Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 04.06.2020 [5A_414/2020]

 

 

 

 

A.                            X.________, né en 1939 et donc âgé de 80 ans, est connu médicalement pour être atteint de diabète, d’hypertension et de troubles de la mémoire, dans un contexte de manque d’hygiène, de mauvaise alimentation, d’abus d’alcool et de problèmes financiers qui ont nécessité, en 2016, l’instauration d’une curatelle qui a été confiée à A.________. X.________ vit avec sa fille B.________, âgée d’une soixantaine d’années, qui est censée veiller sur lui, mais qui, probablement aussi atteinte de troubles psychiques, ne parvient pas à lui offrir une prise en charge adéquate. Par son comportement, B.________ isole son père du reste du monde, si bien que cela fait plus d’une année qu’il n’a plus vu son médecin et que NOMAD, qui soutenait l’intéressé pour lui permettre de rester à domicile, n’intervient plus depuis de nombreux mois. B.________ ne s’entend pas avec les voisins de son père. Les problèmes de cohabitation et d’hygiène au sein de l’immeuble ont amené la gérance à résilier le bail de X.________, qui ne se rend pas compte de la situation et qui souhaite rester à son domicile, se prétendant propriétaire de son logement.

B.                            Par lettre du 23 janvier 2019, A.________, curateur de X.________, a informé l’APEA du fait qu’après la résiliation de son bail, l’intéressé n’était pas en mesure de choisir entre les différentes options possibles pour se reloger (le choix d’un nouvel appartement, un appartement protégé ou une place dans un home) et qu’il craignait seulement de laisser sa fille seule. Selon A.________, le placement de X.________ serait la solution idéale dans la mesure où il n’était plus en mesure de choisir clairement ce qu’il souhaitait pour se reloger.

C.                            Le 6 février 2019, X.________ a été entendu par la présidente de l’APEA en présence de B.________, sa fille et de A.________, son curateur. En substance, il a déclaré qu’il était âgé de 80 ans, qu’il ne savait pas où aller, qu’il lui restait cinq ou six ans à vivre et qu’il souhaitait demeurer dans son appartement. L’intéressé a été informé qu’une expertise psychiatrique allait être ordonnée à son endroit et que si sa fille devait s’y opposer, il serait placé à des fins d’expertise. X.________ a refusé de signer le procès-verbal d’audition et a remis à la présidente de l’APEA une lettre par laquelle il indiquait son opposition à l’avis de résiliation de son appartement.

D.                            Le 18 avril 2019, la présidente de l’APEA a mandaté, en qualité d’expert, le Dr C.________, psychiatre FMH, pour qu’il détermine s’il était nécessaire pour des raisons médicales de placer X.________ dans un home, alors que ce dernier souhaitait rester à son domicile.

E.                            Le 11 juin 2019, le Dr C.________ a rendu son rapport d’expertise. Il en ressort que l’expertisé, qui se trouve toujours à domicile, souffre d’une altération cognitive à tous les niveaux, mémoire, compréhension, raisonnement et difficulté d’abstraction. Il s’agit d’un homme vulnérable qui ne dispose pas d’une qualité de vie appropriée à son âge. Il est atteint d’un syndrome amnésique organique, avec une probable évolution démentielle de type Korsakov. Son état de santé n’est pas bon. Il est connu pour souffrir de diabète et d’hypertension. Comme il n’est plus traité pour ses maladies, il risque un infarctus et un ou plusieurs accidents vasculaires cérébraux. Son altération de la mémoire, de la compréhension, de l’abstraction et du raisonnement l’empêche de prendre des décisions, si bien qu’il faut considérer qu’il n’a plus de discernement et qu’il est susceptible de mettre en danger son intégrité à la fois physique et psychique. Il doit être pris en charge pour recevoir une médication adéquate pour son diabète et son hypertension, actuellement non soignées. X.________ ne se rend pas compte de son état de maladie et il doit être placé dans un home, dès maintenant. La mise en œuvre d’un suivi ambulatoire serait de toute manière mise en échec par la fille de l’intéressé, comme cela a déjà été le cas avec NOMAD qui ne vient plus à domicile. Dans un home médicalisé, il pourra bénéficier de traitements adaptés et être à nouveau suivi par son médecin traitant.

