Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 11.11.2020 [6B_741/2020]

 

 

 

 

A.                               Le 10 janvier 2016 à 06h36, X.________, âgé de 34 ans, s’est présenté aux urgences de [hhh], site de l’hôpital neuchâtelois (ci-après : HNE), avec une blessure à l’arme blanche sur le côté gauche du torse. Il a dû être opéré en urgence. Il a ensuite été transféré vers les soins intensifs, dans le coma artificiel et intubé, mais hors de danger. Les premiers éléments de l’enquête ont révélé que la victime avait appelé par téléphone A.________, le matin à 05h50, en lui disant qu’il avait été blessé par un coup de couteau et qu’il se trouvait à Z.________(NE). La victime connaissait le nom de son agresseur, mais avait refusé de dire de qui il s’agissait.

B.                               a) Le 11 janvier 2016, le ministère public a décidé l’ouverture d’une instruction contre inconnu pour tentative de meurtre, au sens des articles 111/22 CP, commise à Z.________, dans le nuit du 9 au 10 janvier 2016, au préjudice de X.________ qui a reçu un coup de couteau sur le flanc gauche. Le ministère public a ensuite donné plusieurs mandats d’investigation à la police, lui demandant de rechercher et d’entendre tous témoins des faits et quelques personnes de l’entourage de la victime ; il a aussi demandé à la police d’entendre la victime et de séquestrer ses effets personnels, afin de rechercher toutes traces ou éléments utiles à l’enquête ; il a requis les vidéosurveillances d’HNE et de la compagnie de chemins de fer ; il a décerné un mandat pour le prélèvement de sang et la récolte des urines ainsi que chargé le centre universitaire romand de médecine légale (ci-après : CURML) de procéder à la comparaison des ADN de A.________ et de X.________ pour déterminer si ceux-ci étaient frères ; la police a aussi été chargée d’entendre X.________ sur ses liens avec A.________  et concernant l’identité d’un certain « Y.________ » ; le Dr B.________, spécialiste FMH en médecine générale et légale a été chargé d’effectuer un examen clinique médico-légal sur la victime ; le ministère public a requis HNE de lui fournir les rapports médicaux en lien avec l’hospitalisation de X.________ ; enfin, le ministère public a fait une demande de diffusion internationale d’une recherche en vue d’arrestation et d’extradition concernant Y.________.

b) Le 10 janvier 2016, la police a entendu deux fois aux fins de renseignements A.________ et une fois son épouse C.________. A.________ a déclaré qu’il avait passé la nuit au domicile conjugal à V.________. Il avait été réveillé à 05h51 par un message vocal Whatsapp du plaignant. Il avait rappelé X.________ et était allé le chercher à Z.________. Il l’avait pris en charge dans sa voiture vers 06h10 et l’avait conduit à l’hôpital. C.________ a confirmé que son mari avait passé la nuit à la maison. D.________ a aussi été entendue par la police, en tant que personne appelée à donner des renseignements (la police a trouvé son numéro de téléphone dans le répertoire de celui de X.________). Serveuse au restaurant, elle avait rencontré X.________ qui était client de l’établissement. Ils avaient entretenu à deux reprises des relations sexuelles. X.________ lui avait dit qu’il avait un frère à U.________, dont l’épouse travaillait chez P.________, dans cette même localité. Le lendemain, dès que cela a été possible, la police a entendu aux fins de renseignements la victime. X.________ s’est montré peu collaborant et désagréable. Il a refusé de dire qui l’avait agressé et d’autoriser l’obtention des rétroactifs de son téléphone. Il a aussi refusé de libérer les médecins du secret médical en faveur des enquêteurs. Le 12 janvier 2016, E.________ a été entendu par la police. Chauffeur de bus, il avait pris son service tôt le matin à Z.________, vers 05h55. Il avait vu une personne qui lui demandait d’appeler une ambulance. Après avoir sorti son bus du hangar à 06h10, il avait constaté que le blessé n’était plus là. Le même jour, F.________ a été entendu (après qu’un lien avait pu être fait entre lui et X.________, au terme de l’audition de D.________). Il a déclaré qu’il connaissait X.________ sous le nom de « X.________ ». Ce dernier lui avait dit qu’il avait des soucis avec ses frères, dont l’un était A.________. Quelques jours plus tard, le frère jumeau de F.________, G.________, a aussi été entendu. Il a indiqué qu’il connaissait X.________ sous le nom de « X.________ ». X.________ était souvent avec Y.________, qui habitait à Z.________.

c) Le 27 janvier 2016, Me H.________ a annoncé qu’il représentait X.________. Jusqu’ici, son client n’avait rien dit concernant son agresseur, par peur de représailles. Il était désormais disposé à révéler l’identité de celui qui l’avait poignardé. L’auteur se prénommait « Y.________ ». Le 19 avril 2016, X.________ a été réentendu par la police, assisté par son mandataire. Il a déclaré que c’était Y.________ qui lui avait planté un couteau dans le dos, le 10 janvier 2016, à Z.________, à la sortie du train qui les ramenait de S.________ (BE) (en réalité, comme on le verra plus tard, c’était à la sortie d’un train venant de U.________ en direction de Z.________), où ils avaient passé la nuit ensemble dans des établissements publics. Ils s’étaient disputés dans le train. En descendant du train, X.________ avait poussé Y.________ pour qu’il le laisse tranquille. Y.________ avait sorti quelque chose de sa poche. X.________ avait senti quelque chose de mouillé et avait vu qu’il saignait. Y.________ lui avait dit qu’il n’avait rien fait et était parti en courant.

d) Le 13 avril 2018, après avoir accepté son extradition depuis la France où il purgeait une peine de prison, Y.________ a été interrogé par le ministère public. Il a déclaré que X.________ s’appelait en réalité « XA.________ » et qu’il s’agissait de son cousin, né en 1981 et le frère de I.________ et de A.________. A.________ lui avait sous-loué un studio à Z.________. Y.________ devait 600 francs d’arriérés de loyer à A.________. Il avait quitté le studio le 10 janvier 2016. Ce studio se trouvait à proximité de la gare de Z.________ (selon l’image satellite qui figure à la suite du procès-verbal, à la rue [aaaaa]). X.________ était quelqu’un de peu respectueux, de gamin et de fou. Il ne lui avait pas donné de coup de couteau. Après le 10 janvier 2016, il n’avait pas fui la Suisse, ni ne s’était caché. Entre le 10 et le 31 janvier 2016, il avait habité à Z.________, chez un ami sans papiers qui habitait dans un immeuble qui appartenait à un Turc. Enfin, il a prétendu qu’il n’avait jamais porté de couteau en Suisse, ni en Algérie.

e) Le 24 avril 2018, A.________ a été entendu par la police, en qualité de témoin, sur ses liens avec Y.________ et X.________. Il a confirmé que le premier nommé était son cousin, mais a nié que le plaignant fût son frère. Il a indiqué qu’il avait pris un studio à la rue [aaaaa] à Z.________, parce qu’il connaissait des difficultés conjugales. Il n’y était resté que durant le mois de décembre 2015 et jusqu’au début du mois de janvier 2016. A.________ a contesté avoir mis cet appartement à disposition de Y.________. Il a nié que Y.________ lui devait de l’argent à titre d’arriérés de loyer. A.________, qui était entendu comme témoin et à qui rien n’était reproché, s’est énervé durant toute son audition (dans le rapport de police du 25 avril 2018, il est indiqué que A.________ n’a pas cessé de vociférer). A la fin de son audition, il a notamment répondu ceci à Me H.________ : « Vous me dites que personne ne dit la vérité. C’est vrai. Même moi. »

f) Le 30 avril 2018, I.________ a été entendu par la police comme témoin. Il a confirmé qu’A.________ était son frère. Il a ajouté : « C’est A.________ qui m’a parlé de l’agression et donc, par rapport à ça, il m’a parlé du studio. » I.________ a déclaré ensuite qu’il ignorait si « Y.________ habitait dans le studio de A.________ ». Concernant X.________, le témoin a dit ceci : « Pour vous répondre, je ne peux pas vous répondre (sic) si c’est mon frère ou non. Je n’ai pas envie d’être responsable des conséquences, le cas échéant (…). En fait, pour vous dire toute cette histoire, ça a créé des problèmes au sein de la famille à cause de nous, alors qu’on n’en ai (sic) pour rien, entre ma mère, ma tante et toute la famille …, pour vous dire, ma mère ne veut même plus me répondre au téléphone, c’est compliqué. Selon ma famille, c’est à cause de nous que Y.________ est en prison, mais on a rien fait ». Il a aussi expliqué qu’il savait que « Y.________ [avait] tapé X.________ avec un couteau ». I.________ a indiqué qu’il savait que X.________ et Y.________ avaient fait une sortie à S.________, avant l’agression. Dix jours après, I.________ était allé à l’hôpital pour voir X.________, qui lui avait dit que c’était Y.________ qui était l’auteur du couteau de couteau.

