A.                               Le 13 septembre 2015, A.X.________, née en 2000, fille de B.X.________ et C.X.________, s’est présentée aux urgences accompagnée par son père, en raison d’idées suicidaires claires. Elle avait envie de mourir et envisageait de mettre fin à ses jours par surdosage de médicaments et d’alcool ou pendaison. Elle ne s’entendait pas bien avec sa mère et sa sœur. Depuis à peu près deux ans, elle se sentait mal dans sa peau. Elle avait déjà essayé de se pendre, mais la ceinture qu’elle avait utilisée s’était cassée. Elle avait été suivie par une psychologue, puis avait arrêté ces soins et était sans traitement depuis une année. Au niveau cutané, elle présentait notamment sur sa jambe gauche, des inscriptions faites au stylo telles que « HELP », « IWTD » (selon la plainte qui sera déposée : I want to die), « IDLWIA » (I don’t love what I am, toujours selon la plainte) et « IWTG » (I want to go, encore selon la plainte). Le diagnostic posé par le corps médical lors de son admission était celui d’un « épisode dépressif modéré », nécessitant une « hospitalisation avec saturation en continue, cô aux 6 heures » (plainte pénale du 30 juin 2020).

                        Le 17 septembre 2015, A.X.________ est retournée à son domicile.  Selon l’avis de sortie du 22 septembre 2015 établi par le Dr D.________ et la Dre E.________, A.X.________ présentait un « épisode dépressif avec idée suicidaire » et des difficultés psycho-familiales (plainte pénale du 30 juin 2020). L’anamnèse mettait en évidence une multitude de problèmes psychosociaux, en particulier les difficultés précitées. À cet égard, elle était en conflit avec sa mère, laquelle manquait de compréhension pour elle. Elle disait se sentir apaisée d’être à l’écart de son milieu familial pour un temps. Un suivi en ambulatoire au Centre neuchâtelois de psychiatrie, secteur enfance et adolescence (CNPea), était prévu après son retour à la maison. B.X.________ avait refusé la proposition du corps médical consistant en une visite à domicile de la Croix-Rouge, avec un soutien psycho-éducatif familial. L’avis de sortie précité mentionnait enfin, de manière contradictoire, tantôt que A.X.________ présentait toujours des idées suicidaires (non scénarisées), tantôt qu’elle n’en avait plus.

                        Selon les allégations des parents, les médecins ne leur avaient pas indiqué les raisons du mal-être de leur fille, raison pour laquelle B.X.________ avait refusé la proposition de visite à domicile de la Croix-Rouge. Ils n’avaient pas reçu d’instruction non plus. Les médecins n’avaient au demeurant pas prescrit de médicaments à A.X.________, pas plus qu’instauré un suivi psychiatrique immédiat. Il incombait aux parents de prendre eux-mêmes contact avec un psychologue, ce qu’ils avaient fait, sans toutefois pouvoir obtenir un rendez-vous avant le 20 octobre 2015 (plainte pénale du 30 juin 2020).

B.                               A.X.________ s’est pendue la nuit du 27 au 28 septembre 2015.

C.                               La consultation du dossier médical de A.X.________ a toujours été refusée à ses parents, malgré plusieurs années d’essais infructueux et de négociations avec l’Hôpital. Par décision du 28 février 2020, le chef du Département des finances et de la santé a déclaré irrecevable la requête des époux X.________ tendant à la levée du secret professionnel liant les médecins qui s’étaient occupés de leur fille (plainte pénale du 30 juin 2020).

D.                               Le 30 juin 2020, les époux X.________ ont déposé une dénonciation et plainte pénale contre inconnu, mais vraisemblablement contre les médecins s’étant occupés de leur fille, lors de son hospitalisation au sein du réseau hospitalier neuchâtelois. Ils considéraient, en substance, que les faits reprochés à ces derniers – soit d’avoir laissé leur fille retourner chez elle, alors qu’elle présentait des idées suicidaires concrètes, livrée à son sort et sans donner suffisamment d’informations à ses parents – pouvaient être réprimés par l’article 219 CP, lequel sanctionne la violation du devoir d’assistance et d’éducation.

                        Le 21 juillet 2020, les époux X.________ ont complété leur plainte pénale.