F.                            Les 13 septembre et 31 octobre 2019, la présidente de l’APEA a essayé de rencontrer X.________ pour lui donner connaissance du rapport d’expertise. La fille de l’intéressé, B.________, a refusé les deux fois d’ouvrir la porte, rendant impossible l’audition de son père. Le 16 octobre 2019, la présidente de l’APEA a transmis une copie du rapport d’expertise du 11 juin 2019 à l’intéressé. Le 25 octobre 2019, X.________ en a accusé réception et a déposé ses observations. En résumé, il a conclu à l’irrecevabilité du rapport d’expertise, au motif que certaines parties du document étaient peu lisibles, parce que mal photocopiées. Ayant déjà fait l’objet d’une expertise, il y a moins de deux ans, l’expertise du Dr C.________ n’était pas utile. Enfin, il adressait certains griefs à son curateur, à qui il reprochait de garder une part de son argent pour lui. En définitive, il demandait à ce que le dossier en relation avec son placement dans un home soit classé sans suite.

G.                           Par jugement du 19 novembre 2019, le Tribunal civil des Montagnes et du Val-de-Ruz a rejeté la demande de X.________ en annulation de la résiliation du bail du 12 novembre 2018 et a confirmé la validité du congé (partie non cotée du dossier APEA).

H.                            Par décision du 27 février 2020, l’APEA a ordonné, en se fondant sur l’article 426, alinéa 1 du Code civil, le placement à des fins d’assistance de X.________ dans un home médicalisé, le curateur étant d’ores et déjà chargé de mettre en œuvre ce placement, lorsqu’il aurait trouvé une place disponible. L’APEA a retenu, en résumé, que les troubles dont souffrait X.________ le mettaient en danger et que la mise en œuvre de mesures ambulatoires telles que celles dont avait déjà bénéficié l’intéressé ne seraient pas suffisantes. Dans la mesure où la procédure de contestation du congé n’avait pas permis de remettre en cause la résiliation du bail, il était désormais évident que la personne concernée ne pourrait plus demeurer dans son appartement. En outre, l’expert avait insisté sur la nécessité d’un placement à des fins d’assistance. X.________, qui présentait un probable syndrome amnésique organique dû à l’âge pouvant évoluer vers une démence du type Korsakov, ne pouvait pas demeurer dans son appartement, par conséquent seul un placement dans un home médicalisé permettait d’assurer une prise en charge adéquate. Enfin, aucune mesure ambulatoire n’était possible parce que la fille de la personne concernée s’y opposait.

I.                              Par fax du 6 mars 2020, X.________ a indiqué qu’il s’opposait totalement à la décision du 27 février 2020 de l’APEA. Selon lui, il n’était pas diabétique. Il contestait le rapport d’expertise sur ce point. En outre, il ne pouvait pas être expulsé de son appartement, puisqu’il était propriétaire de la maison de la rue de [aaaa] à Z.________, depuis le 4 février 1961. La décision du 27 février 2020 de l’APEA, qui ne tenait pas compte de son statut de propriétaire, était donc erronée. Pour ces deux raisons, la décision querellée devait être annulée.

J.                            Le 6 mars 2020, le président de la CMPEA a informé X.________, qu’il viendrait à son domicile pour l’entendre, le 12 mars 2020. Par fax du 10 mars 2020, l’intéressé a demandé le report de cette visite. Par fax du 11 mars 2020, X.________ a demandé l’annulation de cette visite domiciliaire, au motif qu’il s’y opposait. Le 11 mars 2020, B.________ a déposé par porteur au Tribunal cantonal une lettre signée par son père par laquelle il s’opposait à la décision de l’APEA du 27 février 2020 pour le motif que la copie du rapport d’expertise qui lui avait été transmise par l’APEA était mal photocopiée. En outre, il n’était pas diabétique. Ensuite, après avoir formulé des critiques au sujet de son curateur, il a indiqué qu’il s’opposait également à la décision du 27 février 2020 parce qu’il était propriétaire de la maison de la rue [aaaa] et qu’il ne pouvait pas être expulsé de son logement. Le président de la CMPEA a renoncé à la visite domiciliaire prévue le 12 mars 2020, compte tenu de la vive opposition qu’elle suscitait de la part de B.________ et de l’intéressé. En outre, compte tenu l’âge de la personne concernée et de l’épidémie de coronavirus COVID-19, le président de la CMPEA a aussi renoncé à le faire comparaître devant le Tribunal cantonal ou à l’entendre d’une autre manière.

C O N S I D E R A N T

en droit

1.                            Interjeté dans le délai utile de 10 jours contre une décision de l'Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte, dans le domaine du placement à des fins d’assistance, le recours est recevable, dans la mesure où X.________ a déposé en temps utile un acte écrit d’où il ressort assez clairement qu’il est en désaccord avec son placement dans un home médicalisé (art. 450b al. 2 CC).