g) Le 8 mai 2018, Y.________ a été interrogé par le ministère public ainsi que confronté à X.________. Y.________ a confirmé qu’il était le cousin du plaignant. X.________ a nié avoir des liens de famille avec le prévenu. Ils avaient passé la nuit du 9 au 10 janvier ensemble à S.________ dans des établissements publics. Dans le train, ils avaient eu un différend. A la sortie du train, selon X.________, la dispute avait repris et le prévenu l’avait poignardé dans le dos. Pour le prévenu, à la sortie du train, il n’y avait pas eu de dispute. X.________ était parti en direction de W.________ et lui chez un ami (Y.________ a montré sur un plan, joint au procès-verbal d’audience, la direction du studio de A.________). Y.________ a déclaré qu’il était possible que, le 10 janvier 2016, il ait eu un couteau suisse, parce qu’il en avait ordinairement un sur lui, comme tous les Suisses. Le plaignant, lors de la confrontation, a nié avoir téléphoné dans le train, entre U.________ et Z.________. Lors de cette confrontation, les parties ont précisé que le 10 janvier 2016, tôt le matin, ils avaient d’abord voyagé en train entre S.________ et U.________, puis, toujours en train, entre cette même ville et Z.________. Leur différend était survenu entre U.________ et Z.________.

h) Le 18 juin 2018, Y.________ a encore été interrogé par le ministère public. Il a confirmé ses déclarations. Le ministère public lui a donné connaissance de sa mise en prévention. Y.________ a contesté les faits qui lui étaient reprochés.

i) Selon la vidéo de surveillance de HNE, X.________ et A.________ sont arrivés à l’hôpital le 10 janvier 2016 à 06h23. Selon celle de la compagnie de chemins de fer, le prévenu et le plaignant ont voyagé, le même jour, de S.________ à Z.________ entre 05h36 et 05h43. A 05h36, la caméra montre que Y.________ et X.________ sont montés dans le train et se sont assis l’un à côté de l’autre. À 05h37, une brève discussion s’est engagée entre eux. X.________ a brandi son smartphone, dont l’écran était allumé, et a apparemment invectivé Y.________. Ce dernier a changé de place. X.________, qui était visiblement en conversation téléphonique avec un tiers, a ensuite porté le téléphone à son oreille et a poursuivi son appel jusqu’à 05h38. Après avoir raccroché, il a échangé quelques mots avec Y.________. Durant le reste du voyage, ils sont restés silencieux et tranquilles. A 05h43, ils se sont rendus à la porte du wagon l’un après l’autre, calmement (CD se trouvant à la fin du deuxième volume, dans un support en plastique).

j) L’enquête a montré que X.________ était en possession de deux téléphones portables (un Iphone et un Samsung). Le téléphone Samsung a déclenché le réseau wifi de la gare CFF à U.________, le 9 janvier 2016, à 23h33. Il a aussi été relevé que Y.________ avait été contrôlé par la police en novembre 2015 et qu’il avait donné comme adresse celle de A.________ à V.________. À l’hôpital, X.________ présentait un taux d’alcoolémie de 0.59 g/kg selon une mesure à l’éthylomètre. Le résultat de l’analyse des prélèvements d’urine et de sang effectués à 16h40 a montré une concentration d’alcool dans le sang de 0.15 g/kg. Selon ces mêmes analyses, X.________ était aussi positif aux opiacés (ce qui n’est pas étonnant au vu du rapport du service des urgences, qui indique que X.________ a reçu plusieurs fois de la morphine entre 6h32 et 09h01) et au cannabis. Une photographie de la blessure de X.________ a été jointe au dossier. La lésion se situe du côté gauche du thorax, à la limite entre le flanc et le dos, à la hauteur du sein, sous l’omoplate. Les rapports médicaux indiquent que la vie du plaignant a été sérieusement mise en danger et qu’il a souffert d’un hémothorax massif en raison d’une hémorragie interne lente, suite à la rupture d’une artère intercostale. X.________ a été opéré et transfusé. Il est resté durant une semaine à l’hôpital.

« k) Par acte d’accusation du 27 juin 2018, Y.________ a été renvoyé devant le tribunal criminel. Les faits et préventions suivantes étaient retenus contre lui :

Tentative de meurtre au sens de l'art 111/22 CP, subsidiairement de lésions corporelles graves, éventuellement sous la forme de la tentative au sens des art. 122 év. 122/22 CP, plus subsidiairement de lésions corporelles simples aggravées par l'usage d'un objet dangereux au sens de l'art. 123 ch. 1 et 2 CP et de mise en danger de la vie d'autrui au sens de l'art. 129 CP:

1.       Le 10 janvier 2016 aux alentours de 6:00 heures,

2.       à Z.________,

3.       Y.________ a frappé d'un coup de couteau le dos de X.________,

4.       Couteau qui a traversé les couches de vêtements,

5.       Puis la peau, la paroi thoracique pour pénétrer dans la cavité thoracique,

6.       Sectionnant au passage une artère intercostale au niveau de la 10ème côte,

7.       Provoquant une hémorragie interne lente, à bas bruit, et une collection de sang massive refoulant le poumon,

8.       Causant de cette manière un traumatisme basi-thoracique gauche avec hémothorax important, un choc hémorragique et une lésion millimétrique de la plèvre viscérale, une acidose respiratoire aiguë et un état fébrile,

9.       Mettant ainsi X.________ en danger de mort imminent,

10.     Agissant de la sorte principalement dans le dessein de tuer X.________,

11.     Subsidiairement de lui causer des lésions susceptibles d'engendrer la mort et, plus subsidiairement, de le blesser en le mettant sans scrupule en danger imminent de mort. ».

C.                               a) A l’audience du tribunal criminel du 6 septembre 2018, Y.________ a été interrogé. Il a confirmé ses précédentes déclarations devant le ministère public et à la police. Il a ajouté qu’immédiatement après être sorti du train, il était allé au studio et avait appelé A.________. Il l’avait appelé à l’interphone et par téléphone. N’ayant pas pu rentrer dans le studio, il avait repris un train qui allait en direction de U.________. Il était allé au T.________, dans un village dont il ignorait le nom, pour aller dormir chez une femme qu’il connaissait. Il n’avait jamais porté de couteau ni en Suisse ni en Algérie. Franchement, il ne se souvenait pas s’il en portait un, le 10 janvier 2016. La dernière fois qu’il avait vu X.________, il se dirigeait à pied en direction de W.________. Durant la nuit entre le 9 et le 10 janvier 2016, il avait consommé de l’alcool, mais pas de drogue. Il ne comprenait pas pourquoi le plaignant le mettait en cause. Il y avait des histoires de famille.

b) Dans son jugement du 6 septembre 2018, le tribunal criminel n’a pas retenu les faits tels que décrits dans l’acte d’accusation et a acquitté Y.________. En résumé, les premiers juges, après avoir rappelé les faits, ont retenu que les images de vidéosurveillance prises à l’intérieur du train montraient que le prévenu et le plaignant étaient descendus ensemble à la gare de Z.________ à 05h43. À 05h51, le plaignant avait essayé de prendre contact par téléphone avec A.________. Une ou deux minutes après, la communication s’était établie et le plaignant lui avait demandé de venir le chercher, parce qu’il avait reçu un coup de couteau. Un chauffeur de bus, qui se trouvait près du terminal des bus et donc de la gare, avait indiqué à la police qu’à 05h55, il avait rencontré une personne agitée, qui disait avoir reçu un coup de couteau dans le dos. On pouvait raisonnablement admettre qu’il s’agissait du plaignant. Au vu de ces éléments, il fallait retenir que le plaignant avait reçu un coup de couteau à proximité de la gare de Z.________, le 10 janvier 2016, à un moment indéterminé entre le moment de sa descente du train à 05h43 et son appel téléphonique à A.________ vers 05h51. Le plaignant avait été poignardé dans un laps de temps d’au plus 10 minutes, durant lequel les faits n’avaient pas pu être clairement établis. Les déclarations des protagonistes étaient contradictoires. Les images de vidéosurveillance du train montraient, contrairement à ce qu’avait affirmé le plaignant, qu’il avait téléphoné durant le trajet. On ne voyait pas non plus le prévenu venir contre le plaignant, comme ce dernier l’avait affirmé. En outre, les premières déclarations du plaignant à la police s’étaient avérées fantaisistes. Le plaignant avait aussi dit que l’agresseur tenait le couteau de la main gauche alors que le prévenu était droitier. En définitive, les déclarations du plaignant n’apparaissaient pas comme particulièrement cohérentes et fiables. Il avait menti sur ses liens familiaux en affirmant ne pas avoir de frère. Les auditions des frères du plaignant mettaient en lumière des relations familiales complexes et apparemment tendues, dont personne n’avait voulu dire grand-chose. A.________ avait d’ailleurs reconnu devant la police que personne ne disait la vérité. Les déclarations du prévenu n’avaient pas varié durant l’instruction, même si elles n’étaient pas exemptes d’incohérences. Les déclarations du prévenu avaient principalement fluctué au sujet de son habitude de porter ou pas un couteau. Il avait d’abord nié qu’il portait ordinairement un couteau suisse, avant de l’admettre et de reconnaître qu’il était donc possible qu’il en ait eu un le soir en question. Le seul élément probant à charge dont le tribunal était certain était la présence du prévenu aux côtés du plaignant quelques minutes avant que celui-ci reçoive un coup de couteau. Il n’appartenait pas au tribunal et encore moins à la défense de démontrer l’existence d’un autre scénario que celui reproché au prévenu et il fallait relever que l’intervention d’un tiers dans les circonstances du cas d’espèce n’était pas « abracadabrantesque ». Il ressortait des vidéos de surveillance qu’en dépit de l’heure (05h50), le train n’était pas vide. On savait également que le plaignant était au téléphone à 05h30 dans le train entre S.________ et Z.________, mais on ignorait avec qui il parlait puisqu’il avait nié avoir tenu cette conversation. Le plaignant avait admis qu’il était consommateur régulier de cannabis. Ces différents éléments montraient que le plaignant évoluait dans un contexte qui n’était pas dépourvu de risque d’altercation au couteau. En effet, le plaignant était sans papiers, sans domicile fixe, drogué et peut-être à la recherche de substances stupéfiantes, un dimanche matin à 06h00. S’il était évidemment possible, voire vraisemblable, que le prévenu fût l’auteur des faits qui lui étaient reprochés, le degré de certitude du tribunal sur la culpabilité du prévenu n’allait pas au-delà de la vraisemblance, ce qui, en vertu du principe in dubio pro reo, conduisait à prononcer son acquittement.

