre de conciliation (soit la délivrance d’une autorisation de procéder jugée non valable), d’autre part. En bonne logique, aucune des parties n’aurait dû être condamnée à des dépens (p. 6). L’appelante qualifie enfin le montant de 2'800 francs de « disproportionné au vu des motifs à la source de l’intervention de l’autorité inférieure, tels que retenus par cette dernière, à savoir une autorisation de procéder non valable délivrée par la Chambre de conciliation » (p. 7).  

K.                            Au terme de sa réponse du 4 septembre 2019, Y.________ SA conclut au rejet de l’appel dans toutes ses conclusions ; à la confirmation du jugement querellé ; à ce qu’il soit constaté que l’autorisation de procéder n’était pas valable ; à ce que la requête de X.________ du 13 avril 2018 soit considérée comme retirée au sens de l’article 206 CPC et à ce que la cause soit rayée du rôle ; sous suite de frais et dépens de première et deuxième instances.

                        Dans la mesure où d'autres précisions sont nécessaires au jugement de la cause, elles seront apportées dans les considérants qui suivent.

C O N S I D E R A N T

1.                            Interjeté dans les formes et délai légaux, l’appel est recevable (art. 308 ss CPC).

2.                            Le grief tiré de la violation du droit d’être entendu doit être examiné en premier lieu, à mesure qu’une telle violation entraîne en principe l'annulation de la décision viciée, sans examen du bien-fondé de l'argumentation par ailleurs développée devant l'autorité de recours (ATF 137 I 195 cons. 2.2).

                        a) La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu ancré à l’article 29 al. 2 Cst. féd. le devoir pour le juge de motiver sa décision, afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et exercer son droit de recours à bon escient ; pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause ; s’il n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, il doit à tout le moins traiter ceux qui, sans arbitraire, apparaissent pertinents (ATF 143 III 65 cons. 5.2 et les références).

                        Cela étant, il est de jurisprudence constante que le droit d’être entendu peut, s’il a été violé en première instance, être réparé devant l’instance de recours ou d’appel qui jouit d’un pouvoir d’examen complet, en fait et en droit (comme le prévoit l’art. 310 CPC pour la Cour de céans). Ceci vaut d’autant plus lorsque la violation n’est pas grave ou que le renvoi à l’autorité inférieure constituerait un « détour procédural » inutile, qui n’aurait comme effet que de rallonger la procédure sans mieux garantir les droits du prévenu (arrêt du TF du 03.10.2017 [6B_421/2017] cons. 1.1 et les références citées).

                        b) En l’espèce, le jugement attaqué mentionne clairement les motifs qui ont guidé le tribunal à conclure que l’autorisation de procéder n’était pas valable. Sur ce point, l’appelante pouvait l’attaquer en connaissance de cause, de sorte que le grief tiré de la violation du droit d’être entendu n’est pas fondé. En tout état de cause, une violation éventuelle sur ce point aurait pu être corrigée devant la Cour d’appel civile.

3.                            Le CPC règle la procédure de conciliation aux articles 197 ss, y compris pour les litiges relevant du droit du bail (cf. art. 210 al. 1 let. b CPC). En cette matière, il détermine même, à titre exceptionnel, l'organisation des autorités de conciliation (art. 200 al. 1 CPC). En dérogation à la règle générale (art. 68 CPC), l'article 204 al. 1 CPC impose aux parties de comparaître en personne (persönlich, personalmente) à l'audience de conciliation. Les parties peuvent se faire assister d'un conseil juridique ou d'une personne de confiance (art. 204 al. 2 CPC).

