A.                            Y.________, né en Espagne en 1955, et X.________, née en Espagne en 1963, se sont mariés en Espagne le 23 juillet 1983. Deux enfants sont issus de l’union, A.________, née à Z.________(NE) en 1985, et B.________, née à U.________(BE) en 1997.

B.                            Courant 2010, l’épouse a introduit une procédure de mesures protectrices de l’union conjugale devant le Tribunal civil du district de La Chaux-de-Fonds. A l’occasion d’une audience tenue devant cette autorité le 19 octobre 2010, le tribunal a constaté que la suspension de la vie commune était fondée, attribué la garde sur B.________ à la mère et homologué une convention passée entre les parties. 

C.                            a) Le 17 juillet 2018, après avoir obtenu l’assistance judiciaire par ordonnance du 22 mars 2018, l’époux a saisi le Tribunal civil des Montagnes et du Val‑de-Ruz d’une demande unilatérale en divorce. Après que la conciliation a été tentée sans succès lors d’une audience du 6 novembre 2018, l’époux a complété sa demande en divorce par mémoire du 22 février 2019. L’épouse a déposé sa réponse le 10 avril 2019. L’époux a répliqué le 24 mai 2019, l’épouse a dupliqué le 19 juin 2019, puis l’époux a déposé des explications sur les faits de la duplique le 15 juillet 2019. Les parties ont été interrogées en audience du 17 septembre 2019.

b) Le 19 septembre 2019, l’époux a allégué des faits nouveaux, soit une décision de mesures superprovisionnelles rendue le 17 septembre 2019 par l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte des Montagnes et du Val-de-Ruz (ci-après : APEA), le condamnant, à titre superprovisionnel, à contribuer à l’entretien de B.________ par le versement d’une somme de 2'215.10 francs par mois dès le 1er septembre 2018, et lui ordonnant de consigner 159'487.20 francs auprès de la [banque 1]).

c) Une audience de plaidoiries a eu lieu le 11 octobre 2019 (procès-verbal non coté en préambule du dossier).

d) Le 24 octobre 2019, X.________ a saisi l’APEA d’une requête superprovisionnelle, respectivement provisionnelle, dirigée contre l’époux, tendant à ce qu’il soit ordonné à la société [banque 2] et/ou à la [banque 1], dans l’hypothèse où la consignation ordonnée par décision superprovisionnelle du 17 septembre 2019 serait définitive et exécutoire, de retenir la somme de 2'215.10 francs par mois sur les avoirs de prévoyance de Y.________, dès le 1er septembre 2018, à titre de contribution à l’entretien de sa fille B.________ et d’en opérer le paiement sur un compte bancaire détenu par cette dernière.

e) Le 26 mars 2020, l’épouse a écrit au juge civil que l’époux avait « atteint l’âge légal de l’AVS le 9 mars 2020 », si bien qu’un partage par moitié des avoirs LPP des parties ne serait « sans doute plus possible » et qu’il « faudra[it] donc passer par la voie de l’indemnité équitable, correspondant au partage usuel », pour que l’épouse ne soit pas lésée.

f) Par jugement du 7 avril 2020, le tribunal civil a prononcé le divorce des époux (dispositif, ch. 1) ; refusé le partage des prétentions de la prévoyance professionnelle (ch. 2) ; rejeté toute autre ou plus ample conclusion des parties (ch. 3) ; mis les frais judiciaires, arrêtés à 1'800 francs, à la charge de l’ex-épouse à hauteur des 2/3 et à la charge de l’ex-époux à hauteur de 1/3, sous réserve des règles en matière d’assistance judiciaire dont bénéficiait ce dernier (ch. 4) ; condamné l’ex-épouse à payer à l’ex-époux une indemnité de dépens de 960 francs, payable en mains de l’Etat (ch. 5).

                        S’agissant de la question de la prévoyance professionnelle, le premier juge a retenu, concernant la situation des parties, que l’époux avait fait l’objet d’un licenciement collectif en 2011, alors qu’il était employé par C.________ SA ; qu’à cette occasion, il avait reçu des indemnités de départ représentant environ 142'000 francs net (hors salaire courant, vacances et 13e salaire), dont 100'000 francs avaient été versés à son institution de prévoyance professionnelle ; qu’il avait ensuite retrouvé un emploi, puis à nouveau été licencié pour des raisons économiques ; qu’il avait bénéficié de l’aide sociale dès le 1er septembre 2017 ; que depuis août 2017, il n’avait plus contribué à l’entretien de B.________ ; qu’il percevait depuis le 1er avril 2018 une rente AVS anticipée d’un montant mensuel de 1'966 francs ; qu’il avait atteint l’âge légal de la retraite le 1er avril 2020 ; que son avoir de prévoyance s’élevait à 344'952.75 francs au 5 décembre 2011, respectivement à 395'911.70 francs au jour d’introduction de l’instance de la procédure en divorce.

