Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 20.11.2020 [5A_877/2020]

 

 

 

 

A.                               Y.________, de nationalité belge, est né en 1980 aux Etats-Unis. X.________, de nationalité suisse, est née en 1983, en Suisse. Les parties se sont rencontrées en 2009 en France et ont emménagé ensemble en Suisse à l’été 2010. Elles se sont mariées le 4 mai 2012. Deux enfants sont issus de leur union, à savoir A.________, née en 2013 à Neuchâtel, ainsi que B.________, né en 2018 à Bruges (Belgique).

B.                               Le 11 mars 2020, Y.________ (ci-après : le requérant ou le demandeur) a introduit devant la Cour des mesures de protection de l’enfant et de l’adulte du canton de Neuchâtel (ci-après : CMPEA) une requête (ci-après : la requête ou la demande) tendant au retour immédiat de A.________ et de B.________ à leur lieu de résidence habituelle, rue [aaaaa], à Z.________, en France, fondée sur la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (ci-après : CLaH80).

                        A l’appui, le requérant a allégué que les parents étaient en instance de divorce ; que, le 28 octobre 2019, le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, à Bruges, avait autorisé le père à séjourner séparément dans le logement belge et interdit à la mère de le déranger ou de l’incommoder à ce lieu ; que l’épouse n’avait pas remis en cause la compétence dudit tribunal ; que les deux parents et leurs enfants avaient leur domicile à W.________ en Belgique ; que, néanmoins, les enfants résidaient avec leur père à Z.________, en France ; que A.________ fréquentait l’école privée dans la commune française de V.________  (Z.________ et V.________ sont deux communes à proximité de U.________, dans le département du Jura) ; que, par accord manuscrit signé le 19 octobre 2019, les parents avaient accepté de scolariser les enfants à l’école de V.________ ; qu’il s’étaient tous deux engagés à résider uniquement en France ; qu’ils avaient accepté que les enfants passent un week-end sur deux en Suisse ; que la mère s’était engagée expressément à ne pas domicilier les enfants en Suisse ; qu’elle s’était aussi engagée à ne pas les scolariser en Suisse et à empêcher tout contact entre eux et les grands-parents maternels ; que le 20 octobre 2020 [recte 2019] la mère avait déposé cet accord auprès du tribunal belge ; que cet accord s’inscrivait dans la volonté des parties de trouver un accord global sur le divorce devant les tribunaux belges ; qu’en décembre 2019, le père avait déposé plainte, en Belgique, contre le grand-père maternel, C.________, domicilié en Suisse, pour des suspicions d’agression sexuelle sur sa fille A.________ ; que le requérant était très inquiet de savoir les enfants en Suisse ; que le dimanche 1er mars 2020, sur initiative de la mère, la famille s’était retrouvée en France pour une semaine de vacances ; que le samedi 7 mars 2020, après une balade en plein air, le père s’était rendu seul au supermarché ; qu’à son retour, sa femme était partie avec les enfants ; que le père avait déposé plainte auprès de la police française et le lendemain auprès des autorités belges ; que le samedi 7 mars 2020, le père avait pris connaissance d’une décision de mesures superprovisionnelles du Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers, rendue en son absence, quelques jours avant l’enlèvement, admettant sa compétence et donnant son autorisation à un déplacement des enfants ; qu’ainsi la mère avait tendu un piège au requérant, en ayant préparé minutieusement l’enlèvement et en se prévalant d’une décision contraire au droit ; qu’une requête avait été déposée devant l’Autorité centrale belge.

C.                               Par ordonnance du 13 mars 2020, la juge instructeur de la CMPEA a notifié la demande de retour à X.________ (ci-après : la défenderesse ou l’intimée) et lui a imparti un délai de 10 jours pour se déterminer par écrit ; a invité l’Office de protection de l’enfant (ci-après : OPE) à délivrer un rapport sur la situation de A.________ et B.________ dans les 10 jours ; a désigné Me D.________, en qualité de curateur de représentation des enfants ; a interdit à l’intimée de laisser les enfants seuls en présence de leurs grands-parents, sous la menace de l’article 292 CP et a chargé le greffe de fixer une audience.

D.                               X.________ a déposé un mémoire réponse le 23 mars 2020, tendant en substance principalement au déboutement du demandeur dans toutes ses conclusions.

