Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 03.04.2020 [6B_105/2020]

 

 

 

 

A.                            X.________, né en 1972, est sergent-chef à la police neuchâteloise. Au moment des faits qui lui sont reprochés, il était également président du Syndicat A.________.

B.                            Par ordonnance pénale du 5 janvier 2015, le ministère public a condamné X.________ à 10 jours-amende à 200 francs, avec sursis pendant deux ans, pour avoir divulgué, le 15 juillet 2014, sur son compte Facebook, des faits relatifs à la déprédation d’un radar, dont il avait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions et que le commandement de la police avait décidé de ne pas rendre publics. Suite à l’opposition du prévenu, l’ordonnance pénale a été maintenue et transmise au tribunal de police le 27 janvier 2015.

C.                            Par acte d’accusation du 3 juillet 2015, le ministère public a également ordonné le renvoi de X.________ devant le tribunal de police pour avoir, « à Neuchâtel ou en tout autre lieu, le 22 février 2015 entre 11 h et 14 h, diffusé, en sa qualité de président du syndicat A.________, un communiqué de presse relatif à une affaire survenue le matin même à W.________ et dans le cadre de laquelle quatre gendarmes avaient été blessés, agissant alors même que sa hiérarchie l'avait instamment prié de s’en abstenir du fait qu’une communication publique semblait, à ce stade de l’enquête, inopportune ». Sollicitant la jonction des deux affaires, le ministère public a requis contre X.________ une peine globale de 30 jours-amende avec sursis.

D.                            Par jugement du 9 mai 2016, le tribunal de police a retenu que X.________ avait appris l’origine délictueuse des dégâts causés au radar pendant son service, le 11 juillet 2014, de sorte que cette information devait être qualifiée de secret de fonction. En s’arrogeant le droit de rendre public cet incident, le prévenu avait violé l’article 320 CP. S’agissant du deuxième volet de l’accusation, le tribunal de police a relevé que le prévenu avait été informé des évènements survenus dans la nuit du 22 février 2015 par l’un de ses collègues, soit dans le cadre de ses fonctions, et qu’il avait été rendu attentif par sa hiérarchie du fait qu’il ne pouvait disposer à sa guise de cette information. En passant outre cette interdiction, le prévenu avait une nouvelle fois violé son secret de fonction et ne pouvait se retrancher derrière son statut de président du syndicat A.________ pour échapper à toute sanction.

E.                            X.________ a fait appel de ce jugement. Concernant l’affaire du radar vandalisé, il reprochait notamment au premier juge d’avoir retenu qu’il s’agissait d’un secret, dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. S’agissant des évènements du 22 février 2015, il faisait notamment valoir que l’information diffusée n’était pas secrète et qu’elle lui avait été communiquée en sa qualité de président du syndicat A.________.

F.                            Dans son jugement du 21 mars 2017, la Cour pénale a confirmé que X.________ avait violé son secret de fonction en publiant sur Facebook des informations apprises lors de son service. S’agissant du communiqué de presse du 22 février 2015, la Cour pénale a considéré que l’information diffusée par l’appelant était confidentielle et qu’elle lui avait été communiquée par courriel, sans référence à sa fonction de président du syndicat A.________. Même si l’on devait admettre que le caporal lui ayant transmis l’information litigieuse l’avait sans doute fait en raison de son statut de président du syndicat, cet élément ne suffisait pas à disculper l’appelant, qui restait soumis au secret de fonction en sa qualité de policier. Cette conclusion s’imposait d’autant plus que sa hiérarchie l’avait instamment prié de ne pas prendre l’initiative d’une communication à la presse, jugée inopportune et prématurée à ce stade de l’enquête. Enfin, sa qualité de président du syndicat A.________ ne constituait pas un motif justificatif, puisqu’il n’était pas urgent de rendre publique l’information pour défendre les droits des membres du syndicat.

G.                       À l’appui de son recours en matière pénale, déposé le 2 mai 2017 auprès du Tribunal fédéral, l’appelant a fait valoir que les éléments objectifs de l’infraction de violation du secret de fonction n’étaient pas réalisés, tant à l’égard du premier volet de l’accusation (affaire du radar vandalisé) que du second (communiqué de presse du 22 février 2015).

H.                      Dans son arrêt du 28.02.2018 [6B_532/2017], le Tribunal fédéral a considéré, s’agissant de l’affaire du radar, que les griefs de l’appelant, fondés sur un état de fait différent de celui retenu par la Cour pénale, sans que le recourant n’en démontre le caractère insoutenable, étaient irrecevables. En revanche, le recours a été admis s’agissant du deuxième volet de l’accusation, relatif au communiqué de presse du 22 février 2015. Les juges fédéraux ont considéré que l’acte d’accusation du 3 juillet 2015 était insuffisant pour fonder la condamnation de X.________ pour violation du secret de fonction, car il se limitait à indiquer que l’intéressé avait diffusé l’information litigieuse en sa qualité de président du A.________, sans exposer ni la fonction qu’il occupait alors, ni à quel titre et comment l’information lui était parvenue. Par conséquent, la cause a été renvoyée à la Cour pénale pour nouvelle décision.

I.                        À la suite de cet arrêt, le ministère public a demandé à la Cour pénale de lui renvoyer l’acte d’accusation afin que celui-soir puisse être complété. Il a ensuite rendu un nouvel acte d’accusation, daté du 27 avril 2018, rédigé comme suit : « X.________ est prévenu de violation du secret de fonction, au sens de l’article 320 CP pour avoir (…) 2. à Neuchâtel ou en tout autre lieu, le 22 février 2015 entre 11h00 et 14h00, diffusé un communiqué de presse relatif à une affaire survenue le matin même à W.________ et dans le cadre de laquelle quatre gendarmes avaient été blessés, agissant alors même que sa hiérarchie l'avait instamment prié de s’en abstenir du fait qu’une communication au public semblait, à ce stade de l’enquête, inopportune, ayant appris ces faits de l’un de ses collègues, lui-même soumis au secret de fonction, en qualité de président du Syndicat A.________, parce qu’ils avaient trait aux conditions de travail de la gendarmerie et qu’ils pouvaient l’intéresser dans le cadre de son activité syndicale, étant précisé que sa fonction au syndicat était liée à son appartenance au corps de police de sorte que la question du secret de fonction ne se posait pas pour l’agent qui lui avait communiqué ces faits mais que lui-même ne pouvait [pas] ne pas se rendre compte qu’il n’avait pas le droit de les divulguer plus loin et qu’il ne les avait pas appris comme simple particulier ».

