Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 20.02.2020 [6B_1463/2019]

 

 

 

 

 

A.                               X.________ est né en 1949. Il s’est marié à l’âge de 21 ans avec Y.________. Deux enfants, aujourd’hui majeurs, sont issus de leur union. Les époux XY.________ se sont séparés en 1994 et sont divorcés depuis 1999, date à laquelle le principe du divorce est entré en force, étant précisé que les effets accessoires du divorce sont exécutoires depuis 2003. X.________ est à la retraite. Il touche actuellement une rente AVS d’environ 1'900 francs par mois et il a de nombreuses dettes.

B.                               X.________ se plaint depuis plusieurs années de dysfonctionnements judiciaires intervenus dans le cadre de sa procédure de divorce entamée en 1994 et soutient avoir été victime d’un complot ourdi par la justice pour le dépouiller d’une partie de ses biens. Il a notamment mis en cause des juges, des avocats et des hommes politiques, qui, de près ou de loin, ont eu affaire à son divorce, pour obtenir réparation de son préjudice, voire leurs démissions. Il a nourri un ressentiment particulier envers A.________, décédé depuis lors, qui occupait la charge de président du Tribunal civil de l’arrondissement de B.________(FR), devant lequel X.________ a ouvert action matrimoniale le 14 décembre 1994 (pour une chronologie des principales étapes du divorce des époux XY.________, cf. jugement du 6 mars 2008 du Tribunal pénal de l’arrondissement de la Sarine, p. 28 ss, in annexe au dossier).

X.________ a rédigé plusieurs documents dans lesquels il reprochait à ce magistrat d’être un menteur et un manipulateur. Il l'accusait notamment de faux témoignage, d'abus de droit, d'abus d'autorité, de partialité, de contrainte et de menace. Il a envoyé ces documents à divers destinataires (Grand Conseil fribourgeois, Conseillers d'Etat, Présidente du Grand Conseil, Commission de la justice et autres destinataires non identifiés) et les a rendus accessibles sur son site internet. En procédant de la sorte, le prévenu a cherché à nuire à la réputation de l'ancien magistrat en publiant des allégations mensongères portant atteinte à son honneur. En parallèle, X.________ a également tenté de contraindre A.________ à admettre des prétendus torts dans la conduite de son procès de divorce, faisant preuve à l’égard du plaignant d’un harcèlement obsessionnel (ou stalking) en créant un climat de contrainte généralisée.

C.                               Les agissements du prévenu ont provoqué le dépôt de plusieurs plaintes pénales, qui ont entraîné sa condamnation, en 2008, par le Tribunal pénal de l’arrondissement de la Sarine, à une peine privative de liberté de 42 mois et à une amende de 500 francs pour diffamation, calomnie, injure, menaces, contraintes (délit manqué et tentative), violation de domicile, faux dans les titres, extorsion et chantage (tentative) et contrainte.

D.                               Le 20 septembre 2011, A.________ a déposé plainte pénale pour calomnie et contrainte, au sens des articles 174 et 181 CP, contre X.________. Le plaignant reprochait à X.________ d’avoir commis de nouvelles atteintes graves à son honneur, alors que le prévenu exécutait la peine privative de liberté prononcée par le Tribunal pénal de la Sarine, au sein de l’établissement d’exécution des peines J.________, à Z.________.

Le 5 avril 2012, A.________ a déposé une plainte pénale complémentaire pour calomnie et contrainte, au sens des articles 174 et 181 CP, contre X.________, alors en exécution de peine auprès d’un établissement pénitentiaire, pour avoir entretenu un site internet intitulé : « Site officiel de X.________ » donnant accès à des textes comportant des atteintes à l’honneur du plaignant.