                        La défenderesse a fait valoir que le demandeur n’avait pas de résidence habituelle en France ; qu’il avait libéré le gîte de Z.________ de sa personne et de l’ensemble de ses affaires plusieurs jours auparavant ; que depuis novembre 2016 T.________ (NE) était la résidence habituelle tant des enfants que des époux ; que la défenderesse avait contesté la compétence du Tribunal de première instance de Flandre occidentale ; que le domicile officiel des époux et de leurs enfants en Belgique était purement fictif ; que les enfants ne résidaient pas en France ; que A.________ avait été scolarisée à V.________ (en Franche-Comté) uniquement depuis le mois de septembre 2019 suite à la fermeture définitive de l’école fréquenté à T.________ ; que l’accord du 19 octobre 2019 avait été signé sous la pression du demandeur, qui avait déjà enlevé les enfants à l’époque ; que de toute façon cet accord indiquait que les époux s’engageaient à s’établir en France pour le 30 septembre 2020 ; que les époux avaient vécu à T.________ depuis leur mariage jusqu’en 2015 ; que de janvier à juin 2015 ils s’étaient rendus en Nouvelle-Ecosse, au Canada, pays dans lequel le demandeur, œnologue de formation, souhaitait acquérir un domaine viticole ; que la défenderesse, diététicienne auprès de F.________, avait demandé un congé sabbatique ; que le projet d’achat du domaine viticole au Canada n’avait pas abouti ; que les époux s’étaient ensuite rendus en Belgique où ils avaient vécu d’octobre 2015 à octobre 2016 ; qu’en novembre 2016, le demandeur n’ayant pas trouvé d’emploi en Belgique, les époux étaient retournés s’installer à T.________ ; que le 29 septembre 2019, le demandeur avait unilatéralement quitté la Suisse avec les enfants, sans l’accord de son épouse ; que depuis le retour de la famille à T.________ en novembre 2016, T.________ était demeurée la résidence habituelle tant des enfants que des époux ; que le demandeur avait refusé que le domicile officiel des membres de la famille soit transféré à T.________ ; qu’il avait argué qu’une annonce de domicile à T.________ entraînerait de plein droit le divorce en Belgique et l’attribution d’office de la garde des enfants à lui-même dans ce dernier pays ; que la défenderesse avait toujours été sous l’emprise de son époux ; qu’elle ne s’était jamais officiellement domiciliée à T.________ depuis le retour en 2016, pas plus que les enfants ; que l’adresse donnée en Belgique était celle de la mère du demandeur ; qu’à la suite de la naissance de B.________, la défenderesse avait au moins annoncé une résidence secondaire pour elle-même et le garçon à T.________ ; que le demandeur avait refusé que la résidence secondaire de A.________ soit annoncée à T.________ ; que, depuis novembre 2016, les époux et leurs enfants ne se rendaient qu’exceptionnellement en Belgique ; que les allocations familiales étaient perçues à T.________; que les époux avaient envisagé en 2019 de s’installer à U.________ dans le Jura français et que A.________ y poursuive une éducation selon la méthode Montessori ; que la raison de ce projet était pour le demandeur d’y acquérir un terrain maraîcher et de créer un projet professionnel ; que l’éventuel déménagement à U.________ ne devait en tout état pas avoir lieu avant septembre 2020 ; qu’en vue de ce projet et dans la mesure où A.________ avait dû quitter l’école privé (qui avait fermé ses portes), les époux avaient décidé d’inscrire leur fille à l’école privé de V.________ (F), non loin de U.________ ; qu’il s’agissait d’éviter que A.________ ne change plusieurs fois d’école en peu de temps ; que B.________ devait commencer l’Atelier E.________ dès janvier 2020 à T.________ ; que l’organisation prévue par les époux pour l’année scolaire 2019-2020 était la suivante : du lundi matin au mardi après-midi et du jeudi matin au vendredi après-midi : le demandeur et A.________ seraient à U.________ afin que cette dernière se rende à l’école privée et que le demandeur fasse des recherches de terrains maraîchers, que les mardis et vendredis soirs, père et fille retourneraient à T.________, que les mercredis et les week-ends, toute la famille serait à T.________ et que toute la semaine et les week-ends B.________ serait à T.________ ; qu’après avoir fait plusieurs fois les allers et retours, il avait été décidé que père et fille dormiraient dans un gîte à U.________, les nuits des lundis et jeudis, hors vacances, compte tenu de la distance entre U.________ et T.________ ; que la défenderesse avait continué à travailler à T.________ ; que le 29 septembre 2019, le demandeur avait fouillé dans l’ordinateur de son épouse ; qu’il avait trouvé une photo de B.________ avec la mère de la défenderesse, datant de l’été 2019 ; que cela l’avait mis dans une rage folle ; qu’après la découverte de cette photo, le demandeur s’était rendu sur le lieu de travail de son épouse, alors qu’elle était de garde, afin d’y récupérer le siège-auto de B.________ ; qu’en colère, il avait indiqué à son épouse qu’il s’en allait en Belgique avec les enfants ; que, sous le choc, la défenderesse n’avait pas su comment réagir ; que la défenderesse avait ensuite contacté divers intervenants ; que le Service social international (ci-après : SSI) à Genève lui avait conseillé de tenter la voie de la médiation dans un premier temps ; qu’elle avait déposé une plainte pénale contre son mari pour enlèvement d’enfants ; qu’alors qu’elle était encore sous le choc de l’enlèvement, elle avait reçu, le 3 octobre 2019, une citation à comparaître à une audience à Bruges le 4 octobre 2019 ; que le SSI lui avait conseillé d’adresser une lettre au tribunal à Bruges contestant la compétence de la Belgique et faisant valoir que la résidence habituelle des enfants se trouvait en Suisse ; qu’une audience s’était tenue le 14 octobre 2017 en Belgique, à l’issue de laquelle le demandeur avait informé son épouse que le tribunal l’avait autorisé à se rendre à U.________ afin d’y scolariser A.________ ; que cette information était fausse ; que le demandeur avait quitté la Belgique pour U.________ le 14 octobre 2019 de sorte que A.________ avait recommencé l’école à V.________ le 15 octobre 2019 ; que le demandeur avait également déposé une requête en fixation des droits parentaux en Belgique dans laquelle il avait indiqué que les parties résidaient régulièrement en Suisse ; que cette requête tendait à la fixation de la résidence des enfants en France, à l’attribution de la garde exclusive de ceux-ci au père, à l’interdiction de contacts entre les enfants et leur mère en l’absence du père et à la fixation de contributions d’entretien ; que, dans cette procédure, une audience avait lieu le 21 octobre 2019 ; qu’au cours du week-end du 18 octobre 2019, le demandeur avait mis sous pression son épouse, qui était sous le choc de la requête tout juste reçue ; que le demandeur avait indiqué à la défenderesse que si elle ne signait pas une convention, il retournerait en Belgique avec les enfants pour les vacances scolaires d’octobre et que ceux-ci ne passeraient plus la frontière suisse ; que la défenderesse avait donc signé la convention du 19 octobre 2019, comptant sur la médiation pour rétablir une situation dans l’intérêt des enfants ; qu’elle avait adressé un courrier le 20 octobre 2019 au tribunal belge pour l’informer qu’elle ne pourrait pas se présenter à l’audience, que les époux avaient signé l’accord du 19 octobre 2019 et qu’elle souhaitait avancer par la voie de la médiation ; qu’une nouvelle audience avait été fixée le 16 décembre 2019 en Belgique  ; que la défenderesse s’y était rendue ; qu’elle n’était pas représentée et que l’audience s’était déroulée en flamand ; qu’une nouvelle audience avait été fixée le 17 février 2020 ; que le 9 mars 2020, le tribunal belge avait rendu un jugement dans le cadre de la requête en fixation des liens parentaux et s’était déclaré incompétent pour statuer sur les questions parentales au motif que les enfants n’avaient pas de résidence habituelle en Belgique, mais en France, se fondant sur les seuls allégués de la requête du demandeur ; que suite à la recommandation du SSI, les époux avaient entamé une médiation avec G.________ en France ; que le demandeur n’avait jamais voulu signer le contrat de médiation, après diverses séances et échanges de courriels ; que le 11 février 2020, la défenderesse avait adressé à l’Autorité centrale à Berne une demande de retour des enfants ; que l’Autorité centrale avait pu confirmer que les enfants n’avaient pas leur résidence habituelle en France ou en Belgique ; que la demande de retour n’avait pas été transmise aux autorités françaises, la défenderesse craignant la réaction de son époux à réception et surtout les répercussions sur les enfants qui se trouvaient auprès de leur père ; que le demandeur s’était comporté de façon inadéquate envers son épouse et leurs enfants depuis le début de leur relation ; que la défenderesse s’était rendue la semaine du 6 au 8 octobre 2019 en Belgique pour voir ses enfants ; que le demandeur s’était rendu à T.________ avec les enfants durant deux semaines dès le 21 octobre 2019 ; qu’en décembre 2019, la défenderesse s’était rendue en Belgique pour voir les enfants ; que le demandeur se rendait un week-end sur deux à T.________ avec les enfants ; que ceux-ci avaient continué à exercer leurs activités extra-scolaires suisses tous les quinze jours s’agissant du cirque le vendredi soir et du patinage le samedi matin pour A.________ ; que la défenderesse se rendait à U.________ deux fois par semaine en moyenne pour passer les soirées, voire les nuits, avec les enfants ; que le demandeur n’autorisait jamais son épouse à être seule avec les enfants depuis l’enlèvement en Belgique puis en France ; que le demandeur s’était rendu en Belgique un week-end avec les enfants des 15 au 17 février 2020 plutôt que de les confier à la défenderesse ; que, suite à l’audience en Belgique du 17 février 2020 et surtout la consultation par son épouse d’un avocat belge, le demandeur avait refusé d’emmener les enfants en Suisse ; qu’il craignait que son épouse n’ait entamé des démarches judiciaires en Suisse pour obtenir le retour des enfants ou les garder sur le territoire suisse ; que les époux avaient dès lors décidé de passer les vacances scolaires de mars en France ; que divers éléments laissaient penser que le demandeur aurait trouvé un projet professionnel en Bretagne ; qu’ainsi le demandeur avait trimbalé les enfants pris en otages depuis la fin du mois de septembre 2019, entre la Suisse, la Belgique et U.________(France), tout en ayant pour objectif nouveau de s’installer en Bretagne ou en Belgique ; que, comme la médiation entreprise par les époux n’avait pas abouti, la défenderesse avait compris qu’elle devait consulter et agir en Suisse ; qu’elle avait ainsi déposé devant le Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers une demande en divorce assortie d’une demande de mesures superprovisionnelles, tendant à l’attribution de la garde exclusive des enfants à elle-même ainsi qu’au prononcé de leur retour en Suisse ; que l’APEA avait rendu une décision de mesures superprovisionnelles le 28 février 2020, attribuant la garde des enfants à la mère et ordonnant au père de les ramener en Suisse ; que cette ordonnance devait être notifiée par la voie diplomatique au père en France ; que la défenderesse n’avait pas osé lui faire part de cette décision pendant leurs vacances communes, de peur de sa réaction ; que, le 7 mars 2020, lorsqu’elle avait décidé de repartir avec les enfants en Suisse, à l’issue d’une dispute conjugale, c’était la première fois depuis l’enlèvement par leur père que la défenderesse se trouvait enfin seule avec ses enfants ; que, déjà, le 9 mars 2020, le demandeur avait enlevé toutes ses affaires du gîte de Z.________ ; qu’il n’apportait aucun élément démontrant qu’il résidait effectivement à cet endroit ou ailleurs en France ; qu’il n’avait en réalité aucun lien avec ce pays, si ce n’était la scolarisation de A.________ les lundis, mardis, jeudis et vendredis ; que les enfants avaient toujours conservé, malgré l’enlèvement de leur père en septembre 2019, leur centre de vie sociale, amicale et familiale, leurs affaires et leur chambre principale à T.________; que, en tout état, l’accord du 19 octobre 2019 stipulait clairement que la résidence des enfants ne saurait être établie en France avant le 30 septembre 2020. Subsidiairement, si par impossible il devait être considéré que la résidence habituelle des enfants se trouvait en France, la défenderesse a invoqué les exceptions au retour de l’article 13 al. 1 let. b CLaH80, en relation avec l’article 5 LF-EEA en invoquant le fait que le demandeur n’avait pas de domicile effectif en France, le caractère flou de ses projets de vie, ses agissements contraires aux intérêts des enfants (enlèvement fin septembre ; restriction inadmissible des contacts avec la mère depuis ce moment ; déplacement des enfants de pays en pays ; hurlements et injures devant les enfants ; brimades, énervement et punitions extrêmes), le risque de rupture avec la mère et la situation sanitaire en Europe.

