Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 26.05.2020 [6B_160/2020]

 

 

 

Extrait des considérants

[…]

Fixation des peines

Principes généraux

128.     La question de l’influence exercée par l’agent infiltré sur la formation de la volonté du prévenu est délicate à examiner, divers degrés allant de la participation de particulièrement peu d’importance (ATF 116 IV 294) à la provocation, ou encore à l’instigation (art. 24 CP), interdites. L’article 393 CPP reprend l’article 10 de l’ancienne LFIS (actuellement abrogé) et concrétise la jurisprudence de la CEDH et du Tribunal fédéral. La loi ne précise pas les critères de distinction entre l’agent provocateur et l’agent instigateur (Moreillon/Mazou, CO RO, n° 11 ad art. 293 CPP ; Hostettler, Das Mass der zulässigen Einwirkung bei der verdeckten Ermittlung bwz. Fahnung gemäss Art. 293 StPO, insbesondere bei Drogengeschäften, in Forumpoenale 3/2018 p. 192ss). Selon la majorité de la doctrine, il ne s’agit pas d’un cas d’instigation si l’auteur se limite à pousser volontairement le suspect à agir délictueusement sans avoir l’intention que l’infraction soit consommée (Dupuis/Moreillon et al., PC CP 2ème éd., n°11 ad art. 24 CP). L’instigation n’entre pas en ligne de compte lorsque l’auteur a déjà pris la décision de passer à l’acte concrètement (ATF 124 IV 34 cons. 2c, 116 IV 1). L’agent infiltré n’est pas obligé de rester entièrement passif lors d’un achat simulé ; il a le droit d’agir de sorte que la volonté de passer à l’acte de l’intéressé se concrétise ; il ne doit pas motiver la personne-cible (ATF 124 IV 34 cons. 3c ; art. 293 al. 1 CPP). L’article 293 al. 2 CPP dont la formulation est jugée malheureuse par certains auteurs (Hostettler, op. cit,) précise que l’activité de l’agent infiltré ne doit avoir qu’une incidence mineure sur la décision d’un tiers de commettre une infraction concrète. En doctrine, on considère que l’agent infiltré peut signaler de manière appropriée son intérêt général, par exemple à acquérir des stupéfiants, l’offre devant rester usuelle par rapport au marché ; l’agent ne peut pas pousser un individu à intégrer un trafic de drogue alors que ce dernier n’avait eu jusqu’ici rien à voir avec une telle activité, le raisonnement étant le même si l’agent pousse le trafiquant à livrer des drogues plus dures ou des quantités plus importantes que ce à quoi il s’est livré jusqu’à présent (Moreillon/Mazou, op. cit., n° 12 et 13 ad art. 293 CPP, avec les références). L’agent peut offrir ses services, par exemple comme coursier ; il doit pouvoir tenir son rôle de façon adéquate dans le milieu qu’il infiltre, y compris marchander les prix (Hostettler, op. cit.). Les achats probatoires et la démonstration de la capacité économique (art. 293 al. 3 CPP) doivent avoir pour fonction de convaincre la personne visée de la solvabilité de l’agent infiltré (ou de sa fiabilité), mais ne doivent pas être une incitation à conclure une affaire importante (Moreillon/Mazou, op. cit., n° 15 ad art. 393 CPP ; Hostettler, op. cit.). En définitive, la frontière entre l’influence admissible et l’influence inadmissible qu’un agent infiltré exerce sur la personne cible est extrêmement ténue ; une appréciation de l’ensemble des circonstances d’espèce est nécessaire (Hostettler, op. cit.). A titre d’exemple tiré de la jurisprudence du Tribunal fédéral, la prise de livraison d’échantillons de cocaïne à l’aéroport apparaît comme un encouragement dans la mesure où il évite aux auteurs de rechercher un tiers prêt à courir ce risque ; procurer une voiture et participer à certains frais ne constitue pas un encouragement, s’agissant de problèmes secondaires que l’auteur peut résoudre lui-même sans difficulté (ATF 116 IV 294). Si l’agent infiltré excède les limites de sa mission, sans pour autant adopter un comportement d’agent provocateur, l’article 293 al. 4 CPP prévoit une atténuation, voire une exemption de peine. Comme le relèvent Jeanneret et Kuhn (op. cit. ibidem, et les références) ainsi que Moreillon/Parein-Reymond (op. cit., n° 21 ad art. 293 et la référence), le seul fait de l’intervention d’un agent infiltré n’entraîne pas une atténuation de la peine, contrairement à ce que prévoyait la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue avant l’entrée en vigueur du CPP (ATF 124 IV 34 cons. 3b).

