A.                            Domiciliée dans le canton de Neuchâtel, X.________ est assurée auprès d’Assura-Basis SA (ci-après : Assura ou la caisse) pour l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie.

                        Enceinte, avec un terme de l’accouchement prévu le 11 septembre 2017, elle s’est rendue en vacances au Liban le 25 juin 2017. Le 14 août 2017, le mari de l’assurée a informé les services d’Assura que sa femme présentait des complications et que l’accouchement aurait dès lors lieu au Liban. Deux semaines plus tard, soit le 28 août 2017, alors qu’elle se trouvait à la 36ème semaine de sa grossesse, X.________, a mis au monde son enfant par césarienne. Après avoir réuni tous les renseignements et documents médicaux utiles, la caisse a informé l’assurée qu’elle refusait de prendre en charge les frais liés à cet accouchement (867.- USD). Elle a considéré que l’accouchement ne pouvait pas être considéré comme urgent. Saisie d’une opposition, elle l’a écartée par une nouvelle décision du 28 mai 2019. Elle a relevé ignorer pour quel motif l’assurée avait continué à séjourner au Liban au-delà de la date de retour initialement prévue le 21 juillet 2017. La caisse a également retenu que le certificat médical établi par le Dr A.________ produit par l’assurée faisait mention d’une rupture du placenta et d’une interdiction faite de prendre l’avion en semaine 36 de la grossesse, de sorte que rien ne s’opposait à son retour en Suisse avant le 28 août 2017. Elle a enfin considéré que le certificat médical du Dr A.________ remis après la décision du 28 janvier 2018 ne devait pas être pris en compte, celui-ci ayant probablement été établi à la demande de l’assurée et constituait probablement le produit de réflexions ultérieures.

B.                            X.________ recourt auprès de la Cour de droit public du Tribunal cantonal contre la décision précitée en concluant implicitement à son annulation et à ce que l’assurance intimée soit condamnée à prendre en charge les frais de l’accouchement du 28 août 2017. Elle fait valoir qu’au moment de partir au Liban elle n’avait pas encore pu trouver de vol retour et que la compagnie aérienne lui avait conseiller de réserver un billet directement sur place. Elle précise qu’après s’être rendue compte de l’erreur commise par son médecin sur " l’ordonnance " elle a demandé à sa sœur, qui vit au Liban, de faire établir une version corrigée au Dr A.________.

C.                            Dans ses observations, Assura conclut au rejet du recours, avec suite de frais et dépens.

C O N S I D E R A N T

en droit

1.                            Interjeté dans les formes et délai légaux le recours est recevable.

2.                            En Suisse, l’assurance-maladie obligatoire repose sur le principe de la territorialité. Ce principe, qui exige que seules les prestations dispensées en Suisse donnent lieu à un remboursement, souffre toutefois d’exceptions, puisque l’article 34 al. 2 LAMal autorise le Conseil fédéral à fixer les conditions auxquelles les prestations visées aux articles 25 al. 2 LAMal (prestations générales en cas de maladie) et 29 LAMal (prestations en cas de maternité) peuvent être remboursées lorsqu’elles sont dispensées à l’étranger pour des raisons médicales. Il peut désigner les cas où l’assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts d’accouchements à l’étranger pour des raisons autres que médicales.