J.                       Par jugement du 5 novembre 2018, la Cour pénale, statuant ensuite de l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral du 28 février 2018, a partiellement admis l'appel de X.________, acquitté ce dernier s'agissant des évènements de février 2015 et l'a condamné, pour violation du secret de fonction, à une peine pécuniaire de 15 jours-amende à 170 francs, avec sursis pendant deux ans. En substance, la Cour pénale a estimé que la constatation selon laquelle X.________ avait appris l’information litigieuse en sa qualité de président du A.________, figurant dans l’acte d’accusation du 27 avril 2018, la liait et suffisait à exclure que l’on puisse retenir qu’il avait appris ces faits en sa qualité de fonctionnaire ou en raison de son emploi, comme l’exigeait l’article 320 CP.

K.                      Le ministère public a formé un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 5 novembre 2018, en concluant, avec suite de frais, à son annulation et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision. Il reprochait à la Cour pénale d’avoir libéré X.________ du chef de prévention de violation du secret de fonction en raison des évènements de février 2015.

L.                      Par arrêt du 23.01.2019 [6B_1276/2018], le Tribunal fédéral a admis le recours du ministère public et renvoyé la cause à la Cour pénale pour nouvelle décision, considérant que la mention figurant dans l’acte d’accusation, selon laquelle l’intéressé avait reçu l’information en sa qualité de président du syndicat, n’empêchait pas la Cour pénale d’examiner si, au-delà de cette fonction syndicale, qui expliquait que le courriel envoyé par le caporal B.________ lui fût parvenu en copie, X.________ en avait eu connaissance en sa qualité de fonctionnaire. Bien que les informations lui aient été transmises en raison de son rôle du président du syndicat A.________, il fallait donc examiner si, dans le cas particulier, cette activité syndicale reléguait à l’arrière-plan sa qualité de fonctionnaire. Tranchant cette question, les juges fédéraux sont parvenus à la conclusion que tel n’était pas le cas ; l’envoi du caporal B.________ ne constituait pas l’envoi d’un fonctionnaire syndiqué au président du syndicat, mais une communication policière, par laquelle le caporal transmettait un « fichet de communication », soit un document interne aux services de police. Il s’agissait ainsi d’une communication destinée à des membres de la police neuchâteloise, laquelle n’apparaissait pas devoir être adressée à des tiers externes. Ainsi, il y avait lieu de retenir que X.________ avait reçu cette communication en sa qualité de policier – soit de fonctionnaire – et non uniquement de président du syndicat A.________. La cause a été renvoyée à l’instance cantonale pour examen des autres éléments constitutifs de la violation du secret de fonction.

M.                           a) À l’appui de ses déterminations, le ministère public expose que, comme le tranche définitivement l’arrêt du Tribunal fédéral du 23 janvier 2019, X.________ a reçu l’information relative à l’intervention de W.________ en sa qualité de policier. Cette information ne lui a pas été communiquée parce que l’on attendait de lui une action policière, mais parce qu’il était président du syndicat et qu’à ce titre, il pouvait être intéressé à prendre connaissance de conditions de travail particulièrement difficiles de certains de ses collègues. Cette information n’était pas illicite, dans la mesure où tous les policiers ont en principe accès au journal des évènements quotidiens et que rares sont ceux pour lesquels on s’en tient à une diffusion restreinte. En d’autres termes, le policier auteur de ce message aurait pu, si cela lui avait semblé opportun, diffuser l’information auprès de tous les collègues des gendarmes blessés, sans encourir de reproche, du moins d’un point de vue pénal. Cela n’en restait pas moins une information de service, soumise au secret de fonction. S’agissant des autres éléments de l’infraction non examinés par le Tribunal fédéral, le ministère public se réfère au jugement de la Cour pénale du 21 mars 2017. Il fait valoir que l’information diffusée était confidentielle, ce dont l’intéressé avait été informé par sa hiérarchie. Au moment où l’appelant a publié son communiqué de presse, l’enquête n’en était qu’à ses débuts et il n’était pas certain que de rendre publique l’intervention du matin ne porterait pas préjudice à la suite de la procédure. X.________ avait donc agi en pleine connaissance de cause, en bravant les instructions claires qu’il avait reçues ; il n’y avait au demeurant aucune nécessité d’alerter l’opinion publique immédiatement. L’impact de l’information n’aurait pas été moindre si l’on avait attendu quelques jours, le temps de se convaincre que rien ne s’y opposait.

b) Dans ses observations du 7 février 2019, X.________ relève que l’arrêt du Tribunal fédéral retient qu’il a reçu le courriel du caporal B.________ en qualité de fonctionnaire de police. Il sollicite néanmoins que l’instruction soit rouverte afin d’éclaircir les autres canaux inofficiels par lesquels l’information lui serait parvenue, comme il l’avait évoqué devant le tribunal de police « en me réveillant j’ai vu que l’on m’avait envoyé plein de messages par des canaux inofficiels […] »). Selon l’appelant, éclaircir l’origine des autres communications auxquelles il faisait alors allusion permettra à la justice d’acquérir la conviction que l’information lui est parvenue en sa qualité de président du syndicat et qu’il avait dès lors tout loisir de la transmettre plus loin.

c) Par courrier du 11 mars 2019, la présidente de la Cour pénale a relevé que l’arrêt du Tribunal fédéral du 23 janvier 2019 avait circonscrit définitivement l’objet du litige, de sorte que l’instruction supplémentaire demandée par la défense ne semblait pas pertinente.

d) Dans ses déterminations du 25 mars 2019, X.________ a remis en question le caractère secret de l’information diffusée et sollicité une instruction complémentaire visant « toutes les personnes qui ont signalé l’évènement au prévenu ». Interpellé sur les moyens de preuve requis, l’appelant a proposé d’être interrogé spécifiquement sur la manière dont il a appris les évènements du 22 février, ainsi que l’audition des personnes suivantes : B.________, C.________, D.________, E.________, F.________ et G.________. Il a également produit deux titres.

e) Dans ses déterminations du 13 mai 2019, le ministère public s’est opposé à l’administration des preuves supplémentaires proposée par X.________.