E.                               Par courrier du 26 mars 2020, la CMPEA a invité les parties à lui faire part de leurs observations dans les 5 jours quant à l’organisation de la suite de la procédure et aux mesures provisoires durant celle-ci, compte tenu notamment de la pandémie.

F.                               Le 27 mars 2020, l’OPE a rendu un rapport sur la situation des enfants. Sans recommander de mesures particulières de protection, il a fait des propositions sur la mise en place d’un droit de visite. Les parties et le curateur de représentation ont déposé leurs observations, respectivement les 3 et 6 avril 2020. Par ordonnance du 9 avril 2020, la juge instructeur de la CMPEA a confié les enfants à la garde de l’intimée durant la procédure de retour ; interdit à l’intimée de laisser les enfants seuls en présence de leurs grands-parents, sous la menace de l’article 292 CP ; interdit au requérant et à l’intimée de quitter la Suisse avec les enfants durant la procédure de retour, sous la menace de l’article 292 CP ; ordonné à la police de procéder à l’inscription de dite interdiction dans RIPOL et SIS ; ordonné au requérant de déposer dans les 5 jours, dès réception, au greffe du Tribunal cantonal, les papiers d’identité, passeports et autres documents de voyage des enfants, sous la menace de l’article 292 CP ; dit que le droit de visite du requérant s’exercerait deux fois par semaine au sens des considérants ; désigné H.________, assistant social à l’OPE, en qualité de curateur au sens de l’article 308 al. 2 CC et l’a chargé de la mise en place du droit de visite ; chargé le même d’entendre l’enfant A.________ et d’adresser dans les 10 jours à la Cour un bref rapport sur le résultat de cette audition ; invité le greffe à organiser une audience par Skype, pour une tentative de conciliation.

G.                               L’audience par Skype n’a pas pu se tenir pour des raisons techniques. Une audience « conventionnelle » a été fixée.

H.                               Le 20 avril 2020, le curateur a déposé son rapport sur l’audition de A.________. Il ressort notamment de cet entretien que la fillette était contente de retrouver ses repères.

I.                                 Une audience s’est tenue le 22 avril 2020, à l’issue de laquelle les parties sont convenues de la suspension de la procédure de retour pendant une durée de deux mois, compte tenu de la pandémie et dans le but de trouver un arrangement sur le fond. Les parties se sont engagées à consulter durant cette période le centre I.________ ou tout autre interlocuteur que le curateur de représentation des enfants suggérerait en matière de guidance familiale. Durant la suspension, les enfants demeureraient chez leur mère. Le droit de visite du père s’exercerait selon les modalités prévues dans l’ordonnance du 9 avril 2020. Des dispositions ont aussi été prises concernant les papiers d’identité, les écoles des enfants et les informations à se donner entre les parties.

J.                                Les 11 et 15 juin 2020, la juge instructeur de la CMPEA a refusé l’instauration de point-échange en vue du droit de visite du père.

K.                               Interpellées le 26 juin 2020 par le tribunal, les parties ont sollicité la reprise de la procédure, leur interrogatoire, et la possibilité de déposer des preuves. Un rapport sur l’exercice du droit de visite et la situation des enfants a été demandé à l’OPE. Les parties ont été citées à une audience.

