A.                            La société immobilière X.________ SA (ci-après : X.________ SA) est propriétaire de l'article 2761 du cadastre de la Commune de Boudry (ci-après : la commune) d'une superficie de 4626 m2, dont 3650 m2 en nature de verger et 170 m2 en nature de jardin et place. Selon le plan d'aménagement et le règlement d'urbanisme adoptés par le Conseil communal de Boudry en 1976 et entrés en vigueur en 1979, ce bien-fonds était classé en zone d'ancienne localité pour sa partie construite au sud et en zone de transition pour la partie nord. Il était constructible en totalité. Un nouveau plan d'urbanisation et un nouveau règlement d'aménagement communal ont été adoptés en 1995 et sont entrés en vigueur le 21 juin 1996. La partie sud de la parcelle est demeurée classée en zone d'ancienne localité alors que la partie nord a été affectée à la zone de verdure, soit une zone constituée de terrains publics ou privés qu'il était souhaitable de maintenir en dite zone. Le 12 septembre 2000, X.________ SA a saisi la Commission cantonale d'estimation en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (actuellement : Commission cantonale d'estimation; ci-après : la commission) d'une demande en paiement d'une indemnité pour expropriation matérielle concluant à ce que la Ville et Commune de Boudry, par son conseil communal, lui verse une indemnité de 1'337'000 francs avec intérêts à 5 % dès le 12 juin 1996, sous suite de frais et dépens. Elle faisait valoir que la réglementation de 1996 avait rendu inconstructible la partie nord de son terrain, classée désormais en zone de verdure, la valeur du mètre carré de cette partie, représentant 3'820 m2, étant passée de 350 francs à un prix insignifiant. Elle a requis une expertise pour déterminer la moins-value subie par sa parcelle.

Dans sa réponse, la commune a conclu au rejet de la demande, sous suite de frais et dépens.

Les parties ont répliqué et dupliqué puis la commission a procédé à une vision locale du verger et de son environnement le 18 avril 2002. Après avoir convenu que la commission se prononcerait dans un premier temps uniquement sur le principe d'une expropriation formelle, les parties ont déposé des conclusions en cause. Alors que la procédure était suspendue, la commune a fait savoir à la commission, par courrier du 25 novembre 2008, qu'elle avait procédé à la modification de son plan d'aménagement, la parcelle 2761 étant désormais constituée d'une partie construite au sud en zone d'ancienne localité, d'une partie centrale en zone de verdure, d'une partie nord située en zone d'utilité publique affectée au parcage et d'un triangle de terrain, en est de la zone de verdure, affecté à la zone mixte. Elle estimait que ces modifications devraient donner satisfaction à X.________ SA et rendre sa demande d'indemnité sans objet. X.________ SA a maintenu sa demande. Les parties ont convenu d'une nouvelle suspension de procédure puis elles ont déposé des compléments à leurs conclusions en cause.

Par décision du 21 juin 2019, la commission a admis la demande quant au principe de l'expropriation matérielle, dit que l'indemnité y relative serait fixée ultérieurement dans une décision séparée, statué sans frais et alloué une indemnité de dépens à X.________ SA à charge de la commune.

B.                            La commune interjette recours devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal contre la décision précitée de la commission en concluant à son annulation ainsi qu'à ce que soit rejetée la demande quant au principe d'expropriation matérielle, sous suite de frais et dépens.

C.                            Dans ses observations, la commission conclut au rejet du recours en relevant que la parcelle est située dans un secteur desservi par des conduites d'alimentation en eau et en énergie ainsi que d'évacuation des eaux usées et que le règlement d'aménagement de 2008 prévoit l'implantation d'un parking sur le secteur de Pré-Landry dont fait partie l'article 2761.

D.                            Dans ses observations, X.________ SA conclut au rejet du recours sous suite de frais et dépens.