                        L’épouse travaillait pour sa part depuis trente-et-un ans dans la même entreprise ; elle disposait d’une prestation de libre passage de 290'078.35 francs, à la date de l’introduction de l’instance en divorce ; l’épouse estimait qu’il fallait déduire de ce montant 8'790.15 francs ayant été versés par D.________ à son institution de prévoyance professionnelle actuelle, au motif qu’elle avait accumulé ces avoirs avant le mariage. En 2019, la prime employée à sa caisse de pensions représentait 534 francs par mois et son salaire mensuel brut était de 5'529 francs. Compte tenu d’heures supplémentaires et des primes, le revenu mensuel brut de l’épouse (sur douze mois) avait été de 7'343 francs en 2017 et 6'895.90 francs en 2018.

                        En droit, le juge civil a considéré qu’un partage par moitié des prestations de sortie de la prévoyance professionnelle en application de l’article 123 al. 1 CC se concrétiserait par un transfert de l’ordre de 53'000 francs du compte de prévoyance du mari sur celui de l’épouse (ce montant correspond probablement à l’opération suivante :  395'911.70/2 – 290'078.35/2 = 52'916.675). En l’occurrence la situation économique de chacun des époux postérieurement au divorce justifiait toutefois de renoncer au partage, en application de l’article 124b al. 2 CC. En effet, si le montant de la rente LPP vieillesse perçue par le mari à compter du 1er avril 2020 n’était pas connu, le juge civil retenait qu’avec sa rente AVS, le mari percevrait en tous les cas un revenu mensuel inférieur au revenu du travail de l’épouse, si bien que la situation au plan des revenus serait, après le divorce, plutôt défavorable au mari par rapport à la situation de l’épouse. La situation de l’époux était d’autant plus défavorable qu’il devrait, à lire la décision de l’Autorité de protection de l’enfant du 17 septembre 2019, s’acquitter apparemment jusqu’à la fin de la formation de B.________, laquelle « semblait devoir durer encore un certain temps », d’une contribution d’entretien d’un montant non négligeable, « même si ce dernier sera probablement revu à la baisse dans le cadre de la procédure alimentaire devant cette Autorité ». L’ex-époux n’étant pas en mesure de pallier la lacune de prévoyance qui résulterait d’un partage, il subirait, du fait du partage, un désavantage important. Au contraire, l’épouse, était « à même d’augmenter son avoir de prévoyance professionnelle pour obtenir à sa retraite un avoir qui sera au moins semblable à celui du mari au moment de sa propre retraite, mais probablement supérieur » (sur la base de la prime mensuelle LPP prélevée sur le salaire de l’épouse comme salariée, on pouvait retenir une cotisation globale annuelle d’au moins 13'500 francs, ce qui représente entre juillet 2018 et janvier 2027 un accroissement d’au moins 115'000 francs).

D.                            a) L’ex-épouse appelle de ce jugement le 15 mai 2020, en concluant à l’octroi de l’effet suspensif à l’appel ; à l’annulation du chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué et à ce que soit ordonné en conséquence le partage par moitié des avoirs LPP des époux ; subsidiairement au renvoi de la cause au premier juge ; en tout état de cause sous suite de frais et dépens. En annexe à l’appel, elle dépose des copies du procès-verbal relatif à une audience qui s’est tenue le 12 décembre 2019 devant l’APEA ; du procès-verbal relatif à l’audition de B.________ lors de la même audience ; d’une lettre de son avocate à la [banque 1] du 20 avril 2020 ; d’une lettre de son avocate à la [banque 2] du 20 avril 2020 ; de la réponse de [banque 2] du 6 mai 2020. L’appelante requiert enfin de l’adverse partie « la production de la rente AVS complémentaire qu’il verse à sa fille B.________ ».

b) Le 23 juin 2020, l’ex-épouse dépose copie d’une lettre du 11 juin 2020 de la [banque 1], aux termes de laquelle aucun compte de consignation n’a été ouvert en exécution de la décision de l’APEA du 17 septembre 2019.

