A.                               Le 10 juillet 2020, le Ministère public a ordonné l’ouverture d’une instruction pénale contre X1.________, d’une part, et X2.________, d’autre part, pour escroquerie (art. 146 al. 1 CP), subsidiairement obtention et utilisation frauduleuse d’un cautionnement solidaire (art. 6, 23 de l’Ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19 [RS 951.261], pour avoir « [à] Z.________, W.________ et tout autre endroit, en [leur] qualité d’associé[s] avec signature collective à deux de A.________ SNC, astucieusement induit en erreur la Banque Y.________ dans le but d’obtenir un cautionnement solidaire lié au Covid-19 de CHF 50'000.- en utilisant les fonds à d’autres fins que leur destination, respectivement pour créer B.________ Sàrl, et s’enrichissant de la sorte au détriment dudit établissement bancaire ».

                        Cette ouverture d’instruction faisait suite à la transmission, au sens de l’article 23 al. 4 LBA, le 7 juillet 2020, par l’Office fédéral de la police au Ministère public neuchâtelois, de différents documents (parmi lesquels une convention de crédit COVID-19 passée le 10 avril 2020 par A.________ SNC avec la Banque Y.________ et signée par les deux prévenus, ainsi que des extraits de compte bancaire, dont en particulier le compte bancaire CH[1], au nom de la société A.________ SNC, qui a été crédité le 14 avril 2020 d’un montant de 50'000 francs, la rubrique précisant « Crédit (…) », et dont il n’est pas contesté qu’il s’agit d’un « crédit Covid-19 »). Selon cette transmission, il ressortirait de ces documents des soupçons « que le crédit octroyé se base sur des fausses informations et que les fonds n’ont pas été utilisés conformément aux engagements donnés dans le contrat de crédit (éventuellement escroquerie, gestion déloyale, abus de confiance, faux dans les titres) ». En particulier, un montant de 20'000 francs a été employé dans le but de constituer une nouvelle société à responsabilité limitée, B.________ Sàrl.

B.                               Le 10 juillet 2020, le procureur a ordonné à la Banque Y.________ de bloquer avec effet immédiat les comptes IBAN CH[1] au nom de A.________ SNC et IBAN CH[2] au nom de B.________ Sàrl en formation. Le 15 juillet 2020, le procureur a invité la banque à lui indiquer le solde en compte au moment du blocage des deux relations bancaires précitées. La banque s’est exécutée le 16 juillet 2020 en indiquant que le solde créancier au 15 juillet 2020 était respectivement de 8'081,01 francs pour le compte ouvert au nom de A.________ SNC et de 20'000 francs pour celui ouvert au nom de B.________ Sàrl en formation.

                        Le 17 juillet 2020, le procureur a rendu une ordonnance de mise sous séquestre pour chacun des comptes précités. Au titre des motifs du séquestre étaient cochées les rubriques correspondant aux lettres a (les objets seront utilisés comme moyens de preuves), c (les objets devront être restitués aux lésés) et d (les objets devront être confisqués) de l’article 263 al. 1 CPP. La « brève motivation » de chacune des ordonnances reprenait les faits de la prévention tels que cités ci-dessus (let. A).

C.                               Le 31 juillet 2020, par deux actes que l’on peut considérer comme identiques, Me C.________, agissant pour X2.________, d’une part, et pour A.________ SNC, d’autre part, ainsi que X1.________, « agissant personnellement », interjettent recours contre l’ordonnance du 17 juillet 2020 qui prononce le séquestre du compte de A.________ SNC no CH[1], en concluant à son annulation, à l’octroi d’une indemnité de dépens et à ce qu’il soit statué sans frais (procédures ARMP.2020.103 et 2020.104).

