A.                            a) Depuis le 4 avril 2019, X.________, né en 1953 et paysagiste retraité, était hospitalisé à titre volontaire à l’hôpital psychiatrique Y.________, en raison d’une dépression avec idées suicidaires (cf. le dossier médical, dont une copie est annexée à celui de la procédure ; voir en particulier le rapport d’entretien d’admission). Il avait déjà séjourné dans le même établissement, pour le même motif, en 2016 et 2017, ainsi qu’à quelques reprises précédemment (fiche dans le dossier médical). Depuis le 5 avril 2019, il pouvait sortir accompagné, puis dès le 10 du même mois se promener seul sur le site.

                        b) Divers médicaments lui étaient prescrits, notamment des somnifères et des antidépresseurs. Avant son entrée à Y.________, le patient avait pris du Remeron, contenant de la mirtazapine, soit un médicament inhibiteur sélectif de la recapture de sérotonine (ISRS) ; ce traitement ne semblait pas lui convenir et il a été arrêté le 5 avril 2019 (la feuille de prescription indique la date du 5 avril 2019 pour « Stop » de ce médicament). Selon ses médecins, la médication avait été adaptée au moment de l’admission du patient, afin de mieux traiter sa symptomatologie, notamment des ruminations anxieuses et des troubles du sommeil ; aucun des médicaments alors prescrits n’entraînait la nécessité d’une vigilance particulière et il n’existait pas de preuve mettant en évidence une augmentation du taux de suicide avec de tels médicaments, les traitements antidépresseurs et anxiolytiques faisant par ailleurs partie de l’arsenal thérapeutique pour prendre en charge les patients souffrant d’un trouble dépressif moyen.

                        c) Le patient était parfois fatigué, mais aimait faire beaucoup d’activités et voulait se forcer à aller mieux. Des protocoles particuliers sont établis en cas de risque suicidaire ; dans le cas de X.________, il n’y en avait pas, car le patient n’exprimait pas d’idées funestes, mais il voyait un médecin tous les jours. X.________ a été décrit par un infirmier comme un patient qui avait de la peine à s’exprimer, dont on sentait qu’il ne disait pas tout, respectueux et souvent content et souriant ; pour des renseignements sur le séjour à l’hôpital, on peut en outre se référer à la feuille de « transmissions ciblées en soins infirmiers », qui se trouve dans le dossier médical.

                        d) Il partageait une chambre avec un autre patient, A.________, né en 1938. Celui-ci n’avait pas cherché à faire connaissance et ils se contentaient de se dire bonjour et bonsoir. Selon ses médecins, X.________ n’a pas demandé à changer de chambre et aucun élément ne justifiait un tel changement (dans le dossier médical et notamment dans les documents de suivi, aucune mention n’est faite d’une demande que le patient aurait formulée en ce sens).

                        e) Le 18 avril 2019, le patient a été vu par un médecin, avec son épouse. Il disait aller mieux, mais admettait que c’était bien qu’il reste à l’hôpital. Il niait toute idéation suicidaire et se projetait vers l’avenir, disant devoir jouer en mai dans une pièce de théâtre avec son fils. Son épouse a demandé s’il pouvait avoir un jour de congé le week-end suivant. Le médecin a donné son accord pour un congé le dimanche de Pâques, 21 avril 2019, en précisant que le patient devait être bien entouré et que « si ça ne joue pas, on laisse les numéros de l’équipe pour nous contacter » (selon les médecins, cela voulait dire que la famille devait faire part téléphoniquement à l’équipe médicale, pendant le congé, de tout changement de l’état clinique du patient). Il était prévu que si ce congé se passait bien, un autre congé avec une nuit à l’extérieur serait accordé. Le traitement médicamenteux a été expliqué. Le médecin a relevé que le patient était compliant au traitement.

                        f) Un médecin a encore vu le patient le 20 avril 2019. Il a noté une bonne thymie ; le patient se sentait en sécurité à l’hôpital, niait la présence d’idées suicidaires et s’engageait à solliciter de l’aide au besoin ; il attendait sa sortie du lendemain.

                        g) Un deuxième congé était déjà prévu pour le 22 avril 2019, de 14h00 à 19h00, pour que le patient puisse aller voir un match de football et/ou retrouver son épouse.

B.                            a) X.________ a ainsi eu congé le 21 avril 2019, pour aller passer la journée avec sa famille. Il a quitté l’hôpital à 09h30. Selon ses médecins, aucun élément spécifique n’amenait à penser que le congé pouvait le déstabiliser.

                        b) Il n’y a pas eu d’appel téléphonique de la famille au cours du congé. D’après ses proches, X.________ n’a pas tenu de propos funestes, a dit se réjouir d’aller voir un match de football le lendemain et est rentré serein à Y.________. Il est rentré à 18h30 à l’hôpital.

                        c) Selon un infirmier, au moment de son retour à l’hôpital, le patient semblait aller bien et était souriant. Vers 19h00, X.________ a dit à une aide-soignante qu’il avait passé une bonne journée avec sa famille et qu’il n’avait pas faim ; il était bien. Selon les médecins, le retour de la famille envers l’équipe infirmière concernant le congé et l’évaluation par le médecin de garde n’amenaient aucun élément clinique justifiant une surveillance particulière, en plus des passages et accompagnements réguliers de l’infirmière de nuit dans le service.

C.                            a) Dans la nuit du 21 au 22 avril 2019, il y avait un infirmier dans chacun des deux services G1 et G2, ainsi qu’une aide-soignante travaillant dans les deux services en fonction des besoins des patients, pour 18 lits dans chaque service.

                        b) X.________ a été vu par le médecin de garde de nuit, vers 21h20 le 21 avril 2019. Le médecin a noté que le contact était bon, que le patient se montrait « de bonne humeur, calme, collaborant » et qu’il était « content d’avoir passé la journée avec sa famille qui aurait arrangé une journée agréable pour lui ». Le patient avait un « discours cohérent et informateur ». Il ne présentait pas de labilité émotionnelle, ni d’anxiété en rapport avec le retour à l’hôpital ou liée à la nuit. Il se faisait du souci au sujet d’un projet pour fin mai avec son fils, car il ne savait pas s’il pourrait le finir dans le délai attendu ; cette question devait être reprise avec l’équipe à partir du mardi suivant. Le patient niait avoir des idées noires ou suicidaires et disait avoir de l’espoir pour son avenir après l’hospitalisation. Il s’engageait à demander de l’aide en cas de besoin. Son projet du soir était de prendre son traitement et de se coucher, sans regarder la télévision car il était fatigué.

                        c) Le patient s’est ensuite rendu auprès de l’infirmière de garde, B.________, qui lui a donné ses médicaments du soir ordinaires, dont un somnifère.

                        d) Il est habituel que les infirmiers de garde fassent le tour des chambres vers minuit, 03h00 et 06h00 ; la tournée prend environ un quart d’heure, quand aucun patient n’interpelle l’infirmier qui la fait. Les tournus minimaux sont établis, mais il y a plus de tournées si c’est nécessaire.

                        e) La nuit du 21 au 22 avril 2019, l’infirmière a fait une ronde vers minuit et a vu X.________ couché dans son lit. Aux environs de 01h30-02h00, le patient s’est levé et est allé demander encore un somnifère à l’infirmière, en disant qu’il avait déjà dormi quelques heures et ne parvenait pas à se rendormir ; l’infirmière lui a donné un somnifère et il est retourné dans sa chambre ; il n’a pas tenu de propos funestes (selon l’infirmière, le patient avait déjà demandé un somnifère supplémentaire les deux nuits précédentes ; d’après la feuille de transmissions, il avait en fait reçu un somnifère la nuit avant son congé). L’infirmière a ensuite fait des rondes vers 03h00, puis aux environs de 05h30-06h00. À chacun de ses passages, X.________ était dans son lit ; A.________ se trouvait aussi dans la chambre.

