Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 02.02.2021 [8C_375/2020]

 

 

 

A.                            Le 30 juin 2015, la Caisse cantonale neuchâteloise de compensation (ci-après : CCNC) a transmis à l’employeur de X.________ un préavis d’échéance du droit aux allocations familiales pour la fille de celui-ci, A.________, née en 1995, au 31 août 2015 et l’a invité à déposer une attestation d’études, faute de quoi le droit aux allocations serait supprimé. Se fondant sur une attestation de cours pour la période du 14 septembre 2015 au 18 septembre 2016, établie par la Haute école de gestion Arc (ci-après : HEG-Arc) pour la formation de "Bachelor of Sciences HES-SO en Economie d’entreprise", cycle "En emploi 2015-2019", la CCNC a prolongé le droit aux allocations familiales jusqu’au 30 septembre 2016 (courrier du 28.09.2015). Ultérieurement, sur la base d’attestations similaires, la CCNC a prolongé ce droit jusqu’au 30 septembre 2017 (courrier du 06.10.2016), respectivement jusqu’au 30 septembre 2018 (courrier du 04.10.2017). Après avoir réceptionné l’attestation de cours pour la période du 17 septembre 2018 au 15 septembre 2019, la CCNC a requis de X.________ le dépôt d’une copie d’une fiche de salaire de sa fille afin de vérifier que le revenu de cette dernière n’excédait pas la limite de 2'350 francs par mois (courrier du 27.09.2018), puis de son contrat de travail (courrier du 09.10.2018). Après réception de ces documents, qui révélaient le versement d’un salaire net de 2'050 francs + 13ème salaire (salaire brut de CHF 2'275.65), la CCNC a informé X.________ que le revenu de sa fille était supérieur à la limite permettant l’octroi d’une allocation de formation professionnelle, de sorte que celle-ci était supprimée à partir du 1er janvier 2016 (courrier du 02.11.2018).

Par décision du 17 décembre 2018, la CCNC a réclamé au prénommé restitution de 9'900 francs correspondant aux allocations familiales versées à tort pour la période du 1er janvier 2016 au 30 septembre 2018. Saisie d’une opposition de l’intéressé à ce prononcé, la CCNC l’a rejetée par décision du 7 juin 2019. Se référant notamment à l’article 25 LPGA et 53 al. 1 LPGA, elle a retenu que les conditions d’octroi des allocations familiales n’étaient plus remplies depuis le 1er janvier 2016, ce qui justifiait la restitution des prestations versées à tort, et considéré qu’elle avait agi en restitution dans les délais.

B.                            X.________ interjette recours devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal contre cette décision en concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à ce qu’il soit dit et constaté qu’il ne doit pas restituer à la CCNC les allocations familiales perçues du 1er janvier 2016 au 30 septembre 2018 d’un montant total de 9'900 francs. En résumé, s’il ne conteste pas la suppression des allocations familiales à partir du 1er janvier 2016, il estime que la restitution des prestations perçues à tort depuis cette date ne saurait être exigée. A cet égard, il se prévaut d’une violation de son droit d’être entendu faute pour la décision d’examiner, d’une part, si les conditions d’une reconsidération ou celles d’une révision étaient remplies – tout en niant qu’elles le soient – et, d’autre part, s’il ne pouvait pas être renoncé à la restitution. Enfin, il maintient qu’au moment où l’intimée a réclamé restitution des prestations indues, son droit était périmé.

C.                            Dans ses observations sur le recours, la CCNC conclut à son rejet tout en rappelant notamment que sa décision mentionne les conditions permettant la restitution, à savoir dans le cas d’espèce, celles de la reconsidération.