E.                               « Le 18 juillet 2014, le ministère public a rendu une ordonnance pénale condamnant X.________, pour tentative de contrainte et calomnie aggravée, à 3 mois de peine privative de liberté sans sursis, renoncé à prononcer sa réintégration à l’établissement d’exécution des peines J.________ de Z.________, prolongé le délai d’épreuve de 7 mois et condamné le même aux frais de la cause, arrêtés à 300 francs. Il retenait en fait que :

A Z.________, rue [aaaaa], depuis l’établissement d’exécution des peines J.________, et en tout autre endroit, entre le 1er janvier 2011 et le 9 mai 2011, X.________ s’est rendu coupable de calomnie à l’encontre de A.________ en envoyant plusieurs documents qu’il avait écrits (Appendices 1, 3, 4, 5 et 6) à divers destinataires (au Grand Conseil Fribourgeois, au Conseiller d’Etat C.________, à la Conseillère d’Etat D.________, au Conseiller d’Etat E.________, à la présidente du Grand Conseil F.________, à la Commission de la justice et à d’autres destinataires non-identifiés). De plus, depuis une date indéterminée et à ce jour encore, il a rendu ces mêmes documents ainsi qu’un document intitulé « Plaintes G.________ (recte : G.________) A.________ » accessibles sur son site internet www.X________.info. Par ces actes X.________ a cherché à ruiner la réputation de l’ancien magistrat A.________.

A Z.________, rue [aaaaa] depuis l’établissement d’exécution des peines J.________, et en tout autre endroit, entre le 1er janvier 2011 et jusqu’à ce jour, X.________ a tenté de contraindre A.________ à admettre des prétendus torts dans la conduite de son procès en divorce, procédant ainsi par « stalking » en créant un climat de contrainte généralisée. »

F.                               X.________ a formé en temps utile opposition contre cette ordonnance, qui a dès lors été transmise au tribunal de police comme valant acte d’accusation (art. 356 al. 1 CPP).

G.                               Dans son jugement du 21 octobre 2014, motivé le 12 janvier 2017 et notifié au prévenu le 6 avril 2017, le tribunal de police a retenu l’intégralité des préventions figurant dans l’ordonnance pénale. Au moment de fixer la peine, le premier juge a considéré que la culpabilité du prévenu était lourde. Il fallait tenir compte de la réitération et du concours des infractions commises, ainsi que des antécédents. Les conditions d’une peine privative de liberté ferme de moins de 6 mois étaient réalisées selon l’article 41 CP, en particulier parce que les conditions à l’octroi du sursis n’étaient pas réunies. Il a condamné le prévenu à une peine privative de liberté de trois mois sans sursis.

H.                               Le 11 avril 2017, X.________ a fait appel de ce jugement. Il invoquait en particulier un déni de justice et une violation du principe de la célérité.

I.                                 Par jugement du 19 décembre 2018, la Cour pénale a admis partiellement l’appel. Elle a considéré que l’appelant s’était rendu coupable de calomnie aggravée et de tentative de contrainte. Pour fixer la peine, la Cour a tenu compte du fait que l’infraction de contrainte était retenue au degré de la tentative, ce qui justifiait une légère diminution de peine. Elle a arrêté la sanction à 85 jours de peine privative de liberté, compte tenu de la culpabilité du prévenu. Elle a ensuite pris en considération une responsabilité pénale légèrement diminuée, sur la base d’une expertise rendue le 11 février 2008 par le Dr H.________, soit une responsabilité restreinte de 1/6ème. Cela conduisait à fixer la peine à 70 jours. S’agissant des facteurs liés à l’auteur, la Cour retenait que les antécédents étaient mauvais, en fonction d’une condamnation déjà prononcée pour des faits similaires, qui n’avait nullement retenu l’appelant de réitérer ses comportements alors qu’il purgeait sa peine, ainsi que durant la procédure devant elle. Quant à la situation personnelle du prévenu, elle relevait que le prévenu, divorcé, était âgé de 69 ans, qu’il percevait une rente AVS d’environ 1'900 francs par mois et avait de nombreuses dettes. L’appelant n’avait pas exprimé de regrets. La Cour a admis une « violation assez crasse » du principe de célérité par le tribunal de police. Le jugement du tribunal de première instance avait été rendu le 21 octobre 2014, mais n’avait été motivé que le 12 janvier 2017, soit plus de deux ans plus tard, alors qu’il aurait dû l’être dans un délai de 60 jours, exceptionnellement 90 jours (art. 84 al. 4 CPP). Rien, en fonction du dossier, ne permettait de justifier un tel retard. Une violation du principe de célérité pouvait avoir pour répercussion une diminution de la sanction, conséquence qui devait être retenue en l’espèce. Dès lors, la peine privative de liberté devait être réduite à 50 jours de peine privative de liberté sans sursis.