                        L’article 204 al. 3 CPC règle exhaustivement les cas où une personne représentée à l'audience de conciliation est dispensée de comparution personnelle. Il s’agit des cas de la personne ayant son domicile en dehors du canton (let. a) et de celle qui est empêchée de comparaître pour cause de maladie, d'âge ou en raison d'autres justes motifs (let. b). Dans les litiges au sens de l'article 243 CPC, l'employeur ou l'assureur qui délègue un employé et le bailleur qui délègue le gérant de l'immeuble sont aussi dispensés de comparaître personnellement, à la condition que le représentant soit habilité, par écrit, à transiger (let. c). Il y a des motifs pour traiter différemment le locataire et le bailleur, à mesure qu’en règle générale, seul le gérant de l'immeuble a eu affaire au locataire ; il connaît mieux les circonstances du litige que le bailleur, si bien qu'il est raisonnable que le gérant et le locataire discutent d'un arrangement en séance de conciliation (arrêt du TF du 25.06.2013 [4C_1/2013] cons. 4.3). 

                        Pour le locataire, le CPC ne prévoit pas de possibilité de dispense de comparution personnelle, sauf à invoquer un juste motif ; au vu de la règlementation expresse en faveur du bailleur, l'omission du locataire ne saurait procéder d'un oubli (arrêt du TF du 25.06.2013 [4C_1/2013] cons. 4.3). Le Message précise que la comparution personnelle des parties optimise les chances de succès de la conciliation, car il s'agit de la seule possibilité d'engager une véritable discussion. Il ajoute que la personne qui assiste une partie doit rester en retrait ; les parties doivent avant tout s'exprimer elles-mêmes. Enfin, en se référant à l'article 204 al. 3 CPC (resp. à l'art. 201 al. 3 du projet, de même teneur), il relève que la représentation n'est autorisée que dans des cas exceptionnels (Message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, FF 2006 6841 ss, p. 6939). Lors des débats parlementaires, le Conseil des États a discuté d'une question rédactionnelle uniquement (BO CE 2007 523) ; le Conseil national a adopté la disposition sans discussion (BO CN 2008 956). La volonté du législateur fédéral ne prête donc pas à discussion ; il ne saurait être question d'une lacune à combler en faveur des locataires. Cette réglementation, qui épuise la matière, ne laisse en outre aucune latitude aux cantons (arrêt du TF du 25.06.2013 [4C_1/2013] cons. 4.3).

                        L'article 206 CPC règle les conséquences du défaut. Il dispose notamment qu'en cas de défaut du demandeur, la requête est considérée comme retirée, la procédure devient sans objet et l'affaire est rayée du rôle (al. 1). Est défaillante la partie qui, bien que régulièrement assignée (art. 147 al. 1 CPC), ne comparaît pas personnellement ou, lorsqu'elle dispose d'un motif de dispense, n'est pas valablement représentée. La partie qui envoie un représentant sans réaliser les prévisions de l'article 204 al. 3 CPC fait donc défaut. Cette disposition vaut pour toutes les procédures de conciliation, y compris dans les affaires de bail à loyer. L'article 206 al. 1 CPC s'applique donc en particulier au locataire qui ne respecte pas les prescriptions légales de comparution, au risque de provoquer une déchéance de ses droits, notamment lorsqu'il agit pour contester la résiliation du bail ou une augmentation de loyer. Le rapport accompagnant l'avant-projet de la commission d'experts mentionnait du reste expressément ce risque. Le Tribunal fédéral a jugé que le législateur fédéral n'offrait pas une « deuxième chance » au locataire défaillant, le fait qu'il ait prévu une telle possibilité dans d'autres situations plaidant en faveur d'un silence qualifié à l'article 206 CPC (arrêt du TF du 25.06.2013 [4C_1/2013] cons. 4.3).

                        Dans le cadre de certains litiges, notamment ceux relatifs aux baux à loyer ou à ferme d'habitations ou de locaux commerciaux, l'autorité de conciliation peut soumettre aux parties une proposition de jugement (art. 210 al. 1 let. b CPC) brièvement motivée (al. 2). Aux termes de l’article 211 CPC, la proposition de jugement est acceptée et déploie les effets d'une décision entrée en force si aucune des parties ne s'y oppose dans les 20 jours suivant sa communication écrite ; l'opposition ne doit pas être motivée (al. 1). Dans les litiges relatifs aux baux à loyer ou à ferme d'habitations ou de locaux commerciaux, c’est à la partie qui s’oppose à la proposition que l'autorité de conciliation délivre l'autorisation de procéder, après réception de l'opposition (al. 2 let. a).  