D.                               a) Le 31 octobre 2019, le plaignant dépose un appel par lequel il entend attaquer le jugement motivé du 6 septembre 2018 dans son ensemble, au motif de la violation du droit et de la constatation incomplète ou erronée des faits. Il résulte des preuves recueillies par le tribunal de première instance qu’il s’est écoulé un laps de temps de moins de 15 minutes entre le moment où le prévenu et la victime sont descendus du train à Z.________ à 05h43 et le moment où la victime, blessée, a interpellé un chauffeur de bus pour lui demander d’appeler une ambulance. Il ressort de la vidéosurveillance de la compagnie ferroviaire qu’il régnait une certaine tension entre le prévenu et la victime. Le prévenu a d’abord nié être porteur d’un couteau suisse, avant de reconnaître qu’il en portait un régulièrement. Le rapport médico-légal du 13 janvier 2016 du Dr B.________ constate que la blessure de la victime est compatible avec l’usage d’un objet tranchant et piquant en amande. Il est donc très vraisemblable que la blessure du plaignant ait été infligée à l’aide d’un couteau suisse d’une longueur habituelle de quelque 9 centimètres. En acquittant le prévenu, le tribunal criminel a constaté de manière inexacte et erronée les faits, en ne retenant pas l’existence d’un lien de causalité entre le couteau suisse du prévenu et la blessure infligée à l’appelant. Il n’existe donc pas de doute sérieux et insurmontable quant à l’existence des faits.

E.                               b) Le 1er novembre 2019, le ministère public interjette un appel par lequel il attaque dans son ensemble le jugement rendu par le tribunal criminel le 6 septembre 2018. Le ministère public expose que les doutes ayant empêché le tribunal criminel d’acquérir une intime conviction de la culpabilité du prévenu sont abstraits et théoriques et pas suffisants pour empêcher le prononcé d’une condamnation. Il ressort des déclarations des deux parties que des différends sont survenus au cours de la nuit qu’ils ont passée dans des établissements publics de S.________. Un nouveau différend les a opposés dans le train entre U.________ et Z.________ d’où, à 05h43, ils sont descendus. À 05h51, le plaignant a tenté de prendre contact téléphoniquement avec A.________. Il l’a atteint une ou deux minutes plus tard pour lui confier qu’il avait reçu un coup de couteau. Il ne s’est donc passé que 8 ou 10 minutes entre la sortie du train et le moment où X.________ a été blessé. Il n’a pas immédiatement révélé l’identité de son agresseur, mais a dit par la suite qu’il s’était retourné consécutivement au coup de couteau et avait vu le prévenu avec un couteau ouvert dans la main. Les examens cliniques et du médecin légiste ont confirmé la compatibilité de la lésion constatée avec l’usage du couteau décrit par la victime. Le prévenu a d’abord contesté porter un couteau, puis finalement l’a admis. Avant de révéler à la police le nom de son agresseur, il en a informé I.________, une dizaine de jours après l’agression, en mettant en cause Y.________. Si le prévenu nie avoir été l’auteur du coup de couteau, il n’a pas non plus décrit ou entendu l’agression dont le plaignant a été victime, ce qui n’est pas plausible. Le plaignant n’a pas voulu inutilement charger le prévenu et a pris sur ses seules épaules la responsabilité d’un vol commis au préjudice de Me J.________. Enfin, la réaction du prévenu à l’annonce de son arrestation n’est pas usuelle pour une personne injustement accusée. L’ensemble de ces éléments plaide pour la condamnation du prévenu. La qualification de tentative de meurtre est évidente au vu de l’endroit où le prévenu a frappé et des conséquences de ce coup. Au moment de fixer la peine, il faut considérer le mobile futile de l’auteur, son procédé particulièrement vil et l’absence de remords dont il a fait preuve. Le résultat de l’infraction, soit la vie ou la mort du plaignant, a résulté de la réaction de la victime et de l’intervention des secours. Les antécédents judiciaires du prévenu ne sont pas bons et il a déjà purgé une peine de 14 mois pour différentes infractions commises en France. Tout bien pesé, une peine de 3 ans et demi doit être prononcée.

F.                               a) A l’audience du 6 mai 2020, le ministère public, dans son réquisitoire, a souligné qu’il était établi que durant un laps de temps de seulement huit minutes, le plaignant avait été blessé dans le dos avec un couteau, peu de temps après être sorti du train en même temps que Y.________, à Z.________. Sans la présence de A.________ et l’intervention des médecins, X.________ serait certainement mort. Les images de la vidéo surveillance du train montraient que le prévenu et le plaignant avaient eu un différend dans le train qui les emmenait de U.________ à Z.________. Le dossier montrait qu’il y avait eu entre eux des dissensions, durant la nuit du 9 et le 10 janvier 2016 qu’ils avaient passée ensemble à S.________ dans des établissements publics. Après avoir été agressé, X.________ n’avait pas tout de suite dit qui était l’auteur du coup de couteau. Comme il avait d’abord voulu se faire justice lui-même, il avait préféré ne rien dire à la police. Cependant, il avait ensuite déclaré, de façon convaincante, qu’il avait vu Y.________ avec un couteau, en se retournant après avoir été frappé. Cette attaque était survenue en sortant du train après que les deux protagonistes s’étaient disputés. Il ne subsistait dès lors aucun doute raisonnable et suffisant pour faire obstacle à une condamnation. Le plaignant et le prévenu étaient sortis ensemble du train à 5h43 à Z.________ et le coup de couteau avait été donné dans les huit minutes qui avaient suivi. Il était ainsi peu probable qu’une personne extérieure soit sortie de nulle part et qu’elle ait agressé le plaignant, tôt le matin dans le village de Z.________, assez peu fréquenté à cette heure-là. À supposer que le prévenu soit innocent, il serait tout de même peu vraisemblable qu’il n’ait pas vu ou entendu que l’on s’en prenait à X.________, alors que lui-même se trouvait à peu de distance de là. Le jugement ne donnait pas d’explication quant à savoir qui d’autre que le prévenu aurait pu avoir agressé le plaignant. Les déclarations de Y.________, qui s’était contenté de nier les faits, n’étaient pas fiables. Il avait changé de version sur un élément important. Il avait d’abord contesté qu’il portait régulièrement un couteau suisse, avant de l’admettre. Les constatations du médecin légiste et celles de HNE permettaient d’affirmer que la blessure infligée au plaignant était compatible avec une lame de couteau suisse, soit précisément le genre de couteau que le prévenu avait l’habitude de porter sur lui. La blessure avait été portée dans une zone vitale, de sorte que la qualification juridique de tentative de meurtre faisait aucun doute. Reprenant le développement de sa déclaration d’appel, le ministère public a requis une peine de 3 ans et demi ainsi que confirmé les conclusions de celle-ci.