L’investigation secrète suppose en principe l’engagement d’une personne de contact, nécessairement membre d’un corps de police (art. 287 al. 2 CPP) et généralement au bénéfice d’une formation spécifique (PC-CPP, n° 8 ad art. 287 CPP), qui doit être instruite selon l’article 290 CPP avant le début de la mission. Les tâches de la personne de contact sont décrites à l’article 291 al. 2 CPP. Dans l’exercice de sa mission d’investigation, l’agent infiltré a le devoir de se conformer aux instructions qui lui sont données (art. 292 al. 2 CPP). Celles-ci le sont directement par le ministère public avant le début de la mission (art. 290 CPP ; selon Jeanneret/Kuhn, il s’agit d’une faculté : op. cit., n° 14143 ; cette interprétation semble trouver confirmation dans le Message, où l’on lit qu’il est important que le ministère public ait la « possibilité » (avant l’intervention) d’instruire directement l’agent infiltré afin de pouvoir se faire une idée de la personne mandatée (FF 2006 1239, faculté qui auparavant était exclue par la LFIS ; contra : Jeanneret/Ryser, Commentaire romand, n° 5 ad art. 291 CPP ; pour le contenu et la forme des instructions, cf. aussi Moreillon/Parein-Reymond, op. cit., n° 3 ad art. 290 CPP ; Schmid, Praxiskommentar, 2ème éd., n° 2 à 5 ad art. 290 CPP). Au cours de la mission, les instructions sont en revanche données par l’intermédiaire de la personne de contact (art. 291 al. 1 CPP – disposition qui exclut expressément les contacts entre l’agent infiltré et le ministère public durant la mission ; il s’agit toutefois d’une prescription d’ordre dont la violation n’entraînera pas l’annulation de la mission de l’agent infiltré ; Moreillon/Parein-Reymond, op. cit., n° 3 ad art. 291 CPP ; cf. aussi Schmid, op. cit., n° 3 ad art. 291 CPP). Selon l’article 292 CPP, l’agent infiltré doit se conformer aux instructions ; il rend compte de manière complète et régulière de sa mission par l’intermédiaire de la personne de contact. Le code de procédure pénale et l’ordonnance sur l’investigation secrète (ci-après : OISec) imposent à la personne de contact de consigner par écrit les comptes rendus donnés oralement (art. 291 al. 2 let. c CPP), réunis dans un dossier, conservé par la police, tenu séparément du dossier relatif à la procédure, de manière à donner à tout moment une vue d’ensemble complète et précise de l’activité de l’agent infiltré (art. 2 al. 1 OIsec). Font en revanche partie du dossier de la procédure les informations fournies par la personne de contact au ministère public sur le déroulement de la mission, au sens de l’article 291 al. 2 let. d CPP, et les instructions données avant la mission, au sens de l’article 290 CPP (art. 2 al. 3 OIsec).

[…]

Peine de X1________

[…]

143. Dans ces conditions la Cour pénale considère une peine de 12 ans de privation de liberté comme adaptée. Il convient d’examiner si cette peine doit être réduite pour tenir compte de l’intervention de l’agent infiltré.

144. Le tribunal criminel a appliqué d’abord deux facteurs légers de réduction, en raison d’une part de l’absence d’instruction directe entre le magistrat instructeur et l’agent infiltré, et d’autre part de certaines imprécisions et inexactitudes dans le rapport de la personne de contact. La défense a aussi invoqué à ce sujet le fait que, selon son introduction, ce rapport était concentré sur les éléments à charge.

145. On a déjà relevé ci-dessus que la loi n’exige pas d’instruction directe en début de mission de la part de la direction de la procédure.