4.                            a) En résumé, le Tribunal fédéral a clairement exposé que ce n’était qu'à titre exceptionnel que le CPC admettait la représentation du locataire à l'audience de conciliation : « à moins d’être malade, âgé ou empêché pour un autre juste motif, le locataire qui saisit la commission de conciliation doit donc se présenter en personne à l'audience de conciliation ; à défaut, sa requête sera considérée comme retirée » ; respectivement : « la loi l'oblige [(le locataire)] à se présenter en personne devant la commission de conciliation lorsqu'il est en état de le faire » (arrêt du TF du 25.06.2013 [4C_1/2013] cons. 4.3). Or, en l’espèce, force est d’admettre que la dispense de comparution personnelle accordée par la Chambre de conciliation à X.________ viole la réglementation prévue aux articles 204 et 206 al. 1 CPC. En effet, la demanderesse ne pouvait bénéficier d’une telle dispense, à mesure qu’elle n’alléguait pas avoir été empêchée de se présenter en personne, respectivement ne pas avoir été « en état de le faire ». Le simple souhait de la locataire de ne pas être confrontée à l’adverse partie lors de l’audience de conciliation, quand bien même des « tensions importantes » existeraient entre elles, ne constitue clairement pas un juste motif, au sens de l’article 204 al. 3 let. b CPC ; au contraire, de telles tensions n’ont rien d’extraordinaire, mais existent souvent, par définition, entre les parties à un litige de nature civile. Ainsi, retenir en l’espère un motif de dispense reviendrait à faire de l’exception la règle, contre la volonté claire du législateur, qui visait, avec cette règlementation rigoureuse, à favoriser au maximum un arrangement extra-judiciaire, volonté qui fait apparaître l'obligation de comparution personnelle comme une exigence proportionnée et répondant à un intérêt public (arrêt du TF du 25.06.2013 [4C_1/2013] cons. 4.3).  

                        b) L’argumentation de la Chambre de conciliation selon laquelle la non-comparution personnelle de X.________ était la conséquence du fait que ladite Chambre n’avait pas réagi à la lettre de A.________ du 3 juillet 2018 (v. supra Faits, D/d) « comme elle aurait dû le faire en rappelant à la demanderesse que la comparution personnelle était nécessaire et en attirant son attention une nouvelles fois sur les conséquences d’un défaut de comparution », de sorte que la demanderesse se serait ainsi retrouvée dans une situation d’erreur qui pouvait être assimilée à un juste motif au sens de l’article 204 al. 3 let. b CPC, ne saurait au surplus être suivie.

                        En effet, la convocation à l’audience de conciliation adressée à X.________ mentionnait expressément l’obligation faite à l’intéressée de se présenter personnellement, les conditions restrictives d’une dispense à cette obligation et les conséquences d’un éventuel défaut du demandeur. Dans ces conditions, X.________ ne pouvait se trouver dans l’erreur sur aucun de ces points.