J.                                Contre le jugement de la Cour pénale, X.________ a déposé, le 9 février 2019, un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. En substance, il concluait à son acquittement de tout chef d’accusation ainsi qu’à l’annulation de toute peine ferme prononcée à son encontre, en raison du retard injustifié imputable au tribunal de première instance s’agissant de la motivation du jugement.

K.                               Dans son arrêt du 10 avril 2019, la Cour pénale du Tribunal fédéral a partiellement admis le recours sur la question de peine et l’a déclaré irrecevable pour le surplus. En résumé, le Tribunal fédéral a retenu que la cour cantonale n'avait pas tenu compte de la gravité de l'atteinte que le retard avait causé au recourant du fait qu'une peine privative de liberté ferme avait été prononcée. Elle n'avait pas davantage pris en considération le genre et la gravité des infractions reprochées en l'espèce (délit contre l'honneur et délit contre la liberté, au stade de la tentative). Dans ces circonstances, il fallait considérer que la cour cantonale avait violé le droit fédéral en ne réduisant que de 20 jours la quotité de la peine privative de liberté pour « violation assez crasse » du principe de célérité.

L.                               Par courrier du 9 mai 2019, le ministère public a renoncé à déposer des observations suite à l’arrêt du Tribunal fédéral.

M.                              Le 11 mai 2019, l’appelant a déposé ses observations. Il allègue que le fait d’avoir dû attendre plus de deux ans la motivation du jugement de première instance, avec, durant cette attente inacceptable, une « épée de Damoclès au-dessus de la tête » constituait déjà une peine en soi. Il faut donc renoncer à prononcer une peine privative de liberté ferme. En outre, son état de santé actuel l’empêche de subir une quelconque peine.

N.                               Le 16 mai 2019, un mandat de comparution a été adressé au prévenu pour l’audience devant la Cour pénale appointée au 12 septembre suivant.

O.                               Le 3 août 2019, l’appelant a indiqué qu’il ne pourrait pas comparaître en raison de ses problèmes de santé, certificats médicaux à l’appui.

P.                               Le 9 août 2019, la présidente de la Cour pénale a écrit au prévenu afin de l’informer qu’il pouvait demander une dispense de comparaître et qu’il devait, le cas échéant, déposer un mémoire d’appel motivé.

Q.                               Le 19 août 2019, le prévenu a fait valoir que son état de santé l’empêchait de subir des situations de stress, ce qui excluait une comparution devant une autorité pénale. Il indiquait vouloir déposer son mémoire motivé avant l’ouverture des débats.

R.                               A l’audience du 12 septembre 2019, le prévenu ne s’est pas présenté ni fait représenter. Il n’a pas déposé de mémoire motivé.

S.                               Une nouvelle audience a été appointée au 23 octobre 2019.

T.                               Le 21 octobre 2019, le prévenu a demandé une dispense de comparaître en raison de ses problèmes de santé ressortant du dossier médical en possession de la cour. À titre de conclusions motivées, il a confirmé l’intégralité de ses précédentes écritures.