N.                            Par ordonnance de preuves du 15 juillet 2019, la présidente de la Cour pénale a rejeté la requête de preuves de X.________. En substance, elle a rappelé la portée de la jurisprudence du Tribunal fédéral au sujet de l’arrêt de renvoi et considéré, en l’espèce, que la juridiction d’appel était liée par la constatation de fait – non contestée devant le Tribunal fédéral – selon laquelle X.________ avait été informé de l’incident de W.________ par l’un de ses collègues, le caporal B.________. Il n’était dès lors pas possible d’administrer de nouvelles preuves pour éclaircir cet élément, l’appelant n’indiquant d’ailleurs pas qu’il existerait des faits nouveaux. À supposer même qu’une autre source d’information préalable puisse encore être retenue en fait, il y avait lieu de relever que les auteurs de la communication désignés par X.________ étaient tous des policiers, tenus au secret de fonction (dans les limites du secret partagé) et qu’il n’avait jamais été allégué que des tiers non-policiers l’auraient avisé de l'incident de W.________. Par ailleurs, après avoir constamment axé sa défense sur la communication émanant du caporal B.________, il paraissait contraire à la bonne foi en procédure et à l’économie du procès de soudain se prévaloir du fait qu’il y aurait eu une communication par des tiers. De plus, X.________ avait pris contact avec l’officier de police judiciaire H.________, qui lui avait indiqué qu’une communication était prématurée à ce stade. Cette démarche confirmait que les agissements de X.________ s’inscrivaient bien dans un contexte policier. Les auditions sollicitées n’étaient au surplus pas pertinentes quant à la question de savoir si la liberté d’expression liée à la fonction syndicale occupée par l’intéressé l’autorisait à passer outre son secret de fonction. Par conséquent, la Cour pénale a considéré que la cause était en état d’être jugée, rappelant que les parties avaient déjà eu l’occasion de plaider sur les éléments constitutifs non tranchés.

O.                           a) Dans son mémoire d’appel motivé du 26 août 2019, X.________ affirme que l’on doit tenir compte du fait qu’il n’a pas appris l’information uniquement par le biais du caporal B.________, mais également par certains des policiers blessés, qui se sont adressés à lui en sa qualité de président du syndicat. Il fait valoir qu’il a donné trop peu de détails, dans le communiqué de presse, pour que l’on puisse retenir qu’il aurait révélé un secret. Il invoque à nouveau la législation applicable à l’accès aux documents et affirme que la liberté d’expression prime le maintien du secret, d’autant plus que le principe d’une telle communication n’a pas été remis en cause, seule la coordination avec la police ayant fait l’objet d’une remarque.

b) Dans ses déterminations du 2 septembre 2019, le ministère estime qu’au moment où X.________ a diffusé l’information, les raisons de l’agression étaient inconnues, de sorte qu’il était important de s’en assurer avant toute information publique. L’appelant n’avait pas à diffuser l’information et, surtout (davantage que le fait que plusieurs agents avaient été blessés), l’heure et le lieu de celle-ci. Au surplus, le ministère public relève que le caractère laconique du communiqué de presse a été pris en compte pour requérir et fixer la peine, essentiellement symbolique, ce qui n’aurait pas été le cas si l’information avait effectivement entravé le cours de la procédure.

c) Dans sa réplique du 25 septembre 2019, X.________ fait valoir que la nécessité d’une communication était admise par sa hiérarchie, qui souhaitait simplement que la coordination entre le syndicat et la police neuchâteloise, concernant la politique médiatique, soit mieux définie. Il en déduit que le seul différend tient au fait qu’il a été plus rapide pour communiquer sur cet évènement. L’appelant soutient à nouveau que le communiqué ne contenait aucune information susceptible de nuire à l’enquête et qu’il a obtenu l’information tant du caporal B.________ que de ses collègues blessés. Il fait valoir que les blessés sont libres de dénoncer les violences dont ils sont victimes et que prétendre le contraire reviendrait à restreindre la liberté d’expression dans une mesure inacceptable.

C O N S I D E R A N T

1.                            a) Le Tribunal fédéral a récemment rappelé la portée de son arrêt de renvoi après qu’il a admis un recours devant lui contre un arrêt cantonal (arrêt du TF du 8.01.2019 [6B_122/2017] et [6B_134/2017] cons. 4.1). Ainsi, « [a]ux termes de l'art. 107 al. 2, 1ère phrase LTF, si le Tribunal fédéral admet un recours, il statue lui-même sur le fond ou renvoie l'affaire à l'autorité précédente pour qu'elle prenne une nouvelle décision. Le principe de l'autorité de l'arrêt de renvoi découle du droit fédéral non écrit. Conformément à ce principe, l'autorité cantonale à laquelle la cause est renvoyée par le Tribunal fédéral est tenue de fonder sa nouvelle décision sur les considérants de droit de l'arrêt du Tribunal fédéral (ATF 143 IV 214 cons. 5.2.1 p. 220 et 5.3.3 p. 222; 135 III 334 cons. 2.1 p. 335). Elle est ainsi liée par ce qui a déjà été définitivement tranché par le Tribunal fédéral et par les constatations de fait qui n'ont pas été attaquées devant lui ou l'ont été sans succès (ATF 131 III 91 cons. 5.2 p. 94 ; cf. aussi arrêt du TF du 17.10.2017 [6B_111/2017] cons. 2.1). La motivation de l'arrêt de renvoi détermine dans quelle mesure la cour cantonale est liée à la première décision, décision de renvoi qui fixe aussi bien le cadre du nouvel état de fait que celui de la nouvelle motivation juridique (ATF 135 III 334 cons. 2 p. 335; arrêt du 17.10.2017 précité). Les faits nouveaux ne peuvent être pris en considération que sur les points ayant fait l'objet du renvoi, lesquels ne peuvent être ni étendus, ni fondés sur une base juridique nouvelle (ATF 135 III 334 cons. 2 p. 335; arrêt du TF du 27.07.2018 [6B_352/2018] cons. 2).  Lorsque la juridiction d'appel doit se prononcer à nouveau sur les preuves après renvoi par le Tribunal fédéral, elle peut s'écarter de l'appréciation qu'elle avait opérée dans son premier jugement sur appel pour peu qu'elle juge sa nouvelle appréciation plus juste. Une nouvelle appréciation des preuves, divergente, par l'autorité […] après renvoi est admissible en tant que l'état de fait en question peut encore être entrepris devant le Tribunal fédéral sous l'angle de l'arbitraire (ATF 143 IV 214 cons. 5.3.2 s. p. 221 s.) » (cons. 4.1). Par ailleurs, « [l]es parties ne peuvent plus faire valoir, dans un nouveau recours de droit fédéral contre la nouvelle décision cantonale, des moyens que le Tribunal fédéral avait expressément rejetés dans l'arrêt de renvoi (ATF 133 III 201 cons. 4.2) ou qu'il n'avait pas eu à examiner, les parties ayant omis de les invoquer dans la première procédure de recours, alors qu'elles pouvaient - et devaient - le faire (ATF 111 II 94 cons. 2 ; arrêt du TF du 28.04.2015 [6B_187/2015] cons. 1.1.2) » (arrêt du TF du 8.03.2019 [5A_279/2018] cons. 3). La portée de l'arrêt de renvoi dépend donc du contenu de cet arrêt en relation avec les mémoires de recours et de réponse qui ont été déposés (arrêt du TF du 27.03.2019 [5A _1038/2018] cons. 3.1).

b) En l’espèce, l’appelant n’a pas renouvelé, dans son mémoire d’appel motivé du 26 août 2019, la requête de preuves figurant dans ses observations du 2 mai 2019 (relatives aux canaux inofficiels par lesquels il aurait appris l’information). Comme cela a été développé dans les motifs de l’ordonnance de la présidente de la Cour pénale du 15 juillet 2019, motifs auxquels la Cour pénale se rallie, la constatation de fait selon laquelle X.________ a été informé de l’incident de W.________ par son collègue, le caporal B.________, non contestée pour arbitraire devant le Tribunal fédéral, est définitive. Par conséquent (et pour les autres motifs développés dans l’ordonnance précitée), il n’y a pas lieu d’administrer de nouvelles preuves.

