A.                            Le 24 septembre 2019, le Ministère public, Parquet régional de La Chaux-de-Fonds, a décidé l’ouverture d’une instruction pénale contre X.________ sous la prévention de dénonciation calomnieuse au sens de l’article 303 CP pour les faits suivants : « Le 1er février 2019, à Z.________, au poste de police, X.________ a dénoncé Y.________ comme étant l’auteur de ventes d’un total de 210 grammes d’héroïne entre juin et décembre 2017 alors qu’il savait ses accusations infondées et susceptibles d’engendrer l’ouverture d’une instruction pénale ».

                        Le même 24 septembre 2019 également, le Ministère public a décidé l’ouverture d’une instruction pénale contre Y.________ sous les préventions de trafic grave de stupéfiants au sens de l’article 19 al. 1 et 2 LStup, ainsi que de consommation de stupéfiants au sens de l’article 19a LStup, pour les faits suivants : « Entre le 14 août 2018 et le 3 septembre 2019, à Z.________, V.________ ainsi qu’en tout autre lieu en Suisse, Y.________ a consommé au moins 54 grammes d’héroïne et 5 grammes de haschich, étant précisé que le 27 août 2019 il se trouvait en possession de 14,9 grammes brut de haschich destinés à sa propre consommation. Entre le 1er juin 2017 et le 31 décembre 2017, à Z.________ ainsi qu’en tout autre lieu en Suisse, Y.________ a acquis auprès d’inconnus 210 grammes d’héroïne qu’il a revendus en totalité à X.________. Entre le 14 août 2018 et le 3 septembre 2019, à Z.________ ainsi qu’en tout autre lieu en Suisse, Y.________ a acquis auprès d’inconnus au moins 10 grammes d’héroïne qu’il a revendus à divers consommateurs en plusieurs transactions ».

B.                            Les décisions d’ouverture d’une instruction pénale précitées font suite à l’interpellation, le 27 août 2019, de Y.________ lors d’une intervention de police planifiée au Café A.________, au centre-ville de Z.________. Y.________ se trouvait alors en possession de 6 morceaux de haschich pour un poids total brut de 14,9 grammes. Les contrôles effectués dans la base de données ont permis de déterminer qu’il faisait l’objet d’une importante mise en cause faite par X.________, qui lui reprochait la vente de 210 grammes d’héroïne entre juin et décembre 2017.

                        En effet, lors d’une audition qui s’est déroulée le 1er février 2019, X.________ avait indiqué à la police neuchâteloise avoir fréquenté Y.________ depuis le courant de l’année 2017, probablement dès le mois de juin de cette année-là ; qu’à l’époque, il consommait lui-même à nouveau de l’héroïne ; que Y.________ en vendait et qu’il avait « commencé à vendre avec lui » ; que Y.________ avait un fournisseur à B.________, avec lequel il traitait, X.________ l’ayant accompagné une fois ; qu’assez rapidement ils s’étaient « engueulés » et qu’il avait donc coupé les ponts avec Y.________ vers fin 2017 ; qu’il l’avait « quand même vu une ou deux fois pour lui vendre un paquet, mais c’est tout » ; qu’il vendait « à quelques personnes, pour [s]e payer [s]a consommation » ; qu’il évaluait sa consommation « pour la période durant laquelle [il] bossai[t] avec Y.________, soit de juin à décembre 2017, donc 7 mois [… à] une consommation d’environ 105 grammes (0,5 g par jour X 210 jours = 105 g) » ; que s’il avait consommé 105 grammes d’héroïne sur la période concernée, il en avait acquis le double, soit 210 grammes ; que depuis 6 mois environ, cela allait mieux entre lui et Y.________ et que ce dernier lui achetait des quantités variables, que X.________ estimait à 0,6 grammes tous les 10 jours, soit 54 grammes sur 6 mois ; que Y.________ figurait donc parmi le « cercle d’environ 7 ou 8 clients » que X.________ admettait avoir.