E.                               Par ordonnance du 4 septembre 2020, le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur la plainte pénale susmentionnée et laissé les frais à charge de l’État. En premier lieu, il a considéré que les époux X.________ cherchaient à contourner la décision administrative du 28 février 2020 pour pouvoir, par le biais de la procédure pénale, consulter le dossier médical de leur fille. Ce premier motif justifiait déjà le refus d’entrer en matière. Ensuite, il n’était pas possible de considérer que les soins et le suivi préconisés par l’hôpital neuchâtelois avaient engendré chez la défunte des séquelles psychiques durables, compromettant son développement à tel point qu’elle n’avait plus d’autre choix que de mettre fin à ses jours. Le refus du suivi à domicile de la Croix-Rouge par la mère était également en contradiction avec la position des parents qui reprochaient à l’hôpital une prise en charge insuffisante. Par ailleurs, il ne pouvait être tiré aucune conclusion de l’article de la revue médicale suisse produit par les plaignants, qui portait sur la thématique de savoir « quand référer aux urgences un patient présentant une crise suicidaire ». Enfin, la question de la dénonciation de faits potentiellement répréhensibles avait été examinée par le médecin cantonal dans le cadre de la procédure introduite par les plaignants pour obtenir la consultation complète du dossier médical de leur fille. Selon le département, l’examen du dossier n’avait pas mis en évidence de faits devant être dénoncés au Ministère public.

F.                               Par mémoire du 3 septembre 2020, les époux X.________ recourent contre ce prononcé en concluant à son annulation, avec suite de frais et dépens. Ils regrettent tout d’abord qu’on leur reproche d’avoir d’abord cherché justice hors d’une procédure pénale. Par ailleurs, le comportement potentiellement répréhensible des médecins ne consiste pas en une action, mais en une omission, contrairement à ce qu’a retenu le Ministère public. Selon eux et en résumé, il n’est pas admissible que les médecins de l’hôpital neuchâtelois aient laissé sortir leur fille sans aucune mesure d’accompagnement, en remettant simplement une carte de visite à la mère comportant les informations de contact du CNPea, à charge pour cette dernière de contacter elle-même cette institution.

G.                               Par courrier du 28 septembre 2020, le Ministère public conclut au rejet du recours. Aucune omission, consistant en une absence de soins, ne pouvait être reprochée aux médecins en l’espèce. Au demeurant, cette éventuelle absence de soins n’était pas à l’origine du suicide de feue A.X.________.

C O N S I D E R A N T

1.                                Interjeté dans les formes et délai légaux, le recours est recevable (art. 396 CPP).

2.                                Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, conformément à l'article 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. L'entrée en matière peut encore être refusée au terme des investigations policières (art. 306 et 307 CPP) – même diligentées à l'initiative du procureur – si les conditions de l'article 310 al. 1 let. a CPP sont réunies. Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les articles 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. […] La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (arrêt du TF du 25.02.2015 [6B_1206/2014] cons. 2.2 et les références citées). Une non-entrée en matière s'impose lorsque le litige est de nature purement civile (ATF 137 IV 285 cons. 2.3).

L'autorité de recours en matière pénale jouit d'un plein pouvoir d'examen, en fait, en droit et en opportunité (art. 393 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par les conclusions de celles-ci – sauf lorsqu'elle statue sur une action civile (art. 391 CPP).

3.                                a) Aux termes de l'art. 219 CP, celui qui aura violé son devoir d'assister ou d'élever une personne mineure dont il aura ainsi mis en danger le développement physique ou psychique, ou qui aura manqué à ce devoir, sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 1). Si le délinquant a agi par négligence, la peine pourra être une amende au lieu d'une peine privative de liberté ou d'une peine pécuniaire (al. 2).  

                        Pour que l'article 219 CP soit applicable, il faut que l'auteur ait violé son devoir d'assistance ou d'éducation ou qu'il ait manqué à ce devoir. Le comportement délictueux peut donc consister en une action (par exemple, l'auteur maltraite le mineur) ou en une omission (par exemple, l'auteur abandonne l'enfant, en négligeant de lui donner des soins ou en ne prenant pas, face à un danger, les mesures de sécurité qui s'imposent). Ces actes doivent mettre en danger le développement physique ou psychique du mineur. Définissant un délit de mise en danger concrète, l'article 219 CP n'exige pas une atteinte à l'intégrité corporelle ou psychique du mineur ; une mise en danger suffit, celle-ci devant toutefois être concrète, c'est-à-dire qu'elle doit apparaître vraisemblable dans le cas concret (arrêt du TF du 25.10.2017 [6B_1100/2016] cons. 3.2 et les références citées).

