A.                            Entré en Suisse le 1er août 2014, X.________, né en 1975, de nationalité française, au bénéfice d’une autorisation de séjour, a déposé une demande de prestations complémentaires le 27 septembre 2017. A cette époque, il faisait ménage commun avec sa compagne, A.________, et leurs deux filles, B.________, née en 2010, et C.________, née en 2016. Par décision du 18 janvier 2018, la Caisse cantonale neuchâteloise de compensation (ci-après : CCNC) a refusé à l’intéressé l’octroi de prestations complémentaires pour le motif que sa concubine avait signé, le 22 août 2014, une déclaration de prise en charge en sa faveur. X.________ s’est opposé à ce refus en faisant valoir, d’une part, qu’il remplissait les conditions du droit à une prestation complémentaire dans la mesure où il aurait droit à une rente d’invalidité s’il avait justifié de la durée de cotisation minimale légale et, d’autre part, que la déclaration de prise en charge de sa compagne n’y faisait pas obstacle. La CCNC a sollicité l’avis de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), qui a conclu que les motifs retenus par la caisse n’étaient pas pertinents pour refuser le droit aux prestations complémentaires et qui a présenté la méthode de calcul (courriers des 05.07. et 25.10.2018). Par courriel du 5 décembre 2018, X.________ a informé la CCNC qu’il avait rejoint le 12 novembre 2018 la communauté Emmaüs, laquelle lui fournissait la nourriture et le logement, prenait en charge ses primes d’assurance-maladie, ainsi que la franchise et les participations éventuelles, lui versait un pécule de 100 francs par semaine, ainsi qu’une somme fixe de 100 francs par mois (courriel de la communauté du 26.12.2018).

Par décision du 6 mars 2019, non contestée, la CCNC a reconsidéré celle du 18 janvier 2018 et accordé à l’intéressé des prestations complémentaires pour la période du 1er mars 2016 au 31 octobre 2018 pour un montant total de 30'115 francs.

Par une autre décision du même jour, elle lui a par contre refusé toute prestation à partir du 1er novembre 2018 au motif que dès cette date, il était accueilli au sein de la communauté Emmaüs dans des conditions s’apparentant à un contrat d’entretien viager. Saisie d’une opposition à ce refus, la CCNC l’a rejetée par prononcé du 27 août 2019. Elle a retenu que la communauté Emmaüs pouvait être considérée comme une communauté de bienfaisance, qui garantit aux compagnons le logement, la nourriture, les vêtements, la prise en charge des primes d’assurance-maladie et accidents, ainsi que la franchise et l’éventuelle quote-part, le versement d’un pécule hebdomadaire (CHF 100) et d’une somme fixe mensuelle (CHF 100) en contrepartie de leur participation aux activités et aux tâches collectives de la communauté, ce qui constitue une convention analogue à un contrat d’entretien viager. Ella a ajouté que les difficultés que l’intéressé semblait rencontrer au sein de la communauté Emmaüs ne sauraient modifier cette appréciation et que les prestations fournies par celle-ci, selon sa charte, ne pouvaient être qualifiées de particulièrement modestes.

B.                            X.________ interjette recours devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal contre cette décision sur opposition, dont il demande implicitement l’annulation, en concluant à l’octroi des prestations complémentaires, à titre principal, à compter du 1er novembre 2018, à titre subsidiaire du 1er novembre 2018 au 31 décembre 2018 et à titre infiniment subsidiaire du 1er au 12 novembre 2018. En substance, il reproche à la CCNC d’avoir considéré qu’il était lié à la communauté Emmaüs par une convention analogue à un contrat d’entretien viager, alors même que celle-ci ne s’est pas engagée à l’entretenir et à le soigner sa vie durant puisqu’il peut être tenu de partir à tout moment. A supposer même qu’on puisse comparer sa situation à celle d’un contrat d’entretien viager, il aurait néanmoins droit aux prestations complémentaires car l’assistance de cette communauté est particulièrement modeste et n’a pas empêché qu’il soit agressé par un autre compagnon.