                        Lors de son audition par la police le 3 septembre 2019, Y.________ a reconnu la consommation de 54 grammes d’héroïne et de 108 grammes de haschich pour la période allant du 14 août 2018 au 3 septembre 2019, soit environ 1 gramme d’héroïne par semaine et 2 grammes de haschich par semaine également. Il a également reconnu avoir « dépanné » à plusieurs reprises plusieurs toxicomanes en leur vendant des paquets d’héroïne de 0,2 grammes pour une quantité totale qu’il a estimée à 10 grammes sur la période précitée. En revanche, il a contesté sa mise en cause par X.________ et déposé contre ce dernier une plainte pénale pour dénonciation calomnieuse. Y.________ a en outre précisé qu’il achetait de l’héroïne à X.________ mais qu’il ne lui en avait jamais vendu. Une perquisition effectuée au domicile de Y.________ a permis la saisie de 2 grammes brut de haschich et 0,5 grammes brut de marijuana. L’analyse du téléphone portable de Y.________ n’a apporté aucun élément utile à l’enquête. 

C.                            Y.________ et X.________ devaient être auditionnés et confrontés devant le Ministère public une première fois le 28 octobre 2019. Au vu de l’absence de Y.________, seul X.________ a pu être entendu. Il a en substance confirmé les faits ressortant de son audition devant la police et en particulier confirmé avoir acquis 210 grammes d’héroïne entre juin et décembre 2017 auprès de Y.________, en soulignant n’avoir jamais essayé de l’incriminer injustement.

                        Le 28 octobre 2019, le Ministère public a étendu l’instruction pénale ouverte contre Y.________ à l’infraction de dénonciation calomnieuse au sens de l’article 303 CP pour les faits suivants : « Le 3 septembre 2019 entre 11 :40 heures et 13 :20 heures, à Neuchâtel au BAP, Y.________ a déposé plainte pénale à l’encontre de X.________ auquel il reproche de l’avoir dénoncé de manière infondée pour la vente d’un total de 210 grammes d’héroïne, alors qu’il savait les propos de X.________ bien fondés et qu’ainsi il engendrerait une procédure pénale de manière indue à son encontre ». 

D.                            Le 6 novembre 2019, le procureur a auditionné Y.________. Ce dernier a indiqué que X.________ avait « un plan » à C.________, où ils s’étaient rendus ensemble ; qu’à trois reprises, il avait dépanné X.________ en se rendant lui-même à C.________ où il avait acheté de l’héroïne pour les deux ; qu’il ne s’expliquait pas les accusations formulées par X.________. Il a contesté être allé chercher de l’héroïne pour X.________ durant sept mois, de juin 2017 à fin 2017, précisant qu’il imaginait que X.________ « fai[sai]t cela pour se sauver lui-même » ; que lui-même disait la vérité ; qu’il contestait les préventions selon lesquelles il aurait « acquis et revendu 210 grammes d’héroïne à X.________ » et « injustement accusé [ce dernier] de [l’]avoir accusé de lui avoir vendu 210 grammes d’héroïne ».

E.                            Le 27 novembre 2019, une audition et confrontation entre Y.________ et X.________ a eu lieu devant le procureur du Parquet régional de La Chaux-de-Fonds. En substance, l’un et l’autre des prévenus ont admis qu’ils se rendaient auprès de leurs contacts à B.________ et à C.________ pour ramener de l’héroïne pour l’un et l’autre ; que celui qui se déplaçait cherchait une quantité qui était ensuite partagée avec l’autre ; que selon les déclarations de X.________, « ce n’était pas réellement de la vente que Y.________ [lui] faisait puisqu[’il] lui remettai[t] de l’argent avant son départ et qu’à son retour il [lui] remettait l’héroïne correspondant à l’argent qu[’il] lui avai[t] remis avant », précisant que c’était exactement la même chose qui se produisait lorsque c’était lui qui allait chercher l’héroïne pour les deux ; que Y.________ avait confirmé qu’il « était vrai qu’ils allaient en transports en commun pour [se] ravitailler et qu’[ils se] partag[eaient] ensuite l’héroïne en fonction des investissements de chacun » ; que Y.________ était en particulier allé à trois reprises chercher de l’héroïne pour les deux, deux fois à C.________ et une fois à D.________ ; que s’agissant des quantités, X.________ a indiqué qu’il était « tout à fait possible qu’[il] n’ai[t] été fourni par Y.________ qu’à concurrence de 3 fois 30 grammes d’héroïne, soit un total de 90 grammes d’héroïne » ; que X.________ a souligné le contexte dans lequel il avait été auditionné par la police (au moment de ses accusations portées contre Y.________), à mesure qu’il était alors en état de manque et devait prendre de la Kétalgine ; que « [l]es calculs [étaie]nt toujours compliqués dans ces circonstances-là » ; qu’il n’avait en outre «  jamais dit que Y.________ [lui] avait vendu de l’héroïne mais [il a] expliqué comment [ils allaient se] ravitailler l’un et l’autre », Y.________ exposant que ses dires correspondaient bien à la réalité. A la fin de l’audition, Y.________ a retiré la plainte qu’il avait déposée à l’encontre de X.________, « ayant bien compris que ses déclarations avaient été mal comprises ».