2.                       a) L’article 320 ch. 1 CP réprime d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire celui qui aura révélé un secret à lui confié en sa qualité de membre d'une autorité ou de fonctionnaire, ou dont il avait eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi. Les biens juridiques protégés par cette disposition sont tant le bon fonctionnement des institutions que la protection de la sphère privée des particuliers (arrêts du TF du 23.01.2019 [6B_1276/2018] cons. 2.1 ; du 01.10.2018 [6B_572/2018] cons. 3.1 et les références citées).

                        b) L'article 320 CP constitue un délit propre pur, qui ne peut être commis que par un fonctionnaire ou le membre d'une autorité. La notion de fonctionnaire est celle de l'article 110 al. 3 CP (ATF 142 IV 65 cons. 5.1). Elle recouvre tant les fonctionnaires au point de vue organique que les personnes qui revêtent cette qualité du point de vue fonctionnel (arrêt du TF du 01.10.2018 [6B_572/2018] cons. 3.2.1). En l’occurrence, il n’est pas contesté que l’appelant, qui exerce le métier de policier avec le grade de sergent-chef, est un fonctionnaire.

                        c) L'application de l'article 320 ch. 1 CP exige en outre que le secret ait été confié à l'auteur en sa qualité de membre d'une autorité ou de fonctionnaire ou qu'il en ait eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi. Il s’agit de l’un des éléments constitutifs objectifs de la violation du secret de fonction (Corboz, Les infractions en droit suisse, Vol. II, 3e éd., 2010, p. 741 : « l’auteur doit apprendre le fait ès qualités, c’est-à-dire en tant que membre d’une autorité ou fonctionnaire »). Ne sont dès lors pas couverts par le secret de fonction les faits touchant l'activité officielle de l'auteur, que celui-ci a appris ou aurait pu apprendre, comme tout autre citoyen, en dehors de son service, les faits qu'il aurait pu apprendre à titre privé ou encore ceux dont il aurait eu le droit d'être informé (arrêt précité 6B_1276/2018 cons. 2.1 et les références citées).

                        d) Comme relevé ci-dessus, lorsque le Tribunal fédéral renvoie la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau, cette dernière doit fonder sa décision sur les considérants de droit de l'arrêt du Tribunal fédéral et ne peut examiner que les questions laissées ouvertes par cet arrêt, qui circonscrit définitivement l'objet du litige. En l’espèce, la question de savoir si le secret a été appris par l’appelant dans l’exercice de sa charge officielle a été clairement tranchée par l’arrêt du Tribunal fédéral du 23 janvier 2019, au considérant 2.4 : « [i]l s’agissait d’une communication policière, par laquelle [le caporal B.________] transmettait un (…) document interne aux services de police (…). Le courriel du caporal B.________ constituait ainsi une communication destinée à des membres de la police neuchâteloise (…). Compte tenu du caractère purement policier de cette communication, il convient de considérer que l’intimé a reçu celle-ci en sa qualité de policier – soit de fonctionnaire – et non uniquement de président du syndicat A.________. Les informations ont ainsi été transmises à l’intimé en sa qualité de fonctionnaire ». À la suite de cet arrêt, l’objet du litige se limite donc à l’examen des autres éléments constitutifs de la violation du secret de fonction. L’état de fait sur lequel s’est fondé le Tribunal fédéral pour trancher le point précité (cons. 2.4), soit la constatation selon laquelle l’information a été transmise à l’appelant par courriel du caporal B.________ – constatation qui n’a pas été critiquée auparavant par l’appelant (« c’est bien par un email du 22 février 2015 à 11h05 que l’information lui a été communiquée ») – est donc définitive. En d’autres termes, la question de savoir si l’appelant a appris l’information en cause dans le cadre de l'exercice de sa charge officielle de policier, définitivement tranchée par le Tribunal fédéral, ne saurait être réexaminée à ce stade sur la base d’un état de fait différent (cf. également motifs de l’ordonnance de la présidente de la Cour pénale du 15 juillet 2019. Conformément à l’arrêt de renvoi, le présent jugement se limitera ainsi à déterminer si les autres éléments constitutifs de la violation du secret de fonction sont réalisés, s’agissant des évènements de février 2015.

3.                       a) Le secret au sens de l'article 320 CP est un fait qui n'est connu que d'un nombre restreint de personnes, que le détenteur du secret veut maintenir secret et pour lequel il existe un intérêt au maintien du secret. L'infraction implique une notion matérielle du secret. Il n'est dès lors pas nécessaire que l'autorité concernée ait déclaré secret le fait en question. Est en revanche déterminant que ce fait n'ait ni été rendu public ni ne soit accessible sans difficulté et que le maître du secret ait non seulement un intérêt légitime, mais également la volonté manifestée expressément ou par actes concluants que ce secret soit maintenu (arrêt du TF du 28.02.2018 [6B_532/2017] cons. 2.1 et la référence citée : ATF 142 IV 65 cons. 5.1).

                        b) En l’occurrence, il est constant que l’évènement du 22 février 2015 constitue bien un secret au sens de la définition précitée. L’appelant l’admet du reste expressément.

                        c) En revanche, l’appelant conteste avoir révélé un secret, en ce sens qu’il n’aurait pas transmis le secret en tant que tel, mais seulement quelques bribes d’informations, en se limitant à dire que des policiers avaient été blessés à V.________ le jour en question et à dénoncer le manque d’effectifs. Selon lui, les faits communiqués n’étaient dès lors pas eux-mêmes secrets, d’autant plus que l’information diffusée aurait quoi qu’il en soit pu être obtenue par le biais de la législation sur la transparence de l’activité étatique (art. 57 CPDT-JUNE [Convention intercantonale relative à la protection des données et à la transparence dans les cantons du Jura et de Neuchâtel, RSN 150.30]). Il fait également valoir que le principe d’une communication n’a pas été remis en cause, que cela soit par les policiers blessés ou le commandant de la police, ce qui démontrerait qu’il n’existait pas d’intérêt légitime au maintien du secret.