L.                               L’OPE a rendu le rapport sollicité le 17 juillet 2020.

M.                              Par courrier du 17 août 2020, le demandeur a déposé un certain nombre de documents à titre de moyens de preuve en relation avec l’existence d’une résidence habituelle en France. La défenderesse a également déposé des pièces complémentaires le 19 août 2020. A l’audience du 20 août 2020, les parties ont confirmé leurs conclusions et ont été entendues. Le demandeur a déclaré qu’il n’avait saisi aucune juridiction française. Il a précisé qu’il avait gardé en Belgique les passeports des enfants. Il sera fait référence ci-après à leurs déclarations dans la mesure utile.

N.                               Dans sa plaidoirie écrite, le curateur de représentation a conclu au rejet de la demande de retour, sous suite de frais et dépens ; dans les leurs, les parents ont confirmé leurs précédents moyens et conclusions.

O.                               Le 21 septembre 2020, la défenderesse a déposé une réplique spontanée avec une pièce. Les 28 et 29 septembre 2020, le curateur et le demandeur ont déposé leurs observations et duplique. Les écrits et leurs annexes ont été communiqués aux parties qui n’en étaient pas l’auteur les 28 septembre et 1er octobre 2020.

C O N S I D E R A N T

en droit

1.                                La requête en retour déposée par le demandeur est fondée sur la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, du 25 octobre 1980 (CLaH80 ; RS 0.211.230.02). Elle tend au retour vers la France. Comme celle concernant la compétence, la loi applicable, le reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection de l’enfant, du 19 octobre 1996 (CLaH96 ; RS 0.211.231.011), la CLaH80 a été ratifiée par la Suisse et la France (sur les relations entre les deux conventions, cf. art. 50 CLaH96). Elle fait l’objet d’une loi d’application en Suisse, soit la loi fédérale sur l’enlèvement international d’enfants et les Conventions de La Haye sur la protection des enfants et des adultes (LF-EEA ; RS 0.211.222.32).

                        Les enfants dont le retour est demandé séjournent actuellement dans le canton de Neuchâtel. La Cour des mesures de protection de l’enfant et de l’adulte connaît en instance unique des demandes en matière d’enlèvement international d’enfants (cf. art. 43a OJN). La cause est soumise à la procédure sommaire (art. 8 al. 2 LF-EEA et 302 al. 1 let. a CPC).

2.                                A teneur de l’article 4 CLaH80, la convention s’applique à tout enfant de moins de 16 ans qui avait sa résidence habituelle dans un Etat contractant immédiatement avant l’atteinte aux droits de garde ou de visite (art. 5 CLaH80). Dans le cas présent, les enfants ont moins de 16 ans. Il est constant que leur résidence habituelle se trouve dans un Etat partie à la CLaH80.

3.                                Aux termes de l’article 8 al. 1 LF-EEA, le tribunal engage une procédure de conciliation ou de médiation en vue d’obtenir la remise volontaire de l’enfant ou de faciliter une solution amiable, si l’autorité centrale ne l’a pas déjà fait. En l’espèce, une médiation a été mise en œuvre. Elle n’a pas permis la remise volontaire des enfants ou une autre solution amiable entre les parties, à part sur certaines modalités de vie des enfants durant la procédure de retour.

4.                                L’article 9 LF-EEA prévoit que le tribunal entend les parties, dans la mesure possible. Il entend l’enfant de manière appropriée ou charge un expert de cette audition, à moins que l’âge de l’enfant ou d’autres motifs ne s’y opposent. Il ordonne la représentation de l’enfant et désigne en qualité de curateur une personne expérimentée en matière d’assistance et versée dans les questions juridiques.

                        En raison de son jeune âge, B.________ n’a pas été entendu. A.________ l’a été par l’intermédiaire d’un spécialiste de l’OPE. Les parents ont été interrogés lors de l’audience du 20 août 2020. Des rapports de l’OPE ont été versés au dossier. Un curateur de représentation des enfants a été nommé ; il a assisté aux audiences et a été invité à se déterminer à toutes les étapes de la procédure.

5.                                Le retour de l’enfant ne doit être ordonné impérativement (sous réserve de l’article 13 CLaH80, d’interprétation restrictive) que si la demande a été introduite devant l’autorité judiciaire ou administrative compétente de l’Etat contractant où se trouve l’enfant, dans le délai d’un an depuis le jour du déplacement ou du non-retour (art. 12 al. 1 CLaH80), l’objectif de la convention étant d’assurer le retour au statu quo ante. Au-delà de ce délai, le retour n’est ordonné que s’il n’est pas établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu (art. 12 al. 2 CLaH80).

                        En l’espèce, la CMPEA a été saisie moins d’une semaine après le déplacement illicite allégué par le demandeur. Le délai d’un an est donc respecté.

6.                                La CLaH80 a pour but d’assurer le retour immédiat d’un enfant déplacé ou retenu illicitement dans tout Etat contractant et de faire respecter de manière effective dans les autres Etats contractants les droits de garde et de visite existant dans un autre Etat contractant (art. 1er). Comme la Chambre des curatelles vaudoise l’a bien rappelé dans un jugement du 24 novembre 2017 (ME17.01833-171696218), les situations envisagées par la CLaH80 découlent de l’utilisation de « voies de fait » pour créer des liens artificiels de compétence judiciaire internationale en vue d’obtenir la garde d’un enfant (cf. rapport explicatif sur la CLaH80 Pérez-Véra n. 11 p. 428). Etant donné qu’un facteur caractéristique des situations considérées réside dans le fait que l’enleveur prétend que son action soit légalisée par les autorités de l’Etat de refuge, un moyen efficace de le dissuader est que ses actions se voient privées de toutes conséquences pratique et juridique. Il s’agit de rétablir le statu quo ante (arrêt du TF du 23.05.2018 [5A_121/2018] cons. 4). Dans le contexte du rapatriement d’un enfant déplacé illicitement, aucune décision concernant le fond du droit de garde ne doit être prise par l’Etat requis, cette question demeurant de la compétence des juges du pays de provenance de l’enfant (art. 16 et 19 CLaH80). Il suffit que les juridictions nationales examinent et motivent succinctement les éléments plaidant en faveur du retour dans le pays de provenance, ainsi que les motifs invoqués d’exclusion au rapatriement de l‘enfant, à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant et en tenant compte des circonstances du cas d’espèce (arrêt du TF du 30.01.2017 [5A_936/2016] cons. 4.1).

7.                                L’ordre de rapatriement suppose l’illicéité du déplacement. Aux termes de l’article 3 al. 1 CLaH 80, le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’Etat dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou s’il l’eût été si de tels événements n’étaient pas survenus.