146. En revanche, le plus grand soin doit être porté à la retranscription fidèle des déclarations de l’agent infiltré à la personne de contact – qui a en l’occurrence eu lieu une demi-heure à trois quarts d’heure après chaque engagement – puis au résumé par la personne de contact, spécialement en ce qui concerne les circonstances permettant d’établir s’il y a eu provocation et les leviers utilisés pour obtenir la confiance de la personne cible. Il est inhérent à ce système que de minimes variations interviennent (comme dans les déclarations de parties au fil de l’évolution de la mémoire). En l’occurrence, les faits relatés sont confirmés par les écoutes téléphoniques, la drogue saisie et les montants échangés, ainsi que les déclarations de A.________. Néanmoins, des imprécisions demeurent dans le rapport de la personne de contact, sur des points essentiels, s’agissant d’apprécier s’il y a eu provocation ou pas, et quelle est l’intensité de la volonté criminelle, comme les circonstances dans lesquelles A.________ en est venu à parler à l’agent infiltré de X1.________ : la description de la conversation du 16 mars 2015 telle qu’elle figure dans le rapport de la personne de contact est différente de celle donnée par l’agent infiltré lors de son audition devant le tribunal criminel. Un facteur de réduction léger doit être appliqué de ce fait.

147. Pour le reste, malgré son intitulé qui peut donner à penser qu’il ne réunit que les éléments à charge, le rapport de la personne de confiance contient des éléments à décharge. Ainsi, concernant A.________ par exemple, ce rapport fait état de la volonté exprimée le 22 mai 2015 de l’intéressé de ne pas investir dans l’affaire de Z.________, et le 9 juin 2015, de ne pas être davantage impliqué, éléments confirmés par l’agent infiltré lors de son audition devant le tribunal criminel.

148.  Pour les premières remises de cocaïne, l’agent infiltré n’a pas provoqué la commission des infractions reprochées à X1.________, et cela ne justifie aucune réduction de peine : comme les premiers juges l’ont souligné, ce n’était pas la première fois que le prévenu vendait de la cocaïne dans la mesure où il avait déjà été condamné pour des faits similaires le 8 décembre 2004. Il a proposé de la cocaïne à B.________ en 2012, à C.________ en 2013/2014 et remis quelques grammes à D.________ en juillet 2014. La vitesse à laquelle il est parvenu à s’approvisionner et les quantités concernées renforcent la conviction que la volonté de commettre des infractions était préexistante. L’agent n’a eu dans la première phase aucune influence, si ce n’est qu’il a manifesté son intérêt à acquérir de la cocaïne, ce qui entrait parfaitement dans son rôle. Les achats probatoires et la démonstration de la capacité économique sont autorisés par la loi. Le prévenu n’avait d’ailleurs eu aucun contact direct avec l’agent lors de la remise des deux échantillons : on voir mal comment il aurait pu influencer son comportement. La défense a soutenu qu’il était disproportionné de ne pas mettre un terme à la mission avec l’arrestation de E.________. Néanmoins, le prévenu avait toujours l’intention de faire venir un container et il restait donc l’éventualité d’une importation massive de cocaïne (du type de celle de W.________ en Allemagne). X1.________ avait par ailleurs mentionné des possibilités d’approvisionnement différentes (par l’Espagne par exemple). Il était dans les habitudes du prévenu de suspendre ses activités durant l’été, et pendant ses vacances à l’éranger, de sorte que cette circonstance n’imposait pas de mettre fin à la mission. Le 27 août 2015, c’est X1.________ qui a pris l’initiative de dire à l’agent infiltré qu’en attendant le sort de son frère il avait pris des contacts et qu’il pourrait livrer 3 kilos de cocaïne, l’offre définitive se faisant le 2 septembre 2015 par l’intermédiaire de A.________. En relation avec la livraison de ces 3 kilos de cocaïne, qui a donné lieu à l’interpellation en flagrant délit de l’auteur, on ne voit dès lors aucun motif d’atténuation.