D.                            a) En fin de nuit, plusieurs patients étaient agités. A.________ s’est levé vers 06h20-06h30 et était alors « très agité, adhésif », restant derrière l’infirmière de garde. Vers 07h00, il était dans le bureau des infirmiers, toujours assez agité, se plaignant d’avoir mal à la gorge et d’avoir de la peine à avaler, puis a fait des allers et retours dans le couloir et s’est ensuite assis dans un fauteuil à côté de ce bureau. Il était assez habituel que ce patient se plaigne de maux de gorge et du fait qu’il avait de la peine à déglutir. Selon l’un des médecins, l’état de l’intéressé n’était effectivement pas inhabituel, car un tel état survenait régulièrement et à plusieurs moments de la journée. Il était cependant peu usuel que le patient se lève aussi tôt que le jour en question. A.________ n’est apparemment pas retourné dans sa chambre après s’être levé.

                        b) Aucun membre du personnel de l’hôpital ne s’est rendu dans la chambre de X.________ entre 06h00 et 08h15-30 environ.

                        c) Dès 07h15, l’infirmière de garde a transmis les informations nécessaires à ses collègues de jour ; elle leur a dit que X.________ avait bien dormi et qu’elle avait parlé une fois avec lui durant la nuit ; l’équipe du soir a indiqué avoir parlé au patient et qu’il avait dit avoir vu ses petits-enfants et que son congé s’était bien passé. Le rapport s’est terminé entre 08h15 et 08h30, puis le personnel est allé faire la tournée des chambres.

E.                            a) Le matin du 22 avril 2019, à une heure qui ne résulte pas précisément du dossier, X.________ s’est pendu dans sa chambre. Il a attaché le câble électrique d’un appareil destiné à mesurer la pression à la tringle intérieure de l’armoire, a passé le câble autour de son cou, puis s’est pendu en position à genoux.

                        b) Vers 08h15 ou 08h30 (cela pourrait être légèrement après 08h30, car l’alarme d’urgence a été déclenchée à 08h37, selon la fiche de suivi), des soignantes –  C.________ et D.________ - ont trouvé X.________ pendu dans sa chambre. Elles ont rapidement été rejointes par l’infirmier E.________, ainsi que par un médecin. Des manœuvres de réanimation ont immédiatement été tentées. Le SMUR est intervenu. Après les tentatives de réanimation, qui ont duré environ une demi-heure, le décès a été constaté par un médecin, à 08h58.

F.                            a) Des policiers se sont rendus sur place, vers 09h00. Ils ont entendu, aux fins de renseignements, l’infirmier E.________ (les informations qu’il a fournies sont déjà reprises plus haut). Des relevés des lieux et des traces ont été effectués.

                        b) Dans l’après-midi du même jour, le Dr F.________, médecin-légiste, a procédé à un examen externe du corps. Il a conclu que les données de cet examen, jointes aux renseignements de police, étaient manifestement évocatrices d’un décès par pendaison incomplète, atypique, dans un contexte chronique de dépression. Aucun indice d’intervention d’un tiers n’avait été mis en évidence. Le décès était survenu en raison d’une asphyxie par compression passive faible des veines. Dans un tel cas, des hémorragies pétéchiales apparaissent après environ 20 secondes, puis éventuellement un saignement du nez, de la bouche et des oreilles et après environ une à deux minutes survient l’apnée et les mouvements respiratoires terminaux. Le rapport ne contient pas d’estimation concernant l’heure du décès (il semble que le médecin-légiste a dit à la police que les signes semi-tardifs de la mort étaient compatibles avec un décès survenu tôt le matin, le même jour, puisque le fichet de communication de la police le mentionne en relation avec l’examen externe).

G.                           a) Le 23 avril 2019, le ministère public a ouvert une instruction pour déterminer les causes et circonstances du décès de X.________, aux fins notamment d’exclure toute intervention ou négligence d’un tiers. La procureure a décerné des mandats d’investigation à la police.

                        b) Le même jour, la police a entendu aux fins de renseignements l’infirmière B.________ (les éléments utiles de ses déclarations ont déjà été repris plus haut).

                        c) Le 23 avril 2019, Me G.________, avocate, a écrit à la procureure que H.________, sœur du défunt, l’avait chargée de la représenter ; elle demandait à pouvoir consulter le dossier. Elle a reçu les pièces déjà disponibles et, le 24 avril 2019, a fait part à la procureure de divers éléments dont elle disait qu’ils l’interpellaient ; en particulier, elle relevait que l’heure du décès n’était pas établie par le dossier, s’étonnait qu’un dépressif sévère ait pu être placé dans la même chambre qu’un schizophrène, se disait surprise qu’il n’y ait pas eu de passage dans la chambre entre 05h30-06h00 et 08h30-08h45, mentionnait que les conditions d’une négligence paraissaient réalisées et se réservait de formaliser une plainte lorsque les éléments à réunir auraient pu être rassemblés. Le 25 avril 2019, la procureure lui a écrit pour lui donner quelques informations complémentaires.

                        d) La police a entendu A.________, aux fins de renseignements, le 30 avril 2019, en présence d’un mandataire de H.________ (le procès-verbal mentionne par erreur la date du 30 mai). Il a notamment déclaré que, le soir du 21 avril 2019, X.________ avait l’air bien et content de sa journée. Lui-même s’était couché vers 20h00. Il ne savait pas si son compagnon de chambre s’était levé pendant la nuit. Il a d’abord dit qu’il ne se souvenait pas de l’heure à laquelle il s’était levé le 22 avril 2019, mais qu’il se réveillait habituellement vers 07h00-07h30, puis déclaré qu’il s’était levé entre 07h15 et 07h45, étant alors surpris « de voir toutes ces personnes autour de [sa] chambre ». Il a aussi prétendu avoir crié toute la nuit, puis avoir passé celle-ci dans un fauteuil devant le bureau des infirmiers. Selon lui, il arrivait que X.________ se fâche quand lui-même criait (on peut déjà relever que les déclarations faites par l’intéressé trahissent une certaine confusion).

                        e) Le 2 mai 2019, la police a entendu l’aide-soignante D.________, aux fins de renseignements, également en présence d’un mandataire de H.________. Elle a encore entendu l’infirmier I.________, en la même qualité, le 2 juillet 2019. Les éléments utiles de leurs déclarations ont déjà été repris plus haut.

                        f) La mandataire de H.________ est intervenue à diverses reprises durant l’instruction, pour demander des actes d’enquête et faire part d’éléments de fait et réflexions ; elle relevait notamment que l’heure du décès ne ressortait pas du dossier. Les pièces du dossier lui ont été communiquées au fur et à mesure. La procureure a pris position sur les requêtes formulées, indiquant notamment qu’aucun expert sérieux ne se hasarderait à circonscrire très précisément l’heure du décès.

                        g) Le dossier médical de X.________ a été obtenu.

                        h) La police a déposé son rapport le 24 juillet 2019. Elle concluait que X.________ s’était donné la mort par pendaison, à l’aide d’un câble électrique accroché à la barre de la penderie de son armoire ; aucun indice ne permettait d’envisager l’intervention d’une tierce personne.