                        Dans ces recours, il est exposé que X2.________ et X1.________, mariés sur le plan civil, sont associés dans la société en nom collectif A.________ SNC, fondée le 1er novembre 2017 et ayant pour but l’exploitation d’une boulangerie-pâtisserie avec un tea-room, à Z.________. Les restrictions sanitaires imposées depuis le 16 mars 2020 ont entrainé la fermeture du tea-room, la boulangerie pouvant rester ouverte, mais selon un horaire réduit, ce qui a conduit à une chute d’environ 50% du chiffre d’affaires et obligé la SNC à recourir à la réduction de l’horaire de travail de ses employés (RHT). La SNC s’est trouvée dans une situation économique très précaire. Dans ce contexte, X2.________ s’est adressée le 1er avril 2020 à la Banque Y.________ pour s’informer au sujet des formalités à accomplir pour obtenir un « prêt COVID », le conseiller D.________ la renvoyant au site Internet ad hoc de la Confédération. Les époux ont alors rempli le formulaire de demande en ligne et « [l]e système a ensuite généré un contrat qu’ils ont signé et adressé à la Banque Y.________ ». Quelques jours plus tard, le montant du prêt de 50'000 francs leur a simplement été versé sur le compte bancaire de A.________ SNC, sans qu’aucune discussion avec le banquier ou qui que ce soit n’ait été nécessaire. Depuis lors, une instruction pénale avait été ouverte contre eux et un séquestre avait été prononcé sur leurs avoirs, en raison d’une transaction litigieuse portant sur 20'000 francs qu’ils avaient prélevés sur leur compte courant pour l’affecter à la création d’une société à responsabilité limitée. Or, selon les recourants, il n’est pas nécessaire de bloquer le compte-courant de la SNC en vue de prouver le prélèvement en cause, l’extrait de compte l’établissant. Par ailleurs, le compte séquestré n’est ni l’instrument ni le produit des prétendues infractions qui leur sont reprochées – et qu’ils contestent – et les fonds ne doivent pas être restitués aux lésés. Ils soulignent que la dénonciation de la Banque Y.________ vise uniquement l’utilisation de 20'000 francs pour consigner le capital d’une Sàrl et non l’utilisation du solde du prêt COVID, soit 30'000 francs. Les recourants contestent par ailleurs avoir violé les dispositions de l’Ordonnance du Conseil fédéral du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (ci-après ordonnance COVID) et exposent les motifs qui les ont conduits à envisager la création d’une Sàrl (en particulier, la perspective de pouvoir être employés et de bénéficier du chômage, à l’inverse des associés d’une société en nom collectif). Selon eux, cette démarche, qui relève d’une transformation au sens de la LFus et qui ne vise pas la création d’une nouvelle entreprise, n’est pas contraire à l’article 6 al. 3 de l’ordonnance COVID. Elle a été effectuée en toute transparence avec leur conseiller auprès de la Banque Y.________, auprès de qui un compte de consignation a été ouvert (ndr : soit le compte CH[2] dont il sera question ci-dessous). Finalement, sur la question de la transformation en Sàrl toujours, les recourants soulignent que les 20'000 francs litigieux serviront, immédiatement après la fin des opérations de transformation, à la couverture des besoins courants de la boulangerie pâtisserie tea-room « désormais habillée de son nouveau « manteau » de Sàrl ». Les recourants contestent encore la réalisation des éléments constitutifs de l’escroquerie au sens de l’article 146 al. 1 CP et font valoir le caractère disproportionné selon eux du séquestre. Sur ce dernier point, ils relèvent que l’accès au compte séquestré, sur lequel des débiteurs ont payé leurs factures depuis le 10 juillet 2020, pour un montant d’environ 17'000 francs, est indispensable à la survie de l’entreprise, respectivement absolument nécessaire pour assurer leur subsistance et celle de leurs enfants.

                        Dans un troisième recours, du 3 août 2020, s’attaquant cette fois à l’ordonnance du 17 juillet 2020 qui prononçait le séquestre du compte de B.________ Sàrl en formation, ouvert auprès de la Banque Y.________, no CH[2], et reprenant en substance et souvent mot à mot les moyens des deux précédents recours, X2.________ et X1.________ concluent à l’annulation de la deuxième ordonnance et à l’octroi d’une indemnité de dépens, l’autorité de céans statuant sans frais (cause ARMP.2020.106).

                        Les recourants ont produit, à l’appui de chacun de leurs recours, une liasse de pièces.

D.                               Le 5, respectivement le 7 août 2020, le procureur a conclu au rejet des recours, les frais devant être mis à la charge des recourants.

C O N S I D E R A N T

1.                                A mesure que les trois recours concernent le même complexe de faits qui se trouve à la base des deux ordonnances de séquestre, il y a lieu d’ordonner la jonction des causes enregistrées sous ARMP.2020.103, ARMP.2020.104 et ARMP.2020.106, et de les traiter dans le même arrêt (art. 30 CPP).