8.                                La première question à examiner est celle de la résidence habituelle des enfants juste avant le déplacement illicite allégué. Pour déterminer si le droit de garde, dans le sens (autonome) donné par la Convention, a été violé, il conviendra en effet, cas échéant, de se référer au droit de résidence habituelle des enfants avant le déplacement ou le non-retour litigieux (arrêt du TF du 30.01.2017 [5A_936/2016] cons. 5.1 ; cf. aussi ATF 133 III 694 ; ATF 136 III 353 ; arrêts du TF du 13.07.2012 [5A_479/2012] et les références citées, du 10.09.2012 [5A_550/2012] et du 28.11.2013 [5A_807/2013]). On peut toutefois déjà relever à ce stade que, selon les droits suisse et français, l’exercice de l’autorité parentale est, en principe, conjoint et qu’un parent ne peut emmener à l’étranger un enfant sans l’accord de l’autre, de sorte qu’ils sont titulaires du droit de garde au sens de la CLaH80 (art. 372 et 373-2-7 CCF ; 296 et 301a CC ; arrêt du TF du 13.07.2012 [5A_479/2012]) ; la défenderesse n’a d’ailleurs pas contesté que le demandeur (comme elle) disposait du droit de garde tel qu’entendu en matière internationale ; le fait que le droit de garde était exercé effectivement par le demandeur ne souffre pas la discussion au vu de la jurisprudence (ATF 133 III 364).

9.                                La notion de résidence habituelle, qui n’est pas définie dans la CLaH 80, doit être déterminée de manière autonome. La résidence habituelle est basée sur une situation de pur fait et implique la présence physique dans un lieu donné. Elle doit être définie pour chaque personne séparément. La résidence habituelle de l’enfant se détermine notamment d’après le centre effectif de sa propre vie et de ses attaches, ainsi que par d’autres facteurs susceptibles de faire apparaître que cette présence n’a nullement un caractère temporaire ou occasionnel. La résidence habituelle de l’enfant traduit une certaine intégration dans un environnement social et familial : sont notamment déterminants la durée du séjour, la régularité, la maîtrise de la langue, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire et par la nationalité de l’enfant (arrêt du TF du 23.05.2018 [5A_121/2018] cons. 3.1). La résidence habituelle d’un enfant coïncide le plus souvent avec le centre de vie d’un des parents, les relations familiales du très jeune enfant avec le parent en ayant la charge étant en règle générale déterminantes (arrêt du TF du 08.03.2018 [5A_1021/2017] cons. 5.1.2 et les références). L’intention de demeurer dans un endroit, élément subjectif, n’est pas déterminante pour la fixation d’une résidence habituelle (arrêt du TF du 06.11.2018 [5A_846/2018] cons. 4), en sorte que tout déménagement dans un autre Etat ne crée pas immédiatement un nouveau lieu de résidence habituelle, en particulier dans le cas d’enfants très jeunes qui n’ont pas la capacité de former et exprimer leur volonté propre, au risque de créer une résidence habituelle dépendante de celle du parent gardien (arrêt du TF du 23.05.2018 [5A_121/2018] cons. 3.1 ; Alfieri, Enlèvement international d’enfants. Une perspective suisse, Berne 216, p. 63).

                        Le principe du recours exclusif au rattachement à la résidence habituelle de l’enfant, consacré notamment dans la CLaH 80, s’oppose à ce qu’un enfant jouisse, d’un point de vue juridique au moins, de plusieurs résidences habituelles simultanées. En revanche, singulièrement en cas de garde alternée, un enfant peut avoir deux résidence habituelles alternatives et successives, mais uniquement si le mode de garde porte sur plusieurs mois, soit sur une période suffisamment longue pour entraîner régulièrement un changement de la résidence habituelle, partant que l’enfant puisse se constituer deux centres de vie. Il s’ensuit qu’il est exclu qu’un enfant ait simultanément deux résidences habituelles parce qu’il partage son temps entre deux Etats au cours de la même journée, à l’instar du mode de vie des frontaliers (arrêt du TF du 06.11.2018 [5A_846/2018] cons. 4).

                        Les accords entre les parents portant des clauses attributives de juridiction ne sauraient être reconnus dans le cadre de la CLaH80 : les parties à de tels accords ne doivent pas se voir reconnaître le pouvoir de créer une résidence habituelle de l’enfant distincte de sa résidence objective (Rapport de la troisième réunion de la Commission spéciale des 17-21 mars 1997, § 16).

                        Selon une jurisprudence invoquée par toutes les parties, un séjour de six mois crée en principe une résidence habituelle mais celle-ci peut exister également sitôt après le changement du lieu de séjour si, en raison d’autres facteurs, elle est destinée à être durable et à remplacer le précédent centre d’intérêts (arrêts du TF du 23.04.2012 [5A_889/2011] cons. 4.1.2, du 27.07.2009 [5A_427/2009] cons. 3, du 28.11.2013 [5A_807/2013] cons. 2.3.1 ; SJ 2010 I, p. 169).

            En cas de déplacement en violation du droit de garde d’un parent, une certaine retenue s’impose avant d’admettre que l’enfant a créé une nouvelle résidence habituelle, en particulier lorsqu’un enlèvement d’enfant est allégué et rendu probable (ATF 117 II 334 cons. 4b ; arrêt du TF du 23.04.2012 [5A_889/2011] cons. 4.3). 