4.                            a) Selon la jurisprudence, un fait ayant déjà été rendu public ou qui est accessible sans difficulté à toute personne souhaitant en prendre connaissance n’est pas un secret (ATF 114 IV 44 cons. 2). Il faut en outre qu'il existe un intérêt légitime à ce que le fait soumis au secret ne soit connu que d'un cercle déterminé de personnes, et que le détenteur du secret veuille maintenir celui-ci (arrêt du TF du 01.10.2018 [6B_572/2018] cons. 3.3.1). L’auteur communique ou rend accessible le secret à une personne qui n’est pas autorisée à en prendre connaissance (Corboz, op. cit., n. 32 ad art. 320 CP). La manière de rendre le secret accessible à un tiers est sans pertinence ; il peut s’agir de renseigner oralement ou par écrit, de transmettre des documents, de permettre de consulter des pièces, etc. Il n’y a en revanche pas de révélation si l’information a été modifiée, par exemple si les noms ont été caviardés, d’une manière telle que le secret n’est pas percé et qu’aucun intérêt digne de protection n’est lésé (Corboz, op. cit., n. 33 ad art. 320 CP et la référence citée : ATF 114 IV 49 cons. c). Un indice de la présence d’un intérêt légitime au maintien du secret est donné lorsqu’une loi prévoit un devoir de discrétion du fonctionnaire ou du membre d’une autorité (arrêt du TF du 01.10.2018 [6B_572/2018] cons. 3.3.1 ; Corboz, op. cit., n. 15 p. 740 et les références citées). À Neuchâtel, l’article 15 de la loi sur le statut de la fonction publique (RSN 152.510) prévoit que « [l]es titulaires de fonctions publiques doivent se montrer dignes de la confiance que leur situation officielle exige. Ils accomplissent leurs tâches avec engagement, fidélité, honnêteté et impartialité, dans le respect des instructions reçues » (al. 1 et 2). L’article 20 LSt-Ne (al. 1 et 2) dispose en outre qu’« [i]l est interdit aux titulaires de fonctions publiques de divulguer des faits dont ils ont eu connaissance dans l'exercice de leur activité officielle et qui doivent rester secrets en raison de leur nature, des circonstances ou d'instructions spéciales. Dans les mêmes limites, il leur est également interdit de communiquer à des tiers ou de s'approprier, en original ou en copie, des documents de service établis par eux-mêmes ou par autrui ». La loi sur la police (LPol, RSN 561.1) précise, à son article 76 al. 1, que « [l]es membres de la police sont tenus de garder le secret sur toutes les opérations auxquelles ils procèdent et sur les faits qui sont parvenus à leur connaissance dans l'exercice de leurs fonctions ».

                        b) L’article 57 CPDT-JUNE dispose que les entités communiquent régulièrement et spontanément des informations sur leurs activités et leurs projets, à moins qu'un intérêt prépondérant public ou privé ne s'y oppose (al. 1) ; elles donnent l'information de manière exacte, complète, claire et rapide (al. 2) ; elles en assurent la diffusion par des voies appropriées compte tenu de l’importance de l’information (al. 3) ; l'information portant sur une décision prise à huis clos est donnée de manière adéquate et respectueuse des intérêts ayant justifié le huis clos (al. 4).

                        c) En l’occurrence, le communiqué de presse de X.________ avait la teneur suivante :

« Policiers sérieusement blessés lors d’une intervention !

X._____ – Le Syndicat A.________ a pris acte avec une grande consternation de l’incident qui est survenu durant la nuit du 22.02.2015 aux alentours de 03h00 à V.________.

Quatre gendarmes ont été agressés et blessés par un individu alors qu’ils étaient venus lui porter secours.

3 agents sont actuellement toujours à l’hôpital. Un des agents a reçu un coup de couteau dans la cuisse.

Le syndicat A.________ condamne fermement cet acte inacceptable et déplore, une fois de plus, le manque d’effectifs chronique de la Police neuchâteloise. »

 

                       Malgré le peu de détails fournis, on doit retenir que l’information – telle qu’elle a été diffusée par l’appelant – était confidentielle. En effet, la police ne souhaitait pas que l’intervention délicate du 22 février 2015 fasse l’objet d’une communication publique dans l’immédiat, quelle qu’elle fût, ce dont l’appelant avait été informé par sa hiérarchie. À ce sujet, le commissaire H.________ a notamment déclaré ce qui suit  : « [e]n résumé, X.________ s’est approché de moi pour me demander si nous comptions faire un communiqué de presse. Je lui ai répondu que cela nous semblait prématuré en ce sens que les circonstances qui avaient nécessité notre intervention n’étaient pas claires et que l’on suspectait une affaire de stupéfiants compte tenu de l’état de J.________ et du fait que nous avions retrouvé plusieurs milliers de francs devant la ferme [aaa]. Nous souhaitions tirer cela au clair avant de communiquer avec la presse ».  Au moment où l’appelant a diffusé le communiqué de presse, contre l’avis de sa hiérarchie, les informations qui y figuraient n’étaient donc pas publiques, ni accessibles au public. On ne discerne pas en quoi l’article 57 CPDT-JUNE, qui traite de la manière dont les entités communiquent des informations sur leurs activités et leurs projets, serait pertinent ou devrait conduire à une autre conclusion. Comme relevé ci-dessus, le commissaire H.________ a confirmé qu’une telle communication semblait prématurée car les circonstances de l’intervention n’étaient pas claires et que la police suspectait une affaire de stupéfiants. Lors de son audition, le commissaire H.________ a indiqué qu’il avait clairement signifié à l’appelant que les responsables de l’enquête estimaient que le moment était mal choisi et qu’une communication pourrait intervenir ultérieurement. Il a ajouté que le procureur de permanence était d’avis que le fait de diffuser un communiqué de presse contre l’avis des enquêteurs pouvait représenter une violation du secret de fonction, ce dont X.________ avait été informé. Même si le communiqué de presse diffusé ne contenait pas d’informations précises sur l’intervention, au moment où X.________ l’a publié, l’enquête n’en était qu’à ses débuts et il n’était pas certain que de rendre publique l’intervention du matin ne porterait pas préjudice à la suite de la procédure. Dans ce contexte, on doit admettre qu’il s’agissait d’une information confidentielle, que l’autorité avait un intérêt légitime à ne pas divulguer à ce stade précoce de l’enquête.