E.                            La commune dépose des observations relatives à celles de X.________ SA.

F.                            X.________ SA se prononce sur les observations précitées de la commune.

G.                           La commune dépose des observations complémentaires.

C O N S I D E R A N T

en droit

1.                            a) Un jugement qui ne tranche que certains aspects d'un rapport juridique litigieux n'est en principe pas un jugement partiel, mais un jugement incident. Selon le Tribunal fédéral, tel est le cas d'un jugement de renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour nouvelle décision. Même s'il comporte des instructions sur la manière de trancher certains aspects du rapport de droit litigieux ou s'il tranche définitivement certaines questions matérielles préalables, un jugement de renvoi ne peut être qualifié de partiel au sens de l'article 91 LTF et ne peut donc faire l'objet d'un recours qu'aux conditions de l'article 93 LTF (arrêt du TF du 25.03.2013 [1C_578/2012] cons. 1.1; RJN 2015, p. 515 et RJN 2018, p. 802). Le Tribunal fédéral a jugé qu'une décision qui, comme dans le cas particulier, statue sur le fond et renvoie dans son dispositif la fixation du montant réclamé à une décision ultérieure séparée, ne met pas fin à la procédure et ne peut faire l'objet d'un recours immédiat que si les conditions de l'article 93 al. 1 LTF sont réalisées (arrêt du TF du 10.11.2014 [9C_447/2014] cons. 2.2 et 2.3 et les références citées).

De telles décisions peuvent faire l'objet d'un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF).

b) Selon la Haute Cour (ATF 144 III 475 cons. 2.1), le recourant doit démontrer dans la motivation du recours que les conditions de l'article 93 LTF sont réunies, à défaut de quoi il n'est pas entré en matière sur le recours à moins qu'il saute sans autre aux yeux (« nicht ohne weiteres in die Augen springt ») qu'une des conditions de l'article 93 LTF est réunie. Même si le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours dont il est saisi et que la loi n'exige pas du recourant qu'il s'exprime sur la recevabilité, la jurisprudence fédérale a toujours admis qu'il appartenait à ce dernier, si cela ne sautait pas aux yeux, d'établir que la décision incidente peut lui causer un préjudice irréparable ou qu'une décision finale immédiate permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. Le préjudice irréparable doit être de nature juridique et ne pas pouvoir être réparé ultérieurement par une décision finale favorable au recourant; tel est le cas lorsqu’une décision finale même favorable au recourant ne le ferait pas disparaître entièrement, en particulier lorsque la décision incidente contestée ne peut plus être attaquée avec la décision finale, rendant ainsi impossible le contrôle par le Tribunal fédéral. En revanche, un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF précité du 10.11.2014 cons. 3.1 et les références citées). Quant aux condition de l’article 93 al. 1 let. b LTF, il incombe au recourant d'indiquer de manière détaillée quelles questions de faits sont encore litigieuses, quelles preuves – déjà offertes ou requises – devraient encore être administrées et en quoi celles-ci entraîneraient une procédure probatoire longue et coûteuse (ATF 133 III 629 cons. 2.4.2 et 118 II 91 cons. 1a). Etant donné qu'il n'incombe pas au Tribunal fédéral d'imaginer quelles sont les mesures probatoires que le recourant entend solliciter et dès lors que la recevabilité dépend d'une délicate question d'appréciation, le recourant doit fournir au tribunal les éléments utiles qu'il connaît et s'efforcer de montrer que son recours est recevable. S'il ne dit rien ou rien de précis, le Tribunal fédéral peut en déduire, sauf si le contraire ressortit à l'évidence, qu'il n'a pas été établi que la procédure probatoire sera longue et coûteuse (Corboz, in Commentaire de la LTF, 2009, ch. 34 ad 93 LTF).

La procédure administrative neuchâteloise étant similaire et la Cour de céans ayant transposé dans le droit cantonal la jurisprudence développée à propos de l'article 93 al. 1 LTF (RJN 2018, p. 802), il se justifie de faire application de cette jurisprudence pour déterminer s'il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.

2.                            La décision entreprise qui tranche une question matérielle relative à la question de l'expropriation matérielle et dit que l'indemnité sera fixée ultérieurement dans une décision séparée est une décision incidente au sens précité.