b) En plaidoirie, la partie plaignante, par son mandataire, a rappelé les faits de la cause, en insistant sur le fait qu’il ne s’était écoulé que huit minutes entre le moment où Y.________ et X.________ étaient descendus du train et l’appel à 5h51 de X.________ qui appelait à l’aide A.________, après avoir été poignardé. Il ne restait donc guère de place au doute. En outre, il était peu probable que X.________ puisse avoir été poignardé par une autre personne que le prévenu, le matin du 10 janvier 2016, un peu avant 6h00 à Z.________, qui devait être à peu près désert, au moment des faits. Même en admettant que l’auteur du coup de couteau fût quelqu’un d’autre, cela signifierait que Y.________, qui était l’ami de X.________, l’aurait abandonné, blessé, sans lui venir en aide, ce qui ne s’expliquerait pas. Le tribunal criminel, en retenant un doute sérieux où il n’y en avait pas, avait fait un mauvais usage du principe in dubio pro reo qui garantit au prévenu de ne pas être condamné sans preuve. Ce faisant, il avait perdu de vue qu’il devait aussi, en condamnant les auteurs d’actes de violence d’une façon appropriée, protéger le reste de la population. Si X.________ n’avait pas immédiatement collaboré avec la police, c’était en raison du contexte familial qui lui faisait redouter des représailles. X.________ subissait encore aujourd’hui des séquelles physiques et psychiques, suite à son agression. En définitive, il concluait à ce que Y.________ soit condamné pour une tentative de meurtre en vertu des articles 111/22 CP. Pour le reste, il a confirmé les conclusions de sa déclaration d’appel.

c) La défense a exposé, en plaidoirie, que le ministère public avait échoué dans sa tâche d’expliquer ce qui s’était passé le 10 janvier 2020 peu avant 6h00 à Z.________ et dans quelles circonstances X.________ avait reçu un coup de couteau. La défense n’était pas insensible au coup de couteau qu’avait reçu X.________. Elle éprouvait de l’empathie pour le plaignant, mais le prévenu ne pouvait tout de même pas accepter d’être condamné pour des faits qu’il n’avait pas commis. Le ministère public s’était focalisé sur un seul indice : le faible laps de temps entre le moment de la descente du train et celui de l’appel au secours du plaignant. Il n’en demeurait pas moins que cet élément n’était qu’un indice insuffisant pour justifier une condamnation. En vertu de la maxime « in dubio pro reo », la vraisemblance de la culpabilité devait confiner à la certitude, sinon un tribunal devait trancher en faveur de l’accusé, en l’acquittant. Le ministère public, focalisé qu’il était sur l’espace de temps très court entre la sortie du train du plaignant, qui était accompagné du prévenu, et le moment de l’agression, n’avait orienté l’enquête que contre le prévenu, perdant de vue qu’un tiers aurait pu avoir été l’auteur du coup de couteau. Le ministère public n’avait en particulier pas identifié avec qui X.________ parlait au téléphone dans le train entre U.________ et Z.________. L’enquête n’avait pas non plus permis de découvrir l’arme du crime, ni quel aurait été le mobile de Y.________. En outre, les déclarations du plaignant n’avaient été fiables ni sur ses liens de famille avec le prévenu et les autres protagonistes de l’affaire, ni concernant le lieu de son agression. Il avait expliqué son manque de collaboration, en prétendant d’abord qu’il préférait la vengeance à une procédure pénale, puis en expliquant qu’il craignait des représailles. Au sujet de l’arme du crime, il n’avait pas vu le manche du couteau, mais affirmait de manière péremptoire qu’il s’agissait d’un couteau suisse. Les déclarations du plaignant, selon lesquelles en sortant du train, le prévenu l’aurait agressé avec un couteau n’étaient pas crédibles. Celles du prévenu, intervenues deux ans et demi après les faits l’étaient davantage. Les images des caméras de surveillance ne montraient pas que le prévenu se fût montré violent dans le train. Ils étaient descendus du wagon dans le calme et rien ne laissait supposer qu’ils allaient se battre sur le quai de la gare. Le prévenu n’avait pas fui la justice suisse. Il avait accepté la procédure d’extradition, parce qu’il avait confiance en nos institutions. Lors de son premier interrogatoire par le ministère public, il avait dit qu’il n’avait rien à se reprocher. Apprenant qu’il allait être arrêté, il avait répondu avec calme qu’il en prenait note. Le ministère public, dans son appel, avait estimé que la réaction du prévenu était inhabituelle pour une personne accusée à tort. Pourtant, le prévenu, en s’exprimant ainsi, avait seulement voulu signifier qu’il était convaincu de son innocence et qu’il laissait la justice faire son travail. Après le 10 janvier 2016, Y.________ n’avait pas non plus cherché à fuir la Suisse. Il était allé jouer au casino, ce qui impliquait qu’il avait dû présenter une pièce d’identité. De la part d’une personne recherchée pour une tentative de meurtre, un tel comportement aurait représenté un risque élevé d’être arrêté, ce qui aurait été inconcevable. Il n’avait finalement quitté la Suisse que plusieurs semaines après. Les liens familiaux entre le plaignant, ses frères et le prévenu étaient difficiles. A.________ avait admis devant la police qu’il ne disait pas la vérité. Le plaignant avait fait des déclarations analogues. Dans ces circonstances, les déclarations du plaignant qui n’étaient pas particulièrement convaincantes ne suffisaient pas pour justifier la condamnation du prévenu et un doute insurmontable subsistait. Il n’appartenait pas à la défense d’expliquer ce qui s’était vraiment passé. À supposer que le prévenu soit tout de même condamné, son intention de commettre un homicide ne ressortait pas du dossier. Le couteau suisse qu’on lui reproche d’avoir utilisé n’était pas une arme dangereuse et l’endroit où le plaignant a été blessé ne permettait pas d’affirmer que le prévenu avait cherché à atteindre un organe vital. La défense a confirmé les conclusions de son appel.

                        d) Les parties ont répliqué et dupliqué

C O N S I D E R A N T

1.                                a) L’appel du ministère public a été interjeté dans les formes et délais légaux (art. 399 et 401 CPP), par une partie ayant qualité pour recourir contre le jugement du tribunal de première instance qui a clôt la procédure (art. 398 al. 1 CPP). L’appel est donc recevable.

b) Toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation ou à la modification d’une décision a qualité pour recourir contre celle-ci (art. 382 al. 1 CPP). La partie plaignante ne peut pas interjeter recours sur la question de la peine ou de la mesure prononcée (art. 382 al. 2 CPP). Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a admis que le lésé qui s’est constitué partie plaignante sur le plan pénal est habilité à former appel pour ce qui concerne la culpabilité du prévenu, indépendamment de la prise de conclusions civiles (ATF 139 IV 78 cons. 3, 139 IV 84 cons. 1.1). Il en a déduit qu’il dispose d’un intérêt au sens de l’article 382 al. 1 CPP à former un appel non seulement pour contester un acquittement mais aussi pour mettre en cause la qualification juridique retenue contre le prévenu en première instance, s'il considère qu’une autre qualification juridique s’impose, en particulier une qualification plus grave. Il faut en effet lui reconnaître un intérêt à invoquer une autre qualification, laquelle est susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation de l’atteinte qu’il a subie. Il suffit d'être lésé, c'est-à-dire une personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). Les droits touchés sont les biens juridiques individuels tels que la vie et l'intégrité corporelle, la propriété, l'honneur, etc. (ATF 139 IV 78 cons.3.3.3). La partie plaignante peut dès lors former appel pour ce qui concerne la culpabilité du prévenu, même si elle s’est uniquement déclarée demanderesse à l’action pénale selon les articles 118 al. 1 et 119 al. 2 let. a CPP, sans faire valoir de prétentions civiles dans le procès pénal.

c) L’appel de la partie plaignante qui porte sur la culpabilité du prévenu et l’admission de ses conclusions civiles est en l’espèce recevable. Au surplus, cet appel a été interjeté dans les formes et délais légaux.  

2.                                Selon l’article 398 CPP, la juridiction d’appel jouit d’un plein pouvoir d’examen sur les points attaqués du jugement (al. 2). L’appel peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation, le déni de justice et le retard injustifié, pour constatation incomplète ou erronée des faits et pour inopportunité (al. 3). La Cour pénale limite son examen aux violations décrites dans l’acte d’appel (art. 404, al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP). Sur les points attaqués du jugement, elle revoit la cause librement, en fait et en droit (Kistler-Vianin, in CR-CPP n. 11 ad art. 328).

3.                                Selon l’article 389 al. 3 CPP, l’autorité de recours administre, d’office ou à la demande d’une partie, les preuves complémentaires nécessaires au traitement du recours. A l’appui de son appel, le plaignant a déposé plusieurs pièces littérales qui sont admises.