E.                            Aux termes de sa réponse du 25 juin 2020, l’ex-époux conclut à l’octroi de l’assistance judiciaire et au rejet de l’appel, sous suite de frais et dépens. En annexe à sa réponse, il dépose des copies de la décision de l’APEA du 17 septembre 2019 ; d’un échange de courriels entre son mandataire et la [banque 2] ; de la requête superprovisionnelle de B.________ à l’APEA du 24 octobre 2019 ; du procès-verbal relatif à une audience qui s’est tenue le 12 décembre 2019 devant l’APEA.

F.                            Par ordonnance du 30 juin 2020, la présidente de la Cour de céans a notamment ordonné le blocage de l’avoir de prévoyance de chacun des époux, jusqu’à droit connu sur l’appel, et, cas échéant, fait interdiction aux parties de solliciter un retrait d’avoirs de prévoyance et d’en disposer, jusqu’à droit connu sur l’appel ; dit qu’il serait statué ultérieurement sur la recevabilité des pièces produites et requises au stade de la procédure d’appel ; dit que la demande d’assistance judiciaire de l’intimé serait traitée dans l’arrêt au fond.

G.                           L’appelante n’a pas déposé de réplique spontanée.

C O N S I D E R A N T

1.                            Interjeté dans les formes et délai légaux, l’appel est recevable (art. 308 ss CPC).

2.                       a) Selon l’article 317 al. 1 CPC, les allégués et moyens de preuve nouveaux ne sont admissibles en appel que si, cumulativement, ils ne pouvaient être produits en première instance, avec toute la diligence requise, et s'ils sont produits sans retard dès leur connaissance ou leur disponibilité. S'agissant de ceux qui préexistaient au jugement de première instance, « il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l’instance d’appel de démontrer qu’il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d’exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n’a pas pu être produit en première instance » (arrêt du TF du 23.01.2017 [5A_792/2016]). Le législateur a opté pour une prise en compte restrictive des faits et moyens de preuve nouveaux tout comme des conclusions nouvelles en appel, afin d’attirer l’attention des parties sur l'importance de la procédure de première instance. Avec le système mis en place par l'article 317 CPC, la partie qui aurait été négligente devant le premier juge en subira les conséquences puisque les allégués, offres de preuve ou conclusions nouveaux tardivement présentés seront déclarés irrecevables (arrêt de la Cour de céans du 23.11.2012 [CACIV.2012.56] cons. 2 et les références citées).

                        En matière matrimoniale, la jurisprudence a tranché que lorsque le procès était soumis à la maxime inquisitoire illimitée, l'application stricte de l'article 317 al. 1 CPC n'était pas justifiée, à mesure que le juge d'appel doit dans ces cas rechercher lui-même les faits d'office (« von Amtes wegen erforschen », art. 296 al. 1 CPC) et peut donc, pour ce faire, ordonner d'office l'administration de tous les moyens de preuve propres et nécessaires à établir les faits pertinents pour rendre sa décision (ATF 144 III 349).

                        Lorsqu’il traite la question du partage des prétentions de la prévoyance professionnelle au sens des articles 122 ss CC, « le tribunal établit les faits d’office » (art. 277 al. 3 CPC). Bien que la formulation utilisée dans les textes français et italien de l’article 277 al. 3 CPC soit la même que celle utilisée à l’article 296 al. 1 CPC, il n’en va pas de même dans la version allemande (« Im Übrigen stellt das Gericht den Sachverhalt von Amtes wegen fest »). Il découle de cette version allemande que la présente procédure est gouvernée non pas par la maxime inquisitoire illimitée, mais par la maxime inquisitoire atténuée (Bohnet, Actions civiles, vol. I, n. 14 ad § 15 et les arrêts cités). Les conditions de l'article 317 al. 1 CPC sont dès lors applicables au cas d’espèce (v. ATF 142 III 413 cons. 2.2.2 ; 138 III 625 cons. 2.2).

                        b) Selon l’article 229 al. 3 CPC, lorsqu’il doit établir les faits d’office (« Hat das Gericht den Sachverhalt von Amtes wegen abzuklären, (…) »), le tribunal admet des faits et moyens de preuve nouveaux jusqu’aux délibérations. Pour les juridictions fonctionnant avec un juge unique, la délibération correspond au moment de la prise de décision, activité purement intellectuelle et qui ne s’extériorise d’aucune manière. Dans ce cas, la phase de prise de décision commence dès la clôture des débats principaux, soit à la fin des plaidoiries orales lorsqu’il y en a, ou à l’échéance du délai, le cas échéant prolongé, pour déposer des plaidoiries écrites selon l’article 232 al. 2 CPC (Bohnet, CPC annoté, N. 5 ad art. 229  et la référence à l’arrêt du TF [5A_4457/2014], cons. 2.1).