C.                            Dans ses observations, la CCNC conclut au rejet du recours.

C O N S I D E R A N T

en droit

1.                            Interjeté dans les formes et délai légaux, le recours est recevable.

2.                            a) Selon l’article 9 LPC, le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (al. 1). Les revenus déterminants comprennent notamment les prestations touchées en vertu d’un contrat d’entretien viager ou de toute autre convention analogue (art. 11 al. 1 let. e LPC). En vertu de l’article 13 al. 1 OPC-AVS/AI, les assurés qui sont au bénéfice d’un contrat d’entretien viager leur conférant le droit d’être complètement entretenus et soignés, ne peuvent généralement pas prétendre une prestation complémentaire; font exception les cas où il est prouvé que le débiteur du contrat d’entretien viager n’est pas en mesure de fournir les prestations dues ou que l’entretien accordé doit, d’après les conditions locales, être qualifié de particulièrement modeste. L’alinéa 2 est réservé. Selon cet alinéa, si les prestations fournies par le débiteur du contrat d’entretien viager ne sont manifestement pas en rapport avec celles qui lui ont été accordées par le créancier de ce contrat, ce sont les contre-prestations correspondant à la fortune cédée qui doivent être mises au compte du créancier. Les prescriptions des alinéas 1 et 2 sont aussi valables pour les conventions analogues aux contrats d’entretien viager (al. 3). L'art. 521 al. 1 CO définit le contrat d'entretien viager comme celui par lequel l'une des parties s'oblige envers l'autre à lui transférer un patrimoine ou certains biens, contre l'engagement de l'entretenir et de la soigner sa vie durant. Il ressort de cette définition que ce contrat comporte nécessairement les trois éléments suivants : 1) le transfert de biens : à cet égard, il suffit que le créancier de l’entretien fasse bénéficier le débiteur de l’entretien d’avantages patrimoniaux, sous quelque forme que ce soit, en contrepartie de l’entretien qu’il recevra par la suite; il peut donc s’agir du transfert de tout un patrimoine, du transfert d’un bien mobilier ou immobilier, de la cession d’une ou d’un ensemble de créances ou encore de la cession de l’usage ou de la jouissance d’une chose. 2) l’entretien : le débiteur de l’entretien doit s’engager à fournir à l’autre partie les prestations nécessaires à son entretien, et non un montant déterminé comme c’est le cas pour la rente viagère; il est en particulier tenu de fournir au créancier une nourriture et un logement convenables, ainsi que, en cas de maladie, les soins nécessaires et l'assistance du médecin et toutes les prestations assimilées à l’entretien; cela peut même comprendre l’obligation de verser régulièrement certaines sommes d’argent, sans que cela constitue une rente. 3) le caractère aléatoire : il est nécessaire que l’obligation assumée par le débiteur de l’entretien soit subordonnée au terme incertain que constitue le décès du créancier (Valterio, Commentaire de la loi sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, ad art. 11 al. 1 let. e, ch. 88, p. 161-162; Tercier/Favre, Les contrats spéciaux, 4éd., p. 1103 ss; ATF 133 V 265 cons. 6.3.1, 54 II 380; arrêt de la Cour de justice, Chambre des assurances sociales, du canton de Genève du 28.11.2016 [ATAS/974/2016] cons. 8b).

b) En l’espèce, faute d’une contre-prestation sous la forme d’un transfert de patrimoine du recourant en faveur de la communauté Emmaüs, l’entretien que celle-ci fournit à celui-là, sous la forme, notamment, du vivre et du couvert, ainsi que de la prise en charge des primes, franchises et participations de l’assurance-maladie, ne constitue pas une convention analogue à un contrat d’entretien viager. D’ailleurs, le but premier poursuivi par cette communauté est d’accueillir des personnes défavorisées souvent seules et « sans ressources » afin qu’elles « retrouvent un sens à leur vie et une dignité, en s’assumant et sans assistance (www.emmaus-ne.ch/la-communaute) ». Certes, dans une jurisprudence établie de longue date, le Tribunal fédéral a considéré que l’entretien garanti par une communauté religieuse à ses membres était comparable à une convention d’entretien viager compte tenu notamment de la contre-prestation que représente l’engagement de la personne concernée à consacrer toute sa vie active aux tâches de la communauté sans être rétribuée sous la forme d’un salaire (arrêt du TF du 12.01.2007 [2P.271/2006] cons. 4.2; RCC 1967, p. 169 cons. 2b). La situation du recourant ne saurait toutefois être appréciée à l’aune de cette jurisprudence qui traite spécifiquement du cas de religieuses qui, en plus de la dot qu’elles ont versée au moment de leur entrée dans la communauté religieuse, ont voué toute leur vie active aux tâches de celle-ci. Outre l’absence de tout transfert de biens du recourant à Emmaüs, il ressort de la charte, que chaque compagnon signe à son arrivée, que la communauté s’engage notamment à « mettre en œuvre un accompagnement afin que le Compagnon puisse se préparer à envisager concrètement un après Emmaüs ». Contrairement à une entrée en religion qui s’inscrit, en général, dans la durée, l’accueil offert par la communauté Emmaüs, dont on relève qu’elle n’a aucun caractère confessionnel, constitue donc pour la plupart de ses membres, une étape en principe transitoire. Cela est d’autant plus vrai dans le cas du recourant qui a deux enfants en bas âge, dont il assumait la garde jusqu’à sa séparation avec leur mère au mois de novembre 2018, qu’il ne peut accueillir dans la chambre mise à sa disposition chez Emmaüs (attestation d’Emmaüs du 03.09.2019). Au demeurant, même si chaque personne accueillie au sein de cette communauté doit prendre part aux activités dans la mesure de ses moyens (entretien de la maison, cuisine, lessive ou différents ateliers de récupération ou de recyclage qui assurent la base des revenus financiers de la communauté) (cf. site internet précité), on ne saurait y voir une contre-prestation assimilable à un « transfert de biens ». Au contraire, c’est bien plutôt Emmaüs qui verse au recourant un pécule hebdomadaire (CHF 100) et une somme fixe mensuelle (CHF 100), ce qui correspond globalement à 533 francs par mois, qui rétribuent vraisemblablement son engagement dans les activités lucratives de la communauté.

