A.                               a) Par mémoire du 2 juillet 2019, X.________ Sàrl a saisi le Tribunal civil d’une demande simplifiée dirigée contre Y.________, concluant notamment à ce que celui-ci soit condamné à lui payer 11'405.15 francs avec intérêts de 5 % par an dès le 19 janvier 2019 (ch. 2) et à ce que soit ordonnée l’inscription définitive d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs au profit de X.________ Sàrl sur les unités d’étages nos aa/A (à hauteur de 4'686.37 francs) et ab/B (à hauteur de 6'718.17 francs) du bien-fonds de base no [1111] du cadastre de Z.________, avec intérêts de 5 % par an dès le 19 janvier 2019 (ch. 3).

À l’appui de sa démarche, elle alléguait avoir d’ores et déjà effectué pour le compte du défendeur des travaux tant sur les parties communes de l’immeuble de base no [1111] que sur les unités de propriété d’étages nos aa/A (appartement de 3.5 pièces) et ab/B (appartement de 7 pièces), et que Y.________ lui devait encore 11'405.15 francs à ce titre. Au chapitre de son écrit consacré à la recevabilité de la demande, X.________ Sàrl exposait qu’elle estimait possible – sur la base d’une jurisprudence vaudoise – pour le Tribunal civil d’entrer en matière tant sur la demande en inscription définitive de l’hypothèque que sur la demande en paiement, quand bien même cette dernière n’avait pas fait l’objet d’une conciliation préalable. La cause a été enregistrée sous le numéro PSIM.2019.123.

                        b) X.________ Sàrl a retiré la conclusion no 2 de la demande précitée, par lettre du 4 juillet 2019. Le 9 juillet 2019, elle a saisi la Chambre de conciliation du Tribunal civil d’une demande tendant à ce que Y.________ soit condamné à lui payer 11'405.15 francs avec intérêts de 5 % par an dès le 19 janvier 2019.

                        c) Le 11 juillet 2019, le Tribunal civil a notifié à Y.________ la demande du 2 juillet 2019, ainsi que la lettre du 4 juillet 2019 précitées, en l’invitant à déposer sa réponse dans les 20 jours.

B.                               a) Le 23 juillet 2019, Y.________ a écrit au Tribunal civil, en relation avec le courrier du 4 juillet 2019 précité, « n’avoir nullement accepté le retrait de l’action en paiement » lui ayant été notifiée, estimer qu’il y avait eu désistement d’action, au sens de l’article 65 CPC, « et se réserver tous les droits à cet égard ».

                        b) Au terme de sa réponse du 4 septembre 2019, Y.________ a notamment conclu au rejet de la demande d’inscription définitive d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs et à ce que le Conservateur du Registre foncier soit chargé de radier l’inscription provisoire sur les unités d’étages no aa/A et ab/B, ainsi que sur la parcelle [1111]. À l’appui de ces conclusions, il faisait notamment valoir que les travaux de la demanderesse avaient été surfacturés à hauteur de 14'819.20 francs et que le retrait des conclusions en paiement équivalait au retrait de l’action en paiement elle-même, si bien que la demanderesse n’avait plus aucune prétention à faire valoir contre le défendeur.  

C.                      a) Le 22 octobre 2019, X.________ Sàrl a sollicité la suspension de la procédure PSIM.2019.123 jusqu’au 31 janvier 2020, au motif que les parties étaient convenues de cela lors de l’audience de conciliation (cf. supra A/b au sujet de l’ouverture de cette procédure de conciliation) qui s’était tenue le même 22 octobre 2019. La juge civile a accédé à cette requête le 23 octobre 2019. Afin de laisser aux pourparlers une chance d’aboutir, la suspension a été prolongée jusqu’au 13 mars, puis jusqu’au 20 avril 2020.

                        b) Le 7 mai 2020, X.________ Sàrl a sollicité la reprise de la procédure d’inscription définitive.

                        c) Le 11 mai 2020, la Chambre de conciliation a délivré l’autorisation de procéder au demandeur et au demandeur reconventionnel.