10.                             En l’espèce, il est constant que les parties, alors domiciliées en Belgique, se sont installées en Suisse, à T.________, à la fin 2016. Lors de son audition le 20 août 2020, le demandeur a allégué que ce déménagement constituait un premier enlèvement de la part de la défenderesse. La défenderesse a contesté ce fait, en expliquant qu’il s’agissait d’un projet commun. Quoi qu’il en soit, il n’est pas question dans la présente procédure d’une résidence habituelle en Belgique (le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, par jugement du 9 mars 2020, s’est déclaré incompétent, faute de résidence habituelle des enfants en Belgique, pour statuer sur les questions relatives à ceux-ci). Le fait est que, d’après les déclarations concordantes des parties, les parents se sont installés fin 2016 avec A.________ à T.________ où la défenderesse a trouvé un travail et où la fillette a été scolarisée. Le demandeur, père au foyer, a effectué des démarches pour faire reconnaître en Suisse ses diplômes. B.________ est né en 2018 en Belgique, lors d’un court séjour de la famille dans ce pays. Dès l’hiver ou l’été 2017, les parties avaient formé le projet de s’installer en France ; elles avaient l’idée d’acquérir un domaine maraîcher ou agricole dans ce pays. A la naissance de B.________, le couple a décidé de repousser le projet français, notamment pour laisser A.________ terminer l’année scolaire là où elle était. Les parties ont signé le bail à loyer de l’appartement de 4,5 pièces que la défenderesse occupe actuellement rue [bbbbb], à T.________ le 2 mai 2018 (le demandeur a précisé sur le bail qu’il avait la qualité de « garant »). De août 2018 à mars 2019, B.________ a été inscrit dans une crèche à T.________ Selon le demandeur, il s’agissait de socialiser le garçonnet ; la solution n’a pas pu durer, faute de moyens financiers ; la défenderesse a expliqué que les problèmes financiers étaient dus au refus du père de déposer ses papiers en Suisse et qu’elle avait été obligée de discuter avec les autorités neuchâteloises afin d’obtenir le tarif des résidents pour la crèche. La commune de T.________ a délivré des attestations de séjour à l’enfant et à sa mère depuis le 1er août 2018. Le domicile officiel de toute la famille est resté en Belgique, selon la volonté du demandeur (« (…) je refusais absolument que l’on se crée un nouveau domicile en Suisse en y déposant les papiers. Ça a été solutionné très simplement : X.________ a pris une résidence secondaire en Suisse. C’était aussi plus avantageux du point de vue fiscal » (non contesté). Les allocations familiales pour B.________ ont été versées en Suisse. Selon la défenderesse, en janvier 2019, le demandeur avait réfléchi avec d’autres parents à reprendre l’école privée à T.________ Les parties sont d’accord qu’au printemps 2019 elles ont recommencé à chercher un domaine en France. Il est établi que, le 23 avril 2019, elles ont inscrit A.________ à l’école dans une commune à côté de U.________(Franche-Comté), V.________, pour l’année scolaire 2019-2020. A ce moment-là, la famille n’avait pas de logement en France. Les vacances d’été se sont passées pour partie en Belgique, pour partie en Suisse. Il a été décidé, en juillet 2019, de réaliser le déménagement projeté en France en deux temps : le père irait avec A.________ à U.________ les lundis, mardis, jeudis et vendredis ; il profiterait de ce temps pour chercher « terrain, travail, etc. » dans la région française ; il serait avec la fillette en Suisse les mercredis et les week-ends ; la mère restait pour le moment en Suisse avec B.________ (« on peut (le couple) continuer le suivi psy à T.________»). Dès début septembre 2019, la famille a cherché une solution pour que le père et A.________ passent deux nuits par semaine à U.________. La mère s’est enquise, le 3 septembre 2019, d’un cours de danse pour A.________ les jeudis soirs dans cette dernière localité, puis a cherché une école de musique à cet endroit. A.________ a été inscrite le 30 août 2019 à des cours de cirque à S.________(NE)  le vendredi soir pour le semestre à venir. La fillette a aussi été inscrite pour la même période à des cours de patinage à T.________ Il a été question qu’elle entre dès septembre 2019 chez les scouts de T.________ après un premier essai en juin 2019, projet finalement repoussé au printemps 2020. Début septembre 2019, la mère a fait une préinscription de B.________ à l’atelier créatif E.________ à T.________ dès le 1er janvier 2020, date à laquelle le garçon atteindrait l’âge obligatoire pour être accueilli dans la structure. Diverses solutions d’hébergement provisoire deux nuits par semaine pour le père et la fille ont été trouvées dès septembre 2019. Il n’est pas allégué qu’une solution stable ait été mise en place (« nous avons logé dans différents gîtes »). Il n’est pas allégué non plus que des démarches auprès des autorités françaises en vue d’une prise de domicile ou d’un séjour officiel dans ce pays aient été effectuées. Les parties divergent sur le lieu où séjournait B.________ durant la semaine : pour le père, au début il n’y avait que A.________ et lui qui dormaient sur place (dans la région de U.________) ; très rapidement, à partir de la seconde moitié de septembre, il a passé « toutes les nuits » sur place avec A.________ et B.________. Pour la mère, B.________ est resté avec elle à T.________. Des attestations montrent que l’enfant a parfois été gardé par des tiers à T.________ durant le mois de septembre. Mi-septembre 2019, les époux ont mandaté ensemble une société pour trouver un domaine à acquérir dans le Jura.

11.                    A ce stade, la Cour retient que A.________ et B.________ avaient chacun leur résidence habituelle en Suisse jusqu’à fin septembre 2019. Le centre de leurs attaches demeurait en Suisse. A.________ y passait la majeure partie de son temps ; elle y avait sa chambre, des camarades, des activités de loisirs, et comme elle l’a dit lors de son audition « ses repères ». Il est vrai qu’elle fréquentait une nouvelle école dans le Jura français, avec des cours de danse et de musique sur place, mais elle rentrait en Suisse tous les week-ends et une fois par semaine. Les solutions d’hébergement près de U.________ étaient précaires, contrairement à l’appartement familial à T.________ A.________ n’avait pas de famille élargie (grands parents, oncles ou tantes, cousins) dans le Doubs. Il n’est pas allégué que le père n’ait pas séjourné à T.________ avec le reste de la famille les mercredis et les week-ends. Quant à B.________, fortement lié à ses parents vu son jeune âge, s’il a sans doute dormi quelques nuits avec son père et sa sœur aînée dans des gîtes en France, on retiendra qu’il a passé la majeure partie de son temps en Suisse avec sa mère (qui travaillait à temps partiel) et qu’il conservait sa chambre et ses jouets dans l’appartement familial. Le centre effectif de vie du garçon demeurait en Suisse. Certes, selon la jurisprudence, en cas de déménagement international, la durée envisagée de la résidence et de l’intégration attendue peut déjà produire une résidence habituelle au sens de la CLaH80. Il reste que la résidence habituelle se détermine d’après les faits perceptibles de l’extérieur, et non pas selon le facteur de la volonté (arrêts du TF du 27.07.2009 [5A_427/2009] cons. 3.2, du 15.11.2005 [5P.367/2005] cons. 5). En l’occurrence, d’un point de vue extérieur, il n’est pas possible d’admettre que les enfants s’étaient chacun déjà constitué une résidence habituelle en France. Quant aux projets de leurs parents, supposés déterminants, ils avaient à ce stade d’une part un caractère différé (l’idée était d’un déménagement par étapes, pour une assimilation progressive), d’autre part un caractère incertain (la condition était de trouver un domaine agricole à acheter dans la région de U.________ ; d’autres projets avaient échoué, comme celui au Canada). La situation n’est pas comparable à celle décrite dans l’arrêt du TF du 15.11.2005 [5P.367/2005] précité.