H.                            a) Le 25 juillet 2019, le ministère public a adressé à « H.________, lésée », par sa mandataire, un avis de prochaine clôture annonçant qu’il entendait clôturer la procédure par une ordonnance de classement. Dans une lettre du même jour à la même, il indiquait qu’il ne serait pas procédé à l’analyse des prélèvements effectués ; la durée de vie moyenne des médicaments de type ISRS n’était que d’un à deux jours et ils étaient entièrement éliminés après six jours, selon des renseignements obtenus du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML), alors que X.________ n’en avait plus pris depuis dix-huit jours au moment de son décès ; on ne pouvait pas exclure que le patient en ait pris de lui-même, mais cela n’aurait alors pas d’influence sur la négligence d’un tiers ; s’agissant de l’heure du décès, on savait que la veilleuse avait passé vers 05h30-06h00 et que le corps avait été retrouvé à 08h15 ; c’était plus précis que les méthodes scientifiques – décrites dans la lettre – qui peuvent être utilisées pour fixer l’heure d’un décès ; les investigations effectuées semblaient ainsi suffisantes.

                        b) Le 23 septembre 2019, la mandataire de H.________ a écrit à la procureure que la famille du défunt avait été étonnée par le contenu du dossier, qui ne correspondait pas à la version donnée par les médecins de l’institution ; elle indiquait que plusieurs membres de la famille souhaitaient être entendus par la procureure et non par la police, soit J.________, K.________ et L.________, afin que l’on puisse se faire une idée plus précise de ce qui s’était passé ; elle précisait que, suite à ces auditions, elle ferait la démonstration qu’une ordonnance de classement était impossible, car des infractions d’homicide par négligence et d’exposition devraient être retenues.

                        c) Invitée à préciser les motifs pour lesquels les auditions étaient demandées, la mandataire a indiqué le 7 octobre 2019 que les témoins souhaitaient transmettre les « informations identiques reçues de la part des médecins et infirmiers le matin du décès », plus particulièrement « sur le fait que ces représentants du corps médical ont dit à la famille que la personne qui partageait la chambre du défunt avait fait une crise ayant nécessité son retrait de la chambre et qu’à aucun moment une personne n’[était] allée vérifier pour voir ce qui se passait dans ladite chambre » ; les témoignages devaient aussi porter sur le fait que les médecins avaient dit aux membres de la famille que X.________ « avait reçu un autre médicament dont un des effets possibles était qu’il pouvait faire courir le risque à un patient suicidaire de passer à l’acte » et qu’après une journée en famille, « le retour à l’hôpital pouvait être très difficilement vécu et que, sur ce plan, la vigilance médicale devait être renforcée ».

                        d) La procureure a demandé que les membres de la famille de X.________ indiquent quels membres du personnel médical auraient fait les déclarations rapportées, puis s’ils avaient tous les trois assisté aux mêmes faits. La mandataire a répondu que les trois membres de la famille devaient être entendus comme témoins, mais qu’il était vraisemblable que les deux enfants du défunt se constitueraient parties plaignantes après les auditions ; selon leurs réponses, la qualité des personnes à entendre ultérieurement pourrait être déterminée. La procureure a ensuite à nouveau invité les intéressés à indiquer avec qui ils avaient eu des entretiens, afin de pouvoir juger de la pertinence des auditions requises. La mandataire a répondu que les trois intéressés avaient eu des discussions avec le médecin de garde, le Dr M.________, le médecin référent du patient, la Dre N.________, le chef de clinique, le Dr O.________, et le médecin-chef de l’unité, le Dr P.________.

                        e) La procureure a alors décidé que les quatre médecins en question seraient entendus par questionnaires écrits, les requérants étant invités à déposer les questions qu’ils entendaient leur faire poser.

                        f) La mandataire a insisté, sans succès, pour que la procureure entende les membres de la famille X.________ dont l’audition était proposée, puis déposé le 9 janvier 2020 un questionnaire destiné aux médecins, questionnaire que la procureure a transmis le 13 février 2020 à la direction médicale de l’institution Y.________.

                        g) Les réponses des médecins ont été envoyées le 26 mai 2020. Le Dr M.________ a indiqué qu’il ne pouvait répondre à aucune des questions, car il ne suivait pas le patient de manière régulière. Le Dr O.________ a notamment écrit qu’à la suite du décès de X.________, des pratiques avaient été revues, en rapport avec l’intervention du médecin de garde et de l’annonce d’un décès à la famille ; toutes les tringles des armoires avaient en outre été changées, afin qu’elles ne supportent plus un poids supérieur à dix kilogrammes ; par contre, des mesures telles que la multiplication des visites ou la surveillance vidéo ne constitueraient pas des améliorations de la prise en charge, mais les visites aux patients pourraient être augmentées selon les besoins estimés. Pour le surplus, les éléments utiles des réponses des médecins ont déjà été repris plus haut.

                        h) Informée de ces réponses, la mandataire de la famille X.________ a indiqué que, selon les proches qui souhaitaient être entendus, les médecins leur avaient dit « avoir introduit un autre médicament pouvant avoir des effets secondaires notamment en termes de suicidalité », que le « plein d’émotions » d’une journée en famille pouvait augmenter le risque de passage à l’acte et nécessitait donc une plus grande vigilance de la part du personnel médical, que le compagnon de chambre du défunt avait dû être sorti de la pièce tôt le matin en raison d’un état de crise inhabituel et qu’ils avaient entendu la demande de X.________ de changer de chambre car il ne supportait plus les crises habituelles de son voisin ; les membres de la famille X.________ estimaient que les réponses écrites des médecins ne reflétaient pas forcément la réalité et réitéraient leur demande d’être eux-mêmes entendus, sur ce que leur avaient dit les médecins au sujet de la surveillance et des médicaments, ainsi que sur l’état de leur proche et les raisons pour lesquelles ils avaient souhaité son hospitalisation ; selon eux, les passages réguliers qui auraient dû être effectués régulièrement dans la nuit précédant le décès n’avaient pas été faits et il aurait fallu aller voir dans la chambre de X.________ quand le personnel avait vu son voisin de chambre en sortir dans un état de crise inhabituelle ; par ailleurs, il était triste qu’il faille un tel drame pour que l’on change les tringles des armoires.