                        c) En l’espèce, les plaidoiries ont eu lieu lors de l’audience du 11 octobre 2019, au terme de laquelle le premier juge a prononcé la clôture des débats. À mesure que l’ensemble des pièces déposées dans la procédure d’appel sont postérieures à cette date (à l’exception de la décision de mesures superprovisionnelles du 17 septembre 2019, laquelle figurait toutefois déjà au dossier de première instance), elles doivent être prises en compte dans le cadre de la procédure d’appel.         

3.                            L’appelante reproche au premier juge d’avoir constaté les faits de manière inexacte. Elle allègue – pour la première fois devant la juridiction d’appel – qu’une audience avait eu lieu le 12 décembre 2019 devant l’APEA, dans le cadre de la procédure superprovisionnelle, respectivement provisionnelle, concernant l’avis au débiteur dirigée par B.________ contre son père (v. supra Faits, C/c) ; que lors de cette audience, Y.________ s’était engagé « à solliciter de l’AVS une rente complémentaire pour sa fille dès le mois d’avril 2020 » ; que cette rente devait correspondre à environ 800 francs par mois ; que l’époux s’était en outre engagé à verser 11'000 francs à B.________ « pour solde de tout compte », une fois qu’il aurait perçu le montant de son 2e pilier ; que B.________ avait perçu en avril 2020 un montant de 829 francs pour son entretien, correspondant à la rente AVS complémentaire de son père. L’appelante allègue encore que son ex-mari a cessé de payer toute contribution d’entretien en faveur de B.________ depuis juillet 2017 et qu’une partie de son indemnité de licenciement avait servi à financer un voyage à Cuba, au cours duquel il avait noué une liaison. Toujours selon l’ex-épouse, elle-même court davantage que ses collègues plus jeunes le risque de voir son contrat de travail résilié au motif d’une diminution des commandes, conséquence de la crise sanitaire actuelle. 

                        Dans la partie « en droit » de son mémoire, elle fait valoir, en résumé, que le partage par moitié des avoirs de prévoyance est la règle et que les exceptions à cette règle sont soumises à de « hautes exigences » ; que le juge ne doit pas refuser le partage « chaque fois qu’il pense que l’égalité pourrait être mieux réalisée entre les époux »; que l’article 124b CC n’a pas pour vocation de corriger les inégalités économiques entre les époux ; qu’en l’occurrence, le premier juge est « tombé dans l’arbitraire en considérant qu’un partage par moitié des avoirs LPP des parties ne devait pas être ordonné, en raison du fait que le mari aurait une situation économique défavorable par rapport à celle de l’appelante après le divorce »; que s’il l’avait voulu, l’ex-époux aurait pu exercer une activité lucrative après son licenciement par C.________ SA ; que le refus du partage par moitié pourrait ne pas apparaître inéquitable si l’ex-époux avait fait tous les efforts nécessaires pour trouver une activité rémunérée et continué à entretenir B.________; que la décision du premier juge apparaît ici « presque comme une prime à l’oisiveté du mari et à la violation de son obligation d’entretien vis-à-vis de sa fille B.________ » ; que le risque, évoqué par le premier juge, que l’intimé soit condamné à verser une contribution d’entretien importante à B.________ est infondé, vu l’arrangement passé lors de l’audience du 12 décembre 2019. 

4.                            Les nouveaux articles 122 ss CC, qui s’inscrivent dans le chapitre consacré aux effets du divorce, sont applicables aux procès en divorce pendants dès leur entrée en vigueur le 1er janvier 2017 (art. 7d Tit. fin. CC ; arrêt du TF du 23.08.2018 [5A_172/2018] cons. 5).

                        a) À teneur de l’article 122 CC, les prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage et jusqu’à l’introduction de la procédure de divorce sont partagées entre les époux. Le nouveau droit maintient le principe selon lequel les prestations de sortie acquises durant le mariage sont partagées par moitié entre les époux (art. 123 al. 1 CC). Ce principe est applicable lorsque, à l’introduction de la procédure de divorce, aucun cas de prévoyance (vieillesse ou invalidité) n’est encore survenu ; il l’est aussi lorsqu’un cas de prévoyance survient alors que la procédure de divorce est pendante (Message du Conseil fédéral du 29 mai 2013 concernant la révision du Code civil suisse [partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce], in FF 2013 4341 ss [ci-après : Message], p. 4360).