U.                               La Cour pénale a dispensé le prévenu de comparaître par courrier du 22 octobre 2019.

C O N S I D E R A N T

1.                                Conformément au principe de l'autorité de l'arrêt de renvoi, l'autorité cantonale, à laquelle une affaire est renvoyée, est tenue de fonder sa nouvelle décision sur les considérants de droit de l'arrêt du Tribunal fédéral. Sa cognition est limitée par les motifs de l'arrêt de renvoi, en ce sens qu'elle est liée par ce qui a déjà été tranché définitivement par le Tribunal fédéral, ainsi que par les constatations de fait qui n'ont pas été attaquées devant lui ou l’ont été sans succès (ATF 143 IV 214 cons. 5.2.1 ; arrêt du TF du 16.04.2019 [6B_338/2019] cons. 1). La motivation de l'arrêt de renvoi détermine dans quelle mesure la cour cantonale est liée à la première décision et fixe aussi bien le cadre du nouvel état de fait que celui de la nouvelle motivation juridique. Les parties ne peuvent plus faire valoir, dans un nouveau recours de droit fédéral contre la nouvelle décision cantonale, des moyens que le Tribunal fédéral avait expressément rejetés dans l'arrêt de renvoi ou qu'il n'avait pas eu à examiner, les parties ayant omis de les invoquer dans la première procédure de recours, alors qu'elles pouvaient - et devaient - le faire (arrêt du TF du 16.04.2019 [6B_338/2019] précité ; arrêt du TF du 28.04.2015 [6B_187/2015] cons. 1.1.2). 

2.                                Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a rejeté les griefs de l’appelant en rapport avec les infractions de tentative de contrainte et de calomnie et déclaré irrecevable le recours en tant qu’il portait sur le verdict de culpabilité. Il n’y a donc pas lieu de rediscuter ces questions. Selon la motivation de l’arrêt de renvoi, qui fixe le cadre de la nouvelle motivation juridique (sans qu’il soit nécessaire que le prévenu ne dépose de mémoire motivé à cet égard), il s’agit uniquement de déterminer dans quelle mesure il faut réduire la peine compte tenu de la violation du principe de célérité. En effet, la cour cantonale a violé le droit en ne réduisant que de 20 jours la quotité de la peine privative de liberté pour violation « assez crasse » du principe de célérité. Le Tribunal fédéral n’a pas remis en question les différents éléments retenus par la Cour pénale au moment de fixer la peine : critères de fixation de la culpabilité, réduction en raison de la responsabilité légèrement diminuée, prise en compte des facteurs liés à l’auteur, choix du type de peine, situation personnelle et sensibilité à la sanction vu l’âge et les problèmes de santé invoqués par l’appelant (céphalées post-traumatiques). 

3.                                a) Aux termes de l’article 84 al. 4 CPP, si le tribunal doit motiver son jugement par écrit, il notifie dans les 60 jours, exceptionnellement dans les 90 jours, au prévenu et au ministère public, le jugement intégralement motivé et ne notifie aux autres parties que les passages du jugement qui se réfèrent à leurs conclusions.

b) Les articles 5 CPP et 29 al. 1 Cst. garantissent notamment à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Ces dispositions consacrent le principe de la célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (arrêt du TF du 02.07.2019 [6B_36/2019] cons. 3.5.1 ; ATF 143 IV 373 cons. 1.3.1; cf. ATF 130 I 312 cons. 5.1). Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut ; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Le principe de la célérité peut être violé même si les autorités pénales n'ont commis aucune faute ; elles ne sauraient exciper des insuffisances de l'organisation judiciaire (ATF 130 IV 54 cons. 3.3.3). Il incombe au juge d'indiquer comment et dans quelle mesure il a tenu compte de la violation du principe de célérité (arrêt du TF du 02.07.2019 [6B_36/2019] cons. 3.5.1) 

c) Le principe de la célérité impose aux autorités, dès le moment où l'accusé est informé des soupçons qui pèsent sur lui, de mener la procédure pénale sans désemparer, afin de ne pas maintenir inutilement l'accusé dans les angoisses qu'elle suscite (ATF 124 I 139 cons. 2a). Le prévenu n’est pas le seul à avoir un intérêt à ce que la cause soit jugée rapidement. L’Etat a également un intérêt au fonctionnement rapide de l’administration de la justice pénale. La réaction sociale est d’autant plus efficace qu’elle est prompte, une sanction perdant sa valeur psychologique si elle est infligée tardivement (Moreillon/Parein-Reymond, PC CPP, n. 3 ad art. 5 CPP).