                        De plus, il ne ressortait pas clairement de la lettre du 3 juillet 2018 – et du seul usage par A.________ du terme « représenter » X.________, plutôt que du terme « assister » – que X.________ n’entendait pas se présenter personnellement – aux côtés de son représentant – à l’audience de conciliation du 5 juillet 2018. Par surabondance, X.________ eût-elle annoncé clairement son intention de ne pas comparaître personnellement à cette audience, cela ne modifie en rien l’information parfaitement claire reçue par l’appelante avec la convocation du 14 juin 2018. La Chambre de conciliation n’avait dès lors pas l’obligation d’interpeller X.________, à réception de la lettre de A.________ du 3 juillet 2018, pour lui rappeler les informations qu’elle lui avait déjà communiquées clairement dans la convocation du 14 juin 2018. Vu la clarté de l’information initialement donnée à X.________, l’absence de réaction de la Chambre de conciliation à la lettre de A.________ du 3 juillet 2018 n’était pas propre à mettre X.________ dans l’erreur, s’agissant de son obligation de se présenter personnellement à l’audience de conciliation, des conditions d’une dispense et/ou des conséquences d’un éventuel défaut de sa part à ladite audience. On ajoutera au surplus que le représentant de l’appelante lors de l’audience de conciliation n’était pas inexpérimenté dans le domaine concerné, puisqu’il se présente comme « fiduciaire d’organisation et de gestion d’entreprises » et spécialiste de l’immobilier neuchâtelois. Dans ces conditions, la Chambre de conciliation aurait dû en l’espèce considérer la requête de X.________ comme retirée et rayer l’affaire du rôle, la procédure étant devenue sans objet suite au défaut de la demanderesse, en application de l’article 206 al. 1 CPC.

                        Cette sanction – en particulier l’absence de « seconde chance » offerte au locataire de comparaître personnellement – paraît certes très sévère, notamment en comparaison d’autres règles procédurales (p. ex. le « joker procédural » dont bénéficie le prévenu dans une procédure pénale, que la loi autorise à se dispenser de donner suite à la première citation aux débats de première instance, sans avoir à fournir le moindre motif à l’appui de son absence [art. 366 al. 1 CPP]). Le Tribunal fédéral a toutefois jugé que cette règlementation n’était pas anticonstitutionnelle – en précisant qu’il serait tenu de l’appliquer quand bien même elle le serait – et qu’au surplus, « on ne saurait considérer que le locataire subit une grave entrave dans l'exercice de ses droits parce que la loi l'oblige à se présenter en personne devant la commission de conciliation lorsqu'il est en état de le faire » (arrêt du TF du 25.06.2013 [4C_1/2013] cons. 4.3).

5.                            Aux termes de l'article 197 CPC, les causes soumises à la procédure ordinaire et simplifiée doivent être précédées d’une tentative de conciliation devant une autorité, sauf exceptions prévues à l’article 198 CPC – et n’entrant pas en ligne de compte in casu –, ainsi que lorsqu'il y a eu renonciation à la procédure de conciliation (art. 199 CPC), ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La conciliation était ainsi dans le cas d’espèce un préalable nécessaire à l'introduction de la demande. Bien que l'existence d'une autorisation de procéder valable ne soit pas mentionnée dans les conditions de recevabilité de l'action énumérées à l'article 59 al. 2 CPC – dont la liste n'est pas exhaustive, comme l'indique clairement l'utilisation dans son libellé de l'adverbe « notamment » –, la jurisprudence et la doctrine admettent qu'il s'agit d'une condition de recevabilité de la demande que le tribunal doit examiner d'office en vertu de l'article 60 CPC (ATF 139 III 273 cons. 2.1 et les réf. ; v. ég. art. 209 al. 3 CPC a contrario et Message, FF 2006 6941). Vu cette obligation d’examen d’office, c’est à tort que l’appelante reproche à la première juge d’avoir statué ultra petita.

6.                            Reste à examiner les griefs de l’appelante relatifs au règlement des dépens par la première juge.

6.1                   Les frais comprennent les frais judiciaires et les dépens (art. 95 al. 1 CPC).

                        a) S’agissant notamment des litiges portant sur des baux à loyer ou à ferme d'habitations ou de locaux commerciaux ou des baux à ferme agricoles, la procédure de conciliation ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 113 al. 2 let. c CPC). En procédure de conciliation, il n’est pas alloué de dépens, sous réserve de l'indemnisation par le canton du conseil juridique commis d'office (art. 113 al. 1 CPC).