I.                              Par ordonnance du 9 juillet 2020, notamment notifiée sous pli recommandé à la « Famille de X.________ » (par la mandataire), le ministère public a décidé le classement de la procédure, les frais étant laissés à la charge de l’État. Il a constaté qu’après l’audition des médecins par voie de questionnaire, aucune question complémentaire n’avait été posée. Pour la procureure, les déclarations des proches souhaitant être entendus ne seraient pas pertinentes ; elles avaient déjà été résumées par leur mandataire. Si les proches semblaient avoir perçu les déclarations des médecins d’une autre manière que cela avait été indiqué par ceux-ci, aucun des éléments avancés par ces proches n’était susceptible d’apporter des preuves pertinentes pour déterminer s’il y avait eu ou non une négligence coupable ; les déclarations des proches n’étaient en outre pas utiles pour déterminer quels médicaments avaient été administrés, car le dossier en contenait déjà la liste. L’enquête ne permettait pas d’établir que le voisin de chambre du défunt se serait trouvé dans un état de crise inhabituel, mais elle démontrait qu’il avait quitté la chambre vers 06h30 ; on ne savait pas si le décès de X.________ était intervenu avant ou après cette heure-là et aucun acte d’enquête ne permettrait de le déterminer. D’éventuelles demandes de X.________ de changer de chambre n’étaient pas documentées par le dossier et les médecins n’en avaient pas parlé (de toute manière, ce fait ne pouvait avoir entraîné le décès, dans un lien de causalité adéquate). Les témoignages requis n’étaient dès lors pas pertinents. Sur la question de savoir si la manière dont X.________ avait été surveillé constituait une négligence coupable, le ministère public a considéré qu’il n’était pas possible d’exclure tout risque de suicide. L’état de santé du patient ne nécessitait pas qu’il soit placé dans une chambre capitonnée et sous surveillance visuelle constante. Ni la famille, ni le personnel médical n’avaient, au retour du patient à l’hôpital après son congé du 21 avril 2019, relevé d’élément qui aurait laissé craindre un passage à l’acte, ce que les proches, par leur mandataire, avaient d’ailleurs eux-mêmes souligné plusieurs fois. L’heure exacte du décès ne pouvait pas être déterminée scientifiquement. On ne saurait donc jamais s’il était survenu quelques minutes après le passage d’un soignant ou plus tard. Même des passages rapprochés ne l’auraient pas empêché. Comme on ne savait pas non plus si le décès était survenu avant ou après la sortie du voisin de chambre, il était impossible de déterminer si le passage d’un surveillant après cette sortie aurait pu empêcher le suicide. Le fait que X.________ ait eu un câble électrique à sa disposition et que la tringle de l’armoire ait pu supporter un certain poids n’était pas dans un rapport de causalité adéquate avec le décès. L’absence de l’un ou de l’autre de ces objets n’aurait pas été de nature à empêcher totalement le résultat. Il n’y avait dès lors pas lieu de retenir un lien de causalité entre les éventuelles omissions reprochées et le décès. Le classement s’imposait.

J.                       Le 21 juillet 2020, H.________, J.________ et K.________ recourent contre l’ordonnance de classement, en concluant à son annulation et au renvoi de la cause au ministère public pour l’ouverture et la mise en œuvre d’une instruction, avec suite de frais et dépens. Ils exposent, en résumé, que la fréquence du passage auprès de X.________, qui avait été hospitalisé pour des idées funestes, n’a pas été respectée, puisque la veilleuse de nuit a passé vers 06h00, le patient étant ensuite retrouvé pendu vers 08h15. Aucun protocole particulier n’avait été établi au sujet de ce patient, contrairement à ce qui avait été dit à sa famille. Cela aurait été nécessaire, car la médication avait été changée et il s’était rendu un jour chez sa famille. Le patient a été traité avec un ISRS, médicament extrêmement dangereux. Le suicide est incompréhensible, car le patient était, dans les jours et le soir précédents, de bonne humeur et calme. Les déclarations des membres du personnel sont contradictoires concernant les circonstances dans lesquelles A.________ a quitté sa chambre. Les médecins entendus n’ont pas été transparents. Les recourants affirment que les médecins leur avaient dit que X.________ avait reçu un autre médicament pouvant avoir des effets secondaires, notamment en termes de suicidalité (médicament de la classe ISRS), que la journée passée en famille pouvait augmenter le risque de passage à l’acte, que le voisin de chambre avait dû être sorti car il était dans un état de crise inhabituel et que X.________ avait demandé à changer de chambre car il ne supportait plus ce voisin. Les recourants demandent à être entendus, ainsi que l’audition de L.________, pour pouvoir démontrer qu’il y a eu de graves négligences dans la surveillance du patient, négligences qui ont causé l’issue fatale. Les médecins auraient commis une faute professionnelle grave s’ils avaient prescrit un médicament de la classe ISRS et omis d’informer le patient et la famille des conséquences dangereuses de cette médication. Les recourants relèvent que la procureure a refusé d’investiguer sur l’heure du décès et son hypothèse selon laquelle des passages plus rapprochés dans la chambre du patient n’auraient pas empêché le décès est infondée. Ils reprennent ensuite le texte de l’une de leurs requêtes tendant aux auditions de proches. Selon eux, suite aux réponses laconiques des médecins – qui n’ont été entendus que par voie de questionnaire – entendre les proches qui avaient parlé avec eux était une nécessité. Le personnel soignant avait une position de garant envers le patient et la situation aurait exigé une plus grande vigilance. Pour les recourants, les infractions d’homicide par négligence et d’exposition devront être retenues : le suicide était prévisible et il y a eu négligence coupable. La décision entreprise donne l’impression que le ministère public a « retenu la version la plus favorable afin de classer le dossier, sans vérifier si ces déclarations étaient erronées ».

K.                            Le 30 juillet 2020, le ministère public a indiqué qu’il renonçait à toute observation.

C O N S I D é R A N T

1.                            Interjeté dans les formes et délai légaux, le recours est recevable à cet égard.

2.                            a) D’après l’article 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation ou à la modification d’une décision a qualité pour recourir contre celle-ci.

                        b) Selon des auteurs, cette disposition n’établit pas de liste exhaustive des situations visées et la définition de partie doit être entendue au sens large et comprendre, en sus des parties stricto sensu (art. 104 CPP), les autres participants à la procédure (art. 105 CPP), pour autant que ceux-ci aient participé à la procédure de première instance et aient un intérêt juridique à recourir ; en particulier, le lésé a qualité pour recourir, pour autant qu’il se soit constitué partie plaignante, contre une ordonnance de classement ; cela vaut aussi pour le lésé qui n’a pas eu la possibilité de se constituer partie plaignante, ce qui peut être le cas en cas d’ordonnance de non-entrée en matière (Moreillon/Parein-Reymond, Petit commentaire CPP, 2ème éd., n. 4 et 5 ad art. 382). Des auteurs considèrent que la qualité de partie devant la juridiction inférieure est en principe une condition de la qualité pour recourir (Ziegler/Keller, Basler Kommentar, 2ème éd., n. 1 ad art. 382). Un autre auteur estime que la qualité pour recourir devrait être reconnue au lésé, du moins sur la question de la culpabilité, quand bien même il ne se serait pas formellement constitué partie plaignante (Calame, in : CR CPP, 2ème éd., n. 13 ad art. 382).

                        b) Pour le Tribunal fédéral, la notion de partie visée à l'article 382 al. 1 CPP doit être comprise au sens des articles 104 et 105 CPP et l’article 104 al. 1 let. b CPP reconnaît notamment cette qualité à la partie plaignante soit, selon l'article 118 al. 1 CPP, au lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (arrêt du TF du 05.08.2014 [6B_194/2014] cons. 3.2.2). Plus récemment, le Tribunal fédéral a confirmé la qualité pour recourir du lésé qui s'est constitué demandeur au pénal, indépendamment d'éventuelles conclusions civiles (TF 05.05.2017 [6B_531/2016] cons. 3.1, qui se réfère à ATF 139 IV 78 cons. 3).

                        c) Avant les arrêts fédéraux cités ci-dessus, l’Autorité de recours en matière pénale a considéré qu’avait qualité pour recourir contre une décision de classement « le dénonciateur pour autant qu'il se soit constitué partie plaignante ou qu'il soit pour le moins lésé (Calame, in Commentaire romand no 15 art. 382 CPP) » (arrêt de l’ARMP du 04.04.2014 [ARMP.2013.107] cons. 2).