D.                               Au terme de sa réplique simplifiée du 20 mai 2020, X.________ Sàrl a persisté à demander l’inscription provisoire de l’hypothèque. Dans cet écrit, elle précisait avoir retiré sa conclusion en paiement après avoir reçu du Tribunal civil un jugement dans une affaire semblable, où une conclusion en paiement avait été déclarée irrecevable dans la poursuite d’une procédure en inscription définitive de l’hypothèque légale (le Tribunal fédéral n’avait jamais tranché cette question, qui faisait l’objet d’une réponse contradictoire entre jurisprudences vaudoise et zurichoise), d’une part, et qu’au moment de ce retrait, la demande, dont le Tribunal civil venait d’accuser réception, n’avait pas été notifiée au défendeur, d’autre part.

E.                               Le 20 mai 2020, X.________ Sàrl a saisi le Tribunal civil d’une (nouvelle) action en paiement contre Y.________, concluant, sous suite de frais et dépens, à ce que celui-ci soit condamné à lui payer 11'405.15 francs avec intérêts de 5 % par an dès le 19 janvier 2019. La cause a été enregistrée sous le numéro PSIM.2020.59.

F.                               a) Le 29 juin 2020, après avoir donné aux parties le droit de s’exprimer à ce propos, le Tribunal civil a transmis la demande du 20 mai 2020 à Y.________ et ordonné la jonction des causes PSIM.2019.123 et PSIM.2020.59, tout en précisant qu’il envisageait une simplification du procès, au sens de l’article 125 let. a CPC, en se prononçant dans un premier temps sur la seule recevabilité de l’action en paiement du 20 mai 2020, eu égard à l’exception de désistement soulevée par Y.________.

                        b) Le 30 juin 2020, X.________ Sàrl a conclu au rejet du moyen préjudiciel soulevé par Y.________.

                        c) Le 10 juillet 2020, Y.________ a fait valoir que le retrait litigieux ne respectait pas les « prévisions » de l’article 63 CPC et qu’il avait les caractéristiques d’un désistement d’action ; que la demande ne pouvait pas être retirée « pour motifs d’opportunité » sans son accord ; que la nouvelle demande du 20 mai 2020 devait en conséquence être déclarée irrecevable.

                        d) Par décision du 29 octobre 2020, le Tribunal civil a déclaré recevable la demande du 20 mai 2020 (dispositif, ch. 1), imparti à Y.________ un délai de 20 jours (dès l’entrée en force de la décision) pour déposer une réponse à cette demande (ch. 2), mis à la charge de Y.________ les frais de décision arrêtés à 600 francs (ch. 3) et condamné le prénommé à verser à X.________ Sàrl une indemnité de dépens de 600 francs (ch. 4). À l’appui de cette décision, la juge civile a retenu et considéré que la demanderesse avait retiré la conclusion en paiement qu'elle avait cumulée avec son action en inscription définitive d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ; qu’il importait peu de savoir si ce retrait constituait un désistement d'action ou d'instance ; que dans l'un comme dans l'autre cas de figure, un tel retrait était toujours possible tant que la demande n'avait pas été notifiée au défendeur ; qu’en l'occurrence, la demande avait été déposée le 2 juillet 2019 et le retrait de la conclusion en paiement était intervenu par courrier du 4 juillet 2019 ; que la demande du 2 juillet 2019 et le courrier du 4 juillet 2019 n’avaient été notifiés au défendeur que le 11 juillet 2019, après réception par le Tribunal civil de l'avance de frais requise de la part de la demanderesse ; que le retrait de la conclusion en paiement de la demande du 2 juillet 2019 était donc intervenu avant la notification de ladite demande au défendeur ; qu’il ne déployait donc pas les mêmes effets qu'un jugement passé en force ; que la demande du 20 mai 2020 portant sur une action en paiement du même montant que la conclusion en paiement retirée de la demande du 2 juillet 2019 était donc recevable.

G.                               a) Y.________ appelle de cette décision par mémoire du 30 novembre 2020, en concluant à son annulation, à ce que la demande du 20 mai 2020 soit déclarée irrecevable et à ce que l’intimée soit condamnée aux frais de première et seconde instances.

                        b) X.________ Sàrl conclut au rejet de l’appel, sous suite de frais et dépens, et dépose un mémoire d’honoraires.