149. Il n’en va pas de même s’agissant du projet de Z.________. Selon le rapport de l’agent infiltré, A.________ lui a expliqué le 24 avril 2015 que X1.________ proposait de faire venir un container depuis l’Equateur. L’idée du container était venue en premier lieu du prévenu selon A.________ (« F.________ avait fait comprendre qu’il aurait voulu 5 kilos mais que pour ce prix-là, il voulait le top. C’est le début des histoires des containers. A cette période-là, je voulais des perches de 25. G.________ avait dit que c’était une belle occasion. Pour l’histoire des containers, cela est venu de G.________ et de F.________, je ne peux pas vous dire qui des deux a lancé cela. Moi-même j’allais de temps en temps en cuisine et je n’ai pas tout suivi des discussions. G.________ avait dit qu’il y en avait chez son frère, mais il était question de quantité trop importante », et dans une audition postérieure: « G.________, lorsqu’il a su que j’avais reçu un container de Chine au début de l’année 2015, iI y a eu la lumière en G.________, soit de faire venir un container depuis l’Amérique du Sud. Moi, je me suis fait traiter de connard, je t’arrache la tête lorsque G.________ a appris que je faisais venir un container sans lui en avoir parlé au préalable. Avant que nous parlions d’un container avec G.________, je connaissais déjà F.________ et j’en avais déjà parlé à G.________ mais les deux ne s’étaient pas encore rencontrés. Pour vous répondre, le premier qui a eu l’idée de faire venir un container avec de la cocaïne afin de fournir F.________ est bien G.________ et non moi »). Le 5 mai 2015, l’agent infiltré a indiqué à A.________ qu’il avait un contact dans le port de Z.________ en France et que ce dernier pourrait faciliter la sortie d’un container. Sur ce point, le tribunal criminel a retenu à bon droit que l’agent infiltré était sorti de son rôle. En proposant un « facilitateur », il a amené une solution à une difficulté centrale – trouver dans un grand port maritime un complice en position de récupérer la drogue cachée dans un container - pour une bonne exécution du plan, évitant aux prévenus de chercher un ou des tiers prêts à courir des risques importants, soit un encouragement au sens de la jurisprudence (ATF 116 IV 294). Ensuite, les conversations téléphoniques démontrent que le projet s’est matérialisé. Le dossier de l’investigation secrète indique les démarches du prévenu pour envoyer de l’argent en Equateur, sans renonciation avec l’arrestation d’E.________ ou la naissance de la fille du prévenu. L’impact de cet élément dans la fixation de la peine doit être pris en considération.

150. Tout cela commande une réduction de 1/3 de la peine, arrêtée à ce stade à 8 ans.

[…]

Peine de A.________

[…]