4.                                a) Selon l'article 10 CPP, toute personne est présumée innocente tant qu'elle n'est pas condamnée par un jugement entré en force (al. 1). Le tribunal apprécie librement les preuves recueillies, selon l'intime conviction qu'il retire de l'ensemble de la procédure (al. 2). Lorsque subsistent des doutes insurmontables quant aux éléments factuels justifiant une condamnation, le tribunal se fonde sur l'état de fait le plus favorable au prévenu (al. 3).

b) D’après la jurisprudence (notamment arrêt du TF du 28.09.2018 [6B_418/2018] cons. 2.1), la présomption d'innocence et son corollaire, le principe in dubio pro reo, concernent tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large. En tant que règle sur le fardeau de la preuve, elle signifie, au stade du jugement, que le fardeau de la preuve incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective. L'appréciation des preuves est l'acte par lequel le juge du fond évalue la valeur de persuasion des moyens de preuve à disposition et pondère ceux-ci afin de parvenir à une conclusion sur la réalisation ou non des éléments de fait pertinents pour l'application du droit pénal matériel. L'appréciation des preuves est dite libre ; ce n'est ni le genre ni le nombre de preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (Verniory, in : CR CPP, n. 34 ad art. 10, avec des références). Il convient de faire une évaluation globale de l'ensemble des preuves rassemblées au dossier, en s'attachant à la force de conviction de chaque moyen de preuve et non à la nature de la preuve administrée (cf. notamment arrêt du TF du 05.11.2014 [6B_275/2014] cons. 4.2).

Liens familiaux entre le plaignant, le prévenu et A.________

c) L’identité de X.________, né en 1981, ressortissant français, en séjour illégal et sans domicile connu, est incertaine. Dans le système d’informations central sur la migration (SYMIC), il est aussi connu pour s’être appelé « X.________ », né en 1973 et originaire d’Algérie, avec la mention « requérant d’asile avec décision de non-entrée en matière ». Il est connu par la police pour avoir recouru à une vingtaine d’autres alias. Il a vigoureusement contesté être le frère de A.________ et I.________. A.________ a aussi nié qu’il était le frère de X.________. De son côté, I.________, frère de A.________, n’a pas exclu que X.________ puisse être son frère. Plusieurs personnes de l’entourage de X.________ ont affirmé que ce dernier était le frère de A.________ (les déclarations de D.________, amie intime de X.________, qui a indiqué que ce dernier lui avait dit qu’il avait un frère à U.________, qui avait une femme qui travaillait chez P.________, ce qui est effectivement le cas de A.________ ; F.________ a expliqué que X.________, qu’il connaît comme s’appelant « X.________ », lui avait confié qu’il avait des difficultés avec A.________ et son autre frère ; le prévenu a dit de X.________ qu’il s’appelait XA.________ et qu’il était le frère de A.________ et I.________ ; il a affirmé qu’il était leur cousin germain). Enfin, les conclusions de l’expertise du CURML, après comparaison des ADN, vont aussi dans le sens d’un lien de fratrie entre X.________ et A.________, cette hypothèse étant jugée 540 fois plus plausible que l’hypothèse inverse. En outre, il n’est pas contesté que Y.________ soit le cousin germain de A.________ et de I.________. Au vu de ces éléments, la Cour pénale retient, d’une part, que X.________ est le frère de A.________ et de I.________ et, d’autre part, qu’il est le cousin de Y.________.

Emploi du temps de A.________, de X.________ et de Y.________ dans la nuit du 9 au 10 janvier 2016

da) A.________ a expliqué que, le 9 janvier, il était rentré à la maison à 21h00 avec son épouse et leur fils et qu’il était allé se coucher vers 00h40. Il avait été réveillé par un message vocal, le 10 janvier 2016 à 05h51, puis par un téléphone à 05h52. Il a immédiatement rappelé X.________, qui essayait de le joindre. C.________, l’épouse de A.________, a confirmé que son mari avait passé la nuit à la maison et qu’il s’était préparé à partir du domicile conjugal vers 06h00 pour aller faire un tour. Selon A.________, il s’est rendu à Z.________ depuis le domicile conjugal à V.________, pour prendre en charge, vers 06h10, X.________, à la rue {bbbbb] près de l’arrêt de bus à Z.________ (déclarations du chauffeur de bus E.________ et la mention manuscrite sous la photographie). Il a ensuite emmené X.________ à HNE. Ils ont franchi le portique de l’hôpital à 06h23.

db) Après avoir, lors de sa première audition par la police, donné un emploi du temps erroné, X.________ a expliqué que, le 9 janvier 2016, vers 23h30, il était allé à S.________, depuis la gare de U.________, avec le train régional. Il a passé la nuit à S.________ avec Y.________ dans des établissements publics. Ils sont sortis de l’établissement « N.________ » à 04h00 et sont allés à la gare. Ils ont pris le premier train de 04h37 en direction de U.________, d’où ils ont repris le train vers Z.________. X.________ désapprouvait le comportement de Y.________ durant la soirée, parce qu’il avait provoqué ses amis. Il n’avait consommé que de l’herbe et de l’alcool.

dc) Selon Y.________, lui et X.________ se sont rencontrés au Landeron, le 9 janvier 2016, durant la soirée. Ils ont décidé de se rendre à S.________ pour faire la fête. Ils sont restés à « N.________ » jusqu’à 04h00 du matin. Ils ont pris le train pour U.________. Ils sont repartis en direction de Z.________. Selon lui, X.________ s’était mal comporté à « N.________ », parce qu’il avait essayé de voler un sac. En sortant de la gare de Z.________, Y.________ a téléphoné à A.________ parce qu’il avait l’intention de se rendre à son studio.

dd) La Cour pénale retient que le plaignant et le prévenu ont passé la nuit du 9 au 10 janvier 2016 dans des établissements publics à S.________. Ils ont quitté l’établissement « N.________ » à 04h00 du matin et pris le premier train en direction de U.________, puis ils sont repartis avec un autre train en direction de Z.________. En outre, selon les déclarations concordantes de X.________ et de Y.________, le plaignant n’aurait pas consommé d’héroïne. Même si le résultat des analyses sanguines faites à HNE pourraient le laisser supposer, le dossier médical du plaignant montre que ce résultat positif aux opiacés s’explique très vraisemblablement par le fait, que dès son arrivée à l’hôpital X.________ a reçu plusieurs doses de morphine. Il sera revenu plus loin sur l’emploi du temps de A.________.

Le 10 janvier 2016, entre 05h36 et 05h43, dans le train de U.________ en direction de Z.________

e) Il ressort des déclarations concordantes du prévenu et du plaignant, qu’une fois arrivés à U.________, ils ont repris un train en direction de Z.________. La vidéo de surveillance de ce train montre qu’ils sont montés dans le wagon à 05h36. Selon X.________, ils ont beaucoup discuté et Y.________ n’arrêtait pas de « gueuler devant tout le monde », « il venait contre [lui] ». En définitive, le plaignant a décidé qu’ils descendraient à Z.________ pour finir cette discussion. Lors de la confrontation devant le ministère public, X.________ a expliqué qu’il avait fait des remarques à Y.________, parce qu’il désapprouvait son comportement, ce qui avait énervé Y.________. Toujours lors de la confrontation, Y.________ a expliqué que c’était le plaignant qui parlait fort au téléphone. Il lui avait demandé d’être plus discret, mais X.________ n’avait pas tenu compte de ses remarques. Y.________ avait changé de place dans le train, sans qu’ils se disputent. L’interprétation par les premiers juges des images de la vidéosurveillance du train ne prête pas le flanc à la critique ; il peut y être renvoyé (cons. 3 du jugement entrepris en page 10 et 11 ; art. 82 al. 4 CPP). Il en ressort que le plaignant, en arrivant dans le wagon, s’est agité et a invectivé le prévenu, en brandissant son téléphone portable dont l’écran était allumé. Le prévenu s’est levé et est allé s’asseoir un peu plus loin. Le plaignant a continué de s’adresser à Y.________, qui n’a pas réagi. X.________ a poursuivi sa conversation téléphonique avec une personne non identifiée. Un peu plus tard, il a raccroché et s’est encore adressé au prévenu, qui semble ne pas avoir répondu. Le plaignant est allé aux toilettes, puis est revenu à sa place. Le reste du voyage s’est déroulé calmement. Il y avait d’autres passagers dans ce train, qui n’ont pas paru prêter une attention particulière au plaignant et au prévenu. X.________ et Y.________ sont sortis du train tranquillement à 05h43, ainsi qu’un autre passager. La Cour pénale retient donc que les déclarations du prévenu sont davantage conformes aux images des caméras de surveillance que celles du plaignant. Il n’y a pas lieu de croire, au vu de la vidéosurveillance, que le plaignant et le prévenu allaient en venir aux mains, dès leur sortie du train, sur le quai de la gare.