                        On peut également relever qu’en sa qualité de fonctionnaire de police, X.________ était tenu à un devoir de réserve accru, comme cela résulte des dispositions précitées (art. 15 et 20 LSt-Ne et 76 al. 1 LPol), ce qui, selon la jurisprudence, constitue un indice de la présence d’un intérêt légitime au maintien du secret (arrêt précité 6B_572/2018 cons. 3.3.1 ; cf. également Mahon/Matthey, La liberté d'expression et la liberté syndicale des fonctionnaires, notamment de police, en particulier sous l'angle du droit à la critique, in: Droit public de l'organisation – responsabilité des collectivités publiques – fonction publique, Annuaire 2008 de l'Association suisse du droit public de l'organisation, Berne, 2009, pp. 214, 217, 219 et 225 s., s’agissant en particulier des fonctionnaires de police). En définitive, si l’appelant n’a mentionné que peu d’éléments et qu’il l’a fait dans l’optique de dénoncer un manque d’effectifs, il en a donné suffisamment pour que l’heure (3h du matin) et le lieu (V.________) approximatifs, ainsi que l’une des armes utilisées (un couteau) soient rendus publics, ce que sa hiérarchie lui avait demandé de ne pas faire dans l’immédiat, comme elle pouvait légitimement l’exiger. La Cour pénale est ainsi d’avis que l’on ne se trouve pas dans le cas où « le secret n’est pas percé et aucun intérêt digne de protection n’est lésé » (cf. Corboz, op. cit., n. 33 ad art. 320 CP et la référence citée). Le fait que le principe même d’une communication sur l’incident n’ait pas été remis en cause ne signifie pas qu’il n’existait aucun intérêt légitime à le garder confidentiel pendant un certain temps encore. Comme déjà relevé, la police souhaitait pouvoir enquêter sans que l’information soit immédiatement rendue publique, ce qui est parfaitement compréhensible. En communiquant sur l’évènement malgré cette instruction, l’appelant a lésé un intérêt digne de protection. L’argumentation de l’appelant, qui admet que l’intervention du 22 février 2015 lors de laquelle quatre policiers ont été blessés constituait bien un secret, puis le remet indirectement en cause, en affirmant qu’il n’aurait « révélé » aucun secret vu le peu de détails donnés, ne saurait ainsi être suivie. Par ailleurs, cela reviendrait à considérer qu’il lui appartenait de décider ce qui pouvait ou non être diffusé au sujet de cet incident. Or, comme déjà relevé, l’autorité souhaitait qu’il n’y ait aucune communication publique à ce stade précoce de l’enquête et il n’appartenait pas à l’appelant d’en décider autrement (cf. également cons. 5 ci-dessous). Cela étant, le caractère laconique du communiqué doit être pris en compte au moment d’apprécier la faute de l’intéressé (cons. 9 ci-dessous).

                        d) Il en résulte que les informations diffusées doivent être considérées comme secrètes au sens de l’article 320 ch. 1 CP. En les communiquant à la presse, l’appelant a donc bien révélé un secret.

5.                            a) Lorsqu’un membre d’une autorité ou un fonctionnaire a appris un secret ès qualités, il doit en principe le garder. Selon Corboz, en cas de silence des textes, on doit admettre que les organes exerçant les trois pouvoirs de l’État puissent, si un scandale ou une crise survient, « renseigner largement la population sur l’état de la situation, les mesures prises et le fonctionnement des institutions. Les autorités peuvent faire les communications qu’elles jugent commandées par l’intérêt public, sans que des particuliers ne puissent s’y opposer en invoquant l’article 320 CP (…) ». En revanche, « [l]a situation est différente pour les fonctionnaires, qui sont subordonnés à l’un des pouvoirs de l’État et qui n’ont en principe pas à s’adresser directement au public ; pour eux, la règle – dans le silence des textes – est le secret. Ils ne peuvent faire des communications en dehors de la voie de service que dans la mesure où ils y sont autorisés par leur cahier des charges, la marche normale du service ou des instructions générales ou spéciales. Ainsi, l’attaché de presse de la police peut diffuser les communiqués qui entrent dans le cadre de sa mission, mais n’importe quel fonctionnaire ne peut convoquer une conférence de presse pour dénoncer une situation qu’il trouve injuste ».

                        b) En l’occurrence, il est constant que l’appelant n’était pas chargé de la communication au sein de la police neuchâteloise et qu’il avait reçu l’instruction de ne pas prendre l’initiative de parler de l’intervention de W.________ à ce stade. Les motifs justificatifs qu’il invoque, à savoir sa liberté d’expression et la défense d’intérêts légitimes en sa qualité de président du syndicat, seront examinés ci-dessous (cons. 7 et 8).

6.                            a) La violation du secret de fonction est une infraction intentionnelle. Le dol éventuel suffit et doit porter sur tous les éléments objectifs (arrêt du TF du 25.02.2016 [6B_599/2015] cons. 2.3). L’auteur doit avoir conscience de son devoir de garder le secret, ce qui suppose qu’il connaisse le caractère secret de l’information et sache qu’il l’a apprise en raison de sa charge ou de sa fonction officielle ; il suffit que l’auteur accepte l’éventualité que ces conditions soient réalisées (Corboz, op. cit., n. 36 p. 746)

                        b) En l’espèce, il ressort du déroulement des évènements que l’appelant ne pouvait pas ne pas être conscient du fait que sa hiérarchie voulait garder confidentielle l’intervention policière qui s’était déroulée le matin même à W.________, puisque ses supérieurs l’avaient instamment prié de s’abstenir de diffuser un communiqué à ce sujet (une communication au public semblant alors prématurée et inopportune). Il était donc conscient du caractère secret de l’information. On ne peut pas suivre le recourant lorsqu’il affirme qu’il n’aurait pas eu conscience d’avoir appris l’information en raison de sa charge officielle. Comme relevé ci-dessus et ainsi que cela résulte de l’arrêt de renvoi, il faut admettre que le courriel du caporal B.________ constituait une communication destinée à des membres de la police neuchâteloise ; ce courriel ne constituait pas l’envoi d’un fonctionnaire syndiqué au président de son syndicat afin de lui faire part de faits relevant de sa compétence. Compte tenu du caractère policier de cette communication, l’appelant ne pouvait ignorer qu’il la recevait en sa qualité de fonctionnaire de police, et non uniquement de président du syndicat A.________. Par ailleurs et surtout, bien qu’il fût simultanément fonctionnaire et président du syndicat, l’appelant avait conscience de son devoir de garder le secret dans le cas particulier, puisque sa hiérarchie lui avait expressément demandé de ne rien révéler à ce stade et qu’il avait en outre été rendu attentif au fait que diffuser un communiqué de presse contre l’avis des enquêteurs pouvait représenter une violation du secret de fonction. Une éventuelle erreur sur l’illicéité (art. 21 CP) ne saurait ainsi être admise, l’appelant ne pouvant ignorer son devoir de ne pas s’exprimer publiquement à ce moment-là. Pour le surplus, il n’est pas contesté que l’appelant avait conscience que l’information diffusée au public n’était pas (encore) publique. Aussi, en rendant publique une information dont il avait eu connaissance dans le cadre de sa charge de fonctionnaire, contre l’avis de sa hiérarchie qui l’avait instamment prié de s’abstenir d’une telle communication à ce stade, l’appelant savait, à tout le moins par dol éventuel, qu’il violait son secret de fonction.