                        b) Si un partage par moitié s’avère inéquitable, il est envisageable de s’écarter de l’article 123 CC (Message, p. 4360). L’article 124b al. 2 CC permet en effet au juge d’attribuer moins de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier ou de n’en attribuer aucune pour de justes motifs, en particulier lorsque le partage par moitié s’avère inéquitable en raison de la liquidation du régime matrimonial ou de la situation économique des époux après le divorce (ch. 1) ou des besoins de prévoyance de chacun des époux, compte tenu notamment de leur différence d’âge (ch. 2).

                        Il y a par exemple iniquité au sens de l’article 124b al. 2 ch. 1 CC lorsqu’une épouse active finance la formation de son mari et que celui-ci va exercer une profession qui lui permettra de se constituer une meilleure prévoyance vieillesse que sa femme ; de même, il y a iniquité lorsque l’un des époux est employé et dispose d’un revenu et d’un deuxième pilier modestes, tandis que l’autre conjoint est indépendant, ne dispose pas d’un deuxième pilier, mais se porte beaucoup mieux financièrement (Message, p. 4370 s.).

                        Il peut également être justifié de déroger au partage par moitié lorsque les deux époux ont des revenus et des prestations de vieillesse futures comparables, mais ont constitué des avoirs de niveaux très différents durant le mariage du fait qu’ils ont une grande différence d’âge. C’est pourquoi la différence d’âge est citée expressément à l’article 124b al. 2 ch. 2 CC. Le juge doit également tenir compte du fait que le conjoint invalide ne sera plus à même de combler un défaut de prévoyance en effectuant des rachats ; il n'y a pas forcément iniquité pour autant : le seul fait qu'un conjoint perçoive une rente d'invalidité au moment du divorce et que celle-ci couvre le minimum vital ne constitue pas une raison suffisante de déroger au partage par moitié des prétentions de prévoyance (Message, p. 4371).

                        Les dérogations pour justes motifs ne concernent que la prestation de sortie, c’est-à-dire le cas, comme en l’espèce, où le conjoint concerné n’a pas encore atteint l’âge règlementaire de la retraite au moment de l’introduction de la procédure de divorce (arrêt de la Cour d’appel civile vaudoise du 05.02.2020 [décision no 66], cons. 4.2). L’article 124b al. 2 CC ne fournit pas une liste exhaustive des justes motifs pour lesquels le juge pourra renoncer au partage par moitié ; d’autres cas de figure sont envisageables, notamment celui où le conjoint créancier ne se serait pas conformé à son obligation d’entretien, auquel cas il paraîtrait insatisfaisant qu’il puisse exiger la moitié de la prestation de sortie du conjoint débiteur. Il importe, en cas d’application de cette disposition, de ne pas vider de sa substance le principe du partage par moitié ; des différences de fortune ou de perspectives de gains ne constituent pas un motif suffisant de déroger à ce principe ; toute inégalité consécutive au partage par moitié ou persistant après le partage par moitié ne constitue pas forcément un juste motif au sens de cet alinéa (Message, p. 4371). Le partage de la prévoyance professionnelle doit, dans l'idéal, permettre aux deux conjoints de disposer d'un avoir de prévoyance de qualité égale (Message, p. 4349). Ces principes ont été conçus pour être appliqués indépendamment de la répartition des tâches convenue durant le mariage (ATF 145 III 56 cons. 5.3.2).

5.                            En l’espèce, le mariage a duré environ 36 ans et, au jour du présent jugement, l’ex-époux est âgé de 65 ans et l’ex-épouse de 57 ans.