175. Il reste à examiner dans quelle mesure l’intervention de l’agent infiltré a influé sur sa culpabilité. Pour rappel, A.________ n’était pas la cible de l’infiltration. C’est de lui-même, et à la surprise de l’agent infiltré – qui a décrit A.________ à la personne de contact comme un « bon gars qui avait le sens de la famille et qui était travailleur » – , qu’il a offert le 16 mars 2015 à ce dernier de lui présenter un de ses meilleurs amis qui faisait venir des camions avec 200 kg de marijuana et se livrait également à un trafic de blanche. On a déjà relevé que les circonstances exactes qui ont amené à cette offre ne ressortent pas avec les détails voulus du rapport de la personne de contact. La première audition formelle de A.________ s’est faite devant le procureur le 4 septembre 2015. Il y est fait référence à des premières déclarations aux policiers qui n’ont pas été verbalisées. Le premier procès-verbal d’une audition par les inspecteurs date du 10 septembre 2015. L’auteur a prétendu être dans un état psychologique qui ne lui permettait pas d’avoir une réflexion cohérente, être paumé, et s’est engagé à « tout dire » après en avoir parlé avec son avocat. S’agissant de ses liens avec le trafic de marijuana, il a répondu qu’il n’en avait pas, qu’il ne fumait pas et qu’il regarderait cela à tête plus reposée avec son avocat. La deuxième audition verbalisée a eu lieu le 1er octobre 2015. A.________ a déposé une notice d’entretien rédigée avec son avocat et a commenté celle-ci avec la police. Il a admis avoir fonctionné en 2014 comme intermédiaire pour le trafic de marijuana entre X1.________ et un certain « monsieur X » (en fait son neveu H.________), de même que les faits relatifs à son rôle dans la vente de cocaïne à l’agent infiltré et le projet d’importation par container. Au sujet du plan et plus particulièrement de ce qui l’avait conduit à la discussion du 16 mars 2015, il a relaté ce qui suit : « par rapport à la discussion avec F.________, nous avions parlé de beaucoup de choses. Il était notamment question que F.________ devait payer l’avocat pour des conneries. F.________ m’a fait le geste sur la bouche, sous-entendu motus et bouche cousue. Là, il m’a dit que F.________ était dans la sécurité et il m’a mis dans sa poche à ce moment précis. Il fait peur plus que d’autre cet homme-là au vu de son physique. C’est là que j’ai parlé de l’expérience de mon fils avec une entreprise de sécurité et la police, j’étais remonté contre ceux-ci. Plus précisément, mon fils a eu des démêlés avec les agents de sécurité et F.________ a pris notre parti et ce qui a impliqué ma confiance en lui. En parlant de cette expérience, j’ai été scotché à lui. C’est mon grand défaut, lorsque je suis en confiance, je m’ouvre comme un livre. C’était une période très difficile pour la famille, mon fils n’a pas de travail et ne gagne pas un franc. F.________ m’a collé à ce moment-là et il m’a dit qu’il était à sec. Là, je lui ai dit que V.________ était une plaque tournante. De fil en aiguille, je ne sais pas comment nous sommes rentrés là-dedans, F.________ m’a dit que chaque fois que lorsque l’avocat venait, F.________ devait payer EUR 20000.00. Quand j’étais avec mon équipe du lundi soir, j’ai vu F.________ remettre une enveloppe furtivement à son avocat. A ce moment-là, je n’étais pas encore intime avec F.________. Une autre fois, lorsque nous étions plus intimes, F.________ m’avait dit que l’avocat lui avait demandé s’il n’avait pas eu peur de remettre ainsi une enveloppe et F.________ avait répondu à l’avocat que ce n’était pas un problème car cet établissement était tranquille ». L’agent infiltré a déclaré qu’il avait aussi ce jour-là dit à A.________ qu’il devait s’organiser pour trouver une nouvelle source d’approvisionnement et que ce dernier s’était engouffré dans la brèche. Il a contesté avoir eu connaissance des problèmes rencontrés par I.________ avec un agent de sécurité et a dit qu’il avait choisi la profession d’agent de sécurité dans le cadre de sa légende car elle ne nécessitait pas de preuve particulière. A ce stade, il n’y a donc pas eu de manipulation au sens strict. On retient chez le prévenu l’appât du gain dénué de scrupule, l’envie de se donner de l’importance (« je voulais me la péter »), doublés sans doute d’une certaine admiration envers l’agent infiltré, physiquement fort, qui inspirait confiance, qui brassait beaucoup d’argent et avait de surcroît su éveiller sa sympathie. Après la conversation du 16 mars 2015, c’est A.________ qui a pris les devants, fixé un nouveau rendez-vous et parlé de la qualité et de la quantité de la marchandise. L’agent infiltré a indiqué qu’il avait dit à A.________ de ne pas prendre de risque et qu’il pouvait traiter directement avec X1.________. Le restaurateur, qui a exprimé à plusieurs reprises son angoisse (« Vous me dites que le sentiment de peur n’était pas présent dès le début. Lorsque j’ai vu de mes propres yeux la cocaïne, je ne savais plus quoi faire. J’ai paniqué, j’avais les boules, je ne savais plus comment m’en sortir. F.________, il est large comme cela. Vous me dites que j’avais tout de même une part active dans certaines conversations, notamment pour l’importation »), n’a pas abandonné son rôle d’intermédiaire, lucratif. Peu aguerri dans le trafic, il a bénéficié des conseils de l’agent infiltré, qui a déclaré qu’il était « possible que je lui ai dit que sa commission était ridicule ».  S’agissant des actes préparatoires, A.________ et X1.________ ont évoqué ensemble la possibilité de recourir à un container pour faire venir une grosse quantité de cocaïne, l’idée étant comme on l’a déjà relevé venue en premier lieu de X1.________ selon A.________ (« Tout de suite, G.________ a pensé que j’aurais pu faire venir de la cocaïne avec mes chaises et mes tables pour ma terrasse venues avec un container. En effet, il était question de trouver une bonne légende pour faire venir la cocaïne depuis l’Amérique du Sud. En effet, au début nous parlions de mettre la cocaïne parmi les chaises et les tables. On s’est rendu compte que ce n’était pas une bonne idée car ce n’était pas approprié avec le restaurant. C’est à ce moment-là qu’on a parlé de l’idée de faire venir cette marchandise parmi des crevettes et des filets de perche. Je précise que je n’ai jamais cru que ces histoires de containers aient pu avoir lieu, malgré mes contacts téléphoniques et ce que j’aurais pu dire à E.________. D. A partir de ce moment-là, pourquoi n’avez-vous pas directement tout arrêter? R. J’avais clairement peur. C’était la première fois de ma vie que je n’ai pas osé revenir en arrière. J’avais les boules de me retrouver dans la merde ou vous me dites de décevoir, peut-être. En fait, je n’arrive pas à m’expliquer » (la suite de l’audition montrant que l’intéressé a activement continué à organiser une livraison de perches par container). Lorsque, le 5 mai 2015, l’agent infiltré a expliqué à A.________ qu’il avait un contact dans le port de Z.________ qui pouvait faciliter la sortie d’un container, il est sorti de son rôle, pour les motifs déjà expliqués en relation avec X1.________. L’agent infiltré a fourni un appui substantiel au projet qui équivaut à un encouragement au sens de la jurisprudence et commande une réduction sensible de peine. A ce facteur important de réduction de peine s’ajoute celui, plus léger en soi mais tout de même déterminant pour A.________ – ce dans une mesure plus importante que pour X1.________, car c’est à ce moment que le restaurateur a basculé, résultant de l’inexactitude dans la retranscription de la conversation du 16 mars 2015. Ces deux facteurs commandent une réduction de peine de moitié.