                        Selon l’article 36 al. 2 de l’ordonnance sur l’assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal ; RS 832.102), l’assurance obligatoire des soins prend en charge le coût des traitements effectués en cas d’urgence à l’étranger. Il y a urgence selon la même disposition, lorsque l’assuré, qui séjourne temporairement à l’étranger, a besoin d’un traitement médical et qu’un retour en Suisse n’est pas approprié ; il n’y a pas d’urgence lorsque l’assuré se rend à l’étranger dans le but de suivre ce traitement. La personne assurée doit rendre au moins vraisemblable le caractère urgent du traitement (Eugster, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum KVG, RBS 2018, p. 271 et les références citées). En cas d’accouchement à l’étranger, la notion d’urgence doit être admise avec beaucoup de retenue. En effet, étant donné qu’une femme enceinte est au courant qu’elle aura besoin de soins lors de son accouchement, qu’elle connaît généralement la date présumée de celui-ci, qu’à partir d’un certain stade de grossesse, un voyage s’avère médicalement contre-indiqué (si bien qu’un accouchement sur place est nécessaire et que les soins à prodiguer deviennent en tout état de cause urgents), elle doit, sauf à admettre sa volonté d’accoucher à l’étranger, prendre toutes les dispositions utiles, au fur et à mesure que le terme supposé de l’accouchement approche, pour éviter un déplacement à l’étranger, respectivement, pour assurer son retour en Suisse (arrêt du TFA du 02.02.2004 [K 14/03] cons. 3.1). Dans une jurisprudence ultérieure, le Tribunal fédéral a précisé qu’une situation d’urgence en cas d’accouchement supposait donc que la femme enceinte ne se soit pas rendue à l’étranger " avec l’intention d’y mettre au monde son enfant ou d’y bénéficier d’un traitement lié à la grossesse ", et qu’au cours de son séjour à l’étranger, " elle soit surprise par les signes d’un accouchement imminent ", de telle sorte qu’un retour en Suisse " constituerait une mesure irresponsable d’un point de vue médical " ; en d’autres termes, qu’il y avait urgence " lorsque l’intention de rester au lieu de séjour ne surgit qu’au moment où le retour au domicile ne constitue plus une alternative " (arrêt du TF du 17.07.2015 [9C_144/2015]).

                        A titre d’exemples, il a ainsi été jugé que le caractère de l'urgence n'était pas réalisé dans le cas de l'assurée, qui s’était rendue aux États-Unis le 26 juillet 1999 où elle comptait rester une semaine à dix jours et, qui avait continué d'y séjourner pour une raison inconnue jusqu'au 31 août 1999, date à partir de laquelle les médecins lui ont formellement interdit de prendre l'avion alors qu'elle se trouvait à ce moment-là à la 35e semaine, soit à une période où l'éventualité d'un accouchement, même avant terme, est notoirement plus élevé qu'au cours des mois précédents. Le tribunal a retenu que nonobstant son état, la recourante avait prolongé son séjour aux États-Unis sans raison médicale et qu’après avoir consulté un médecin le 23 août 1999, elle avait encore laissé passer une semaine alors qu'il lui était possible, durant ce laps de temps, de voyager (arrêt du TFA [K 14/03] précité). Le caractère urgent a par contre été admis dans le cas d’une assurée enceinte de 6 mois qui s’est rendue au Liban au mois d’août et qui, en raison de complications de grossesse (saignements ininterrompus) survenues peu de temps avant son retour en Suisse (prévu en septembre), a été contrainte d’y demeurer jusqu’à son accouchement, qui a eu lieu au mois de novembre (arrêt du Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich du 27.03.2003 [KV.2002.00047]). Dans le même sens, il a été jugé qu’une assurée – dont le terme de la grossesse était prévu mi-avril 2005 – s’étant rendue à Londres le 8 février 2005 et n’ayant pas pu obtenir un certificat l’autorisant à reprendre l’avion en raison d’une hypertension légère, était en droit d’exiger de sa caisse-maladie la prise en charge des coûts de son accouchement. Dans les deux cas, l’urgence a été admise compte tenu du fait que les complications de grossesse sont survenues avant la date butoir à partir de laquelle il n’aurait plus été possible à l’assurée de prendre l’avion pour rentrer en Suisse et y accoucher (Perrenoud, Les prestations de soins en cas de maternité – analyse des prestations dispensées en Suisse et à l’étranger, in Réflexions romandes en droit de la santé, 2016, p. 149).

                        L’article 36 al. 4 OAMal fixe le cadre de la prise en charge de ces coûts (cf. également ATF 128 V 75).

3.                            a) Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits, qui faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 cons. 3.2).

                        b) En droit des assurances sociales, s'applique de manière générale la règle dite des "premières déclarations" ou des "déclarations de la première heure", selon laquelle, en présence de deux versions différentes et contradictoires d'un fait, la préférence doit être accordée à celle que l'assuré a donnée alors qu'il en ignorait peut-être les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être consciemment ou non le fruit de réflexions ultérieures (ATF 121 V 45 cons. 2a; arrêt du TF du 13.04.2015 [8C_873/2014] cons. 4.2.1).