F.                            Le 3 décembre 2019, le procureur a indiqué aux parties que l’instruction pourrait être prochainement clôturée par le renvoi de Y.________ devant un tribunal pour y être jugé pour du trafic grave et de la consommation de stupéfiants au sens des articles 19 al. 1 et 2 et 19a LStup. Au sujet des dénonciations calomnieuses reprochées tant à Y.________ qu’à X.________, un classement était envisagé.

                        L’un et l’autre des prévenus ont fait des observations, respectivement le 4 décembre 2019 pour Y.________ et le 17 décembre 2019 pour X.________.

                        Le 6 décembre 2019, le Ministère public a admis la demande d’exécution d’une procédure simplifiée concernant le prévenu Y.________.

G.                           Le 23 décembre 2019, le Ministère public a prononcé un classement en faveur de X.________ et un classement partiel en faveur de Y.________ pour la dénonciation calomnieuse qui lui était reprochée, condamné X.________ à une part réduite des frais de la cause arrêtée à 300 francs et refusé d’allouer à ce dernier une indemnité ou réparation du tort moral. Le procureur a constaté que la confrontation du 27 novembre 2019 avait permis à X.________ de revenir sur ses premières déclarations et de s’accorder finalement avec Y.________ quant au nombre de fois où chacun se serait rendu auprès du fournisseur d’héroïne pour s’approvisionner et approvisionner l’autre. Il découlait ainsi de cette confrontation que les propos initiaux tenus par X.________ étaient en partie mal fondés, si bien qu’il ne saurait être reproché à Y.________ d’avoir déposé plainte à cet égard contre le prénommé. Quant à ce dernier, il ne saurait être question de dénonciation calomnieuse de sa part dans la mesure où une partie de ses accusations s’est avérée fondée. À mesure que par ses propos en partie infondés, X.________ avait provoqué l’ouverture de la procédure pénale à son encontre et avait rendu difficile la conduite de la procédure dirigée contre Y.________, aucune indemnité au sens de l’article 429 CPP ne pouvait lui être accordée.

H.                                  « Le 9 janvier 2020, X.________ recourt contre l’ordonnance précitée en prenant les conclusions suivantes :

1. Admettre le présent recours. Partant :

2. Annuler le chiffre 3 de la décision du 23 décembre 2019 et dire qu’aucun frais n’est mis à la charge de X.________, les frais de la cause étant laissés à la charge de l’Etat ;

3. Annuler le chiffre 4 de la décision du 23 décembre 2019 et […] une indemnité au sens de l’art. 429 est accordé[e] à X.________ à hauteur de CHF 1'721.- ou à dire de justice.

4. Accorder l’assistance judiciaire pour le présent recours et nommer la soussignée avocate d’office.

5. Mettre les frais de justice de la procédure de recours y compris les honoraires de la mandataire soussignée à la charge de l’Etat.

6. Subsidiairement, si l’assistance judiciaire ne devait pas être accordée au recourant pour la procédure de recours, laisser les frais de justice de la procédure de recours à la charge de l’Etat et accorder une indemnité au sens de l’art. 429 CPP ».