                        La position de garant de l'auteur peut être fondée sur la loi, sur une décision de l'autorité ou sur un contrat, voire sur une situation de fait. Sont notamment considérés comme des garants les parents naturels ou adoptifs, le tuteur, le maître d'école, le responsable d'une institution, le directeur d'un home ou d'un internat, l'employeur, la gardienne de jour, la jardinière d'enfants, le personnel soignant dans un hôpital ou une clinique (ATF 125 IV 64 cons. 1a).

                        b) En l’espèce, un certain nombre d’éléments dans ce dossier interpellent :

                        1) Il apparaît clair que A.X.________ a été admise à l’hôpital alors qu’elle présentait de nombreux facteurs de risques objectifs (antécédents psychiatriques ; tentative de suicide préalable ; idées suicidaires scénarisées ; anciennes cicatrices sur son avant-bras gauche ; marques indiquant qu’elle souhaitait mourir, sur la jambe gauche).

                        2) Son homosexualité, dont les médecins étaient vraisemblablement au courant (cf. plainte pénale du 30 juin 2020, où il est indiqué, dans le rapport d’admission à l’hôpital : « Depuis l’âge de 11 ans, elle est claire sur son orientation sexuelle »), aurait pu attirer l’attention dans un contexte de patiente présentant un risque de suicide. Il ressort en effet d’une publication de « Stop Suicide » que les jeunes LGB (lesbienne, gay, bi-e) ont 2 à 5 fois plus de risque de se suicider que les jeunes hétérosexuels ; que la période du coming out (entre 14 et 17 ans) est celle où le risque suicidaire est le plus élevé et que 74 % des premières tentatives de suicide parmi les jeunes lesbiennes ont lieu avant l’âge de 20 ans, dont 43 % entre l’âge de 14 et 16 ans (https://stopsuicide.ch/wp-content/uploads/2020/08/STOP SUICIDE_risque suicidaire_jeunes LGBT.pdf, p. 4).

                        3) Par ailleurs, alors que le soutien pédopsychiatrique avec la Dre F.________ avait mis en évidence des difficultés familiales, qu’un conflit entre mère et fille était présent, que le diagnostic de « Difficulté psycho-familiale » avait été retenu et que A.X.________ disait se sentir apaisée d’être à l’écart de son milieu familial pour un temps (plainte pénale du 30 juin 2020), les médecins ont néanmoins décidé de la renvoyer à son domicile.

                        4) Devant le refus de la mère – dont il faudrait éclaircir les raisons – d’instaurer une visite à domicile de la Croix-Rouge avec un soutien psycho-éducatif, on peut se demander si les médecins n’auraient pas dû, à plus forte raison, maintenir la jeune fille à l’hôpital ou tenter de mettre en place des mesures de substitution plus importantes qu’un simple suivi pédopsychiatrique en ambulatoire au CNPea qui, d’après les allégations des parents, devait être organisé par leurs soins et dont le premier rendez-vous n’a pas pu être fixé avant le 20 octobre 2015.

                        5) Enfin, la question du devoir d’information (en terme quantitatif et qualitatif) que les médecins ont eu (ou auraient dû avoir) envers les recourants au sujet de leur fille mériterait d’être éclaircie, de même que ce qui leur a été concrètement indiqué en terme d’avertissement ou besoin de protection. A.X.________ ayant été conduite à l’hôpital par son père, précisément en raison de ses idées suicidaires, il serait à première vue étrange que la sortie de l’institution ait pu intervenir cinq jours après, sans appeler l’entourage à une grande vigilance.