4.                            En l’espèce, la recourante s’est rendue au Liban le 25 juin 2017 où elle comptait, selon ses dires, rester jusqu’au 21 juillet suivant. Le 14 août 2017, l’époux de l’assurée a informé la caisse que l’accouchement aurait lieu au Liban en raison de complications. Il ressort d’un rapport médical non daté, établi sur le papier entête de l’hôpital " B.________ ", et dont l’auteur n’est pas lisible, mais dont on peut supposer qu’il s’agit du Dr A.________, que la recourante a été admise à l’hôpital suite à une rupture du placenta en 36e semaine de grossesse, que l’enfant est né en 2017 par césarienne et que la permission de voyager en avion n’a pas été donnée. La caisse a considéré que l’assurée avait accouché à l’étranger au-delà du délai de la 35e semaine, ce qui, selon elle, excluait un caractère urgent au sens de l’article 36 al. 2 OAMal. Le dossier comporte cependant également un autre certificat médical non daté et difficilement lisible, mais dont les parties s’accordent à dire qu’il émane du Dr A.________. Il en ressort que la recourante présentait, dès la 30e semaine, un risque d’accouchement prématuré en raison de saignements vaginaux et qu’un voyage en avion était susceptible de provoquer une fausse couche. C’est en vain que l’intimée croit pouvoir mettre en doute la crédibilité de l’assurée, en tant que ce dernier certificat aurait été établi uniquement pour permettre la prise en charge des frais d’accouchement. Cette allégation procède en effet d’une mauvaise lecture du questionnaire rempli par l’assurée le 14 novembre 2017, celle-ci ayant expressément indiqué avoir présenté des douleurs au bas ventre et des saignements et avoir débuté un traitement à partir du 14 juillet 2017 (soit la 30e semaine comme cela ressort du rapport médical susmentionné) auprès du Dr A.________. Ainsi, contrairement à ce que soutient l’intimée, les premières explications fournies, alors que l'assurée en ignorait les conséquences juridiques, faisaient déjà état de problèmes médicaux à partir de mi-juillet 2017, déclarations ensuite corroborées par les certificats médicaux établis par le Dr A.________. Ces derniers ne comportent par ailleurs aucune erreur puisque, dans le premier certificat produit, ce médecin atteste de la situation rencontrée peu avant et lors de l’accouchement, alors que dans le second, il précise le contexte ayant nécessité son intervention en juillet 2017 déjà. Il ressort ainsi de manière suffisamment claire du dossier qu’il existait une raison médicale faisant obstacle à un retour en Suisse dès la 30e semaine de grossesse, soit à une période où l’éventualité d’un accouchement était bien moins élevée qu’à la fin du huitième mois et où la durée du séjour initialement prévue n’était pas encore dépassée, contrairement à ce qui était le cas dans l’arrêt K 14/03 précité.

5.                            Au vu de ce qui précède, il incombe à l'intimée de prendre en charge les frais relatifs au traitement et à l'hospitalisation de la recourante dans les limites posées par l’article 36 al. 4 OAMal. La cause lui sera par conséquent renvoyée, afin qu'elle en fixe le montant, éventuels intérêts moratoires compris (art. 26 al. 2 LPGA). Partant, le recours, bien fondé, doit être admis et la décision attaquée du 28 mai 2019 annulée. La recourante qui intervient sans l'assistance d'un mandataire professionnel et qui ne fait pas valoir de dépenses particulières, n'a pas droit à une indemnité de dépens. Il n'est en outre pas perçu de frais, la procédure étant en principe gratuite (art. 61 let. a LPGA).

Par ces motifs,
la cour de droit public

1.    Admet le recours.

2.    Annule la décision attaquée du 28 mai 2019 de l’intimée.

3.    Renvoie la cause à Assura-Bassis SA pour qu’elle rende une nouvelle décision au sens des considérants.

4.    Statue sans frais.

5.    N’alloue pas de dépens.

Neuchâtel, le 27 décembre 2019

Art. 29 LAMal
Maternité
 

1 L’assurance obligatoire des soins prend en charge, en plus des coûts des mêmes prestations que pour la maladie, ceux des prestations spécifiques de maternité.

2 Ces prestations comprennent:

a. les examens de contrôle, effectués par un médecin ou une sage-femme ou prescrits par un médecin, pendant et après la grossesse;

b.1 l’accouchement à domicile, dans un hôpital ou dans une maison de naissance ainsi que l’assistance d’un médecin ou d’une sage-femme;

c. les conseils nécessaires en cas d’allaitement;

d.2 les soins accordés au nouveau-né en bonne santé et son séjour, tant qu’il demeure à l’hôpital avec sa mère.