5.1                   S’agissant des faits invoqués à l’appui de l’appel, l’appelante n’a pas prouvé à satisfaction de droit que l’ex-époux aurait eu la possibilité effective d’exercer une activité lucrative entre son licenciement par C.________ SA et le moment où il a atteint l’âge de la retraite. Elle ne se réfère à aucun moyen de preuve en rapport avec cet allégué et n’allègue de surcroît pas – et prouve encore moins – quels revenus l’époux aurait pu réaliser durant cette période, ni le montant des avoirs de prévoyance qu’il aurait pu accumuler. S’agissant du voyage à Cuba, non seulement elle ne se réfère à aucun moyen de preuve, mais elle n’allègue pas – et prouve encore moins – quel aurait été le coût de ce voyage. Enfin, l’ex-épouse n’expose aucun élément qui laisserait à penser qu’elle risquerait concrètement d’être licenciée prochainement, d’une part, et qu’elle ne pourrait le cas échéant pas retrouver rapidement un emploi avec une rémunération équivalente, d’autre part. L’ex-épouse ne démontre ainsi pas que le premier juge aurait retenu à tort que jusqu’à ce que l’ex-épouse atteigne l’âge de la retraite, l’ex-époux percevra en tous les cas un revenu mensuel inférieur au revenu du travail de l’épouse, si bien que la situation au plan des revenus serait, après le divorce, plutôt défavorable au mari par rapport à la situation de l’épouse. L’appelante n’objecte en outre aucun argument aux raisonnements du premier juge selon lesquels l’ex-époux n’est pas en mesure de pallier la lacune de prévoyance qui résulterait d’un partage ; l’ex-époux subirait un désavantage important du fait du partage ; l’ex-épouse est au contraire « à même d’augmenter son avoir de prévoyance professionnelle pour obtenir à sa retraite un avoir qui sera au moins semblable à celui du mari au moment de sa propre retraite, mais probablement supérieur ».

5.2                   Le premier juge a retenu que la situation de l’ex-époux était d’autant plus défavorable que ce dernier devrait s’acquitter jusqu’à la fin de la formation de B.________ d’une contribution d’entretien que ce magistrat n’a pas chiffrée, mais qualifiée comme « d’un montant non négligeable », même si probablement inférieur au montant de 2'215.10 francs par mois arrêté dans la décision superprovisoire de l’APEA.

                        a) Lors de son interrogatoire du 12 décembre 2019 devant l’APEA, B.________ a déclaré avoir décidé de poursuivre ses études après avoir commencé un apprentissage d’assistante en pharmacie en 2013, qu’elle avait dû interrompre pour raison de santé après 7 mois ; avoir obtenu un certificat de culture générale en 2017, puis une maturité santé à la HE Arc en 2018 ; n’avoir pas été prise aux examens pour la formation de physiothérapeute ; être inscrite à une passerelle qui commencera en janvier 2020 et devrait lui permettre, au bout d’un an, de s’inscrire à l’université en septembre 2021 ; travailler dans l’intervalle dans le cadre de jeux d’énigmes, ainsi que 6 heures par mois chez I.­________ et aider sa mère dans son activité au service de la même entreprise.

                        b) Au terme de l’audience du 12 décembre 2019 devant l’APEA, les parties ont arrêté l’entretien convenable de B.________ à 2'000 francs par mois (minimum vital par 850 francs ; assurance-maladie par 303 francs ; part au loyer de la mère [15 %] par 176 francs ; écolage par 500 francs ; loisirs par 100 francs ; frais de transport par 93 francs ; frais de train et repas par 180 francs, soit un total arrondi à 2'200 francs, dont à déduire un revenu moyen de 200 francs), puis sont convenues de l’arrangement suivant :  

« 1.  Le père s’engage à solliciter de l’AVS une rente complémentaire pour sa fille dès qu’il touchera l’AVS soit en avril 2020 correspondant au 40% de sa rente de base qui est de CHF 1'993.00 actuellement soit de l’ordre de CHF 800.00 par mois. La rente devrait être versée directement à B.________.

2.  Pour solde de tout compte, lorsque le père percevra le montant de son 2e pilier, une somme de CHF 11'000.00 sera versée à B.________ sur son compte (…) à la [banque 3]. Me G.________ entreprendra les démarches nécessaires auprès de la caisse LPP, H.________, pour que, le moment venu, le versement soit opéré au profit de B.________ ».

                        Suite à cet accord, B.________ a retiré sa requête du 24 octobre 2019 (v. supra Faits, let. C/c).