2.                                Interjetés dans les formes et délai légaux, les recours sont recevables.

                        On précisera que, s’agissant de la qualité pour recourir, elle est donnée à X2.________ et X1.________, en lien avec le compte ouvert au nom de B.________ Sàrl en formation, cette société n’existant pas encore à l’heure actuelle et les deux intéressés formant dans cette perspective une société simple, dépourvue de personnalité juridique. Ils ont donc chacun qualité pour recourir contre le séquestre des avoirs déposés sur un compte au nom de la société en formation. S’agissant du compte ouvert au nom de A.________ SNC, les caractéristiques d’une société en nom collectif permettent de reconnaître la qualité pour recourir tant à ses associés (à qui appartient directement la fortune de la SNC) qu’à la société elle-même (qui peut acquérir des droits et des obligations et être actionnée en justice au sens de l’article 562 CO).

3.                                Les pièces fournies par les recourants en annexe de leurs recours peuvent, et doivent même, être prises en compte par l’autorité de céans. Les pièces nouvelles jointes aux recours sont dont recevables (art. 390 al. 4 in fine CPP ; arrêts de l’autorité de céans du 09.01.2020 [ARMP.2019.146] cons. 1 d et du 25.03.2020 [ARMP.2020.26-27] cons. 1 d).

4.                                a) En application de l'article 263 al. 1 CPP, des objets et des valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuves (let. a), qu’ils seront utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. b), qu’ils devront être restitués au lésé (let. c) ou qu'ils devront être confisqués (let. d).

                        En tant que mesure de contrainte au sens de l’article 196 CPP, le séquestre ne peut être ordonné que lorsqu’il est prévu par la loi, que des soupçons suffisants laissent présumer une infraction, que les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères et que la mesure apparaît justifiée au regard de la gravité de l'infraction (art. 197 al. 1 CPP).

                        b) Le séquestre en vue de confiscation (art. 263 al. 1 let. d CPP) est une mesure conservatoire provisoire – destinée à préserver les objets ou les valeurs que le juge du fond pourrait être amené à confisquer – fondée sur la vraisemblance et qui se justifie aussi longtemps qu'une simple possibilité de confiscation en application du Code pénal semble, prima facie, subsister (ATF 139 IV 250 cons. 2.1 ; ATF 137 I  V 145 cons. 6.4 et les réf. citées). L'article 70 al. 1 CP autorise le juge à confisquer des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits. Inspirée de l'adage selon lequel « le crime ne paie pas », cette mesure a pour but d'éviter qu'une personne puisse tirer avantage d'une infraction (ATF 139 IV 209 cons. 5.3). Pour appliquer cette disposition, il doit notamment exister entre l'infraction et l'obtention des valeurs patrimoniales un lien de causalité tel que la seconde apparaisse comme la conséquence directe et immédiate de la première (ATF 140 IV 57 cons. 4.1 ; ATF 129 II 453 cons. 4.1).

                        Lorsque l'avantage illicite doit être confisqué, mais que les valeurs patrimoniales en résultant ne sont plus disponibles – parce qu'elles ont été consommées, dissimulées ou aliénées –, le juge ordonne le remplacement par une créance compensatrice de l'Etat d'un montant équivalent. Le but de cette mesure est d'éviter que celui qui a disposé des objets ou valeurs à confisquer soit privilégié par rapport à celui qui les a conservés ; elle ne joue qu'un rôle de substitution de la confiscation en nature et ne doit donc, par rapport à celle-ci, engendrer ni avantage ni inconvénient. En raison de son caractère subsidiaire, la créance compensatrice ne peut être ordonnée que si, dans l'hypothèse où les valeurs patrimoniales auraient été disponibles, la confiscation eût été prononcée : elle est alors soumise aux mêmes conditions que la confiscation. Néanmoins, un lien de connexité entre les valeurs saisies et l'infraction commise n'est pas requis (ATF 140 IV 57 cons. 4.1.2).