                        Le recourant conteste aussi bien sa condamnation aux frais en vertu de l’article 426 al. 2 CPP que le refus d’une indemnité au sens de l’article 429 CPP. Il considère qu’« il est entièrement faux de retenir que par ses propos en partie infondés, [il] aurait provoqué l’ouverture de la procédure à son encontre et rendu plus difficile la conduite de la procédure dirigée à l’encontre de Y.________ ». Le recourant soutient que, dans le cadre de la procédure pénale qui avait été ouverte contre lui, il « avait souhaité être honnête malgré son droit de se taire afin de pouvoir prendre un nouveau départ. Il a[vait] ainsi exposé les faits au plus proche de ses souvenirs, y compris ceux impliquant d’autres personnes et a[vait] ainsi été condamné ». Une procédure pour dénonciation calomnieuse avait ensuite été ouverte contre lui suite à la plainte de Y.________ qui contestait le déroulement des trafics dénoncés. Ce dernier avait fini par admettre sa participation mais dans une mesure « quelque peu moindre » que celle dénoncée par le recourant. Ce dernier considère que dans ce cadre, il n’avait commis « aucun acte illicite ou fautif ». On ne pouvait donc retenir qu’il avait provoqué fautivement ou illicitement l’ouverture de la procédure à son encontre. Par ailleurs, ses déclarations avaient permis de faire la lumière sur les infractions commises par Y.________. Lui-même avait adopté dans le cadre de cette procédure « un comportement irréprochable ». Le lien de causalité entre la prétendue faute du recourant et la procédure pénale n’était nullement étayé. La référence à la partie infondée de ses propos est une considération qui ne repose que sur l’infraction pour laquelle le recourant a finalement été acquitté et qui ne suffit donc pas à retenir une quelconque faute de sa part. Il n’existe donc aucun motif pour refuser une indemnité au sens de l’article 429 CPP, ni pour mettre les frais de la procédure à la charge du recourant. Il détaille en outre les frais qu’ont occasionné pour lui la procédure, pour laquelle le recours à un avocat était justifié, puisque la poursuite pour dénonciation calomnieuse, qui n’est pas une simple contravention, est intervenue peu après la clôture d’une autre procédure pénale dans laquelle X.________ était au bénéfice d’un sursis. Il sollicite en outre l’assistance judiciaire pour la procédure de recours. 

I.                              Le 15 janvier 2020, le Ministère public se réfère à la motivation de sa décision du 23 décembre 2019 pour conclure au rejet en toutes ses conclusions du recours déposé.

                        Le 21 janvier 2020, le recourant a retiré sa demande d’effet suspensif limité, auquel il avait conclu dans son recours.

C O N S I D E R A N T

1.                            Interjeté dans les formes et délai légaux, le recours est recevable (art. 396 CPP).

2.                            Conformément à l'article 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.  La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'article 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement. Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (arrêt du TF du 03.10.2019_[6B_453/2019], cons. 1.1, avec renvoi à l’ATF 144 IV 202 cons. 2.2 p. 204 s. et les références citées). 

3.                            En l’espèce, le recourant fait l’objet d’une ordonnance de classement pour l’infraction de dénonciation calomnieuse. Le motif pour lequel le Ministère public a mis à la charge du recourant une partie des frais de la procédure tient au fait que seule une partie des quantités que le recourant indiquait avoir acquises de Y.________ ont finalement été admises et retenues à l’encontre de ce dernier. Le procureur a donc considéré que si l’infraction de dénonciation calomnieuse n’était pas réalisée, une partie cependant des quantités pour lesquelles Y.________ avait été dénoncé par X.________ était infondée. Le Ministère public n’indique pas précisément en quoi l’instruction a été rendue plus compliquée par le fait qu’il existait une différence entre les quantités dénoncées par X.________ et celles finalement admises par le prévenu Y.________ – en définitive de part et d’autre entre X.________ et Y.________ – au terme de leur confrontation.