Comme les retards dans la procédure pénale ne peuvent être guéris, le Tribunal fédéral a fait découler de la violation du principe de la célérité des conséquences sur le plan de la peine. Le plus souvent, la violation de ce principe conduira ainsi à une réduction de la peine, parfois même à la renonciation à toute peine ou encore à une ordonnance de non-lieu (en tant qu'ultima ratio dans des cas extrêmes; ATF 117 IV 124 cons. 4d ; ATF 124 I 139 cons. 2a). Selon la jurisprudence, il est possible de tenir compte de la violation du principe de célérité en réduisant une peine prononcée avec sursis, même si une telle réparation n’est pas perceptible pour le prévenu. Il en va de même de la simple constatation de la violation du principe de célérité dans le dispositif, qui, bien qu’elle ne soit pas non plus perceptible pour le prévenu, est également reconnue comme possibilité de réparation morale (ATF 143 IV 373 cons. 1.4, JdT 2018 IV 146 cons. 1.4.2).

d) S’agissant de la question de la juste conséquence de la violation du principe de célérité dans l’examen de la sanction, la jurisprudence considère qu’il convient de tenir compte de la gravité avec laquelle la personne accusée a été atteinte par le retard dans la procédure, l’importance des faits qui lui sont reprochés et quelle peine devrait lui être infligée si le principe de la célérité n’était pas violé. Les intérêts des lésés et la complexité de l’affaire doivent également être examinés. Enfin, l’on doit également prendre en considération la question de savoir à qui le retard dans la procédure peut être imputé (ATF 143 IV 373, JdT 2018 IV 146 cons. 1.4.1). Dans une jurisprudence plus ancienne, le Tribunal fédéral a également insisté sur le devoir du juge de constater expressément la violation du principe de célérité dans le jugement et de bien montrer comment et dans quelle mesure il a apprécié cette circonstance en tenant compte de l'importance du tort que le retard dans l'instruction a causé à l'inculpé; la gravité des infractions qui lui sont reprochés et la peine qu'elle devrait normalement lui valoir; l'intérêt des lésés, pour la réparation de leur dommage, de pouvoir se fonder sur une condamnation du responsable de celui-ci; pas plus que l'inculpé ils n'ont en effet à supporter les conséquences d'un retard dans l'instruction de leur cause (ATF 117 IV 124).

e) Dans un arrêt récent (Jug / 2018 / 92 du 13 mars 2018 rendu après un renvoi du TF du 07.12.2017 [6B_189/2017]), le tribunal cantonal vaudois a procédé à une réduction de la peine selon une méthode de pourcentage pour tenir compte d’une part de la violation du principe de célérité et d’autre part de la circonstance atténuante tirée de l’écoulement du temps (en l’occurrence respectivement de 30 % et 20 %). 

4.                                a) En l’espèce, le Tribunal fédéral n’a pas remis en cause les critères qui ont guidé l’appréciation de la Cour pénale lors de l’application de l’article 47 CP pour la fixation de la peine et qui l’ont conduite à considérer qu’une peine de 70 jours de privation de liberté ferme semblait adéquate pour sanctionner le comportement fautif du prévenu – compte tenu également de sa légère diminution de responsabilité – sans tenir compte de la violation du principe de célérité (arrêt du TF du 10.04.2019 [6B_203/2019] cons. 3.3.1, arrêt de la CPEN du 19.12.2018 [CPEN.2017.29] cons. 12). On peut y renvoyer (art. 82 al. 4 CPP). Il convient donc uniquement d’examiner dans quelle proportion la peine de 70 jours de peine privative de liberté doit être réduite compte tenu de la violation du principe de célérité. La circonstance atténuante de l’article 48 let. e CP n’est pas réalisée, faute de bon comportement de l’appelant durant un temps relativement long (celui-ci persistant au contraire à rédiger et envoyer des courriers calomnieux encore aujourd’hui).