Par ces motifs,
la Cour pénale décide

Vu les articles 10, 47, 49, 51, 22, 146, 251, 252, 305bis CP, 115, 116 LEI, 19 al. 1 et 2 LStup, 135, 428, 429 CPP,

I.          Les appels et l’appel joint sont partiellement admis.

II.          Le recours déposé par Me J.________ contre le montant de son indemnité d’avocat d’office est rejeté.

III.          Le jugement rendu par le Tribunal criminel des Montagnes et du Val-de-Ruz le 5 octobre 2018 est réformé, le dispositif étant désormais le suivant :

[…]

10.  Reconnaît A.________ coupable d’infractions à la LStup (art. 19 al. 1 et 2) et de blanchiment d’argent (art. 305bis CP).

11.  Condamne A.________ à une peine privative de liberté de 2 ans, sous déduction de la détention avant jugement, avec sursis pendant deux ans ainsi qu’à 240 jours-amende à 90 francs (soit au total 21'600 francs), avec sursis pendant 2 ans.

12.  Informe A.________ qu’en cas de récidive pendant le délai d’épreuve, la peine pourrait être exécutée.

 

32.  Condamne A.________ à sa part des frais de la cause de CHF 12’188.00.

33.  Les frais de la procédure d’appel sont arrêtés à 18'000 francs et mis à la charge de X1.________ à raison de 6'666.60 francs, de K.________ par 2'666.60 francs, de X2.________ par 1'333.30 francs et de A.________ par 1'333.30 francs, le solde étant laissé à la charge de l’Etat.

38.  Le présent jugement est notifié au ministère public, parquet régional, à Neuchâtel (MP.2014.3306-PNE-1), à X1.________, par Me N.________, à X2.________, par Me P.________, à K.________, par Me O.________, à A.________, par Me J.________, à M.________ SA, à Q.________ AG, au Tribunal criminel des Montagnes et du Val-de-Ruz, à La Chaux-de-Fonds (CRIM.2018.14), à l’Office fédéral de la police, à Berne, au Service des migrations, à Neuchâtel et à l’Office d’exécution des sanctions et de probation, à La Chaux-de-Fonds.

Neuchâtel, le 19 décembre 2019

Art. 47 CP
Principe
 

1 Le juge fixe la peine d’après la culpabilité de l’auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l’effet de la peine sur son avenir.

2 La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures.

Art. 293 CPP
Étendue de l’intervention
 

1 Il est interdit à un agent infiltré d’encourager un tiers à commettre des infractions de manière générale ou de l’inciter à commettre des infractions plus graves. Son intervention doit se limiter à la concrétisation d’une décision existante de passer à l’acte.

2 L’activité d’un agent infiltré ne doit avoir qu’une incidence mineure sur la décision d’un tiers de commettre une infraction concrète.

3 Si cela est nécessaire pour préparer le marché principal, l’agent infiltré est habilité à effectuer des achats probatoires et à démontrer sa capacité économique.

4 Si l’agent infiltré a dépassé les limites de la mission autorisée, le juge en tient compte de manière appropriée lors de la fixation de la peine; il peut également libérer de toute peine la personne ainsi influencée.