12.                    a) Le dimanche 29 septembre 2019, à T.________ alors que la défenderesse était au travail, le demandeur a soudain décidé de partir avec les enfants en Belgique, où il est constant qu’il a déposé diverses demandes en justice, tendant au divorce et à l’attribution à lui de la garde sur les enfants. Lors de son audition, le demandeur a insisté sur le fait que la défenderesse était allée elle-même chercher les sièges rehausseurs dans sa voiture se trouvant sur le parking de l’hôpital où elle travaillait, puis dit au revoir aux enfants en disant qu’elle les rejoindrait bientôt en Belgique. On ne voit pas en quoi ce supposé accord avec un départ vers la Belgique peut être un indice en faveur de la création dès ce moment-là ou ensuite d’une résidence habituelle en France. Cela étant, la défenderesse a établi un certain nombre d’éléments qui montrent qu’elle n’était pas d’accord avec ce voyage (SMS de la défenderesse du 29.09.2019 à une amie : « Suis au travail là ils sont passées chercher le siège auto et ils se barrent. J’en peux plus J.________, j’ai plus mes enfants » ; cf. aussi e-mail du 29.09.2019 au Centre neuchâtelois de psychiatrie : « je ne sais pas si je dois faire une signalisation au SPJ ou un (sic) procédure quelconque, car même si mes enfants n’avaient pas leur domicile légal en Suisse, j’ai le sentiment de m’être fait kidnappé (sic) mes enfants (…) » ; prise de contact avec le SSI qui a recommandé une médiation ; courrier du 3.10.2019 au tribunal belge. Le demandeur a aussi prétendu que, par la suite, les époux s’était mis d’accord avec certains éléments de fait emportant la constitution d’une résidence habituelle pour les enfants en France, en invoquant l’accord du 19 octobre 2019. La défenderesse allègue qu’elle a signé ce document sous pression et en comptant sur la médiation pour rétablir une situation dans l’intérêt des enfants, en déclarant l’invalider pour autant que besoin dans sa réponse. Il n’y a pas besoin de trancher la question de savoir si la défenderesse peut se prévaloir d’un vice de la volonté, ni s’il y a eu un premier déplacement illicite des enfants à cette époque, celui-ci faisant obstacle à la perte de compétence des autorités de résidence habituelle de l’Etat avant le déplacement (art. 7 CLaH96). Sur le vu de cet accord, qui au demeurant n’a été homologué par aucune autorité judiciaire, et en considérant l’organisation ultérieure de la vie des enfants et de leurs parents, sans compter les aléas liés à l’obtention du lieu de vie imaginé par les parents (domaine agricole), on ne peut en effet pas retenir que A.________ ou B.________ se sont constitué une résidence habituelle en France entre septembre 2019 et mars 2020, ainsi qu’on va le voir ci-après.

                        b) Selon l’accord du 19 octobre 2019, la vie de famille devait s’établir sur les bases suivantes : pas d’inscription des enfants en « domicile principal » en Suisse (ce qui d’ailleurs était déjà le cas pour la période précédemment examinée); poursuite par A.________ de sa scolarité à V.________ ; recherche d’une crèche pour B.________ à un endroit non précisé ; inscription dès que possible de B.________ à l’école à V.________ ; engagement des parents de ne pas scolariser les enfants en Suisse ou en Belgique ; engagement des parents, « dès le 30 septembre 2020 » à s’établir uniquement en France, à y avoir une activité professionnelles dans un rayon de 30 minutes de l’école des enfants, à ne pas recourir à un accueil parascolaire quotidien ; engagement « jusqu’au 30 septembre 2020 » à ce que la famille passe en moyenne un week-end sur deux en Suisse et en France, le mercredi restant flexible ; solution analogue pour les vacances scolaires et autres ; démarrage d’une médiation professionnelle ; prise en charge par la défenderesse – qui gardait pour l’instant son emploi en Suisse – des frais de vie, loisirs, logistique au sens large jusqu’au 30 septembre 2020. On ne trouve pas dans les termes de l’accord l’expression d’une installation pérenne des enfants en France dès octobre 2019 : l’horizon était toujours à fin septembre 2020.

                        c) Dans sa plaidoirie, le demandeur soutient que non seulement A.________ était scolarisée à V.________ et qu’elle y suivait des cours de danse et de musique, mais encore qu’elle avait en France tous ses jouets et ses doudous, et qu’elle et son frère passaient dans ce pays l’essentiel de leur temps. Les premiers éléments (scolarisation 4 jours par semaine et cours deux soirs après l’école) sont exacts. Les derniers éléments sont en revanche partiellement inexacts. S’agissant des jouets et doudous, il faut constater que les enfants, par leur âge très proches de leur mère (ce qui ne signifie pas qu’ils n’étaient pas très proches de leur père), conservaient leurs chambres bien garnies dans l’appartement familial de T.________ Le dossier contient plusieurs photos ou SMS montrant que les enfants ont eu de nombreuses activités de loisirs en Suisse où ils avaient un cercle de camarades (en tout cas A.________, non contesté par le demandeur]). La fillette restait inscrite aux cours de cirque et de patinage. Au reste, le demandeur avait lui aussi conservé dans l’appartement à T.________ des effets personnels que la défenderesse lui a rendus durant la présente procédure. Dans la région de U.________, les parties n’ont pas trouvé de logement familial stable où les enfants auraient pu prendre de nouvelles habitudes. Ils avaient tout au plus un gîte de référence, avec un salon où jouer ; il est arrivé qu’ils doivent en trouver un autre (le gîte de Z.________ mentionné dans la conclusion en retour a d’ailleurs été quitté le 21 février 2020 par le demandeur). Le père s’occupait de B.________, refusant qu’il fréquente la crèche à T.________ Pour autant qu’un calcul des jours passés sur les territoires français et suisse ait un sens, on observe que, durant la période entre le 1er octobre 2019 et le 7 mars 2020 (soit moins de six mois), les enfants ont d’abord passé quinze jours en Belgique avec leur père, la mère leur rendant visite, une semaine ou deux de vacances scolaires d’automne en Suisse avec leurs deux parents, une semaine pour les vacances de Noël en Suisse et une autre en Bretagne (où une école a été visitée, pour laquelle le demandeur a demandé des renseignements en vue d’une inscription en avril 2020), et, pour les vacances de printemps une semaine en Belgique et une semaine en France avec les deux parents, jusqu’au moment où la défenderesse est repartie avec eux en Suisse (idem). De novembre jusqu’à décembre, le couple et les enfants passaient un week-end sur deux à T.________. La mère, qui travaillait à T.________ venait aussi loger dans le Doubs avec les enfants en semaine, selon le demandeur.   Il n’est pas établi que les enfants soient allés chez le médecin en France (ils avaient une assurance scolaire française). La famille ne s’est pas annoncée auprès des autorités françaises.