Le 10 janvier 2016, entre 05h43 – moment de la sortie du train – et 05h51, quand X.________ a envoyé à A.________ un message vocal pour l’appeler à l’aide

fa) Selon X.________, ils sont descendus du train à sa demande. Sur le quai, il a demandé à Y.________ « Quels problèmes il avait avec [lui] et il [est] parti en marchant ». X.________ a aussi poussé Y.________ pour qu’il le laisse tranquille. À ce moment-là, Y.________ a sorti quelque chose de la poche sa veste. Tout à coup, le plaignant a senti « comme quelque chose de mouillé, sur le côté gauche. », il a mis sa main et a vu qu’il y’avait du sang. Il s’est retourné vers Y.________ et il lui a demandé s’il lui avait fait du mal. Le prévenu a répondu que non et est parti en courant. Devant le ministère public, lors de la confrontation, X.________ a maintenu sa version des faits, en donnant quelques précisions. Il avait poussé Y.________ des deux mains et lui avait tourné le dos en partant. Y.________ l’avait suivi et tout à coup l’avait frappé dans le dos avec un couteau. X.________ n’avait pas vu Y.________ le frapper. Il s’était immédiatement retourné et avait vu ce dernier qui se tenait devant lui avec un couteau suisse dans la main gauche. Il n’avait pas vu le manche du couteau. Y.________ lui avait dit qu’il n’avait rien fait. Le plaignant sentait nettement le sang qui coulait. Y.________ s’était enfui en courant. De son côté, Y.________ a expliqué qu’ils étaient descendus ensemble du train à Z.________ et qu’il n’y avait aucune dispute entre eux. Il avait téléphoné à un ami, dont il ne souhaitait pas révéler l’identité pour ne pas lui causer du tort. Plus tard, devant le tribunal de police, il a admis que cet ami était en fait A.________. Alors que X.________ se dirigeait vers W.________, lui avait repris le train pour aller dormir chez une amie. Il a répété qu’il était droitier et qu’il ne pouvait pas tenir un couteau de la main gauche. Me K.________ a fait remarquer au ministère public que son client écrivait de la main droite. Interrogé par le ministère public le 18 juin 2018, Y.________ a montré sur un plan avec un marqueur orange le trajet qu’il avait effectué à la sortie du train. Il s’agissait du chemin pour aller au studio de A.________. Devant le tribunal criminel, le 6 septembre 2018, il a admis qu’il s’était dirigé à pied vers le studio de A.________. Il l’avait appelé à l’interphone et avec son téléphone portable, mais n’avait pas réussi à l’atteindre. Ne pouvant pas rentrer dans le studio, il avait repris le train en direction de U.________ pour se rendre à T.________, afin d’aller dormir chez une femme qu’il connaissait.

fb) La Cour pénale retient que le plaignant et le prévenu ont pris le train à 05h36 pour se rendre de U.________ à Z.________ et qu’ils y sont arrivés à 05h43. Ils souhaitaient très probablement trouver un lieu pour dormir. Le prévenu a affirmé que X.________ l’avait accompagné parce qu’il voulait aller à W.________ pour acheter de l’herbe. Ces explications ne semblent guère plausibles, parce qu’ils avaient fait la fête durant toute la nuit et devaient être fatigués et désargentés. De plus, le prévenu a expliqué qu’ils avaient acheté de l’herbe à leur arrivée à S.________.

fc) Dans le train, ils ont eu un différend. Selon les caméras de surveillance, le prévenu ne s’est pas montré agressif et a ignoré les invectives du plaignant, qui a fini par se calmer. Ils sont sortis tranquillement du train. Un autre passager est descendu en même temps qu’eux. Durant l’instruction, les déclarations du plaignant ne se sont pas révélées très fiables. Il a donné des versions contradictoires de son emploi du temps pour la nuit du 9 au 10 janvier 2016, lors de sa première audition par la police. Après son agression, il a refusé que les enquêteurs obtiennent les rétroactifs de son téléphone et de délier les médecins du secret médical. Il n’a pas non plus voulu indiquer le nom de son agresseur à la police. Sa propre identité et ses liens familiaux avec les protagonistes du dossier sont demeurés incertains. Ce n’est que lors de sa seconde audition qu’il a donné le nom de son agresseur et qu’il a fourni des explications plus crédibles sur le déroulement de la nuit entre le 9 et le 10 janvier 2016, après s’être constitué un mandataire. En ce qui concerne les déclarations du plaignant sur le déroulement du voyage en train entre U.________ et Z.________, elles ne correspondent pas aux conclusions que l’on peut tirer du visionnement des caméras de surveillance de la compagnie ferroviaire. Le plaignant a affirmé qu’après avoir été poignardé, il avait vu le prévenu qui tenait un couteau de la main gauche, alors que le prévenu est droitier. D’un autre côté, les déclarations du prévenu ont été assez constantes durant toute l’instruction sauf sur certains points notamment celui de savoir s’il avait ou non un couteau suisse sur lui, le 20 janvier 2016. Il n’a pas non plus voulu indiquer immédiatement qu’à la sortie de la gare de Z.________, il s’était dirigé vers le studio de A.________. Au sujet du trajet en train entre U.________ et Z.________, les déclarations du prévenu sont plausibles, parce que conformes aux images des caméras de surveillance du train. De manière générale, les déclarations du prévenu ne paraissent en tout cas pas moins crédibles que celles du plaignant. Lorsque le prévenu a déclaré qu’il avait été interpellé dans le train sans billet dans le train du T.________ en direction de U.________, le 11 janvier 2016, il s’est avéré, après vérification, que tel avait été le cas le 20 janvier 2016. Après plus de deux ans, cette erreur de quelques jours ne porte pas atteinte à la crédibilité du prévenu. La Cour pénale ne considère donc pas que les déclarations du plaignant seraient particulièrement crédibles, au point qu’elles devraient a priori être préférées à celles du prévenu, même en l’absence d’autres preuves. C’est pourquoi elle ne retient pas que le prévenu aurait poignardé le plaignant immédiatement à la sortie du train sur le quai de la gare. Au vu des images de la vidéosurveillance, il ne semble pas que les parties étaient prêtes à en découdre et qu’elles n’attendaient que la sortie du train pour en venir aux mains. Il semble beaucoup plus plausible de retenir que le prévenu et le plaignant, qui ne paraissaient pas du tout agressifs, ont quitté la gare pour se diriger ensemble en direction du studio de A.________, à la rue [aaaaa], où ils espéraient trouver un lieu pour dormir. A cet égard, on peut relever que le chauffeur de bus E.________ a vu le plaignant blessé à l’entrée de la rue [ccccc], soit de l’autre côté de la rue [eeeee], sur le chemin pour se rendre à la rue [aaaaa]. Si le plaignant avait été poignardé sur le quai de la gare, on verrait mal la raison qui l’aurait incité à traverser la route et à se tenir à cet endroit. La Cour pénale retient donc que le plaignant a reçu un coup de couteau, dans un lieu indéterminé se situant entre la rue [ccccc] et l’immeuble sis à la rue [aaaaa], entre 06h43 et 06h51, alors qu’il n’était pas très éloigné du prévenu (le studio de A.________ se trouve à 220 mètres de la gare, à une minute à pied de la gare, selon Googlemaps).

Le 10 janvier 2016, entre 05h51 et 06h10

g) A 05h51, A.________ a reçu un message vocal en arabe de la part de X.________. A.________ l’a fait écouter à la police et l’a traduit de la façon suivante : « Je résume : « J’ai ramassé un coup de couteau, j’ai reçu un coup vers le cœur. J’ai mal partout, fais vite fais vite (sic) » ». A.________ l’a rappelé via Whatsapp à 05h52. Cependant, comme ce message n’a pas été traduit par un interprète, il ne peut pas être exclu qu’il ait eu une autre signification. Il est donc également possible que l’agression au couteau ait eu lieu entre 5h51 et 5h55. En effet, c’est à 5h55 que le chauffeur de bus E.________ a été interpellé par une personne agitée qui se trouvait à l’entrée de la rue [ccccc], de l’autre côté de la rue [eeeee], et qui lui demandait d’appeler une ambulance, parce qu’il avait reçu un coup de couteau dans le dos. A l’instar du tribunal criminel, la Cour pénale retient que la personne décrite par le chauffeur de bus était X.________. Vers 06h10, le chauffeur, qui avait sorti son véhicule du hangar, est revenu sur les lieux et a constaté que le plaignant avait disparu. Selon A.________, il serait arrivé à Z.________ vers 06h10 et aurait alors pris en charge le plaignant dans sa voiture.

Le 10 janvier 2016, entre 06h10 et 06h23

h) La Cour pénale retient que A.________ a pris le plaignant dans sa voiture vers 06h10 à Z.________ et qu’il l’a emmené à l’hôpital. Ils sont arrivés à à 06h23.

Observations sur le temps mis par A.________ pour aller de V.________ à Z.________, le 10 janvier 2016

i) A.________ a déclaré qu’il avait été réveillé à 05h51 par un message vocal, alors qu’il dormait au domicile conjugal à V.________. À 05h52, il a rappelé X.________, qui avait cherché à le joindre. Il s’est levé et habillé, puis est allé en voiture chercher X.________ à l’arrêt de bus de la rue {bbbbb], à la hauteur de la pharmacie, à Z.________. Il est arrivé à 06h10, soit en à peu près 18 minutes (selon Googlemaps, le trajet entre le domicile de A.________ sis à la rue du [ddddd] 11 à V.________ et la pharmacie L.________ à Z.________ dure 16 minutes en voiture). Si le temps mis par A.________ pour se rendre de V.________ à Z.________ n’est pas clairement impossible, il est tout de même très serré.