                        b) En principe, les frais sont répartis selon le sort de la cause, chaque partie les supportant dans la mesure où elle succombe (art. 106 al. 1 et 2 CPC). Selon l’article 107 al. 1 CPC, le tribunal peut toutefois s'écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation notamment lorsqu’une partie a intenté le procès de bonne foi (let. b), lorsque la procédure est devenue sans objet et que la loi n'en dispose pas autrement (let. e) et en présence de circonstances particulières rendant la répartition en fonction du sort de la cause inéquitable (let. f). Le tribunal peut accorder un sursis ou, lorsque la partie est durablement dépourvue de moyens, renoncer aux créances en frais judiciaires (art. 112 al. 1 CPC). Si l’équité l’exige, les frais judiciaires qui ne sont pas imputables aux parties ni aux tiers peuvent être mis à la charge du canton (art. 107 al. 2 CPC).

6.2                   a) En l’espèce, la première juge a considéré que suite à la délivrance de l’autorisation de procéder, Y.________ SA n’avait pas d’autre choix que d’introduire la procédure, à mesure que selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’autorisation de procéder, bien que consistant en un acte d’une autorité, n’est pas une décision sujette à recours, sa validité devant être examinée par le tribunal saisi de la cause. Concernant les frais judiciaires, elle a retenu que la procédure de conciliation était gratuite (art. 113 al. 2 let. c CPC), au contraire de la procédure au fond (art. 116 al. 1 CPC cum art. 53 du Décret fixant le tarif des frais, des émoluments de chancellerie et des dépens en matière civile, pénale et administrative [TFrais, RSN 164.1], a contrario). Elle a toutefois mis à la charge de l’Etat les frais judiciaires relatifs à la procédure au fond, en application de l’article 107 al. 2 CPC. Jusque-là, le raisonnement de la première juge ne prête pas le flanc à la critique ; l’appelant ne le critique d’ailleurs pas.

                        b) Au chapitre des dépens, la première juge a retenu qu’ils n’étaient pas dus pour la procédure de conciliation (art. 113 al. 1 CPC), mais uniquement pour la procédure au fond. Citant un avis de doctrine, elle a considéré que lorsqu’un procès devient sans objet, il faut appliquer, le cas échéant, la disposition particulière qui règle spécialement la répartition des frais en lieu et place de l’article 107 al. 1 let. e CPC ; en l’occurrence, elle a fait application de l’article 207 al. 1 let. b CPC, qui prévoit que « [l]es frais de la procédure de conciliation sont mis à la charge du demandeur lorsque l'affaire est rayée du rôle en raison d'un défaut ». Au sujet du montant des dépens, la première juge s’est référée à la proposition d’honoraires déposée par le mandataire de Y.________ SA, qu’elle a admise, sous réserve de la dernière prestation estimée à 90 minutes et pour laquelle il n’était retenu que 15 minutes d’activité, paraissant suffisantes pour finaliser le dossier.

6.3                   a) S’agissant du principe de la mise des dépens de la procédure de première instance au fond à l’entière charge de l’appelante, l’article 107 al. 2 CPC ne s’applique qu’aux frais judiciaires (Gerichtskosten ; spese processuali), et non aux frais au sens large (Prozesskosten ; spese giudiziarie), de sorte que cette disposition ne s’applique clairement pas aux dépens (Parteientschädigung ; spese ripetibili) (voir les distinctions à l’article 95 CPC). Il s’ensuit que les frais de défense d’une partie au sens de l’article 95 al. 3 CPC ne peuvent pas être mis à la charge de l’Etat en application de cette disposition. Aucune disposition du CPC ne prévoit d’ailleurs une telle possibilité. L’appelante ne se réfère du reste à aucune disposition légale, jurisprudence ou avis doctrinal à l’appui de sa thèse selon laquelle « il y aurait eu lieu, en bonne logique, de ne condamner également aucune des parties à des dépens ». Sur ce point, la Cour de céans fait sienne l’opinion de Tappy selon laquelle « le canton ne peut jamais être condamné à verser des dépens à une partie, sauf naturellement lorsqu’il revêt lui-même la qualité de partie et est soumis à ce titre aux règles ordinaires des art. 106 ss » (CR CPC, n. 34 ad art. 107), respectivement « le CPC exclut une condamnation d’un canton non partie à verser des dépens, par exemple parce qu’un recours aurait été rendu nécessaire par une faute d’un de ses magistrats », le canton en tant qu’autorité ne pouvant pas être considéré comme une personne ayant engendré des frais, au sens de l’article 108 CPC, et la condamnation aux frais d’un magistrat personnellement étant incompatible avec l’absence de responsabilité directe en la matière (ibid., n. 35 ad art. 107).