                        Le fait pour X.________ d’avoir dénoncé une infraction qui a été reconnue sur le principe – mais non sur les quantités admises lors de la confrontation par Y.________ – justifiait effectivement le classement de l’instruction pour dénonciation calomnieuse, étant précisé que Y.________ avait retiré sa plainte le 27 novembre 2019 et que cette infraction se poursuit quoi qu’il en soit d’office. On ne voit cependant pas en quoi le fait pour X.________ de n’avoir pas indiqué des quantités qui coïncident en définitive à celles qu’admettra Y.________ a provoqué l‘ouverture de la procédure (cette ouverture découle du principe-même de l’infraction, pas contesté en elle-même) ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci. D’une part, il faut se rappeler que les quantités sur lesquelles les consommateurs de stupéfiants admettent une consommation, respectivement un trafic, sont par essence difficiles à cerner, à mesure qu’il s’agit souvent de ventes multiples s’écoulant sur plusieurs mois, comme c’est du reste le cas dans la présente affaire. D’autre part, comme Y.________ contestait d’abord tout achat de stupéfiants qu’il aurait fait à X.________, une confrontation entre les deux prévenus était indispensable. Par quelques questions et une audience qui aura finalement duré une heure environ, les choses ont pu être clarifiées, si bien que l’on ne saurait considérer que le fait pour X.________ d’avoir indiqué aux autorités une infraction bel et bien commise par Y.________, mais portant sur des quantités différentes, aurait compliqué l’enquête au point de justifier l’application de l’article 426 al. 2 CPP, étant précisé que la mise des frais à la charge du prévenu en cas de classement de la procédure doit rester l’exception au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt du TF du 19.11.2019 [6B_956/2019] cons. 11 et l’arrêt cité). On rappellera en outre que la dénonciation calomnieuse est une infraction intentionnelle et que l’on peut sérieusement douter de la réalisation de cette intention, à mesure que la dénonciation en cause a été faite lors d’une audition de X.________ au cours de laquelle il s’accusait lui-même également, pour les mêmes quantités que celles pour lesquelles il dénonçait Y.________. Le recours est donc bien fondé en tant qu’il s’en prend à la mise à la charge de X.________ d’une partie des frais de la procédure, lesquels resteront à la charge de l’Etat.

4.                            Le Ministère public a utilisé le même argument – soit le fait pour le prévenu d’avoir provoqué l’ouverture de la procédure à son encontre et rendu plus difficile la conduite de la procédure dirigée à l’encontre de Y.________ – pour refuser une indemnisation au sens de l’article 429 CPP. Au vu de ce qui précède, ce refus n’est pas non plus justifié et le prévenu a droit à une indemnité au sens de l’article 429 al. 1 CPP.

                        a) On relèvera tout d’abord que par décision du 8 octobre 2019, le Ministère public avait refusé de désigner à X.________ un mandataire d’office à mesure que les faits (la dénonciation calomnieuse) reprochés à ce dernier ne présentaient de difficulté ni en fait ni en droit qu’il ne pouvait surmonter seul. Aucun recours n’avait été déposé contre cette décision de refus d’assistance judiciaire. Il faut cependant se rappeler que les conditions à l’octroi d’une indemnité au sens de l’article 429 CPP peuvent être plus larges en ce qui concerne la nécessité d’être assisté d’un avocat pour exercer raisonnablement ses droits de procédure. A cet égard, il ressort de la jurisprudence du Tribunal fédéral que « selon l'article 429 al.1 let. a CPP, le prévenu acquitté totalement ou en partie ou au bénéfice d’une ordonnance de classement a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable des droits de procédure. L'allocation d'une indemnité pour frais de défense selon l'article 429 al. 1 let. a CPP n'est pas limitée aux cas de défense obligatoire visés par l'article 130 CPP. Elle peut être accordée dans les cas où le recours à un avocat apparaît tout simplement raisonnable. Il faut garder à l'esprit que le droit pénal matériel et le droit de procédure sont complexes et représentent, pour des personnes qui ne sont pas habituées à procéder, une source de difficultés. Celui qui se défend seul est susceptible d'être moins bien loti. Cela ne dépend pas forcément de la gravité de l'infraction en cause. On ne peut pas partir du principe qu'en matière de contravention, le prévenu doit supporter en général seul ses frais de défense. Autrement dit, dans le cadre de l'examen du caractère raisonnable du recours à un avocat, il doit être tenu compte, outre de la gravité de l'infraction et de la complexité de l'affaire en fait ou en droit, de la durée de la procédure et de son impact sur la vie personnelle et professionnelle du prévenu » (ATF 142 IV 45, cons. 2.1 et les références citées). « Par rapport à un délit ou à un crime, ce n'est qu'exceptionnellement que l'assistance d'un avocat peut être considérée comme ne constituant pas un exercice raisonnable des droits de la défense. Cela pourrait par exemple être le cas lorsque la procédure fait immédiatement l'objet d'un classement après une première audition » (arrêt du TF du 25.02.2016 [6B_403/2015] cons. 2.1 et les références citées).