                        d) Faut-il reconnaître au lésé, qui est un participant à la procédure au sens de l’article 105 CPP (au même titre que, par exemple, le témoin et l’expert), la qualité pour recourir contre une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement, quand il ne s’est pas constitué demandeur au pénal, ni au civil, alors qu’il en aurait eu la possibilité ? La réponse paraît devoir être négative, dans la mesure où se constituer demandeur au pénal dans une procédure dirigée par le ministère public, soit déposer une plainte ou déclarer vouloir intervenir comme partie plaignante, est une formalité particulièrement simple que l’on peut exiger de tout lésé qui entend exercer les droits d’une partie, soit en particulier le droit de recourir contre des décisions, au sens de l’article 382 al. 1 CPP. Il serait curieux qu’un lésé puisse, en s’abstenant de se constituer demandeur au pénal, s’affranchir du risque que des frais d’instruction soient mis à sa charge en cas de classement, que la partie plaignante peut être appelée à assumer (art. 427 CPP), tout en prétendant à la qualité de « partie » au sens de l’article 382 al. 1 CPP pour ensuite déposer un recours. Cette conclusion suit la doctrine majoritaire et paraît également en phase avec la jurisprudence fédérale.

                        e) Une décision vaudoise (décision de la Chambre des recours pénale du 04.07.2018 [Décision/2018/539] cons. 1.2 à 1.4) rappelle que la déclaration de constitution de partie plaignante doit être faite devant une autorité de poursuite pénale avant la clôture de la procédure préliminaire (art. 118 al. 3 CPP ; cf. art. 299 ss CPP), à savoir avant qu'une décision de classement ou de mise en accusation soit rendue. La constitution de partie plaignante ne peut plus se faire après la clôture de la procédure préliminaire. Selon l'article 118 al. 4 CPP, si le lésé n'a pas fait spontanément de déclaration, le ministère public attire son attention dès l'ouverture de la procédure préliminaire sur son droit d'en faire une. Le CPP ne prévoit aucune sanction en cas de défaut d'information de la part du ministère public. Toutefois, lorsque la loi confère à l'autorité un devoir d'information qu'elle a complètement omis de satisfaire, l'administré peut, en se prévalant de la protection de la bonne foi, exiger de l'autorité qu'elle entre en matière sur sa demande quand bien même ses droits seraient prescrits. La décision vaudoise retient qu’il faut ainsi admettre que, lorsque le ministère public a omis de faire l'information prévue à l'article 118 al. 4 CPP, le lésé doit être autorisé à se constituer partie plaignante ultérieurement. Quand un lésé s’est réservé le droit de déposer plainte, cette réserve ne saurait être considérée comme une renonciation à ses droits, au sens de l’article 120 al. 1 CPP, et le ministère public doit alors attirer l’attention du lésé sur son droit de se constituer partie plaignante, avant de rendre une ordonnance de classement, d’autant plus quand le lésé s’est formellement réservé la possibilité d’agir en ce sens. En vertu de l'article 3 al. 2 let. a CPP, qui prévoit que les autorités pénales se conforment au principe de la bonne foi, les personnes impliquées dans la procédure ne doivent subir aucun préjudice si l'information due selon la loi ne leur a pas été donnée. Une demande de constitution de partie plaignante déposée implicitement devant l'autorité de recours, par exemple par le dépôt d’un recours, doit être considérée comme valable et la qualité de partie plaignante du lésé peut ainsi être admise, de sorte qu’il a qualité pour recourir.

                        f) Dans le cas d’espèce, les recourants n’ont pas déposé de plainte pénale, ni se sont constitués parties plaignantes de manière formelle. Ils ont cependant, dans les faits, été considérés par la procureure comme des parties à la procédure, puisque leur mandataire a pu assister aux auditions de police et déposer des requêtes de preuves, a reçu du ministère public des décisions statuant sur ces requêtes, ainsi qu’ensuite l’avis de prochaine clôture, a pu déposer des observations après cet avis et a enfin reçu la notification de l’ordonnance de classement. Le dossier n’établit pas que la procureure aurait rappelé aux lésés leur droit de se porter parties plaignantes, au sens de l’article 118 al. 1 CPP. Les recourants étaient certes représentés par une avocate, dont on aurait pu attendre qu’elle ne se contente pas d’évoquer quelques fois la possibilité d’une constitution ultérieure de ses clients en qualité de parties plaignantes, mais fasse une déclaration expresse si elle entendait, le cas échéant, déposer ensuite, au nom de ses clients, un recours contre l’ordonnance de classement que le ministère public disait envisager de rendre. Cependant, il serait d’un formalisme excessif de considérer, dans les circonstances particulières du cas d’espèce, que l’absence de constitution de partie plaignante rendrait le recours irrecevable, faute de qualité pour agir. Le ministère public n’a d’ailleurs pas contesté la qualité pour recourir des recourants, quand il a été invité à présenter des observations sur le recours. Dès lors, la recevabilité du recours sera admise.

3.                            a) Selon l'article 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a), lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b), lorsque des faits justificatifs empêchent de retenir une infraction contre le prévenu (let. c), lorsqu'il est établi que certaines conditions à l'ouverture de l'action pénale ne peuvent pas être remplies ou que des empêchements de procéder sont apparus (let. d) ou lorsqu'on peut renoncer à toute poursuite ou à toute sanction en vertu de dispositions légales (let. e).

                        b) Cette disposition doit être appliquée en fonction du principe « in dubio pro duriore », qui signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (arrêt du TF du 05.04.2018 [6B_1098/2017] cons. 4.1).

4.                            a) Les recourants estiment que des infractions d’homicide par négligence (art. 117 CP) et d’exposition (art. 127 CP) ont été commises.

                        b)  Selon l'article 117 CP, celui qui, par négligence, aura causé la mort d'une personne sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire. Agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP).

                        c) D’après la jurisprudence (arrêt du TF du 11.03.2019 [6B_1287/2018] cons. 1.1), un comportement viole le devoir de prudence lorsque l'auteur, au moment des faits, aurait pu et dû, au vu des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte qu'il mettait en danger des biens juridiquement protégés de la victime et qu'il excédait les limites du risque admissible. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. La violation des devoirs de la prudence peut être déduite des principes généraux, si aucune règle spéciale de sécurité n'a été violée. Elle doit être fautive, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir reprocher à l'auteur une inattention ou un manque d'effort blâmable. Dans le domaine médical, le Tribunal fédéral considère que le médecin doit toujours soigner ses malades de façon appropriée et, en particulier, observer la prudence imposée par les circonstances pour protéger leur vie ou leur santé. Par conséquent, le médecin répond en principe de tout manquement à ses devoirs. La notion de manquement à ses devoirs ne doit cependant pas être comprise de telle manière que chaque acte ou omission qui, par un jugement a posteriori, aurait provoqué le dommage ou l'aurait évité, entrerait dans cette définition. Le médecin ne doit en principe pas répondre des dangers et des risques qui sont inhérents à tout acte médical ainsi qu'à toute maladie.

                        Le même arrêt (cons. 1.4.1) rappelle en outre que l'article 117 CP suppose un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et le décès de la victime. Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions sine qua non, c'est-à-dire si, sans lui, le résultat ne se serait pas produit ou du moins pas de la même manière ; il n'est pas nécessaire que l'événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat. La constatation du rapport de causalité naturelle relève du fait. Le rapport de causalité est qualifié d'adéquat lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit. La causalité adéquate sera admise même si le comportement de l'auteur n'est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le résultat soit dû à d'autres causes, notamment à l'état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers. En cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l'accomplissement de l'acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s'est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée. Pour l'analyse des conséquences de l'acte supposé, il faut appliquer les concepts généraux de la causalité naturelle et de la causalité adéquate. L'existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance ; autrement dit, elle n'est réalisée que lorsque l'acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat. La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l'acte attendu n'aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu'il serait simplement possible qu'il l'eût empêché.