                        d) On peut encore observer que, début octobre 2019, le demandeur a saisi les autorités judiciaires belges, et non françaises, lorsqu’il a décidé d’obtenir le divorce, ainsi que la garde et l’autorité parentale exclusive sur les enfants, en demandant l’autorisation que A.________ puisse continuer à être scolarisée à V.________ (le curateur de représentation et la défenderesse relèvent que, dans cette requête, le demandeur fait valoir que les parties résident régulièrement en Suisse). Rappelons que le tribunal de première instance de Flandre occidentale, par jugement du 9 mars 2020, s’est déclaré incompétent, faute de résidence habituelle des enfants en Belgique, pour statuer sur les questions relatives à ceux-ci. Dans ses motifs, le tribunal considère que la résidence habituelle des enfants est en France. Cette appréciation, rendue sur la base du dossier présenté par le requérant, de façon non contradictoire, ne lie cependant pas la CMPEA. Le demandeur avait d’ailleurs auparavant introduit devant l’Autorité centrale belge une demande tendant au retour des enfants en Belgique. Il n’a pas, à ce jour, saisi les tribunaux français pour fixer les droits parentaux.

                        On ne peut rien déduire du fait qu’une tentative de médiation internationale a pris place en France.

13.                    Dans ces conditions, la CMPEA ne retient pas que A.________ ou B.________ avaient, le 7 mars 2020, déplacé en France le centre effectif de leur vie propre et de leurs attaches. Leur résidence habituelle est demeurée en Suisse.

14.                             Faute de résidence habituelle des enfants en France, il n’y a pas de déplacement illicite au sens de la CLaH80. Cela rend inutile l’examen d’une éventuelle exception au retour. Les autorités suisses sont compétentes pour régler les questions relatives au sort des enfants.

15.                             Le rejet de la demande de retour entraîne la caducité des mesures provisionnelles prononcées par la juge instructeur de la CMPEA (art. 268 al. 2 CPC). La présente décision est notifiée à la police neuchâteloise pour révocation des inscriptions RIPOL et SIS interdisant au requérant et à l’intimée de quitter la Suisse avec les enfants durant la procédure de retour. Les cartes d’identité belges des enfants sont tenues à disposition de la mère au greffe du Tribunal cantonal, conformément à la décision de l’APEA du 28 février 2020. Le père n’a pas déposé les passeports des enfants, alors même que cette injonction était assortie de la menace de l’article 292 CP. Il accuse aussi la mère d’avoir laissé les enfants seuls avec leurs grands-parents, contrairement à la même injonction. La présente décision est transmise au Ministère public du canton de Neuchâtel, devant lequel une dénonciation ou une plainte a d’ailleurs déjà été déposée. 

16.                             a) Les art. 26 CLaH80 et 14 LF-EEA prévoient la gratuité de la procédure; toutefois, conformément aux dispositions de l'art. 42 CLaH80 et par application de l'article 26 al. 3 CLaH80, la France a déclaré qu'elle ne prendra en charge les frais visés à l'article 26 al. 2 CLaH80 que dans la mesure où ces frais sont couverts par le système français d'aide judiciaire. La Suisse applique dans ce cas le principe de la réciprocité (art. 21 al. 1 let. b de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]), de sorte que la procédure n'est pas gratuite et que les dépens sont dus (arrêts du TF du 06.11.2018 [5A_846/2018] cons. 6, du 02.02.2010 [5A_25/2010] cons. 3) .

                        b) Le demandeur et la défenderesse n’ont ni l’un ni l’autre sollicité l’assistance judiciaire. Les frais de justice sont mis à la charge du demandeur qui succombe (arrêt du TF du 30.11.2016 [5A_827/2016] cons. 9, du 17.11.2016 [5A_717/2016] cons. 5). En l’espèce, l’émolument judiciaire est arrêté à 2'000 francs (art. 22 LTFrais), à quoi s’ajoutent les frais de représentation de l’enfant qui font partie des frais de justice (art. 95 al. 2 let. e CPC) (arrêt du TF du 12.06.2012 [5A_346/2012], cons. 6).

                        Le curateur de représentation des enfants a déposé un mémoire d’honoraires, pour un montant total de 12'303.67 francs correspondant à 40 heures 45 d’activité. Cette durée apparaît disproportionnée, même si l’on admet exceptionnellement un certains nombres d’opérations avec un caractère social, nécessaires à la bonne exécution du mandat. L’activité relative à l’ouverture du dossier, de même que le travail de secrétariat (transmission de copies par exemple) font partie des frais généraux n’ayant pas à être indemnisés spécifiquement. On retiendra dès lors que la bonne exécution du mandat devait nécessiter 30 heures. La rémunération d’un avocat désigné comme curateur qui doit représenter un pupille en justice est fixée conformément au tarif de l'assistance judiciaire (art. 31c al. 1 LAPEA) ou, si la situation financière de la personne concernée le permet, selon le tarif usuel de sa branche (art. 31c al. 3 LAPEA ; RJN 2019 p. 655). En l’espèce, on le rappelle, le demandeur n’a pas sollicité l’assistance judiciaire. Il a indiqué qu’il jouissait des moyens nécessaires à l’achat d’un domaine agricole en France. On appliquera un tarif horaire de 270 francs, plus la TVA (7,7 %), soit 8’100 francs plus 623.79 francs, pour un total de 8'723.70 francs.

                        Le demandeur versera à la défenderesse une indemnité de dépens fixée, en l’absence de mémoire d’honoraires et au vu du dossier, à 4'000 francs. On précise que l’intéressée a déposé des écritures très longues, qui contenaient des allégués contenant des arguments de fond – utiles pour d’autres procédures – qui n’ont pas à être mis à la charge du demandeur dans la présente procédure.

Par ces motifs,
la Cour des mesures de protection
de l'enfant et de l'adulte

1.    Rejette la requête.

2.    Dit que les cartes d’identité belges des enfants sont tenues à disposition de X.________ au greffe du Tribunal cantonal.

3.    Ordonne la révocation des inscriptions dans RIPOL et SIS interdisant au requérant et à l’intimée de quitter la Suisse avec les enfants A.________, née en 2013, et B.________ , né en 2018.

4.    Arrête les frais de justice à 10'723.70 francs (y compris les frais de représentation des enfants) et les met à la charge de Y.________.

5.    Arrête l’indemnité due à titre d’honoraires à Me D.________, à 8'723.70 francs, avancée par l’Etat et comprise dans les frais de justice.

6.    Condamne Y.________ à verser à X.________ une indemnité de 4’000 francs à titre de dépens.

7.    Notifie la présente décision à Me K.________, à Me L.________, à Me D.________, à Me H.________, OPE, à Neuchâtel, à l’Office fédéral de la justice, Unité Droit international privé, par Mme Anna Claudia Alfieri, Bundesrain 20, 3003 Bern (art. 8 al. 3 LF-EEA), au Ministère public du canton de Neuchâtel, à la Police neuchâteloise.

Neuchâtel, le 7 octobre 2020

 

Art. 3 CLaH80
 

Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite:

a. lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour, et

b. que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

Le droit de garde visé en a peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État.