2.                            L’instance judiciaire de recours, en règle générale réunie en collège, entend la personne concernée. Elle ordonne si nécessaire sa représentation et désigne un curateur expérimenté en matière d’assistance et dans le domaine juridique (art. 450e al. 4 CC). En l’occurrence, pour des raisons de disponibilité des membres de la CMPEA et de façon à garantir le respect du principe de célérité, en s’efforçant de tenir le délai de 5 jours prévus à l’article 450e al. 5 CC, le président de la CMPEA a annoncé à l’intéressé qu’il l’entendrait à domicile, le 12 mars 2020. X.________ et sa fille s’y sont opposés vivement. Dans le contexte actuel de pandémie de coronavirus, maladie qui affecte particulièrement les personnes âgées, il est apparu au président de la CMPEA qu’il n’était pas adéquat de maintenir une telle visite. De toute manière, le fait de se présenter à la porte de l’intéressé n’aurait probablement abouti à rien, dans la mesure où le 13 septembre et le 31 octobre 2019 X.________ et sa fille avaient déjà refusé à la présidente de l’APEA l’accès de leur logement. Reste à déterminer si le président de la CMPEA aurait dû, faire venir au Tribunal cantonal une personne âgée de 80 ans, dont l’état général n’est pas bon et qui n’a plus le discernement selon l’expertise déposée pour l’entendre au sujet de son placement dans un home. En l’occurrence, X.________ a déposé un recours par fax le 6 mars 2020 et le 11 mars 2020, un écrit qui complète son mémoire de recours daté du 6 mars 2020. Il a ainsi clairement manifesté son refus d’être placé dans un home. Pour l’entendre, il aurait fallu envisager de le faire comparaître devant la CMPEA au Tribunal cantonal à Neuchâtel. Une telle mesure aurait probablement signifié de demander à la police de l’acheminer depuis Z.________ jusqu’à Neuchâtel. En temps normal, un tel procédé aurait peut-être déjà été jugé contraire aux intérêts de la personne concernée. En période d’épidémie de coronavirus COVID-19, qui est une maladie particulièrement grave pour les personnes âgées ayant du diabète et de l’hypertension, il est évident qu’une telle audition aurait été totalement déraisonnable. Au vu de ces circonstances très particulières, la Cour considère qu’il se justifie de renoncer à l’audition.

3.                            a) D’après l'article 426 CC, une personne peut être placée dans une institution appropriée lorsque, en raison de troubles psychiques, d'une déficience mentale ou d'un grave état d'abandon, l'assistance ou le traitement nécessaires ne peuvent lui être fournis d'une autre manière (al. 1). La protection des tiers et des proches peut être prise en considération (al. 2 in fine). La personne concernée est libérée dès que les conditions de placement ne sont plus remplies (al. 3). La personne concernée ou l'un de ses proches peut demander sa libération en tout temps. La décision doit être prise sans délai (al. 4).

                        b) Le placement d'une personne à des fins d'assistance ou de traitement peut être prononcé lorsque quatre conditions sont cumulativement remplies : la personne concernée souffre de troubles psychiques ou de déficience mentale ou se trouve dans un grave état d'abandon ; elle a besoin d'assistance ou de traitement ; l'assistance ne peut être fournie à la personne concernée que dans une institution ; il existe une institution appropriée pour fournir cette assistance. Le constat de réunion de ces conditions implique un assez large pouvoir d'appréciation du juge (Guillod, in : CommFam Protection de l'adulte, n. 32 ad art. 426 CC), dont il doit rendre compte dans sa décision. Il doit exposer « tout d'abord sur la base de quels éléments de fait le tribunal a retenu l'existence d'un état de faiblesse ("Schwächezustand") au sens de l'art. 426 al. 1 CC, à savoir un trouble psychique, une déficience mentale ou un grave état d'abandon (arrêt du 11.04.2013 [5A_189/2013] cons. 2.3). La décision de l'autorité doit en outre indiquer, en fait, quel danger concret, dûment établi par expertise, pour la vie ou la santé de l'intéressé subsisterait, dans le cas d'espèce, si le traitement ou l'assistance n'était pas mis en œuvre (arrêts du 11.04.2013 [5A_189/2013] cons. 2.3 ; du 19.05.2011 [5A_288/2011] con. 5.3; du 10.07.2007 [5A_312/2007] cons. 2.3), l'existence d'un risque purement financier n'étant a priori pas suffisant. Le risque de danger pour les tiers peut également être pris en compte (art. 426 al. 2 CC). Ensuite, l'autorité doit déterminer sur la base de ces faits si, d'un point de vue juridique, une assistance ou un traitement est "nécessaire" au sens de l'art. 426 al. 1 CC, et pourquoi tel serait le cas. Lorsqu'elle arrive à la conclusion que le traitement, respectivement l'assistance, est nécessaire, l'autorité doit exposer les faits sur la base desquels elle considère que le placement (ou le maintien en institution) est conforme au principe de la proportionnalité, c'est-à-dire pour quels motifs une assistance ou un traitement ambulatoire n'est pas envisageable (par exemple, parce qu'il est impossible de faire administrer le traitement par des proches de l'intéressé, ou parce que l'intéressé n'a pas conscience de sa maladie et de son besoin de traitement; arrêt du 11.04.2013 [5A_189/2013] cons. 2.3). Enfin, l'autorité doit expliquer pour quelles raisons elle considère l'institution proposée comme "appropriée" » (ATF 140 III 101).