                        d) L’article 127 CP, relatif à l’exposition, sanctionne celui qui, ayant la garde d'une personne hors d'état de se protéger elle-même ou le devoir de veiller sur elle, l'aura exposée à un danger de mort ou à un danger grave et imminent pour la santé, ou l'aura abandonnée en un tel danger.

                        e) L’application de cette disposition suppose que l'auteur assume un devoir de garde ou un devoir de veiller sur la victime, synonymes de position de garant, qui peut résulter d'une relation de fait qualifiée tenant à un engagement de protéger autrui, dans le cadre de rapports de confiance et de proximité particuliers dont découle une obligation personnelle de sécurité à l'égard de la victime. Cette dernière doit de surcroît se trouver hors d'état de se protéger. Est visé le cas d'une personne qui, dans une situation concrète, n'est pas elle-même en mesure de sauvegarder ou de retrouver son intégrité corporelle ou sa santé, en raison de diverses circonstances telles que, notamment, l'infirmité ou la maladie. Le comportement punissable consiste dans le fait que l’auteur met la personne qu’il doit protéger dans une situation de danger concret pour la vie ou l’intégrité corporelle, mais peut aussi consister à abandonner la personne qui se trouve dans une telle situation, alors qu’elle n’a pas été provoquée par l’auteur. Infraction de résultat, l'article 127 CP implique un danger concret, par quoi l'on vise un état de fait dans lequel il existe, d'après le cours ordinaire des choses, la probabilité ou un certain degré de possibilité que le bien juridique soit lésé, sans toutefois qu'un degré de probabilité supérieur à 50 % soit exigé. S'il s'agit d'un danger de mort, le texte légal n'exige pas que celui-ci soit en outre imminent. En revanche, s'il est question d'un danger pour la santé, ce dernier doit pouvoir être qualifié de grave, mais aussi d'imminent. Le danger est imminent lorsque sa réalisation paraît proche. On peut concevoir une exposition par omission lorsque l’auteur n’écarte pas un danger survenu, alors qu’il le pourrait et le devrait, et dans ce cas l’infraction de mise en danger est consommée par la persistance du danger. L’abandon consiste à ne pas prendre les mesures de protection qui s’imposent en présence d’un danger qui est déjà existant, indépendamment du comportement – actif ou passif – de l’auteur. Il peut consister aussi bien à s’en aller qu’à rester sur place sans rien faire (arrêt du TF du 11.03.2019 [6B_1287/2018] cons. 2.1 ; Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3ème éd., n. 9 à 13 ad art. 127 CP). En d’autres termes, est coupable un comportement passif qui consiste à abandonner la victime alors qu’elle se trouve aux prises avec une situation de danger que l’auteur n’a pas créée lui-même ; il s’agit alors d’une infraction d’omission pure ; toute omission des mesures de protection commandées par les circonstances réalise le comportement typique, y compris lorsque l’auteur ne reste pas complètement passif, mais omet néanmoins de fournir toute l’aide que l’on pouvait exiger de sa part (Dupuis et al., Petit commentaire CP, 2ème éd., n. 9 ad art. 127, avec des références). L'intention est nécessaire pour la réalisation de l’infraction, mais le dol éventuel suffit. Pour cela, il faut que l’auteur ait connu le risque, respectivement qu’il ait accepté les possibles conséquences dramatiques pouvant découler de son comportement (art. 12 al. 2 CP ; arrêt du TF du 19.07.2017 [6B_974/2016] cons. 6).

5.                            a) En l’espèce, il résulte des faits établis plus haut que X.________ était hospitalisé à titre volontaire en raison d’un état dépressif, avec risque de suicide. Au moment de son décès, il se trouvait à Y.________ depuis dix-huit jours et une fin d’hospitalisation n’était apparemment pas à l’ordre du jour. Il n’était donc pas encore guéri, même si son état s’était amélioré, puisqu’il avait pu bénéficier d’un congé le 21 avril 2019 et qu’un autre congé était prévu pour le lendemain. La situation rendait dès lors nécessaire un suivi attentif du patient de la part des médecins, infirmiers et aides-soignants, mais a priori pas plus attentif que pour n’importe quel patient souffrant de dépression. Lors des entretiens que X.________ avait eus avec des soignants, il n’avait, depuis un certain temps déjà, plus émis d’idées funestes et il paraissait se projeter dans l’avenir, avec des projets concrets pour le jour même de son acte désespéré (congé le 22 avril 2019 pour aller voir son épouse et se rendre à un match de football) et pour les semaines suivantes (activité prévue vers fin mai avec son fils). Le risque d’un suicide, s’il était toujours envisagé par le personnel médical – cf. les notes des médecins, qui relevaient expressément l’absence d’idées suicidaires chez le patient ; de telles mentions n’auraient pas eu de sens si un tel risque avait été entièrement exclu –, semblait avoir perdu de son acuité.

                        b) Contrairement à ce que les recourants paraissent vouloir soutenir, le patient ne recevait plus, depuis le moment de son admission à l’hôpital, de médicament de type ISRS (Remeron), qu’il avait pris irrégulièrement avant celle-ci. Cette médication a été stoppée avec effet au 5 avril 2019, soit le lendemain de son admission à l’hôpital. Il paraît exclu que le patient s’en soit administré à l’insu de ses médecins, en particulier parce que lors d’un rendez-vous qu’il avait eu le 2 avril 2019 avec un infirmier, il s’était plaint des effets secondaires de ce médicament et que rien n’indique qu’il en aurait encore eu à sa disposition, à l’insu des soignants. La prise de Remeron jusqu’au 4 avril 2019 ne pouvait plus exercer d’effet sur le patient le 22 avril 2019, selon les renseignements recueillis par la procureure auprès du CURML (il aurait été préférable que ce renseignement soit documenté autrement que dans une lettre de la procureure à la mandataire des recourants, mais ceux-ci ne soutiennent pas le contraire, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question plus avant). Il est donc irrelevant que le Remeron puisse éventuellement, comme la littérature médicale ne l’exclut pas entièrement, avoir pour effet d’accroître le risque de suicide chez celui qui le prend.

                        c) Les recourants allèguent, de manière plus générale, qu’un ou des médecins leur auraient dit que X.________ prenait un médicament qui pouvait augmenter le risque de suicide. Ils n‘indiquent pas qui aurait dit cela, ni à qui cela aurait été dit et quand, alors qu’ils ont disposé de multiples occasions de faire valoir leurs arguments, notamment quand la procureure leur a expressément demandé des précisions sur cette question. Ils ne disent pas non plus de quel médicament il s’agirait. Les médecins entendus par voie de questionnaire et qui ont répondu aux questions proposées par la mandataire des recourants ont contesté que des médicaments auraient été prescrits au patient, qui auraient pu accroître le risque de suicide. Ils ont fait état d’un traitement par antidépresseurs et anxiolytiques, habituel pour le type de maladie dont souffrait leur patient. Rien au dossier ne permet d’envisager le contraire. La liste des médicaments prescrits à X.________ à Y.________ figure au dossier, avec la fréquence de leur administration et la posologie. On n’y trouve rien de particulier. Les recourants, assistés par une mandataire professionnelle, ne prétendent d’ailleurs pas que l’un ou l’autre des médicaments mentionnés dans la liste – sauf le Remeron, dont il a été question plus haut – aurait pu avoir l’effet qu’ils suggèrent. D’autres actes d’instruction à ce sujet, en particulier l’audition de proches du défunt et de médecins, ne pourraient rien amener de plus.