L’hypothèse retenue par le tribunal criminel de l’implication possible d’une tierce personne dans l’agression au couteau de X.________

j) Le tribunal criminel a estimé qu’il n’était pas « abracadabrantesque » que le coup de couteau qui avait été donné au plaignant l’ait été par un tiers. Selon le tribunal criminel, le plaignant était au téléphone dans le train qui l’emmenait à Z.________ – même si le plaignant a contesté ce fait devant le ministère public – avec une personne non identifiée. Il était consommateur régulier de marijuana et avait consommé des opiacés. Dans ce contexte, sans papiers, sans domicile fixe et à la recherche de drogues, vers 06h00 du matin, il n’était pas exclu qu’il ait eu une altercation avec un tiers. La Cour pénale ne peut sans autre suivre cet avis. À supposer que le plaignant eût été blessé par un tiers dans des circonstances louches, on ne s’expliquerait alors pas pourquoi X.________ aurait ensuite accusé à tort Y.________, son cousin.

 

Implication possible d’un proche ou d’un autre membre de la famille que le prévenu dans l’agression au couteau de X.________

ka) La Cour pénale a retenu ci-avant que X.________ était le frère de I.________ et de A.________ qui sont sa seule famille à U.________. D’emblée, il faut relever que rien au dossier ne permettrait de suggérer la présence de I.________ sur les lieux du crime, le 10 janvier 2016 entre 05h43 et 05h51. On ne peut pas en dire autant de A.________ qui est lié aux faits de la cause à plus d’un titre. A.________ dispose pourtant d’un alibi, puisque son épouse, C.________, a déclaré à la police qu’il avait passé la nuit à V.________ au domicile conjugal. Certains éléments du dossier relativisent toutefois la crédibilité des déclarations de A.________ et de son épouse. Ils suggèrent que A.________ aurait pu être davantage impliqué dans cette affaire que ce qu’il a bien voulu en dire. Premièrement, son attitude durant l’instruction interpelle. Entendu par la police en tant que personne appelée à donner des renseignements ou comme témoin, A.________ s’est montré désagréable, déjà lors de sa deuxième audition ; durant sa troisième audition, il n’a pas cessé de vociférer, alors qu’il était seulement entendu comme témoin et qu’aucun reproche n’était formulé à son encontre. Ce comportement est peu compréhensible. Il s’expliquerait davantage si A.________ n’avait pas dit la vérité sur sa véritable implication dans cette affaire. Deuxièmement, lors de son audition comme témoin par la police, le 24 avril 2018, A.________ a répondu à Me H.________ : « Vous me dites que personne ne dit la vérité. C’est vrai. Même moi. ». A.________ a ainsi reconnu que ses déclarations étaient en tout ou partie mensongères. Troisièmement, pour des raisons que l’on ne s’explique pas non plus, A.________ a nié être le frère du plaignant, alors que tel est pourtant le cas. La raison de ces dénégations pourrait résulter de la crainte de A.________ que cette affaire, d’une manière ou d’une autre, compromette son droit de résider en Suisse. Cette affaire pourrait aussi avoir eu pour origine les liens familiaux existant entre A.________, le prévenu et le plaignant, ce qu’ils auraient eu à cœur de dissimuler. Quatrièmement, I.________ a expliqué. À cet égard, que cette histoire de coup de couteau entre Y.________ et X.________ avait profondément divisée la famille, y compris ceux qui étaient restés en Algérie. I.________ a notamment déclaré ceci : « Selon ma famille, c’est à cause de nous que Y.________ est en prison mais on a rien fait. » « Vous me confirmez quand (sic) effet, ce n’est pas ma faute, c’est vraiment compliqué. » « Soi (sic) disant, A.________ devait veiller sur Y.________ et on a pas (sic) couvert suffisamment Y.________ pour empêcher ça. ». Cinquièmement, A.________, de façon assez incompréhensible, conteste avoir hébergé Y.________ dans son studio à Z.________ et le fait que le prévenu lui devrait 600 francs au titre d’arriéré de loyer. On ne comprend pas vraiment la raison que Y.________ aurait eu de mentir à ce sujet et pourquoi A.________, qui a reconnu avoir hébergé Y.________ précédemment, notamment en 2015, conteste l’avoir logé au début du mois de janvier 2016. Sur ce point, I.________ s’est d’ailleurs montré plutôt évasif. Sixièmement, A.________ a déclaré qu’il avait pris un studio à Z.________, en raison de difficultés conjugales, et qu’il y avait habité de décembre 2015 jusqu’au début du mois de janvier 2016. Le dossier ne permet pas de dire si A.________ vivait toujours séparé de son épouse le 10 janvier 2016 ou s’il avait regagné le domicile conjugal. Septièmement, comme indiqué ci-avant, le délai dans lequel A.________ est arrivé avec sa voiture, s’il n’est pas impossible à tenir, est extrêmement serré (lever 05h51, départ au plus tôt de 05h53 depuis V.________ et arrivée 06h10 à Z.________). La présence de A.________ à Z.________, le 10 janvier 2016 à 6h10, s’expliquerait beaucoup mieux, si ce dernier, contrairement à ce qu’il a prétendu, avait passé la nuit du 9 au 10 janvier 2016 dans son studio à Z.________. Enfin, huitièmement, la police n’a pas jugé utile de faire analyser le téléphone de A.________, après sa première audition, le 10 janvier 2016. Son téléphone portable lui a été rendu, le jour-même. Les rétroactifs n’ont pas non plus été demandés sur cet appareil, de sorte qu’il est impossible de déterminer où se trouvait véritablement A.________, le 10 janvier 2016 entre 05h43 et 05h51. En outre, le message vocal en arabe dont A.________ a donné connaissance à la police, lors de sa première audition, n’a pas été traduit par un interprète. Il se pourrait qu’il ait eu une autre teneur que celle que A.________ a donnée à la police. Faute de savoir la teneur exacte du message vocal envoyé par X.________ à A.________, il ne peut pas non plus être exclu que le coup de couteau ait pu avoir été donné après les appels du plaignant à A.________, entre 5h51 et 5h55 (moment où le chauffeur de bus a vu le plaignant blessé).

kb) La Cour pénale considère que le rôle de A.________ dans cette affaire est resté non élucidé. L’implication de A.________ est pourtant susceptible d’avoir été déterminante, à mesure que le plaignant et le prévenu, en sortant du train, se sont très probablement dirigés vers son studio pour y passer la nuit (une minute à pied depuis la gare). Y.________ a admis devant le tribunal criminel qu’il avait tenté de téléphoner à A.________, en sortant du train, puis qu’il l’avait appelé au moyen de l’interphone de l’immeuble. En chemin ou aux abords immédiats de ce studio, il s’est passé quelque chose et le plaignant a été blessé avec un couteau. S’il est plausible que le prévenu était présent sur les lieux de l’agression, il n’est pas certain que X.________ et Y.________ aient été seuls à ce moment-là et que ce soit le prévenu qui aurait poignardé le plaignant. Il est évidemment probable que Y.________ ait été l’auteur de ce coup de couteau, mais il est aussi possible que les choses se soient déroulées autrement. L’hypothèse d’une scène confuse, aux abords du studio de A.________, impliquant un ou plusieurs autres protagonistes, parmi lesquels l’interlocuteur non identifié avec qui X.________ avait parlé au téléphone dans le train et/ou peut-être A.________ ne peut pas non plus être entièrement exclue. Dans un tel contexte, le plaignant pourrait avoir été blessé, peut-être même par accident, et de fausses accusations pourraient avoir été portées contre le prévenu. En tout cas, la Cour pénale considère que la version des faits du plaignant n’est pas particulièrement crédible. Les images de la vidéosurveillance ne montrent pas que X.________ et Y.________ aient eu des dissensions importantes dans le train et qu’ils allaient en venir aux mains dès qu’ils en seraient sortis. Si tel avait été le cas, ils se seraient probablement déjà battus dans le wagon. Après le 10 janvier 2016, Y.________ n’a apparemment pas cherché à fuir la Suisse, se sachant recherché après avoir commis quelque chose de grave. Au contraire, il s’est rendu à trois reprises au casino de U.________ entre le 13 janvier et le 17 février 2016, en se légitimant au moyen de son passeport.