La recourante - vraisemblablement dans la fausse perspective qu'il s'agissait d'une décision finale – n'allègue ni ne démontre que les conditions de l'article 93 LTF sont en l'occurrence réunies. On ne saurait considérer qu’il ne fait aucun doute que la décision incidente cause un dommage irréparable à la recourante. Elle pourra s’en prendre à la décision incidente que constitue la décision attaquée à l’occasion d’un recours dirigé contre la décision finale de la commission en reprenant son argumentation actuelle. La condition posée par l’article 93 al. 1 let. a LTF n’est pas réalisée.

S'il est clair qu'une décision contraire de la Cour de céans mettrait fin à la procédure en jugeant différemment la question tranchée dans cette décision incidente, plus délicate est la question de savoir s'il « saute aux yeux » qu'une entrée en matière permettrait d'éviter une procédure longue et coûteuse. Pour que la condition soit réalisée, il faut que la procédure probatoire, par sa durée et son coût, s'écarte notablement des procès habituels. La condition est réalisée s'il faut envisager une expertise particulièrement complexe (par exemple pour établir la situation financière d'une société à plusieurs moments), plusieurs expertises (par exemple une expertise médicale et une expertise économique pour établir la perte de gain future), ou l'audition de très nombreux témoins, notamment l'envoi de commissions rogatoires dans les pays lointains (Corboz, op. cit., ch. 34 ad 93 LTF; cf. également arrêt du TF du 22.01.2020 [8C_564/2019] cons. 4.3 et la jurisprudence citée).

En l'espèce, une expertise pour fixer le montant de l'indemnité pour expropriation matérielle ne devrait pas être particulièrement complexe. En effet, cette dernière ne devra concerner qu’une partie de la parcelle et déterminer la moins-value induite par le passage de la zone de transition à la zone de verdure (1741 m2), respectivement à la zone d’utilité publique (2040 m2) tout en tenant compte d’un éventuel avantage produit par le passage de 221 m2 de la zone de transition à la zone mixte. Dès lors, il ne saute pas aux yeux que la condition pour entrer en matière serait réunie.

3.                            Il suit de ce qui précède que le recours doit être déclaré irrecevable. Il est statué sans frais, les autorités communales n'en payant pas (art. 47 al. 2 LPJA) et sans allocation de dépens en faveur de la recourante vu l'issue du litige (art. 48 LPJA a contrario). X.________ SA, qui était représentée par un mandataire professionnel, n'a pas non plus droit à des dépens dans la mesure où sa conclusion tendant au rejet du recours n'a pas été admise vu l'irrecevabilité prononcée.

Par ces motifs,
la Cour de droit public

1.    Déclare le recours irrecevable.

2.    Statue sans frais.

3.    N'alloue pas de dépens.

Neuchâtel, le 3 juillet 2020

 

Art. 91 LTF
Décisions partielles
 

Le recours est recevable contre toute décision:

a. qui statue sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause;

b. qui met fin à la procédure à l’égard d’une partie des consorts.

 

 

Art. 93 LTF
Autres décisions préjudicielles et incidentes
 

1 Les autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours:

a. si elles peuvent causer un préjudice irréparable; ou

b. si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

2 En matière d’entraide pénale internationale et en matière d’asile, les décisions préjudicielles et incidentes ne peuvent pas faire l’objet d’un recours.1 Le recours contre les décisions relatives à la détention extraditionnelle ou à la saisie d’objets et de valeurs est réservé si les conditions de l’al. 1 sont remplies.

3 Si le recours n’est pas recevable en vertu des al. 1 et 2 ou qu’il n’a pas été utilisé, les décisions préjudicielles et incidentes peuvent être attaquées par un recours contre la décision finale dans la mesure où elles influent sur le contenu de celle-ci.


1 Nouvelle teneur selon le ch. I 2 de la LF du 1er oct. 2010 sur la coordination entre la procédure d’asile et la procédure d’extradition, en vigueur depuis le 1er avr. 2011 (RO 2011 925; FF 2010 1333).