                        Sur ce point, on s’étonne de ce que ce soit la même avocate qui représente l’ex-épouse dans le cadre de la présente procédure et B.________ dans le cadre de la procédure devant l’APEA. En effet, la situation de Me E.________ ne paraît pas exempte de conflit d’intérêt (au sens de l’art. 12 let. c LLCA), à mesure que l’appelante et B.________ élèvent toutes deux des prétentions sur les avoirs de 2e pilier accumulés par l’intimé. Or Me E.________ a consenti, au nom et pour le compte de B.________, à une solution transactionnelle pouvant être chiffrée à 11'000 + 54'219 francs (829 francs x 52 mois [période entre avril 2020, date à laquelle B.________ a commencé à percevoir des prestations AVS], et août 2024, en partant du principe que la formation universitaire de B.________ durera 3 ans), alors que la conclusion de sa demande du 24 octobre 2019 portait sur 159'487.20 francs (2'215.10 x 12 x 6, soit durant la période comprise entre le 1er septembre 2018 et le 1er septembre 2024).

5.3                   Quoi qu’il en soit et à s’en tenir à l’accord passé entre B.________ et l’intimé lors de l’audience du 12 décembre 2019, le partage par moitié des avoirs de prévoyance des ex-époux aboutirait à ce que l’ex-époux, actuellement retraité, bénéficie d’un avoir de prévoyance de 331'995 francs (395'911.70 – 52'916.70 – 11'000), après déduction des 11'000 francs qu’il s’est engagé à verser à B.________. En effet, il ne se justifie pas de soustraire 8'790.15 francs de la prestation de libre passage de l’épouse, à mesure qu’il ressort sans ambiguïté de l’attestation de la Caisse de pension de F.________ du 13 novembre 2018 que la prestation de sortie de l’appelante au jour du mariage était de zéro franc, d’une part, et que son droit au jour de l’introduction de la procédure de divorce (17 juillet 2018) était de 290'078.35 francs, d’autre part. La lettre de D.________ du 23 mai 2006 à la Caisse de pension de F.________ ne modifie en rien cette appréciation, car ce document ne prouve pas que l’avoir de 8'790.15 francs aurait été acquis avant le mariage.

                        Quant à l’épouse, le partage par moitié des avoirs de prévoyance des ex-époux aboutirait à ce qu’elle bénéficie à l’âge de la retraite d’un avoir de prévoyance pouvant être estimé à 457'995.05 francs (290'078.35 + 52'916.70 + 115'000 [ce dernier montant correspond à l’accroissement prévisible de l’avoir de prévoyance de l’ex-épouse entre juillet 2018 et janvier 2027, sur la base de la prime mensuelle LPP prélevée sur le salaire de l’épouse comme salariée, soit une cotisation globale annuelle d’au moins 13'500 francs), soit une différence de 126'000 francs, représentant moins de 16 % de l’avoir de prévoyance total accumulé par les époux durant le mariage.

                        De l’avis de la Cour de céans, une telle différence ne peut être qualifiée d’« inéquitable », au sens de l’article 124b al. 2 CC, vu les circonstances du cas d’espèce, notamment la somme toute relativement faible différence d’âge entre les époux, la durée séparant le moment de la séparation et celui de l’introduction de la procédure de divorce et la volonté clairement affichée par le mari de partir s’établir en Espagne, après avoir pu retirer son deuxième pilier. En effet, il est notoire que le coût de la vie est largement supérieur en Suisse qu’en Espagne (selon l’étude effectuée par la [banque 3] en 2018 et accessible en ligne, le coût de la vie [Price Levels] est 40 % moins cher à Barcelone qu’à Genève). Si l’on tient compte du coût la vie, l’ex-époux bénéficierait donc en Espagne d’un pouvoir d’achat supérieur à celui de l’ex-épouse en Suisse (rien n’indique que l’ex-épouse envisagerait de quitter la Suisse, pays où vivent ses enfants, après avoir atteint l’âge de la retraite). De l’avis de la Cour, consacrer dans le cas d’espèce une exception à la règle du partage par moitié reviendrait à vider de sa substance le principe du partage par moitié, contrairement à la volonté du législateur.  

6.                       Vu l’ensemble de ce qui précède, l’appel doit être admis. En conséquence, ordre doit être donné à la caisse de prévoyance de l’intimé ([banque 2]) de transférer 52'916 francs en faveur du compte de prévoyance ouvert au nom de l’appelante auprès de la Caisse de pension de F.________.

7.                            La requête de l’appelante tendant à ce que l’adverse partie produise « la rente AVS complémentaire qu’il verse à sa fille B.________ » est rejetée, à mesure que ce moyen de preuve ne parait pas pertinent pour le sort de la cause – l’appelante n’exposant du reste pas en quoi il l’aurait été, en violation de son devoir de motivation.

8.                            L’intimé émarge à l’aide sociale, si bien qu’il doit être mis au bénéfice de l’assistance judiciaire pour la procédure d’appel, Me G.________ étant désigné en qualité d’avocat d’office.  