                        Le Code de procédure pénale ne prévoit pas expressément, ainsi qu'il le fait pour le séquestre en vue de la confiscation (cf. art. 263 al. 1 let. d CPP), de disposition permettant le séquestre en vue de garantir une créance compensatrice. Il n'est pas nécessaire de déterminer si une telle mesure pourrait être déduite de cette disposition dès lors qu'elle est possible en application de l'article 71 al. 3 CP. Cette disposition permet à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée, sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale (Moreillon/Parein-Reymond, Code de procédure pénale, Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2016, n. 8 ad rem. prél. aux art. 263 à 268 CPP ; sur la notion et le but de la créance compensatrice, voir arrêt de l’Autorité de céans du 14.07.2017 [ARMP.2017.68] cons. 3 et 4).

                        c) L’atteinte causée par une mesure de séquestre présuppose l’existence de présomptions concrètes à l’encontre de la ou des personnes visées par la procédure pénale. Au début de l’enquête, il est admis qu’un soupçon crédible ou un début de preuve de l’existence de l’infraction reprochée suffise à permettre le séquestre, ce qui laisse une grande place à l’appréciation du juge (Julen Berthod,  in : CR CPP, 2e éd.). En outre, la mesure doit pouvoir être ordonnée rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut la résolution de questions juridiques complexes (voir les arrêts cités par Julen Berthod, op. cit., n. 25 ad art. 263 CPP).

                        Un séquestre est proportionné lorsqu’il porte sur des avoirs dont on peut admettre en particulier qu’ils pourront être vraisemblablement confisqués en application du droit pénal. Tant que l’instruction n’est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation ou de créance compensatrice, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 cons. 3.2). L’intégralité des fonds doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu’il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d’une activité criminelle (arrêts du TF du 05.07.2018 [1B_118/2018] cons. 4.1 et du 01.07.2016 [1B_145/2016] cons. 3.1) et un séquestre ne peut donc être levé que dans l’hypothèse où il est d’emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d’une confiscation ne sont pas réalisées et ne pourront pas l’être (ATF 140 IV 133 cons. 4.2.1 ; ATF 139 IV 250 cons. 2.1). Les probabilités d’une confiscation, respectivement du prononcé d’une créance compensatrice, doivent cependant se renforcer au cours de l’instruction (ATF 122 IV 91 cons. 4 ; arrêts du TF du 05.07.2018 [1B_118/2018] cons. 4.1 et du 28.05.2018 [1B_194/2018] cons. 4.3). Un séquestre peut apparaître disproportionné lorsque la procédure dans laquelle il s’inscrit s’éternise sans motifs suffisants (ATF 132 I 229 cons. 11.6) ; il faut en outre que la quotité de cette mesure reste en rapport avec le produit de l’infraction poursuivie (ATF 130 II 329 cons. 6 ; arrêt du TF du 05.07.2018 [1B_118/2018] cons. 4.1).

5.                                a) Les recourants s’en prennent au séquestre de l’un et l’autre des comptes bancaires litigieux et en demandent la levée. Ils contestent en particulier avoir commis toute infraction, y compris aux dispositions spécifiques réglementant l’utilisation des fonds mis à disposition dans le cadre de l’aide réglementée par l’Ordonnance COVID.

                        b) On relèvera tout d’abord que la décision d’ouverture d’une instruction pénale à l’encontre de X1.________ et de X2.________ retient, en fait, des soupçons selon lesquels ces derniers auraient astucieusement induit en erreur la Banque Y.________ dans l’obtention d’un cautionnement solidaire lié au COVID-19 de 50'000 francs, en utilisant les fonds à d’autres fins que leur destination, respectivement pour créer B.________ Sàrl. Les documents qui ont amené le procureur à ouvrir cette instruction pénale se fondent sur une dénonciation transmise par l’Office fédéral de la police et qui retient au titre des soupçons (« Reason for Suspicion »), une « [u]tilisation du montant du crédit dans le but de constituer une nouvelle [S]àrl, utilisation prohibée par l’ordonnance COVID (art. 6 al. 1». Il est précisé que le montant des transactions litigieuses porte sur 20'000 francs. Cette somme correspond au montant consigné en vue de la constitution de la Sàrl. Il n’est pas question d’autres montants dont on soupçonnerait qu’ils auraient été utilisés contrairement au but, respectivement en violation de l’Ordonnance COVID. Le procureur n’en indique du reste pas et sa décision d’ouverture d’instruction se focalise sur l’emploi des fonds en vue de créer B.________ Sàrl.