b) A cet égard, la Cour pénale constate que l’instruction a été ouverte contre le prévenu en novembre 2011, qu’il a été renvoyé en jugement – suite à l’opposition à l’ordonnance pénale le condamnant – le 21 octobre 2014 et que le dispositif du jugement de première instance a été rendu le jour même oralement après une brève délibération. Or la motivation dudit jugement n’est intervenue que le 12 janvier 2017, date de l’expédition du jugement et la notification au prévenu s’est faite le 6 avril 2017 à la prison de Sion. A compter du jour où l’instruction a été ouverte contre l’appelant, la procédure pénale cantonale a donc duré plus de six ans. Les infractions de calomnie et de contrainte reprochées au prévenu reposaient sur de multiples publications et nécessitaient l’examen de procédures préalables menées par d’autres autorités judiciaires. Les écrits de l’appelant étaient parfois denses de même que les pièces à étudier. Cela étant, la cause ne soulevait pas de questions juridiques nombreuses ou difficiles, ne comportait pas de dimension internationale et n’impliquait pas de nombreux autres prévenus ou parties qui auraient rendu l’affaire compliquée. Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable de rencontrer dans la procédure quelques temps morts. Cependant en l’espèce une période excessivement longue s’est écoulée entre le moment où le dispositif du jugement de première instance a été rendu oralement en audience et le moment où la motivation du jugement est intervenue. Ce retard injustifié a contribué au rallongement significatif de la procédure pénale cantonale. Il faut constater, après une appréciation d’ensemble, que ni la complexité de l’affaire ni l’ampleur du travail ne justifiaient une telle durée. Le non-respect des délais fixés par l’article 84 al. 4 CPP est donc clairement constitutive d’une violation du principe de célérité.

Le prévenu allègue que cette longue période d’attente précédant la motivation de son jugement constituait déjà une peine en soi. La Cour pénale relève à cet égard que l’appelant, qui avait déjà été condamné en 2008 par les autorités fribourgeoises pour des faits de calomnie et de contrainte, a déposé les 17 novembre, 24 novembre, 31 décembre 2014 et 7 janvier 2015, soit peu après le prononcé du dispositif du jugement de première instance, des liasses de pièces dans lesquelles il réitérait ses agissements en désignant nominativement le plaignant. Le prévenu ne semble ainsi pas avoir été gravement atteint par le retard pris dans la procédure. En tous les cas, la menace constante de la peine qu’il encourait (et qu’il connaissait au demeurant puisque le dispositif avait été rendu), qui pesait sur le prévenu telle une « épée de Damoclès » selon ses termes, ne semble pas avoir été suffisamment dissuasive pour l’empêcher de renouveler ses allégations. Il ne paraît donc pas que le retard injustifié et l’attente qui en a découlé pour le prévenu constituent une sanction telle qu’une peine semble inappropriée. Il faut au contraire considérer que, dans la mesure où le comportement du prévenu n’a pas radicalement changé durant cette période, une réaction sociale, même tardive, paraît nécessaire et la juste conséquence de la violation du principe de célérité ne peut être qu’une réduction de la peine.

S’agissant de la prise en compte des intérêts du lésé, représenté par ses héritiers, il convient de rappeler que le prévenu s’est livré à une campagne de dénigrement systématique et durable à l’encontre du plaignant, dans une volonté claire de lui nuire et afin d’anéantir sa réputation. Il a cherché à le contraindre à admettre ses torts. A cet égard et selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le lésé, pas plus que l’inculpé, n’a à supporter les conséquences d’un retard dans l’instruction de sa cause (cons. 3.c supra). La prise en compte des intérêts de la partie plaignante, contre laquelle le prévenu a agi sans retenue, conduit donc également la Cour pénale à considérer que la juste conséquence de la violation du principe de célérité constitue en une réduction de peine et non pas à la renonciation de toute peine.