                        c) La réponse et son annexe ont été notifiés à l’adverse partie le 16 décembre 2020, le juge instructeur précisant aux parties qu’il ne lui paraissait pas nécessaire de poursuivre l’échange d’écritures, et qu’il serait statué ultérieurement, sur pièces et sans débats, sous réserve du droit inconditionnel de réplique à exercer dans les 20 jours.

                        d) L’appelante n’a pas spontanément répliqué ni présenté d’observations dans le délai imparti.

C O N S I D E R A N T

1.                                Interjeté dans les formes et délai légaux, l’appel est recevable (art. 308-311 CPC).

2.                                Le tribunal n’entre en matière que sur les demandes et les requêtes qui satisfont aux conditions de recevabilité de l’action (art. 59 al. 1 CPC), ce qui implique notamment que le litige n’ait pas fait l’objet d’une décision entrée en force (art. 59 al. 2 let. e CPC). Aux termes de l’article 63 CPC, « [s]i l’acte introductif d’instance retiré ou déclaré irrecevable pour cause d’incompétence est réintroduit dans le mois qui suit le retrait ou la déclaration d’irrecevabilité devant le tribunal ou l’autorité de conciliation compétent, l’instance est réputée introduite à la date du premier dépôt de l’acte » (al. 1). Il en va de même lorsque la demande n’a pas été introduite selon la procédure prescrite (al. 2). L’article 65 CPC prévoit quant à lui que « [l]e demandeur qui retire son action devant le tribunal compétent ne peut la réintroduire contre la même partie et sur le même objet que si le tribunal n’a pas notifié sa demande au défendeur ou si celui-ci en a accepté le retrait ».

3.                                L’appelant conteste l’interprétation de cette dernière disposition, faite par le Tribunal civil. Selon lui, le retrait de X.________ Sàrl doit être qualifié « de désistement pour motifs d'opportunité, car n'intervenant que sur l'initiative de la demanderesse en raison de son irrecevabilité supposée ». Or le droit procédural suisse ne connaît pas ce type de désistement, à tout le moins pas sans l'accord préalable du défendeur. De plus, bien que la demande du 2 juillet 2019 et la lettre du 4 juillet 2019 lui aient été adressées le même jour, « le défendeur a eu connaissance du retrait après avoir pu prendre connaissance de la demande en question, laquelle, chorologiquement (recte : chronologiquement), lui a été notifiée en premier ». X.________ Sàrl ne pouvait donc « pas bénéficier des conséquences liées au désistement d'instance, dans la mesure où les raisons qui sous-tendent le retrait des conclusions ne réalisent pas les prévisions de l'article 63 CPC ».  

4.                                Le Tribunal fédéral définit le « désistement d’action » (« Klageverzicht ») comme l’acte par lequel le demandeur abandonne les conclusions qu'il a prises au procès, c’est-à-dire renonce à l'action qu'il avait introduite ; la diminution des conclusions en cours de procédure (cf. art. 227 al. 3 CPC) est assimilée à un désistement partiel de la demande ; le désistement d'action n'est soumis à aucune condition ; la déclaration (unilatérale) de volonté de celui qui renonce à son droit doit toutefois être expresse ; un désistement d'action a les mêmes effets qu'une décision passée en force (cf. art. 208 al. 2 et 241 al. 2 CPC) ; lorsqu'il intervient après la notification de la demande au défendeur, la déclaration de volonté est revêtue de l'autorité de la chose jugée en vertu du droit matériel (arrêt du TF du 11.09.2018 [5A_216/2018] cons. 5.1.2 et les références citées). En vertu de la maxime de disposition, la partie demanderesse peut en effet retirer en tout temps sa demande, en tout ou en partie.

Dans son Message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, le Conseil fédéral a clairement précisé que, jusqu’à un moment précis, le désistement ne devrait pas avoir de conséquences négatives, et que ce n’était qu’à partir d’un moment déterminé que l’action devait être poursuivie, en ce sens que le désistement avait le même effet que le rejet de l’action sur le fond, l’autorité de la chose jugée empêchant alors l’introduction d’une nouvelle action. Toujours selon le Message, le moment décisif a été fixé en fonction d’un désir exprimé lors de la procédure de consultation et conformément à la plupart des codes de procédure cantonaux « après la notification de la demande à la partie défenderesse ». Ce n’est donc que s’il survient après la notification de la demande à la partie défenderesse que le retrait de la demande vaut en principe passé-expédient. Le Message précise encore que cette conséquence ne peut être évitée que dans le cas où la partie défenderesse donne son accord au retrait ou lorsque le retrait s’effectue en vertu de l’article 61 du projet (qui correspond à l’art. 63 CPC) (FF 2006 6841 ss, p. 6892 s.).