                        En l’espèce, on peut considérer avec le recourant que la tournure qu’avaient pris les événements justifiait qu’il fasse appel à la défense de ses intérêts par un professionnel et qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances en aurait fait de même. En effet, d’une part, l’infraction de dénonciation calomnieuse n’est pas d’un maniement si aisé dans le contexte décrit ici, lorsque sur le principe une infraction est écartée alors qu’en apparence – comme le Ministère public le retient implicitement dans son analyse de l’article 426 al. 2 CPP –, elle aurait pu être réalisée, puisque les quantités dénoncées sont incorrectes. D’autre part, la situation personnelle de X.________ – qui semble avoir renoué avec le monde du travail, de même qu’avoir retrouvé une certaine stabilité familiale au sens large – présentait un enjeu certain. Le recourant pouvait à première vue risquer la révocation d’un sursis (qui n’est pas d’emblée exclue même s’il s’agissait d’infractions différentes) qui lui avait été accordé en lien avec la condamnation prononcée à son encontre suite à son audition du 1er février 2019, lors de laquelle précisément il avait dénoncé Y.________ (voir la condamnation du 19.06.2019 sur l’extrait actualisé du casier judiciaire, où une peine privative de liberté de 20 mois est assortie d’un sursis avec un délai d’épreuve de 3 ans). Il s’en suit que l’indemnité au sens de l’article 429 al. 1 CPP était sur le principe due. Reste à en évaluer le montant.

                        b) Le recourant prétend à l’indemnisation de 300 francs pour deux demi-journées de congé qu’il a dû prendre pour se rendre aux auditions, puisqu’il a perdu des heures de travail alors qu’il était sous contrat de travail temporaire, ainsi qu’une indemnité pour ses frais de défense, l’assistance d’un avocat étant justifiée.

                        S’agissant tout d’abord des deux demi-journées que le recourant indique avoir manquées dans son travail temporaire, on constate tout d’abord que l’audience du 27 novembre 2019 s’est déroulée après la fin de sa deuxième mission. Si celle du 28 octobre 2019 tombait effectivement l’avant-dernier jour de sa mission précédente, le recourant n’amène pas la preuve qu’il n’a pas été en mesure de permuter son engagement sur cette période et qu’il a effectivement dû renoncer à des heures qui lui auraient été rémunérées du fait de cette audience, le certificat établi par la société E.________ le 12 décembre 2019 ne donnant pas à cet égard suffisamment d’informations.

                        Pour ce qui est des honoraires à indemniser, on retiendra les opérations jusqu’à la décision de classement seulement (voir cons. 5 ci-dessous). La durée consacrée à l’affaire – et facturée comme telle – correspond à 2h40 de travail d’avocat et 2h10 (durée facturée) de stagiaire. Les tarifs-horaire de 300 francs pour une collaboratrice d’étude et 180 francs pour une stagiaire sont trop élevés et il convient, pour une affaire qui ne présente pas une difficulté très importante, de ramener le tarif-horaire à 250 francs pour le maître de stage et 150 francs pour la stagiaire ([ARMP.2019.54] du 20.06.2019, cons. 4.1), ce qui conduit à un total de 991,65 francs, que l’on arrondira à 1'175 francs, frais et TVA inclus. C’est ce montant qui sera alloué au titre des frais de défense de X.________ pour la phase menant à la décision de classement.

5.                            Pour la phase de recours, le recourant sollicite l’assistance judiciaire. Comme indiqué, le Ministère public avait refusé d’allouer l’assistance judiciaire à X.________ pour la phase de procédure devant lui, sans que sa décision ne soit attaquée en recours. Sans préjuger de l’issue qui aurait été réservée à un tel recours, il faut souligner que la question de la difficulté de la cause se présente différemment au stade de l’autorité de céans, plus spécialement dans une affaire où n’est plus seulement en cause la réalisation des éléments objectifs et subjectifs d’une infraction, sur la base des faits que le prévenu est à même de décrire lui-même, mais également l’application des dispositions du code de procédure pénale sur les frais et dépens, ainsi que la jurisprudence y relative. Dans cette perspective, il convient d’octroyer l’assistance judiciaire à X.________, pour la phase de recours, les conditions de l’article 132 al. 2 CPP étant réalisées (le recourant est indigent et la cause présente des difficultés qu’il ne peut pas surmonter seul). Le justiciable qui est au bénéfice de l’assistance judiciaire n’a pas droit à des dépens (arrêt du TF du 08.07.2013 [6B_234/2013], cons. 5.2). La durée annoncée par Me F.________, qui sera désignée en qualité d’avocate d’office de X.________ pour la phase de recours, soit 4h15, sera indemnisée à hauteur de 180 francs par heure, d’où un montant total de 765 francs, plus 5 % de frais et 7,7 % de TVA, pour un total de 865,10 francs.