                        c) Les éléments qui précèdent peuvent laisser à penser que l’hospitalisation de A.X.________ aurait dû être prolongée, ou que des mesures de substitution équivalentes auraient dû être prises, ce d’autant plus que, d’après le rapport de sortie établi le 22 septembre 2015, A.X.________ présentait toujours des idées suicidaires bien que non scénarisées (plainte pénale du 30 juin 2020 ; contra : « actuellement pas d’idées suicidaires » dans le même document). À cet égard, bien que ce ne soit naturellement pas décisif ici, il semble que selon la littérature spécialisée, une telle conjonction de facteurs de risques nécessite une hospitalisation (plainte pénale du 30 juin 2020). On pourrait en déduire qu’un maintien à l’hôpital s’avère nécessaire, si ces facteurs de risques restent présents. Le dossier contient donc suffisamment d’indices qui viennent corroborer l’hypothèse selon laquelle les médecins de A.X.________ – qui avaient une position de garants au sens de la jurisprudence précitée – n’ont peut-être pas pris les mesures de sécurité qui s’imposaient, ce qui a pu mettre A.X.________ en danger. Dans ces conditions, l’application de l’article 219 CP apparaît comme possible, de sorte que le Ministère public ne pouvait pas rendre une ordonnance de non-entrée en matière. Il n’apparaît en effet pas clairement que les faits susmentionnés ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. On soulignera que l’appréciation de la situation qui a été faite au niveau administratif n’est pas décisive sous l’angle pénal.

4.                                Le Ministère public a violé le principe in dubio pro duriore en refusant d’entrer en matière sur la dénonciation et plainte pénale du 30 juin 2020, si bien que l’ordonnance querellée doit être annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour suite utile. À cet égard, le Ministère public devra notamment ouvrir une instruction, procéder aux auditions utiles et ordonner la mise en œuvre d’une expertise, afin de déterminer si la prise en charge de A.X.________, par les médecins de l’hôpital, a été effectuée dans les règles de l’art. En particulier, devra être éclaircie la question de savoir si le fait, pour le corps médical, d’avoir laissé sortir la précitée le 17 septembre 2015, dans les circonstances telles qu’évoquées ci-dessus (cons. 3, let. b, ch. 1 à 5), était critiquable ou non, respectivement si des mesures auraient dû être prises et lesquelles, dans l’optique d’une possible application de l’article 2019 CP.

5.                                Vu l’issue de la cause, les frais judiciaires seront laissés à la charge de l’Etat et une indemnité de dépens, arrêtée à 1’000 francs, sera allouée aux recourants, également à la charge de l’Etat.  

 

Par ces motifs,
l'Autorité de recours en matière pénale

1.    Admet le recours et annule l’ordonnance de non-entrée en matière.

2.    Renvoie la cause au Ministère public pour ouverture d’une instruction au sens des considérants.

3.    Laisse les frais judiciaires à la charge de l’Etat.

4.    Alloue aux recourants une indemnité de dépens de 1’000 francs, à la charge de l’Etat.

5.    Notifie le présent arrêt à B.X.________ et C.X.________, par Me G.________ et au Ministère public, Passage de la Bonne-Fontaine 41, 2301 La Chaux-de-Fonds (MP.2020.3329).

Neuchâtel, le 16 octobre 2020

Art. 219 243 CP
Violation du devoir d'assistance ou d'éducation
 

1  Celui qui aura violé son devoir d'assister ou d'élever une personne mineure dont il aura ainsi mis en danger le développement physique ou psychique, ou qui aura manqué à ce devoir, sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

2  Si le délinquant a agi par négligence, la peine pourra être une amende au lieu d'une peine privative de liberté ou d'une peine pécuniaire. 244


243 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 23 juin 1989, en vigueur depuis le 1 er  janv. 1990 ( RO 1989 2449 ; FF 1985 II 1021 ).

244 Nouvelle teneur du membre de phrase selon le ch. II 1 al. 16 de la LF du 13 déc. 2002, en vigueur depuis le 1 er  janv.  2007 ( RO 2006 3459 ; FF 1999 1787 ).

Art. 310 CPP
Ordonnance de non-entrée en matière
 

1  Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police:

a. que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions d'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis;

b. qu'il des empêchements de procéder existe;

c. que les conditions annoncées à l'art. 8 imposent de renoncer à l'ouverture d'une poursuite pénale.

2  Au surplus, les dispositions sur le classement de la procédure sont applicables.