                        b) Lorsqu’une procédure de conciliation est rayée du rôle en raison d’un défaut, l’article 207 al. 1 let. b CPC prévoit que les frais de la procédure de conciliation doivent être mis à la charge de la partie requérante dans le cadre de ladite procédure. Le présent cas présente la particularité que ce n’est pas l’autorité de conciliation, mais le tribunal de première instance qui est parvenu à la conclusion que la Chambre de conciliation aurait dû considérer la requête de X.________ comme retirée et rayer l’affaire du rôle, la procédure étant devenue sans objet, suite au défaut de la demanderesse à l’audience de conciliation du 5 juillet 2018, en application de l’article 206 al. 1 CPC. En pareille situation, la question de savoir si les frais de la procédure de première instance pouvaient être mis à la charge de X.________ par application analogique de l’article 207 al. 1 let. b CPC à la procédure devant le tribunal du fond (thèse que l’auteur cité par la première juge ne semble pas soutenir [Tappy, in : CR CPC, 2e éd., n. 23 ad art. 107]) peut souffrir de demeurer indécise, à mesure que cette solution s’impose de toute manière.

                        En effet, matériellement, X.________ a intégralement succombé dans le cadre de la procédure de première instance, puisque le jugement querellé ôte toute portée à sa démarche du 13 avril 2018 visant à contester l’avis de résiliation de bail qui lui avait été notifié le 6 avril 2018. D’ailleurs, c’est bien X.________ – et non Y.________ SA – qui a formé appel contre ce jugement. L’application des règles générales sur la répartition des frais aboutit donc à la condamnation de X.________ au paiement d’une pleine indemnité de dépens à Y.________ SA, pour les besoins de la procédure de première instance (étant rappelé qu’en l’espèce, la procédure de conciliation ne donne pas lieu à l’allocation de dépens [art. 113 al. 1 CPC]). Une telle solution n’apparait pas inéquitable, au sens de l’article 107 al. 1 let. f CPC. En effet, suite à la délivrance de l’autorisation de procéder, Y.________ SA n’avait pas d’autre choix que d’introduire la procédure, de sorte qu’il serait inéquitable de la priver de tout ou partie de l’indemnité de dépens qui lui est due, alors qu’elle-même obtient entièrement satisfaction avec le jugement de première instance, pendant que son adverse partie succombe intégralement.

                        On rappellera au surplus qu’il n’existe aucune base légale permettant de mettre à la charge du canton tout ou partie des dépens, quand bien même le juge de première instance a désavoué la Chambre de conciliation, sur la question du défaut de X.________ à l’audience de conciliation. Dans les procédures civiles, le fait qu’une autorité cantonale n’en suive pas une autre – en tout ou en partie – n’a pas pour effet l’obligation pour l’Etat de prendre en charge les dépens des parties dans la même mesure. Ainsi, l’admission d’un appel n’a par exemple pas un tel effet, quand bien même la juridiction d’appel retiendrait une solution totalement opposée à celle consacrée dans le jugement de première instance (p. ex. rejet intégral de la demande en première instance, suivi de l’admission intégrale de la demande en appel).   