C O N S I D E R A N T

en droit

1.                            Interjeté dans les formes et délai légaux, le recours est recevable.

2.                            a) L'article 25 LPGA, aux termes duquel les prestations indûment touchées doivent être restituées, est issu de la réglementation et de la jurisprudence antérieures à l'entrée en vigueur de la LPGA (ATF 130 V 318 cons. 5.2 et les références). Selon cette jurisprudence, l'obligation de restituer suppose que soient remplies les conditions d'une reconsidération ou d'une révision procédurale de la décision par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 130 V 318 cons. 5.2, 130 V 380 cons. 2.3.1). La reconsidération et la révision sont maintenant réglées à l'article 53 al. 1 et 2 LPGA qui codifie la jurisprudence antérieure à son entrée en vigueur : selon un principe général du droit des assurances sociales, l'administration peut reconsidérer une décision formellement passée en force de chose jugée sur laquelle une autorité judiciaire ne s'est pas prononcée quant au fond, à condition qu'elle soit sans nul doute erronée et que sa rectification revête une importance notable (art. 53 al. 2 LPGA). Une décision est sans nul doute erronée lorsqu'il n'existe aucun doute raisonnable sur le fait qu'elle était erronée, la seule conclusion possible étant que tel est le cas (ATF 125 V 383; arrêt du TF du 07.11.2006 [C 269/05] cons. 3; Kieser, ATSG-Kommentar, 3e éd., 2015, n° 52 ad art. 53). Pour juger s'il est admissible de reconsidérer une décision pour le motif qu'elle est sans nul doute erronée, il faut se fonder sur les faits et la situation juridique existant au moment où cette décision a été rendue, compte tenu de la pratique en vigueur à l'époque (arrêt du TF du 10.07.2019 [8C_39/2019] cons.4.2). En outre, par analogie avec la révision des décisions rendues par des autorités judiciaires, l’assureur est tenu de procéder à la révision d'une décision entrée en force formelle lorsqu’il découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant (art. 53 al. 1 LPGA), susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 127 V 466 cons. 2c et les références). Sont "nouveaux" au sens de cette disposition, les faits qui se sont produits jusqu'au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n'étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence. En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c'est-à-dire qu'ils doivent être de nature à modifier l'état de fait qui est à la base de l'arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d'une appréciation juridique correcte (ATF 134 III 669 cons. 2.2 et les références). Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n'avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Dans ce contexte, le moyen de preuve ne doit pas servir à l'appréciation des faits seulement, mais à l'établissement de ces derniers (arrêt du TF du 17.08.2012 [8C_583/2011] cons. 3.1).

Ces principes sont aussi applicables lorsque des prestations ont été accordées sans avoir fait l'objet d'une décision formelle et que leur versement, néanmoins, a acquis force de chose décidée (ATF 129 V 110 cons. 1.1 et les références). Il y a force de chose décidée si l'assuré n'a pas, dans un délai d'examen et de réflexion convenable, manifesté son désaccord avec une certaine solution adoptée par l'administration et exprimé sa volonté de voir statuer sur ses droits dans un acte administratif susceptible de recours (ATF 132 V 412 cons. 5).

b) Le droit de demander la restitution s'éteint un an après le moment où l'institution a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation (art. 25 al. 2, 1ère phrase, LPGA). Il s'agit de délais (relatif et absolu) de péremption, qui doivent être examinés d'office (ATF 140 V 521 cons. 2.1). Selon la jurisprudence, le délai de péremption relatif d'une année commence à courir dès le moment où l'administration aurait dû connaître les faits fondant l'obligation de restituer, en faisant preuve de l'attention que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elle. L'administration doit disposer de tous les éléments qui sont décisifs dans le cas concret et dont la connaissance fonde – quant à son principe et à son étendue – la créance en restitution à l'encontre de la personne tenue à restitution (ATF 140 V 521 cons. 2.1 et les références). Si l'administration dispose d'indices laissant supposer l'existence d'une créance en restitution, mais que les éléments disponibles ne suffisent pas encore à en établir le bien-fondé, elle doit procéder, dans un délai raisonnable, aux investigations nécessaires. À défaut, le début du délai de péremption doit être fixé au moment où elle aurait été en mesure de rendre une décision de restitution si elle avait fait preuve de l'attention que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elle. Dans tous les cas, le délai de péremption commence à courir immédiatement s'il s'avère que les prestations en question étaient clairement indues (arrêt du TF du 22.02.2019 [8C_585/2018] cons. 3.2 et les références).

3.                            En l'espèce, les questions de savoir si l’intimée a violé le droit d’être entendu du recourant et si, en lui réclamant, par décision du 17 décembre 2018, la restitution des prestations qu’elle lui avait versées entre le 1er janvier 2016 et le 30 septembre 2018, elle a agi dans les délais peuvent rester indécises. Car, quoi qu’il en soit, les conditions d’une reconsidération, voire d’une révision des décisions par lesquelles les prestations en cause ont été allouées ne sont pas remplies.