1 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 21 déc. 2007 (Financement hospitalier), en vigueur depuis le 1er janv. 2009 (RO 2008 2049; FF 2004 5207).
2 Introduite par le ch. I de la LF du 24 mars 2000, en vigueur depuis le 1er janv. 2001 (RO 2000 2305; FF 1999 727).

Art. 34 LAMal
Étendue
 

1 Au titre de l’assurance obligatoire des soins, les assureurs ne peuvent pas prendre en charge d’autres coûts que ceux des prestations prévues aux art. 25 à 33.

2 Le Conseil fédéral peut prévoir la prise en charge par l’assurance obligatoire des soins des coûts suivants:

a. les coûts des prestations visées aux art. 25, al. 2, et 29 qui sont fournies à l’étranger, pour des raisons médicales ou dans le cadre de la coopération transfrontalière, à des assurés qui résident en Suisse;

b. les coûts d’accouchements à l’étranger pour des raisons autres que médicales.1

3 Il peut limiter la prise en charge des coûts visés à l’al. 2.2


1 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 30 sept. 2016 (Adaptation de dispositions à caractère international), en vigueur depuis le 1er janv. 2018 (RO 2017 6717; FF 2016 1).
2 Introduit par le ch. I de la LF du 30 sept. 2016 (Adaptation de dispositions à caractère international), en vigueur depuis le 1er janv. 2018 (RO 2017 6717; FF 2016 1).

Art. 36 OAMal
Prestations à l’étranger
 

1 Le DFI désigne, après avoir consulté la commission compétente, les prestations prévues aux art. 25, al. 2, et 29 de la loi dont les coûts occasionnés à l’étranger sont pris en charge par l’assurance obligatoire des soins lorsqu’elles ne peuvent être fournies en Suisse.

2 L’assurance obligatoire des soins prend en charge le coût des traitements effectués en cas d’urgence à l’étranger. Il y a urgence lorsque l’assuré, qui séjourne temporairement à l’étranger, a besoin d’un traitement médical et qu’un retour en Suisse n’est pas approprié. Il n’y a pas d’urgence lorsque l’assuré se rend à l’étranger dans le but de suivre ce traitement.

3 L’assurance obligatoire des soins prend en charge, dans le cadre de l’art. 29 de la loi, les coûts d’un accouchement ayant eu lieu à l’étranger lorsqu’il constitue le seul moyen de procurer à l’enfant la nationalité de la mère ou du père, ou lorsque l’enfant serait apatride s’il était né en Suisse.

4 Les prestations visées aux al. 1 et 2, et les traitements effectués à l’étranger pour les frontaliers, les travailleurs détachés et les personnes occupées par un service public, ainsi que pour les membres de leur famille (art. 3 à 5), sont pris en charge jusqu’à concurrence du double du montant qui aurait été payé si le traitement avait eu lieu en Suisse; dans les cas prévus à l’al. 3, le montant maximum correspond à celui qui aurait été payé en Suisse. Pour les assurés visés aux art. 4 et 5, la prise en charge des coûts s’effectue sur la base des tarifs et des prix applicables à leur dernier lieu de résidence en Suisse. Si le traitement effectué pour les assurés visés à l’art. 1, al. 2, let. d et e, ne suit pas les règles sur l’entraide internationale en matière de prestations, la prise en charge des coûts s’effectue sur la base des tarifs et des prix applicables à leur dernier lieu de résidence ou de travail en Suisse; si aucun de ces lieux ne peut être déterminé, la prise en charge s’effectue sur la base des tarifs et des prix applicables dans le canton du siège de l’assureur.12

5 Les dispositions sur l’entraide internationale en matière de prestations demeurent réservées.3


1 Phrase introduite par le ch. I de l’O du 3 juil. 2001 (RO 2002 915). Nouvelle teneur selon le ch. I de l’O du 22 mai 2002, en vigueur depuis le 1er juin 2002 (RO 2002 1633).
2 Nouvelle teneur selon le ch. I de l’O du 15 juin 1998, en vigueur depuis le 1er août 1998 (RO 1998 1818).
3 Introduit par le ch. I de l’O du 3 juil. 2001, en vigueur depuis le 1er juin 2002 (RO 2002 915).