                        Dans cette perspective, le montant sur lequel pourrait porter une éventuelle infraction se limite à 20'000 francs. C’est dire que les montants à restituer ou sur lesquels une créance compensatrice pourrait être prononcée ne sauraient dépasser cette somme. Le compte ouvert au nom de B.________ Sàrl en formation, no CH[2], présentant au jour de son blocage un solde créancier de 20'000 francs, le blocage de ce compte suffirait, sous l’angle de la proportionnalité, à atteindre les objectifs de l’article 263 al. 1 let. c et d CPP. Par ailleurs, les recourants font avec raison valoir que le séquestre ne peut être motivé sur la base de l’article 263 al. 1 let. a CPP (utilisation comme moyen de preuve), à mesure que lorsque sont en jeu des valeurs patrimoniales déposées auprès d’un établissement bancaire, l’extrait des livres de cet établissement permet de prouver à satisfaction l’état de fait, sans qu’il soit nécessaire de bloquer le compte à des fins probatoires. C’est dire que le séquestre, en plus de celui ouvert au nom de B.________ Sàrl en formation (CH[2]), du compte ouvert au nom de A.________ SNC (CH[1]) ne respecte pas le principe de proportionnalité, à mesure que les fonds séquestrés dépassent, en cumulé, le montant sur lequel porte l’infraction reprochée aux recourants.

                        Dans cette perspective, le séquestre du compte CH[1] ouvert auprès de la Banque Y.________ en faveur de A.________ SNC doit être levé avec effet immédiat. Les recours sont à cet égard bien fondés. Un maintien du blocage des avoirs déposés sur le compte CH[1] en garantie de la couverture des frais de procédure et des amendes ne semble pas opportun, de la même manière qu’il n’a pas paru opportun aux yeux du procureur, qui n’a pas coché la case correspondante.

6.                                a) La question du maintien ou non du séquestre sur le compte ouvert auprès de la Banque Y.________ en faveur de B.________ Sàrl en formation, no CH[2], sur lequel ont été versés 20'000 francs provenant du prêt COVID (les recourants eux-mêmes indiquent que le projet de transformation de A.________ SNC en B.________ Sàrl était possible parce qu’ils « disposaient encore, au vu du prêt COVID, d’un peu de liquidités », ce dont on peut déduire que le montant de 20'000 francs se rattache à ce prêt), suppose l’examen des présomptions concrètes de l’existence d’une infraction. A ce titre, les recourants ne contestent pas que la mise à disposition en leur faveur par la Banque Y.________ d’un montant de 50'000 francs au titre de prêt COVID impliquait qu’ils doivent respecter des conditions fixées par l’Ordonnance COVID quant à l’utilisation des fonds. Si les mentions figurant sur le document « Crédit – COVID-19 (Convention de crédit) » que les bénéficiaires et prévenus ont signé visent à concrétiser ces obligations, ce sont bien les dispositions qui figurent dans l’Ordonnance COVID qui sont déterminantes pour déterminer une éventuelle infraction.

                        b) Sous le titre « But du cautionnement solidaire », l’article 6 al. 1 de l’Ordonnance COVID prévoit que « [l]e cautionnement solidaire visé par la présente ordonnance a pour seul but de garantir les crédits bancaires destinés à satisfaire les besoins courants en liquidités du requérant ». Les alinéas 2 et 3 excluent respectivement l’octroi d’un cautionnement solidaire dans certaines situations (si le chiffre d’affaires du requérant dépasse 500 millions de francs en 2019 ou si le crédit à cautionner doit permettre au requérant de nouveaux investissements dans des actifs immobilisés qui ne constituent pas des investissements de remplacement) et certaines utilisations de fonds (non seulement de ceux objets du cautionnement solidaire mais plus largement des actifs du requérant), soit la distribution de dividendes et de tantièmes ainsi que le remboursement d’apports de capital (let. a), l’octroi de prêts actifs ou le refinancement de prêts à des actionnaires revêtant la forme de prêts actifs, à l’exception du refinancement de découverts de compte accumulés depuis le 23 mars 2020 auprès de la banque qui accorde le crédit cautionné visé par l’Ordonnance COVID (let. b), le remboursement de prêts intragroupes (let. c) et le transfert de fonds garantis par un cautionnement solidaire visé par l’ordonnance COVID à une société n’ayant pas son siège en Suisse liée directement ou indirectement au requérant (let. d). Selon l’article 23 de l’Ordonnance COVID, à moins qu’il n’ait commis une infraction plus grave au sens du code pénal, est puni d’une amende de 100’000 francs au plus quiconque, intentionnellement, obtient un crédit en vertu de la présente ordonnance en fournissant de fausses indications ou utilise les fonds en dérogation à l’art. 6, al. 3.