4.                            a) Premièrement, lorsque, les 28 septembre 2015, 6 octobre 2016 et 4 octobre 2017, l’intimée a alloué au recourant les allocations familiales, dont la restitution est exigée, en se fondant sur les attestations de cours de la HEG-Arc, elle ne disposait d’aucun élément au dossier lui permettant d'aboutir à la conclusion que les conditions d’un tel versement n’étaient pas remplies : elle était informée que la fille du recourant poursuivait une formation en emploi dans la filière menant au Bachelor of Science HES-SO en Economie d’entreprise et rien au dossier ne laissait supposer que le revenu qu’elle tirait de son activité lucrative était supérieure à la rente de vieillesse complète maximale de l’AVS, circonstance qui aurait exclu de la considérer comme un enfant accomplissant une formation donnant droit au versement d’une allocation de formation professionnelle (art. 1 OAFam; 49bis al.1 et 3 RAVS). Sous l'angle de la reconsidération, on ne peut donc pas dire que le versement des prestations en cause était manifestement erroné.

b) Deuxièmement, la fiche de salaire du mois de septembre 2018 de A.________ et son contrat de travail du 30 juin 2015, dont l’intimée a pris connaissance les 9 octobre, respectivement 1er novembre 2018, qui faisaient apparaître le versement, dès le mois de décembre 2015, d’un salaire brut de 2'275.65 francs (salaire net de CHF 2'050) treize fois l’an, ne constituent manifestement pas des faits nouveaux au sens de l’article 53 al. 1 LPGA. Non seulement le montant du salaire versé au mois de septembre 2018 n’a pas changé depuis le mois de décembre 2015, mais surtout le montant de ce salaire aurait pu être facilement connu de l’intimée, avant tout versement des allocations familiales en cause, si elle avait fait preuve de la plus élémentaire diligence consistant à requérir du recourant le contrat de travail de sa fille – que celui-ci a d’ailleurs déposé à première réquisition en 2018 – dès réception de l’attestation de cours de la HEG-Arc du 7 septembre 2015 qui mentionnait que la formation était entreprise "en emploi". N’ayant pas fait preuve de la vigilance attendue en pareille situation, la prise de connaissance en 2018 du montant du salaire versé à A.________ depuis le mois de décembre 2015 ne saurait être qualifiée de fait nouveau au sens de l’article 53 al. 1 LPGA.

5.                            a) Les conditions d'une restitution des allocations familiales en cause n’étant donc pas réunies au regard de l’article 25 al. 1 en lien avec les articles 53 al. 1 et 2 LPGA, le recours doit être admis et la décision attaquée annulée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs du recourant.

b) Il est statué sans frais, la procédure étant en principe gratuite (art. 61 let. a LPGA). Le recourant qui obtient gain de cause a droit à une allocation de dépens (art. 61 let. g LPGA). Son mandataire n’ayant à ce jour pas déposé un état des honoraires et des frais, les dépens seront fixés sur la base du dossier (art. 64 al. 1 et 2 LTFrais). Tout bien considéré, l’activité déployée par ce mandataire, qui représentait déjà l’assuré en procédure d’opposition et qui a déposé un "copié-collé" de son opposition, peut être évaluée à quelque 3 heures. Eu égard au tarif usuellement appliqué par la Cour de céans de l’ordre de 280 francs de l’heure (CHF 840), des débours à raison de 10 % des honoraires (art. 63 LTFrais; CHF 84) et de la TVA au taux de 7,7 % (CHF 71), l’indemnité de dépens doit être fixée à 995 francs, tout compris.

Par ces motifs,
LA Cour de droit public

1.    Admet le recours et annule la décision sur opposition de l’intimée du 7 juin 2019.

2.    Statue sans frais.

3.    Alloue au recourant une indemnité de dépens de 995 francs à la charge de l’intimée.

Neuchâtel, le 28 mai 2020

 

Art. 25 LPGA
Restitution
 

1 Les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile.

2 Le droit de demander la restitution s’éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Si la créance naît d’un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est déterminant.

3 Le remboursement de cotisations payées en trop peut être demandé. Le droit s’éteint une année après que le cotisant a eu connaissance de ses paiements trop élevés, mais au plus tard cinq ans après la fin de l’année civile au cours de laquelle les cotisations ont été payées.

Art. 53 LPGA
Révision et reconsidération
 

1 Les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant.

2 L’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable.

3 Jusqu’à l’envoi de son préavis à l’autorité de recours, l’assureur peut reconsidérer une décision ou une décision sur opposition contre laquelle un recours a été formé.