                        d) Selon les recourants, des médecins leur auraient dit avoir su que X.________ souhaitait changer de chambre, car il ne supportait pas son voisin (ils ne disent ni quel médecin leur aurait dit cela, ni à qui il l’aurait dit, ni quand). Les membres du personnel soignant qui ont été entendus par la police, en présence d’un mandataire des recourants, n’ont rien mentionné de tel. Les médecins entendus par questionnaire écrit ne l’ont pas confirmé non plus. Le dossier médical, dans lequel les médecins et surtout les infirmiers notent les événements du séjour hospitalier, ne contient aucune mention d’une demande en ce sens de la part du patient. C’est pourtant un élément qui serait probablement inscrit, voire qui donnerait lieu à discussion au sein du personnel. Il n’est donc pas possible de retenir que X.________ aurait dit qu’il souhaitait changer de chambre. Même s’il l’avait fait, on ne pourrait voir dans l’omission de donner suite à une telle demande aucun événement en lien de causalité adéquate, ni même naturelle, avec le décès du patient. Aucun autre acte d’enquête ne pourrait y changer quelque chose.

                        e) Les faits tels qu’établis plus haut, en rapport avec l’état de X.________ dans les jours précédant son congé du 21 avril 2019, pendant celui-ci, à son retour, puis dans les heures qui ont précédé son coucher, amènent au constat qu’aucun élément ne devait amener les soignants à concevoir des inquiétudes qui auraient justifié que des mesures de surveillance particulières soient prises. Lors de l’entretien du 18 avril 2019, en présence de son épouse, le patient disait aller mieux et son état a amené le médecin à donner son accord à un congé pour le 21 avril 2019, tout en invitant l’épouse à contacter téléphoniquement l’hôpital en cas de problème pendant cette sortie. Les recourants ne soutiennent pas que le congé n’aurait pas dû être accordé. Un autre médecin qui a vu le patient le 20 avril 2019 n’a pas jugé non plus qu’une telle sortie serait de nature à déstabiliser X.________. Le congé s’est très bien passé, d’après ce que les recourants en disent eux-mêmes. Les proches n’ont pas appelé l’hôpital pour signaler un problème. À son retour, le patient s’est dit content de sa journée, dont il a raconté certains événements aux soignants. Ceux-ci l’ont alors trouvé souriant et bien. Quant au médecin qui a vu le patient vers 21h20, il l’a trouvé « de bonne humeur, calme, collaborant » ; le patient lui a parlé de sa « journée agréable » et ne présentait aucun signe de décompensation, niant en outre avoir des idées noires ou suicidaires et disant avoir de l’espoir pour son avenir après l’hospitalisation. L’infirmière de garde qui lui a ensuite donné ses habituels médicaments du soir, dont un somnifère, n’a rien remarqué de particulier au sujet de son état. On peut déduire de tout cela que le comportement de X.________ après son retour à l’hôpital n’était pas de nature à laisser penser que ce retour l’aurait déstabilisé, ni à susciter des inquiétudes particulières. Rien ne permet dès lors de mettre en doute l’affirmation des médecins, selon laquelle le retour de la famille envers l’équipe infirmière concernant le congé et l’évaluation par le médecin de garde n’amenaient aucun élément clinique justifiant une surveillance particulière, en plus des passages et accompagnements réguliers de l’infirmière de nuit dans le service. Le fait que X.________ s’est ensuite levé pendant la nuit pour demander un somnifère supplémentaire n’avait par ailleurs rien d’exceptionnel, puisqu’il s’était déjà produit une fois au moins durant les jours précédents ; à ce moment-là, son comportement ne révélait pas d’intentions funestes. Ces circonstances ne pouvaient pas amener l’infirmière de garde à estimer qu’une surveillance particulière serait nécessaire. Des actes d’enquête complémentaires, soit l’audition de proches du défunt et celle de médecins, que les recourants réclament, ne permettraient pas d’en savoir plus sur ce sujet, ni de modifier l’appréciation qui doit être faite des éléments déjà à disposition.

                        f) Les recourants ne soutiennent pas que, de manière générale, des rondes de l’infirmière de garde vers minuit, 03h00, puis encore 05h30-06h00 seraient insuffisantes. Ces rondes ont été effectuées et, à chacun de ces passages, X.________ était dans son lit.

                        g) Contrairement à ce que prétendent les recourants, le voisin de chambre de X.________, soit A.________, n’a pas dû être sorti de sa chambre en raison d’un état d’agitation inhabituel. C’est lui qui s’est levé vers 06h20-06h30 et, très agité, s’est rendu vers l’infirmière de garde, puis dans le bureau des infirmiers, puis dans le couloir, pour ensuite s’asseoir dans un fauteuil près du bureau, où il paraît être resté jusqu’à la découverte du corps de X.________ (on notera que les déclarations de l’intéressé démontrent une confusion certaine et sont sans utilité pour la cause). Son état agité et le fait qu’il se plaignait de maux de gorge n’avait rien d’inhabituel. Ce qui était peu habituel, c’était qu’il se lève aussi tôt. Les recourants soutiennent que ces circonstances auraient dû amener le personnel soignant à se rendre dans la chambre de X.________. On ne voit pas pourquoi, puisque précisément le voisin de chambre de celui-ci, dont l’état aurait pu le déranger, ne s’y trouvait plus. Il ne ressort pas des auditions effectuées que A.________, au cours des épisodes décrits ici, aurait évoqué d’une manière ou d’une autre son voisin de chambre, de sorte qu’un contrôle dans cette chambre ne se justifiait pas pour ce motif non plus. Là encore, aucun acte d’enquête complémentaire ne pourrait apporter des éléments supplémentaires, qui pourraient être pertinents.

                        h) Il n’y a pas eu de passage dans la chambre de X.________, par un membre du personnel soignant, entre environ 06h00 et 08h15-08h30. Cela n’avait rien d’exceptionnel et aucun défaut général de surveillance des patients ne peut être déduit d’un tel intervalle.

                        i) En fonction de ce qui précède, il n’est pas possible de retenir, même en se référant au principe in dubio pro duriore, que des membres du personnel soignant auraient violé leur devoir de prudence, en rapport avec les médicaments prescrits à X.________ ou avec la surveillance exercée sur celui-ci. Aucun élément ne pouvait les amener à se rendre compte que ce patient se trouvait en danger, soit risquait concrètement de passer à l’acte au moment où il l’a fait, ni dans les heures qui ont précédé cet acte. D’autres médecins et infirmiers, compétents et raisonnables, n’auraient pas déduit des circonstances la nécessité d’une surveillance constante, ni même celle de passages plus fréquents qu’usuellement dans la chambre de ce patient.

                        j) Les recourants évoquent le fait que des tringles supportant le poids d’une personne se trouvaient dans les armoires des chambres des patients et que X.________ a pu disposer d’un câble. Il est vrai qu’après le décès de ce patient, il a été décidé de changer les tringles et de les remplacer par d’autres, moins solides. Cela ne permet cependant pas d’en déduire que le fait d’avoir, un jour, installé les précédentes relèverait d’une violation du devoir de prudence. Les tringles ne constituaient pas un risque plus important que tout autre élément d’aménagement - poignée de fenêtre, etc. - auquel on pourrait, avec un minimum d’ingéniosité, accrocher un câble ou un autre objet semblable pour se pendre. C’est d’autant plus vrai que ces tringles étaient installées dans des armoires, à un peu plus d’un mètre du sol, et donc à une hauteur qui ne favorisait pas une pendaison. Quant au câble, c’était celui d’un appareil destiné à mesurer la pression, dont on trouve forcément un certain nombre d’exemplaires dans un hôpital, comme on y trouve des câbles d’autres appareils, comme les télévisions ou d’autres dispositifs fonctionnant à l’électricité. Le patient n’était pas enfermé dans sa chambre et il pouvait se déplacer librement. Qu’il se procure un câble ne pouvait pas être évité autrement qu’en l’enfermant dans une chambre qui en serait totalement dépourvue, ce que rien ne justifiait alors. Il aurait d’ailleurs pu se pendre avec un drap, une couverture ou même un vêtement, objets dont l’expérience judiciaire enseigne qu’ils sont malheureusement aussi utilisés pour des pendaisons. Aucune violation du devoir de prudence ne peut être retenue à ce sujet et aucun d’acte d’enquête supplémentaire ne permettrait de modifier cette appréciation.