                        Le même jour que celui de l’adoption de l’Ordonnance COVID précitée, soit le 25 mars 2020, l’Administration fédérale des finances a édicté un « [c]ommentaire de l’ordonnance sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19) ». En lien avec l’article 6 de l’ordonnance, ce commentaire contient notamment les précisions suivantes :

« En vertu de l’al. 1, des cautionnements solidaires sont accordés uniquement pour des crédits de transition destinés à pallier les difficultés de liquidités résultant de l’impact économique de la lutte contre le coronavirus (pandémie de COVID-19). Cela signifie que les crédits obtenus ne peuvent être utilisés que pour couvrir, par exemple, les frais de location ou de matériel encourus (les charges de personnel doivent en grande partie être couvertes par les mesures COVID-19 dans les domaines de la réduction de l’horaire de travail et des allocations pour pertes de gain).

En conséquence, l’al. 2 règle les exclusions du cautionnement solidaire […]. En vertu de l’al. 3, les opérations suivantes ne sont pas autorisées pendant la durée du cautionnement solidaire : [… suivent des explications plus détaillées au sujet des let. a à d de l’art. 6 al. 3 Ordonnance COVID et en particulier : …] Les dispositions de l’al. 3 visent toutes à éviter un détournement des crédits obtenus sur la base de cette ordonnance. En particulier, aucun fonds et aucune garantie ne doivent être accordés pour des engagements financiers existant ou nouveaux, si ces moyens ou ces garanties ne permettent pas de couvrir des besoins impérieux pour le maintien de l’exploitation opérationnelle. (ndr : c’est nous qui soulignons) En outre, les contrats passés avec des sociétés de services du groupe ou des tiers ne doivent pas être modifiés (au détriment de la caution solidaire) » (Commentaire édicté par l’Administration fédérale des finances AFF de l’Ordonnance COVID, p. 9, disponible par le lien suivant : https://covid19.easygov.swiss/wp-content/uploads/2020/03/erlaeuterungen-notverordnung-solidarbuergschaften-fr-20200325-1.pdf)

                        Au stade où se trouve actuellement l’instruction, soit à son tout début, et au vu des explications figurant dans le commentaire précité, on doit considérer qu’indépendamment de la question – civile – de savoir si les fonds investis dans la Sàrl à constituer sont le prolongement de l’entreprise exploitée actuellement sous la forme d’une société en nom collectif et restent à la disposition de cette entreprise pour ses besoins courants de la même façon qu’ils l’étaient dans la société en nom collectif, l’utilisation d’une partie du prêt COVID afin de financer une transformation (juridique) de l’activité exercée ne paraît pas immédiatement compatible avec les exigences posées par l’Ordonnance COVID pour l’utilisation des fonds prêtés. Une application de l’article 23 de l’Ordonnance COVID n’est donc pas exclue. Cela étant, cette question devra faire l’examen d’une analyse plus fouillée à laquelle il n’appartient pas à l’autorité de céans de procéder ici, sachant au demeurant que les prévenus n’ont pas encore été auditionnés et que l’examen des éléments subjectifs de l’infraction est donc prématuré. Sous l’angle de l’article 146 CP, on relèvera encore que les prévenus paraissent avoir agi en toute transparence et que leur intention, au moment de solliciter le crédit COVID, ne semble pas avoir été de se lancer dans la transformation litigieuse, ce projet leur ayant – selon leurs dires – été suggéré par leur fiduciaire une dizaine de jours après l’obtention des fonds. Cela étant, l’existence d’une infraction ne pouvant être à ce stade exclue, le maintien du séquestre sur le compte ouvert au nom de B.________ Sàrl en formation auprès de la Banque Y.________ no CH[2] s’impose.