On doit relever, sans qu’il convienne de parler d’une violation du principe de célérité, que la procédure d’appel a également connu une durée inhabituellement longue, compte tenu de difficultés pour la notification de la décision attaquée (une ordonnance de classement a dû être révoquée), des questions liées à la désignation d’un avocat pour assister l’appelant, de difficultés pour la consultation du dossier, puis d’un renvoi d’audience suite à l’absence de l’appelant, ce dernier obtenant gain de cause à deux reprises devant le Tribunal fédéral. L’appelant ne se plaint pas de la durée de la procédure d’appel. On notera que durant la procédure d’appel, l’appelant a continué à proférer ses accusations calomnieuses contre le plaignant.

S’agissant de la situation personnelle de l’auteur, il faut tenir compte du fait que le prévenu est aujourd’hui relativement âgé (70 ans) et qu’il rencontre des problèmes de santé, comme le démontrent les différents certificats médicaux déposés. Les médecins font principalement état de céphalées. Le Dr I.________ n’a pas prescrit de médication mais recommande au patient d’être physiquement actif. Sur le plan médical, sa situation n’est donc pas telle qu’elle démontrerait une sensibilité accrue à la sanction et justifierait de renoncer à prononcer une peine privative de liberté. Compte tenu de ce qui précède, la peine privative de liberté de 70 jours arrêtée par la Cour pénale avant prise en compte de la violation du principe de célérité sera réduite à 15 jours. Il n’y a pas de place pour un pronostic favorable, compte tenu de la persistance des dénonciations calomnieuses.

14.                   Par conséquent, l’appel est partiellement bien fondé. Comme il n’est abandonné aucune infraction, il n’y a pas lieu de revoir à la baisse les frais de première instance. En revanche, les frais de justice de seconde instance (qui comprennent les frais de photocopies) seront mis pour moitié à la charge de l’Etat. Les frais de justice resteront fixés à 1'200 francs et il ne sera pas tenu compte de l’activité après le renvoi du Tribunal fédéral, les frais y relatifs incombant à l’Etat de Neuchâtel. X.________ a agi sans l’aide d’un mandataire. Il n’a pas droit à une indemnité au sens de l’article 429 let. a et b CPP. Les conditions d’une réparation du tort moral selon l’article 429 let. c CPP ne sont pas réalisées.

Par ces motifs,
la Cour pénale décide

Vu les articles 41, 47, 49, 89, 174, 181/22 CP, 426, 428 CPP,

I.         L’appel est partiellement admis.

II.         Le jugement rendu le 21 octobre 2014 par le Tribunal de police du Littoral et du Val-de-Travers est réformé, le dispositif du jugement étant désormais le suivant :

1.     Condamne X.________ à 15 jours de peine privative de liberté sans sursis.

2.     Renonce à prononcer la réintégration de X.________ à l’établissement d’exécution des peines J.________ de Z.________.

3.     Renonce à prolonger le délai d’épreuve.

4.     Condamne X.________ aux frais de la cause, réduits à 500 francs.

III.         Les frais de la procédure d’appel sont arrêtés à 1'200 francs et mis pour 600 francs à la charge de X.________, le solde étant laissé à la charge de l’Etat.

IV.         Le présent jugement est notifié à X.________, au ministère public, parquet général, à Neuchâtel (MP.2011.5383-PG), au Tribunal de police du Littoral et du Val-de-Travers, à Boudry (POL.2014.410) et à l’Office d’exécution des sanctions et de probation, à La Chaux-de-Fonds.

Neuchâtel, le 20 novembre 2019

 

Art. 47 CP
Principe
 

1 Le juge fixe la peine d’après la culpabilité de l’auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l’effet de la peine sur son avenir.

2 La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures.

Art. 5 CPP
Célérité
 

1 Les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié.

2 Lorsqu’un prévenu est placé en détention, la procédure doit être conduite en priorité.