                        k) Il résulte de ce qui précède qu’aucune violation du devoir de prudence ne peut être envisagée sérieusement dans le cas d’espèce. Même si, sur un point ou sur un autre, une telle violation pouvait être retenue comme une possibilité suffisante, elle ne pourrait pas avoir le caractère causal exigé par la jurisprudence relative à l’article 117 CP. En effet, on se trouverait en présence d’une violation du devoir de prudence par omission. Dans aucun des cas examinés plus haut, l'accomplissement d’un acte omis n’aurait, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, évité avec une très grande vraisemblance le décès du patient. Si les rondes avaient été plus fréquentes que d’ordinaire pendant la nuit du 21 au 22 avril 2019, en général ou pour la surveillance de X.________ en particulier, l’un des passages supplémentaires aurait peut-être permis de voir le patient préparer son acte funeste et ainsi d’empêcher celui-ci. Cela ne reste toutefois qu’une possibilité, assez faible d’ailleurs puisque l’action d’enrouler ou accrocher un câble sur une tringle ne prend que quelques secondes et que, selon les explications du médecin-légiste, le type de pendaison utilisé par le patient conduit à un décès rapide ; cette possibilité est largement insuffisante pour retenir une grande vraisemblance. Il en va de même pour un éventuel passage dans la chambre de X.________ après qu’il avait été constaté que son compagnon de chambre était agité et s’adressait à des infirmiers, près du bureau de ceux-ci. Si les tringles d’armoires avaient été moins solides, le patient aurait pu se pendre à un autre objet, dans sa chambre ou ailleurs (on a vu des personnes réussir à mettre fin à leurs jours en se pendant à des éléments de toilettes). Si le patient n’avait pas trouvé de câble, il aurait pu utiliser un drap, une couverture ou même un vêtement. Qu’il ait éventuellement pu renoncer à son acte s’il n’avait pas trouvé, facilement peut-être, le moyen de se pendre ne reste que du domaine du possible, loin de la grande vraisemblance exigée par la jurisprudence.

                        l) Le risque de suicide était inhérent à la maladie dont souffrait X.________. Pour éviter un passage à l’acte, la seule solution aurait consisté à soumettre le patient, la nuit en question ou même durablement, à une surveillance de tous les instants, voire à le placer dans l’une de ces chambres spéciales destinées à contenir les patients les plus agités ou les plus à risque et qui n’ont qu’une vocation provisoire. Aucun élément à disposition des membres du personnel soignant n’aurait justifié une telle mesure. On ne peut reprocher à personne une inattention ou un manque d'effort blâmable, ni plus généralement une violation du devoir de prudence. Une telle violation ne serait de toute manière pas en lien de causalité adéquate avec le décès. Ces conclusions s’imposent même en fonction du principe in dubio pro duriore. L’audition de proches du défunt ne permettrait pas d’apporter des éléments de nature à changer ces appréciations (ils ont eu de nombreuses occasions de faire part de leur position et il n’existe aucun motif de soupçonner que les proches auraient volontairement tu des informations concrètes qu’ils auraient détenues, dans un but que l’on peinerait d’ailleurs à discerner). L’audition formelle de médecins ne le permettrait pas plus. Une détermination précise de l’heure du décès n’apporterait rien non plus. L’hypothèse d’une présence du voisin de chambre au moment de ce décès paraît très invraisemblable. Que l’acte funeste ait été commis à 06h45, à 07h15 ou plutôt à 08h00 ne modifierait pas l’appréciation juridique des faits. De toute manière et comme la procureure l’a justement rappelé dans une lettre qu’elle a adressée à la mandataire des recourants durant l’enquête, les méthodes permettant d’estimer l’heure à laquelle un décès est survenu ne donnent pas de résultats très précis, même dans des conditions optimales (par exemple : pièce à température constante, prise de la température du corps très rapidement après la découverte de celui-ci). Comme le médecin-légiste n’a pas été appelé immédiatement sur les lieux et a procédé à l’examen externe dès 14h15, soit environ six heures après la découverte du corps, et vu les autres circonstances, un médecin-légiste, le même ou un autre, ne pourrait, maintenant, estimer l’heure du décès que dans un intervalle de deux ou trois heures, au mieux, ce qui ne préciserait pas celui que l’on peut déjà déduire de l’audition de diverses personnes.

                        m) En conséquence, la probabilité qu’une poursuite de la procédure d’instruction aboutisse à une condamnation pour homicide par négligence est largement trop faible pour qu’elle justifie une autre décision que le classement.

                        n) Enfin, il est évident qu’aucun membre du personnel médical n’a, sciemment ou par dol éventuel, abandonné X.________ dans un état de danger pour sa vie. Aucune infraction à l’article 127 CP ne peut être réalisée. Le recours est téméraire sur ce point.

6.                            Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté. Les frais de la procédure de recours doivent être mis à la charge des recourants, qui n’ont pas droit à une indemnité de dépens.

Par ces motifs,
l'Autorité de recours en matière pénale

1.    Rejette le recours et confirme l’ordonnance de classement du 9 juillet 2020.

2.    Met les frais judiciaires de la procédure de recours, arrêtés à 800 francs, à la charge des recourants.

3.    N’alloue pas de dépens.

4.    Notifie le présent arrêt à H.________, J.________ et K.________, par Me G.________ et au Ministère public, au même lieu (MP.2019.2038).

 

Neuchâtel, le 21 août 2020

Art. 117 CP
Homicide par négligence
 

Celui qui, par négligence, aura causé la mort d’une personne sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Art. 1271 CP
Mise en danger de la vie ou de la santé d’autrui
Exposition
 

Celui qui, ayant la garde d’une personne hors d’état de se protéger elle-même ou le devoir de veiller sur elle, l’aura exposée à un danger de mort ou à un danger grave et imminent pour la santé, ou l’aura abandonnée en un tel danger, sera puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.


1 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 23 juin 1989, en vigueur depuis le 1er janv. 1990 (RO 1989 2449; FF 1985 II 1021).

Art. 319 CPP
Motifs de classement
 

1 Le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure:

a. lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi;

b. lorsque les éléments constitutifs d’une infraction ne sont pas réunis;

c. lorsque des faits justificatifs empêchent de retenir une infraction contre le prévenu;

d. lorsqu’il est établi que certaines conditions à l’ouverture de l’action pénale ne peuvent pas être remplies ou que des empêchements de procéder sont apparus;

e. lorsqu’on peut renoncer à toute poursuite ou à toute sanction en vertu de dispositions légales.

2 A titre exceptionnel, le ministère public peut également classer la procédure aux conditions suivantes:

a. l’intérêt d’une victime qui était âgée de moins de 18 ans à la date de commission de l’infraction l’exige impérieusement et le classement l’emporte manifestement sur l’intérêt de l’État à la poursuite pénale;

b. la victime ou, si elle n’est pas capable de discernement, son représentant légal a consenti au classement.