9.                            a) Si l’instance d’appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPP). En l’espèce, vu le sort de l’appel, mais compte tenu aussi du fait que les pièces décisives n’avaient pas été portées à la connaissance du premier juge, du fait que l’offre de preuve de l’appelante a été rejetée et du principe selon lequel le tribunal peut s’écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation dans les litiges relevant du droit de la famille (art. 107 al. 1 let. c CPC), il se justifie d’annuler la décision de première instance relative aux frais et aux dépens et de mettre à la charge de chacune des parties par moitié les frais globaux de la procédure, sous réserve des règles de l’assistance judiciaire dont bénéficie l’intimé.

                        b) Les dépens ne peuvent être compensés, à mesure que les dépens dus par l’appelante à l’intimé ne doivent pas être versés directement à ce dernier, mais à l’Etat, vu l’assistance judiciaire dont il bénéficie.   

Par ces motifs,
LA COUR D'APPEL CIVILE

1.      Rejette la requête de l’appelante tendant à ce que l’adverse partie produise « la rente AVS complémentaire qu’il verse à sa fille B.________ ».

2.      Admet l’appel et par conséquent annule les chiffres 4 et 5 du dispositif querellé et réforme comme suit le chiffre 2 du même dispositif :

«   2.  Ordonne à la caisse de prévoyance [banque 2] AG, [aaaaa], à W.________(SO) , de transférer 52'916.70 francs du compte de prévoyance de Y.________, né en 1955 (No de dépôt 51xxxxxxxxxx) vers le compte de prévoyance ouvert au nom de X.________, née en 1963, auprès de la Caisse de pension de F.________, [bbbbb] , à V.________(NE) ».

3.      Confirme pour le surplus le dispositif du jugement querellé.

4.      Met l’intimé au bénéfice de l’assistance judiciaire pour la procédure d’appel et désigne Me G.________ en qualité d’avocat d’office.

5.      Dit que chacune des parties supportera 50 % des frais globaux de la procédure, soit 1'800 francs à la charge de X.________ et 1'800 francs à la charge de Y.________, sous réserve des règles de l’assistance judiciaire dont bénéficie ce dernier.

6.      Condamne X.________ à verser à Y.________ une indemnité de dépens globale de 2'440 francs, payable en mains de l’Etat.

7.      Condamne Y.________ à verser à X.________ une indemnité de dépens globale de 2'440 francs.

Neuchâtel, le 4 septembre 2020

 

Art. 1221 CC
Prévoyance professionnelle
Principe
 

Les prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage et jusqu’à l’introduction de la procédure de divorce sont partagées entre les époux.


1 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 19 juin 2015 (Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce), en vigueur depuis le 1er janv. 2017 (RO 2016 2313; FF 2013 4341).

Art. 1231CC
Partage des prestations de sortie
 

1 Les prestations de sortie acquises, y compris les avoirs de libre passage et les versements anticipés pour la propriété du logement, sont partagées par moitié.

2 L’al. 1 ne s’applique pas aux versements uniques issus de biens propres de par la loi.

3 Les prestations de sortie à partager se calculent conformément aux art. 15 à 17 et 22a ou 22b de la loi du 17 décembre 1993 sur le libre passage2.


1 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 19 juin 2015 (Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce), en vigueur depuis le 1er janv. 2017 (RO 2016 2313; FF 2013 4341).
2 RS 831.42

Art. 1241CC
Partage en cas de perception d’une rente d’invalidité avant l’âge réglementaire de la retraite
 

1 Si, au moment de l’introduction de la procédure de divorce, l’un des époux perçoit une rente d’invalidité et qu’il n’a pas encore atteint l’âge réglementaire de la retraite, le montant auquel il aurait droit en vertu de l’art. 2, al. 1ter, de la loi du 17 décembre 1993 sur le libre passage2 en cas de suppression de sa rente est considéré comme prestation de sortie.

2 Les dispositions relatives au partage des prestations de sortie s’appliquent par analogie.

3 Le Conseil fédéral détermine quels sont les cas dans lesquels le montant visé à l’al. 1 ne peut pas être utilisé pour le partage parce que la rente d’invalidité est réduite pour cause de surindemnisation.


1 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 19 juin 2015 (Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce), en vigueur depuis le 1er janv. 2017 (RO 2016 2313; FF 2013 4341).
2 RS 831.42