7.                            a) Celui qui est accusé d’une violation du secret de fonction peut invoquer des faits justificatifs légaux ou extralégaux (ATF 114 IV 28 cons. b).

                        b) En l’occurrence, l’appelant soutient que la nécessité, en sa qualité de président du syndicat, de dénoncer les conséquences d’un manque d’effectifs, constituait un motif justificatif. En d’autres termes, il invoque sa liberté d’expression, liée à la fonction syndicale qu’il exerçait.

                        c) L’exercice de la liberté d’expression, garanti par les articles 16 al. 2 Cst. et 10 § 1 CEDH, comporte des devoirs et des responsabilités et peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, « à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire » (art. 10 § 2 CEDH). À l'instar des autres droits fondamentaux, la liberté d'expression n'a donc pas une valeur absolue. Une ingérence dans son exercice est conforme à l'article 10 CEDH si elle est prévue par la loi, si elle poursuit un but légitime de protection de l'intérêt public et si elle est proportionnée au but légitime poursuivi. Ces critères correspondent à ceux posés en matière de restrictions des droits fondamentaux par l'article 36 Cst., disposition qui exige que de telles restrictions reposent sur une base légale, soient justifiées par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et, selon le principe de la proportionnalité, se limitent à ce qui est nécessaire et adéquat à la réalisation des buts d'intérêt public poursuivis (arrêt du TF du 16.09.2011 [6B_143/2011] cons. 3.3.1).

                        d) La liberté syndicale consacrée à l'article 28 al. 1 Cst. implique que les travailleurs, les employeurs et leurs organisations ont le droit de se syndiquer pour la défense de leurs intérêts, de créer des associations et d'y adhérer ou non. Jurisprudence et doctrine distinguent la liberté syndicale individuelle de la liberté syndicale collective. La liberté syndicale individuelle donne au particulier le droit de contribuer à la création d'un syndicat, d'adhérer à un syndicat existant ou de participer à son activité (liberté syndicale positive), ainsi que celui de ne pas y adhérer ou d'en sortir (liberté syndicale négative), sans se heurter à des entraves étatiques. Quant à la liberté syndicale collective, elle garantit au syndicat la possibilité d'exister et d'agir en tant que tel, c'est-à-dire de défendre les intérêts de ses membres (ATF 140 I 257 cons. 5.1). À première vue, la liberté syndicale paraît conférer à la liberté d’expression une dimension supplémentaire, en ce sens qu’elle renforce en quelque sorte la liberté d’expression des personnes qui l’exercent, afin que ces dernières puissent s’exprimer, au moins sur certains sujets, de manière relativement libre (Mahon/Matthey, op. cit., pp. 227 et 230). Cela étant, s’agissant de propos exprimés par des syndicats ou des syndicalistes, la liberté syndicale se heurte aux mêmes limites et restrictions que celles qui valent pour la liberté d’expression (Mahon/Matthey, op. cit., p. 229). Comme tous les autres droits fondamentaux, elle peut être restreinte aux conditions de l’article 36 Cst., c’est-à-dire pour autant qu’il y ait une base légale, un intérêt public ou privé prépondérant et que l’atteinte au droit fondamental soit proportionnée au but visé (art. 36 Cst.). À côté des limites générales, il existe – comme pour la liberté d’expression – des limites spécifiques, particulières, pour certaines catégories de personnes, parmi lesquelles se trouvent les fonctionnaires. Ceux-ci peuvent en effet se voir imposer des restrictions plus importantes que les autres particuliers, en raison du rapport de droit spécial qui les lie à l’État (Mahon/Matthey, op. cit., p. 231). Afin d’apprécier le caractère acceptable ou admissible de propos exprimés sous le couvert de la liberté syndicale, on devra toujours mettre en balance, d’un côté, la liberté d’expression accrue qu’implique la liberté syndicale et, de l’autre côté, le devoir de réserve qui s’impose aux fonctionnaires (Mahon/Matthey, op. cit., pp. 235 et 239). S’agissant plus particulièrement des fonctionnaires de police, les auteurs précités considèrent que les syndicats de police (et les membres de la police qui sont « dirigeants syndicaux ») ont le droit de s’exprimer, même de manière critique, sur des affaires ayant trait au statut et aux droits et obligations des fonctionnaires de police, à la condition toutefois qu’ils s’expriment d’abord, en principe, dans le cadre des procédures et dans les formes prévues à cet effet, à l’interne de l’institution de la police. Ils ne peuvent s’adresser au public qu’exceptionnellement et en dernier recours, si et dans la mesure où les diverses procédures internes prévues à cet effet, dûment utilisées, se révèlent inefficaces et inopérantes (Mahon/Matthey op. cit., p. 240).

                        e) En l’espèce, il n’est pas contesté que la restriction apportée à la liberté d’expression de l’appelant, dans le cadre de l’exercice de sa fonction syndicale, repose sur une base légale suffisante, à savoir l’article 320 CP. Cette disposition, qui vise à préserver le bon fonctionnement des institutions et la protection de la sphère privée des particuliers (ATF 142 IV 65 cons. 5.1), poursuit l’un des objectifs légitimes prévus par l'article 10 par. 2 CEDH, puisqu’elle vise à empêcher la divulgation d'informations confidentielles. Sachant que les enquêteurs souhaitaient éclaircir les circonstances qui avaient nécessité l’intervention avant que le public n’en soit informé, l’intérêt à la préservation de la confidentialité de l’intervention, à ce stade précoce de l’enquête, l’emportait sur l’intérêt de l’appelant à dénoncer l’agression de ses collègues et les conséquences d’un manque d’effectifs, aussi regrettable fût-il. Ce d’autant plus que, malgré ce que sous-entend l’appelant, sa hiérarchie ne lui avait pas signifié que les évènements du 22 février 2015 seraient passés sous silence, une communication officielle étant simplement jugée prématurée (voir témoignage du commissaire H.________). Le devoir de réserve accru qui s’imposait à l’appelant, en raison de son statut de fonctionnaire, doit également être pris en compte dans la balance des intérêts en jeu. Si la dénonciation des faits de violence contre les policiers et le manque d’effectifs constituait indéniablement une démarche légitime de sa part, au moment où l’appelant a diffusé son communiqué de presse, l’enquête n’en était qu’à ses débuts et il n’était pas certain que de rendre publique l’intervention du matin ne porterait pas préjudice à la suite de la procédure. Il n’existait au demeurant pas d’urgence à alerter l’opinion publique. En effet, comme l’a relevé le ministère public, l’impact de l’information n’aurait pas été moindre si l’intéressé avait attendu quelques jours, comme le souhaitait sa hiérarchie, le temps de se convaincre que rien ne s’opposait à cette communication. Par ailleurs, contrairement à ce qui prévalait dans l’affaire Weber contre Suisse (arrêt de la CourEDH 10/1989/170/226 du 22.05.1990, § 122, 128 et 129), les faits n’avaient pas déjà été rendus publics lorsque l’appelant a diffusé le communiqué de presse en cause. En outre, l’appelant est à l’origine de la communication litigieuse, pour des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de sa fonction de policier (cf. a contrario arrêt de la CourEDH, requête 77551/01 du 25.04.2006, affaire Dammann c. Suisse, § 55, où l’intéressé, journaliste, avait obtenu des renseignements suite à l’indiscrétion commise par une assistante du parquet). Enfin, la sanction prononcée, qui relève davantage de la peine de principe, demeure proportionnée (cf. cons. 9 ci-dessous). Elle tient compte des intérêts que l’appelant entendait défendre, s’agissant de l’affaire de l’intervention de W.________.