kc) Quoi qu'il ait pu se passer, les protagonistes n’ont visiblement pas voulu collaborer avec les autorités de poursuite pénale, préférant sans doute un règlement de l’affaire au sein de la famille, comme les déclarations de I.________ le laissent supposer. Les déclarations de X.________, le 19 avril 2016, devant la police, sont troublantes, lorsqu’il a déclaré ceci : « Vous me demandez si pour faire une vie normale, il ne faudrait pas dire la vérité (la victime rit). Ben ouais. Bientôt vous allez connaître la vérité ». En effet, une réaction de ce genre de la part d’une victime qui, en principe, a intérêt à ce que l’auteur d’un acte aussi grave puisse être condamné, est singulière. Ce langage entre en résonance avec les propos du même genre de A.________, le 24 avril 2018, lorsqu’il a déclaré à Me H.________ : « Vous me dites que personne ne dit la vérité. C’est vrai. Même moi. ». Les propos de X.________ et de A.________, qui sont frères, suggèrent que la thèse de l’accusation selon laquelle Y.________ aurait été l’auteur du coup de couteau pourrait ne pas correspondre à la vérité. Tout un pan de cette affaire reste non élucidé. Pour des raisons peu claires, lors de ses premières déclarations à la police, X.________, a soigneusement évité d’évoquer la présence du prévenu et a dissimulé le fait qu’il avait pris le train à U.________ pour se rendre à Z.________. Lors de sa confrontation avec le prévenu, il a aussi nié qu’il avait téléphoné dans le train entre U.________ et Z.________, alors que cela ressortait clairement des images des caméras de surveillance et des déclarations du prévenu. La personne avec qui X.________ téléphonait n’a pas pu être identifiée et on ne saura donc jamais s’il s’agissait de A.________ ou de quelqu’un d’autre, ni de quoi il était question. X.________ pourrait avoir eu intérêt à dissimuler cet entretien téléphonique, s’il portait sur quelque chose d’illégal. Peut-être était-il question de stupéfiants. L’interlocuteur non identifié l’aurait-il ensuite attendu aux abords de la gare de Z.________ avec de mauvaises intentions, dans un contexte que le plaignant aurait préféré ne pas dévoiler à la police ? Cela paraît aussi possible. Par conséquent, un doute irréductible subsiste sur les circonstances dans lesquelles un coup de couteau a été donné à X.________. Il ne s’agit nullement d’un doute abstrait et théorique, mais d’un doute objectif important résultant des éléments concrets du dossier, notamment du fait que le 10 janvier entre 05h43 et 05h51 et peu après aussi, il n’a pas été possible de déterminer exactement l’emploi du temps du prévenu, du plaignant et de A.________. Dans tous les cas, les liens familiaux entre les différents protagonistes de cette affaire, qui se sont montrés peu collaborants avec la justice, ont été une entrave à la manifestation de la vérité. Y.________ doit donc être acquitté.

5.                                Il résulte de ce qui précède que tant l’appel du plaignant que celui du ministère public doivent être rejetés.

6.                                a) Vu le sort de la cause, la Cour pénale n’a pas à revoir les frais et indemnités en première instance (art. 428 al.3 CPP a contrario).

b) Les frais de la procédure d’appel arrêtés à 2'500 francs sont mis pour moitié à la charge du plaignant et laissés, pour l’autre moitié, à la charge de l’Etat (art. 428 al. 1 CPP). Le prévenu qui plaidait au bénéfice de l’assistance judiciaire ne peut pas prétendre à une indemnité pour ses frais de défense au sens de l’article 429 CPP, mais peut seulement être libéré de l’obligation de rembourser à l’Etat les frais occasionnés par l’assistance judiciaire dont il bénéficie (art. 135 al. 4 CPP a contrario). Vu le sort de la cause, la partie plaignante ne peut pas se prévaloir de l’octroi d’une indemnité au sens de l’article 433 CPP dans la mesure où son appel a été rejeté et que le prévenu n’a été condamné à aucun frais.

c) L’activité d’avocat d’office alléguée par le mandataire de X.________, plaignant, s’élève à 3'148.20 francs, frais et TVA compris. Une telle activité paraît excessive pour un dossier dont les questions juridiques n’étaient pas spécialement compliquées, même s’il présentait des difficultés quant aux faits à établir. Me H.________, qui avait défendu le plaignant déjà durant l’instruction et en première instance, disposait d’une bonne connaissance de ce dossier en deuxième instance. Cela dit, l’activité alléguée par Me H.________, qui correspond à 795 minutes, soit à 13.25 heures, est excessive. Il est retenu une activité de 417 minutes, soit 10 minutes pour la rédaction d’une annonce d’appel, 115 minutes d’entretien avec le client, 10 minutes pour deux lettres au tribunal de première instance avant la rédaction du jugement motivé, 2h00 pour la lecture du dossier, 45 minutes pour la prise de connaissance du jugement motivé, 1h00 pour la déclaration d’appel, 10 minutes de correspondance au client, 32 minutes pour divers contacts avec l’OESP et l’ambassade d’Algérie et 15 minutes pour plusieurs courriers et téléphones au client. L’activité de Me H.________ équivaut à 6.95 heures, ce qui représente 1’251 francs. L’activité de Me M.________, avocat stagiaire, n’est admise qu’à hauteur de 260 minutes ou de 4.3 heures, parce que la durée de l’audience estimée à 180 minutes a été ramenée à 60 minutes. L’activité de l’avocat stagiaire rémunérée au tarif de 110 francs de l’heure s’élève donc à 473 francs. À cela s’ajoutent les frais de déplacement de 138.65 francs. L’indemnité d’avocat d’office due à Me H.________ sera donc arrêtée à 2'106.40 francs (1’251 + 473 = 1’724 ; 1’724 + 138.65 = 1'862.65 ; + 5% = 1’955.78 ; + 7.7% = 2'106.37). Cette indemnité est remboursable par l’appelant aux conditions des articles 135 al. 4 et 138 al. 1 CPP.

7.                                Vu l’assistance judiciaire dont bénéficie le prévenu, son mandataire d’office a droit à une indemnité qui ne doit être fixée que pour la procédure d’appel, car l’activité déployée en première instance a déjà été indemnisée à hauteur de 6'150.85 francs (pt. 5 du jugement de première instance). L’indemnité retenue pour la procédure d’appel est de 1'570.75 francs, frais et TVA compris, sur la base du mémoire déposé qui peut être admis, après réduction du temps passé en audience qui avait été estimé à 200 minutes et qui a été ramené à 60 minutes (603 minutes - 140 minutes = 463, ce qui représente 7.716 heures ; 7.716 x 180 = 1'389 ; + 5.5% = 69.45 ; 1’389 + 69.45 = 1'458.45 ; + 7.7% = 112.30 ; 1'458.45 + 112.30 = 1570.75 francs). Cette indemnité ne sera pas remboursable compte tenu du sort de l’appel.

Par ces motifs,
la Cour pénale décide

Vu les articles 10, 135, 138, 398ss, 426 al. 2, 428 al. 1 CPP,

1.    L’appel du plaignant est rejeté.

2.    L’appel du ministère public est rejeté et le jugement attaqué est confirmé.

3.    Les frais de la procédure d’appel sont arrêtés à 2'500 francs et mis, à raison de la moitié, à la charge de X.________, l’autre moitié étant laissée à la charge de l’Etat.

4.    L’indemnité d’avocat d’office due à Me H.________ pour la défense de X.________ en procédure d’appel est fixée à 2'106.40 francs, frais, débours et TVA compris. Cette indemnité sera entièrement remboursable aux conditions de l’article 135 al. 4 CPP.

5.    L’indemnité d’avocat d’office due à Me K.________ pour la défense de Y.________ en procédure d’appel est fixée à 1'570.75 francs, frais et TVA compris. Cette indemnité ne sera pas remboursable à l’Etat par Y.________.

6.    Le présent jugement est notifié à X.________, par Me H.________, au ministère public, à La Chaux-de-Fonds (MP.2016.106-PCF), à Y.________, par Me K.________, au Tribunal criminel du Littoral et du Val-de-Travers, à Neuchâtel (CRIM.2018.24).

Neuchâtel, le 6 mai 2020

Art. 10 CPP
Présomption d’innocence et appréciation des preuves
 

1 Toute personne est présumée innocente tant qu’elle n’est pas condamnée par un jugement entré en force.

2 Le tribunal apprécie librement les preuves recueillies selon l’intime conviction qu’il retire de l’ensemble de la procédure.

3 Lorsque subsistent des doutes insurmontables quant aux éléments factuels justifiant une condamnation, le tribunal se fonde sur l’état de fait le plus favorable au prévenu.

Art. 428 CPP
Frais dans la procédure de recours
 

1 Les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé. La partie dont le recours est irrecevable ou qui retire le recours est également considérée avoir succombé.

2 Lorsqu’une partie qui interjette un recours obtient une décision qui lui est plus favorable, les frais de la procédure peuvent être mis à sa charge dans les cas suivants:

a. les conditions qui lui ont permis d’obtenir gain de cause n’ont été réalisées que dans la procédure de recours;

b. la modification de la décision est de peu d’importance.

3 Si l’autorité de recours rend elle-même une nouvelle décision, elle se prononce également sur les frais fixés par l’autorité inférieure.

4 S’ils annulent une décision et renvoient la cause pour une nouvelle décision à l’autorité inférieure, la Confédération ou le canton supportent les frais de la procédure de recours et, selon l’appréciation de l’autorité de recours, les frais de la procédure devant l’autorité inférieure.

5 Lorsqu’une demande de révision est admise, l’autorité pénale appelée à connaître ensuite de l’affaire fixe les frais de la première procédure selon son pouvoir d’appréciation.