7.                                Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté en tant qu’il s’en prend à l’ordonnance de mise sous séquestre du compte no CH[2] ouvert auprès de la Banque Y.________ au nom de B.________ Sàrl en formation. Les recours qui visent l’ordonnance de mise sous séquestre du compte CH[1] ouvert auprès de la Banque Y.________ au nom de A.________ SNC doivent en revanche être admis. Vu le sort de la cause, il se justifie de mettre à la charge des recourants X2.________ et X1.________ des frais réduits et de leur octroyer une indemnité de dépens également réduite, qui sera compensée à due concurrence avec les frais de justice (art. 442 al. 4 CPP).

Par ces motifs,
l'Autorité de recours en matière pénale

1.    Ordonne la jonction des causes ARMP.2020.103, ARMP.2020.104 et ARMP.2020.106.

2.    Admet les recours formés par X2.________ et X1.________ ainsi que par la société A.________ SNC contre l’ordonnance prononçant le séquestre du compte de cette société auprès de la Banque Y.________ no CH[1] et ordonne la levée immédiate de ce séquestre.

3.    Rejette le recours de X2.________ et X1.________ en tant qu’il porte sur le séquestre du compte de B.________ Sàrl en formation ouvert auprès de la Banque Y.________ no CH[2].

4.    Met une part réduite des frais de justice, arrêtée à 500 francs, à la charge de X2.________ et X1.________, solidairement entre eux.

5.    Alloue à X2.________ et X1.________ un montant de 1'000 francs au titre de dépens.

6.    Ordonne la compensation au sens de l’article 442 al. 4 CPP, à due concurrence, du montant des frais prévu au chiffre 4 ci-dessus avec les dépens alloués au chiffre 5 ci-dessus et dit que le solde de 500 francs sera versé par l’Etat à X2.________ et X1.________

7.    Notifie le présent arrêt à X2.________ et à la société A.________ SNC, par Me C.________, à X1.________ et au Ministère public, à La Chaux-de-Fonds (MP.2020.3407) et l’adresse en copie à la Banque Y.________ pour exécution.

Neuchâtel, le 14 août 2020 

 

 
Art. 263 CPP
Principe
 

1 Des objets et des valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre, lorsqu’il est probable:

a. qu’ils seront utilisés comme moyens de preuves;

b. qu’ils seront utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités;

c. qu’ils devront être restitués au lésé;

d. qu’ils devront être confisqués.

2 Le séquestre est ordonné par voie d’ordonnance écrite, brièvement motivée. En cas d’urgence, il peut être ordonné oralement; toutefois, par la suite, l’ordre doit être confirmé par écrit.

3 Lorsqu’il y a péril en la demeure, la police ou des particuliers peuvent provisoirement mettre en sûreté des objets et des valeurs patrimoniales à l’intention du ministère public ou du tribunal.

Art. 6 OCas – Covid 19
But du cautionnement solidaire
 

1 Le cautionnement solidaire visé par la présente ordonnance a pour seul but de garantir les crédits bancaires destinés à satisfaire les besoins courants en liquidités du requérant.

2 L’octroi d’un cautionnement solidaire est exclu si:

a. le chiffre d’affaires du requérant était supérieur à 500 millions de francs en 2019, ou si

b. le crédit à cautionner doit permettre au preneur de crédit d’effectuer de nouveaux investissements dans des actifs immobilisés qui ne constituent pas des investissements de remplacement.

3 Sont exclus pendant la durée du cautionnement solidaire:

a. la distribution de dividendes et de tantièmes ainsi que le remboursement d’apports de capital;

b. l’octroi de prêts actifs ou le refinancement de prêts à des actionnaires revêtant la forme de prêts actifs, à l’exception du refinancement de découverts de compte accumulés depuis le 23 mars 2020 auprès de la banque qui accorde le crédit cautionné visé par la présente ordonnance;

c. le remboursement de prêts intragroupes, et

d. le transfert de fonds garantis par un cautionnement solidaire visé par la présente ordonnance à une société du groupe n’ayant pas son siège en Suisse liée directement ou indirectement au requérant.

4 Lors de l’octroi de crédits visés par la présente ordonnance, les banques veillent au respect de la condition fixée à l’al. 2, let. a, et excluent contractuellement pour le requérant une utilisation des fonds aux fins prévues aux al. 2, let. b, et 3.