8.                            Selon la jurisprudence, l'existence d'un motif justificatif non prévu par la loi, telle la sauvegarde d'intérêts légitimes, ne doit être admise que restrictivement. Sa reconnaissance est soumise à des exigences particulièrement sévères dans l'appréciation de la subsidiarité et de la proportionnalité. Ces conditions ne sont réunies que lorsque l'acte illicite ne constitue pas seulement un moyen nécessaire et approprié pour la défense d'intérêts légitimes d'une importance nettement supérieure à celle des biens protégés par la disposition violée, mais si cet acte constitue, en outre, le seul moyen possible pour cette défense. Ces conditions sont cumulatives (arrêt du TF du 25.02.2016 [6B_599/2015] cons. 2.3.1 et les références citées ; Hug, Whistleblowing et secrets pénalement protégés : quels risques pour le lanceur d’alerte en Suisse ?, in : RPS 131/2013, p. 22). À propos de l’article 320 CP, Corboz est d’avis que l’existence d’un fait justificatif extralégal (que constitue la défense d’un intérêt légitime) ne peut éventuellement entrer en considération que si l’intéressé a épuisé en vain et préalablement les voies légales ouvertes pour éviter une telle extrémité, en particulier celles prévues par l’article 320 ch. 2 CP (consentement écrit de l’autorité supérieure) (Corboz, op. cit., n. 46 ad. 320 CP). L’existence de moyens légaux exclut en principe le recours au fait justificatif de la sauvegarde d’intérêts légitimes (Hug, op. cit., p. 22).

                        L’examen des arguments de l’appelant sous l’angle de la sauvegarde d’intérêts légitimes conduit à la même conclusion que plus haut. En effet, même si, en sa qualité de président du syndicat, l’appelant entendait dénoncer l’agression contre ses collègues et le manque d’effectifs de la police, il n’existait pas d’urgence justifiant qu’il passe outre l’interdiction de sa hiérarchie et décide de publier immédiatement un communiqué à ce sujet. Au demeurant, comme relevé ci-dessus, l’appelant n’établit pas que sa hiérarchie entendait « passer sous silence » ces évènements. Il résulte au contraire du témoignage de H.________ qu’une communication officielle était simplement jugée prématurée. Dans son mémoire d’appel motivé, l’appelant ne conteste d’ailleurs plus que le principe d’une communication était admis. La qualité de président du syndicat de l’appelant ne constituait dès lors pas un motif justificatif à la violation de son secret de fonction, comme il semble le soutenir. En l’occurrence, l’appelant n’a pas cherché à obtenir l’accord de ses supérieurs, mais les a mis devant le fait accompli en leur adressant le communiqué peu avant sa diffusion. L’intéressé n’a donc pas épuisé en vain et préalablement les voies légales ouvertes pour éviter de violer son secret de fonction, en particulier celles prévues par l’article 320 ch. 2 CP. De plus, comme déjà relevé, l’appelant ne démontre pas en quoi il était urgent et nécessaire de communiquer cette information à la presse pour défendre les droits des membres du syndicat.

9.                            Vu ce qui précède, l'appel doit être rejeté.

                        Le tribunal de police a condamné le prévenu à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à 170 francs (soit 5'100 francs au total) avec sursis pendant deux ans, et à une peine additionnelle au sens de l’article 42 al. 4 CP d’un montant de 600 francs correspondant, en cas de non-paiement fautif, à une peine privative de liberté de substitution de six jours. L’appelant, qui conclut à son acquittement, ne formule pas de grief en ce qui concerne la peine prononcée – que ce soit en relation avec le genre de peine, la quotité de celle-ci, le montant retenu pour le jour-amende ou encore la peine additionnelle prononcée. Sur ces questions, on peut sans autre se référer au jugement entrepris, qui tient compte des critères pertinents et de la situation personnelle de l’intéressé (p. 9 s.), sans avoir à le paraphraser (art. 82 al. 4 CPP). La Cour pénale considère en outre que la peine, modérée et qui relève au fond de la peine de principe, tient compte du peu de gravité relatif de la violation du secret de fonction dans le cas d’espèce, les informations divulguées n’étant en principe pas destinées à être gardées confidentielles encore longtemps par la police neuchâteloise, s’agissant en particulier de l’affaire de W.________. Elle tient compte en outre du fait que l’appelant n’a pas agi pour nuire à la police, mais par légèreté au sujet du radar endommagé et, pour l’affaire de W.________, dans l’idée de répondre à une attente de la part des membres du syndicat qu’il présidait, dont il pensait qu’ils seraient pressés que l’agression subie par leurs collègues soit dénoncée publiquement. Les informations contenues dans le communiqué de presse étaient au surplus peu détaillées, puisqu’elles ne contenaient pas les noms ni les lieux précis de l’intervention.

                        Il résulte de ce qui précède que l’appel s’avère mal fondé et qu’il sera donc rejeté. Vu l’issue de la procédure de recours, les frais seront mis à la charge de l’appelant (art. 428 al. 1CPP).

Par ces motifs,
la Cour pénale decide

Vu les articles 320 ch. 1 CP, 428 al. 1 CPP,

1.    L’appel est rejeté.

2.    Les frais de procédure d’appel, arrêtés à 1’500 francs, sont mis à la charge de X.________.

3.    Le présent jugement est notifié à X.________, par Me I.________, au ministère public, Parquet général de Neuchâtel (MP.2014.3776) et au Tribunal du Littoral et du Val-de-Travers (POL.2015.54).

 

Neuchâtel, le 3 décembre 2019

 

  
Art. 320 CP
Violation du secret de fonction
 

1. Celui qui aura révélé un secret à lui confié en sa qualité de membre d’une autorité ou de fonctionnaire, ou dont il avait eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

La révélation demeure punissable alors même que la charge ou l’emploi a pris fin.

2. La révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement écrit de l’autorité supérieure.