Il découle de ce qui précède qu’aucune conséquence négative ne peut être rattachée au désistement, si celui-ci intervient avant la notification de la demande à la partie défenderesse ; dans ce cas, on parle de « retrait de la demande » ou de « désistement d’instance » (« Klagerückzug »), défini comme un acte qui met exclusivement fin à l’instance et qui ne fait pas obstacle à la réintroduction de l’action, autrement dit, un acte par lequel le demandeur renonce à l’instance tout en conservant son droit d’action (Hohl, Procédure civile, Tome I, 2e éd., nos 2395 et 2415-2419 et les réf. citées ; ég. Bohnet, in CR CPC, 2e éd., nos 1 et 7 ad art. 65).  

5.                                En l’espèce, on ne saisit guère pourquoi l’appelant qualifie le retrait de la conclusion en paiement par l’intimée de désistement « pour motifs d’opportunité », à mesure que le CPC ne rattache aucune incidence aux motifs du retrait. Est au contraire décisif le fait que le désistement a eu lieu le 4 juillet 2019, soit avant la notification de la demande à la partie défenderesse, qui a eu lieu au plus tôt le 11 juillet 2019. Il s’agit donc d’un « retrait de la demande » (ou « désistement d’instance », et non d’un « désistement d’action ») qui ne fait pas obstacle à la réintroduction de l’action. Contrairement à l’avis de l’appelant, pour éviter les conséquences négatives d’un désistement d’action, ce qui est déterminant n’est pas le moment auquel l’adverse partie a effectivement eu connaissance du désistement, mais bien que ce désistement n’intervienne pas « après la notification de la demande à la partie défenderesse ». Cela découle tant du texte clair de l’article 65 CPC que de l’interprétation de cette disposition à la lumière des travaux préparatoires. C’est le lieu de préciser que le moment déterminant est celui où le désistement est mis à la poste à l’adresse du juge (principe de l’expédition) (Hohl, op. cit. n. 2417).

                        On précisera enfin que l’argument de l’appelant selon lequel il a pris connaissance du retrait après avoir pris connaissance de la demande n’est pas dénué de mauvaise foi, à mesure que l’appelant était d’emblée informé du retrait de la conclusion no 2 par le biais de la lettre d’accompagnement, dans laquelle la juge civile faisait clairement et expressément état de ce retrait.

6.                                Au vu de ce qui précède, l’appel doit être rejeté et la décision de première instance confirmée. Les frais judiciaires doivent être mis à la charge de l’appelant, qui sera en outre condamnée à verser à l’intimée une indemnité de dépens (art. 95 al. 1 cum 106 al. 1 CPC ; art. 13 al. 1 et 60 ss de la loi fixant le tarif des frais, des émoluments de chancellerie et des dépens en matière civile, pénale et administrative [LTFrais, RSN 164.1]).

                        La « note de frais et d’honoraires finale » déposée par l’intimée porte sur un total de 1'668 francs. Ce montant se situe dans la fourchette prévue à l’article 59 LTFrais et il n’a pas été remis en cause par l’appelante. Il y a donc lieu de l’allouer.

Par ces motifs,
LA COUR D'APPEL CIVILE

1.    Rejette l’appel et confirme le jugement rendu en première instance.

2.    Condamne Y.________ aux frais d’appel, arrêtés à 600 francs, montant couvert par l’avance de frais déjà versée.

3.    Condamne Y.________ à payer à X.________ Sàrl une indemnité de dépens de     1'668 francs pour la procédure d’appel,

Neuchâtel, le 1er février 2021

 

 
Art. 65 CPC
Conséquence du désistement d’action
 

Le demandeur qui retire son action devant le tribunal compétent ne peut la réintroduire contre la même partie et sur le même objet que si le tribunal n’a pas notifié sa demande au défendeur ou si celui-ci en a accepté le retrait.