4.                            En l’occurrence, le recourant n’a pas conscience de son état de santé et du fait qu’il va bientôt devoir être expulsé de son logement. Pourtant, il est indéniable qu’il souffre d’un trouble psychique compte tenu des conclusions de l’expertise. L’état physique de l’intéressé n’est pas bon non plus. Il est atteint de diabète et d’hypertension. Sa fille, qui s’occupe de lui, l’isole complètement et l’empêche de se rendre chez le médecin depuis plus d’un an. Elle a aussi refusé l’aide d’une infirmière à domicile. X.________ n’est donc plus soigné depuis longtemps et risque un incident cardiaque ou d’être victime d’un ou de plusieurs accidents vasculaires cérébraux qui, s’ils ne le tuent pas, pourraient le laisser en vie dans un état physique très dégradé pour la fin de ses jours. Vivant seul avec sa fille, qui paraît elle-même atteinte de troubles psychiques, son hygiène est négligée, ainsi que son alimentation, de sorte qu’il se trouve dans des conditions de vie précaires qui ne sont pas indiquées par rapport à ses besoins. Psychiquement il n’a plus le discernement et ses troubles cognitifs sont appelés à évoluer vers une démence plus sévère. La perte du discernement est aussi un facteur susceptible de compromettre l’intégrité physique et psychique du recourant. Prochainement expulsé de son logement, le déménagement du recourant vers un autre appartement – à supposer qu’une telle alternative soit possible et qu’il trouve à se reloger –, où il pourrait vivre de façon indépendante avec sa fille ne serait donc pas dans son intérêt, puisque les problèmes actuels réapparaîtraient (problèmes d’hygiène, mésentente avec les voisins, isolement, absence de soins médicaux et prise en charge inadéquate par sa fille). Le renoncement au placement aboutirait en outre à de grosses difficultés, quand la personne concernée sera véritablement expulsée de son logement, qu’elle refusera d’aller dans un home et qu’elle ne sera pas en mesure de trouver un autre appartement. Selon l’expert, le placement dans un home médicalisé est indispensable pour une prise en charge adéquate du recourant. La mise en œuvre d’un suivi ambulatoire n’est pas possible parce que, comme par le passé, la fille de X.________ y fera obstacle. Par conséquent, l’expert a estimé que seul un placement en milieu résidentiel pouvait garantir une prise en charge adéquate de l’intéressé. L’expertise est bien étayée et la CMPEA peut s’y référer pour confirmer la décision de l’APEA.

5.                            Enfin, la CMPEA, qui se fonde sur l’expertise du Dr C.________, estime qu’un home médicalisé sera un établissement adéquat pour une prise en charge adéquate de l’intéressé (alimentation équilibrée, soins médicaux en lien avec son hypertension et son diabète et surveillance des comportements à risque d’une personne privée de son discernement). Il appartient donc au curateur de trouver une place dans un home médicalisé au profit de X.________.

6.                            Il résulte de ce qui précède que la décision entreprise ne prête pas le flanc à la critique et que le recours doit être rejeté.

7.                            Compte tenu des circonstances, il y a lieu de statuer sans frais.

Par ces motifs,
la Cour des mesures de protection
de l'enfant et de l'adulte

1.    Rejette le recours.

2.    Statue sans frais.

Neuchâtel, le 2 avril 2020

Art. 426 CC
Mesures
Placement à des fins d’assistance ou de traitement
 

1 Une personne peut être placée dans une institution appropriée lorsque, en raison de troubles psychiques, d’une déficience mentale ou d’un grave état d’abandon, l’assistance ou le traitement nécessaires ne peuvent lui être fournis d’une autre manière.

2 La charge que la personne concernée représente pour ses proches et pour des tiers ainsi que leur protection sont prises en considération.

3 La personne concernée est libérée dès que les conditions du placement ne sont plus remplies.

4 La personne concernée ou l’un de ses proches peut demander sa libération en tout temps. La décision doit être prise sans délai.