6.4                   S’agissant du montant de l’indemnité de dépens fixée par la première juge, la proposition d’honoraires sur laquelle cette dernière s’est basée consiste en une liste d’opérations, dont la première est datée du 27 avril 2018 et la dernière du 21 janvier 2019, cette dernière date correspondant à celle du dépôt de la demande. Il s’ensuit que la majorité de l’activité de l’avocat indemnisée par la première juge l’a été dans le cadre de la procédure de conciliation, ce qui constitue une violation de l’article 113 al. 1 CPC.   

                        Cela étant, le montant des dépens arrêté par la première juge ne prête pas le flanc à la critique. En effet, aux termes de l’article 61 TFrais, les honoraires sont proportionnés à la valeur litigieuse (al. 1) ; ils sont fixés dans les limites prévues, en fonction du temps nécessaire à la cause, de sa nature, de son importance, de sa difficulté, du résultat obtenu ainsi que de la responsabilité encourue par le représentant (al. 2). En application de l’article 61 TFrais, les honoraires sont en principe (et sous réserve de l’art. 63 TFrais) plafonnés à 10'000 francs, pour les affaires dont la valeur litigieuse se situe – comme en l’espèce (l’appelante admet que la valeur litigieuse de la présente affaire est de 21'600 francs) – entre 20'001 et 50'000 francs.    

                        En l’espèce, le montant des dépens arrêté par la première juge se situe dans les limites du TFrais. L’indemnité allouée correspond en outre à environ neuf heures d’activité d’avocat au tarif horaire de 285 francs (proposé par Me C.________ sans faire l’objet de critiques de la part de l’appelante), plus la TVA. Une telle durée parait correspondre au temps nécessaire pour la défense des intérêts de Y.________ SA en première instance. Le montant alloué est enfin adéquat, compte tenu des autres critères énumérés à l’article 61 al. 2 TFrais.

7.                            Vu l’ensemble de ce qui précède, l’appel doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. Le jugement querellé doit être confirmé. Les frais de la procédure d’appel (il s’agit d’un bail commercial, si bien que l’exonération des frais ne s’applique pas, v. supra cons. 6.1 et 6.2/a) doivent être mis à la charge de l’appelante, qui sera en outre condamnée à verser à l’intimée une indemnité de dépens (art. 95 al. 1 cum 106 al. 1 CPC ; art. 12 al. 1 et 60 ss TFrais).

Par ces motifs,
LA COUR D'APPEL CIVILE

1.    Rejette l’appel, dans la mesure de sa recevabilité.

2.    Met à la charge de l’appelante les frais de la procédure d’appel, arrêtés à 800 francs et couverts par l’avance de frais déjà versée.

3.    Condamne l’appelante à verser à l’intimée une indemnité de 1'000 francs pour la procédure d’appel.

Neuchâtel, le 31 octobre 2019

 

Art. 204 CPC
Comparution personnelle
 

1 Les parties doivent comparaître en personne à l’audience de conciliation.

2 Elles peuvent se faire assister d’un conseil juridique ou d’une personne de confiance.

3 Sont dispensées de comparaître personnellement et peuvent se faire représenter:

a. la personne qui a son domicile en dehors du canton ou à l’étranger;

b. la personne empêchée de comparaître pour cause de maladie, d’âge ou en raison d’autres justes motifs;

c. dans les litiges au sens de l’art. 243, l’employeur ou l’assureur qui délègue un employé et le bailleur qui délègue le gérant de l’immeuble, à la condition que ceux-ci soient habilités, par écrit, à transiger.

4 La partie adverse est informée à l’avance de la représentation.

Art. 206 CPC
Défaut
 

1 En cas de défaut du demandeur, la requête est considérée comme retirée; la procédure devient sans objet et l’affaire est rayée du rôle.

2 Lorsque le défendeur fait défaut, l’autorité de conciliation procède comme si la procédure n’avait pas abouti à un accord (art. 209 à 212).

3 En cas de défaut des deux parties, la procédure devient sans objet et l’affaire est rayée du rôle.