6.                            Vu ce qui précède, le recours doit être admis et l’ordonnance querellée réformée en ses chiffres 3 et 4, en ce sens que les frais de la cause sont laissés à la charge de l’Etat et que X.________ a droit à une indemnité de 1'175 francs pour ses frais de défense nécessaires devant le Ministère public.

                        Les frais du présent arrêt restent à la charge de l’Etat et, comme on l’a vu ci-dessus, le prévenu qui bénéficie de l’assistance judiciaire n’a pas droit à des dépens.

Par ces motifs,
l'Autorité de recours en matière pénale

1.    Admet le recours et réforme les chiffres 3 et 4 de la décision du 23 décembre 2019 en les reformulant comme suit :

« 3.   Laisse les frais à la charge de l’Etat.

  4.    Alloue à X.________ un montant de 1'175 francs au titre de frais de dépense nécessaire pour la phase devant le Ministère public ».

2.    Met X.________ au bénéfice de l’assistance judiciaire pour la procédure de recours et désigne Me F.________ en qualité de mandataire d’office. 

3.    Laisse les frais du présent arrêt à la charge de l’Etat.

4.    N’alloue pas de dépens.

5.    Fixe l’indemnité d’avocate d’office de Me F.________ pour la phase de recours à 865,10 francs.

6.    Dit que X.________ est dispensé de rembourser à l’Etat le montant alloué au chiffre 5 du présent dispositif.

7.    Notifie le présent arrêt à X.________, par Me F.________, au Ministère public, Parquet régional de La Chaux-de-Fonds (MP.2019.4643).

Neuchâtel, le 7 février 2020 

Art. 319 CPP
Motifs de classement
 

1 Le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure:

a. lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi;

b. lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis;

c. lorsque des faits justificatifs empêchent de retenir une infraction contre le prévenu;

d. lorsqu’il est établi que certaines conditions à l’ouverture de l’action pénale ne peuvent pas être remplies ou que des empêchements de procéder sont apparus;

e. lorsqu’on peut renoncer à toute poursuite ou à toute sanction en vertu de dispositions légales.

2 A titre exceptionnel, le ministère public peut également classer la procédure aux conditions suivantes:

a. l’intérêt d’une victime qui était âgée de moins de 18 ans à la date de commission de l’infraction l’exige impérieusement et le classement l’emporte manifestement sur l’intérêt de l’État à la poursuite pénale;

b. la victime ou, si elle n’est pas capable de discernement, son représentant légal a consenti au classement.

Art. 426 CPP
Frais à la charge du prévenu et des parties dans le cadre d’une procédure indépendante en matière de mesures
 

1 Le prévenu supporte les frais de procédure s’il est condamné. Font exception les frais afférents à la défense d’office; l’art. 135, al. 4, est réservé.

2 Lorsque la procédure fait l’objet d’une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s’il a, de manière illicite et fautive, provoqué l’ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

3 Le prévenu ne supporte pas les frais:

a. que la Confédération ou le canton ont occasionnés par des actes de procédure inutiles ou erronés;

b. qui sont imputables aux traductions rendues nécessaires du fait qu’il est allophone.

4 Les frais de l’assistance judiciaire gratuite de la partie plaignante ne peuvent être mis à la charge du prévenu que si celui-ci bénéficie d’une bonne situation financière.

5 Les dispositions ci-dessus s’appliquent par analogie aux parties dans une procédure indépendante en matière de mesures, lorsque la décision est rendue à leur détriment.

Art. 429 CPP
Prétentions
 

1 Si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s’il bénéficie d’une ordonnance de classement, il a droit à:

a. une indemnité pour les dépenses occasionnées par l’exercice raisonnable de ses droits de procédure;

b. une indemnité pour le dommage économique subi au titre de sa participation obligatoire à la procédure pénale;

c. une réparation du tort moral subi en raison d’une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté.

2 Lautorité pénale examine d’office les prétentions du prévenu. Elle peut enjoindre à celui-ci de les chiffrer et de les justifier.