Au vu de ce qui précède, c’est à tort que l’intimée a qualifié de contrat d’entretien viager ou de convention analogue l’engagement de la communauté Emmaüs vis-à-vis du recourant et a pour ce motif exclu d’emblée tout droit à des prestations complémentaires en vertu de l’article 13 al 1 OPC-AVS/AI à partir du 1er novembre 2018. Le recours doit ainsi être admis, la décision litigieuse doit être annulée et la cause renvoyée à la CCNC pour qu’elle statue à nouveau après avoir établi concrètement les dépenses reconnues et les revenus déterminants de l’intéressé compte tenu de sa nouvelle situation dès cette date de père séparé qui n’assume plus comme auparavant la garde de ses enfants, tel que cela avait été retenu dans le calcul de la prestation complémentaire qui lui avait été accordée jusqu’au 31 octobre 2018.

3.                            Il est statué sans frais, la procédure étant en principe gratuite (art. 61 let. a LPGA) et sans dépens, le recourant n’alléguant pas avoir engagé des frais pour la défense de sa cause (art. 61 let. g LPGA).

Par ces motifs,
la Cour de droit public

1.    Admet le recours.

2.    Annule la décision attaquée et renvoie la cause à l’intimée pour nouvelle décision selon les considérants.

3.    Statue sans frais et sans dépens.

Neuchâtel, le 3 septembre 2020

Art. 521 CO
Contrat d’entretien viager
Définition
 

1 Le contrat d’entretien viager est celui par lequel l’une des parties s’oblige envers l’autre à lui transférer un patrimoine ou certains biens, contre l’engagement de l’entretenir et de la soigner sa vie durant.

2 Si le débiteur est institué héritier du créancier, le contrat est régi par les dispositions relatives au pacte successoral.

Art. 11 LPC
Revenus déterminants
 

1 Les revenus déterminants comprennent:

a. deux tiers des ressources en espèces ou en nature provenant de l’exercice d’une activité lucrative, pour autant qu’elles excèdent annuellement 1000 francs pour les personnes seules et 1500 francs pour les couples et les personnes qui ont des enfants ayant droit à une rente d’orphelin ou donnant droit à une rente pour enfant de l’AVS ou de l’AI; pour les personnes invalides ayant droit à une indemnité journalière de l’AI, le revenu de l’activité lucrative est intégralement pris en compte;

b. le produit de la fortune mobilière et immobilière;

c.1 un quinzième de la fortune nette, un dixième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, dans la mesure où elle dépasse 37 500 francs pour les personnes seules, 60 000 francs pour les couples et 15 000 francs pour les orphelins et les enfants donnant droit à des rentes pour enfants de l’AVS ou de l’AI; si le bénéficiaire de prestations complémentaires ou une autre personne comprise dans le calcul de ces prestations est propriétaire d’un immeuble qui sert d’habitation à l’une de ces personnes au moins, seule la valeur de l’immeuble supérieure à 112 500 francs entre en considération au titre de la fortune;

d. les rentes, pensions et autres prestations périodiques, y compris les rentes de l’AVS et de l’AI;

e. les prestations touchées en vertu d’un contrat d’entretien viager ou de toute autre convention analogue;

f. les allocations familiales;

g. les ressources et parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi;

h. les pensions alimentaires prévues par le droit de la famille.

1bis En dérogation à l’art. 1, let. c, seule la valeur de l’immeuble supérieure à 300 000 francs entre en considération au titre de la fortune lorsque l’une des conditions suivantes est remplie:

a. un couple possède un immeuble qui sert d’habitation à l’un des conjoints tandis que l’autre vit dans un home ou dans un hôpital;

b. le bénéficiaire d’une allocation pour impotent de l’AVS, de l’AI, de l’assurance-accident ou de l’assurance militaire vit dans un immeuble lui appartenant ou appartenant à son conjoint.2

2 Pour les personnes vivant dans un home ou dans un hôpital, les cantons peuvent fixer le montant de la fortune qui sera pris en compte en dérogeant à l’al. 1, let. c. Les cantons sont autorisés à augmenter, jusqu’à concurrence d’un cinquième, ce montant.

3 Ne sont pas pris en compte:

a. les aliments fournis par les proches en vertu des art. 328 à 330 du code civil3;

b. les prestations d’aide sociale;

c. les prestations provenant de personnes et d’institutions publiques ou privées ayant un caractère d’assistance manifeste;

d. les allocations pour impotents des assurances sociales;

e. les bourses d’études et autres aides financières destinées à l’instruction;

f.4 la contribution d’assistance versée par l’AVS ou par l’AI.

4 Le Conseil fédéral détermine les cas dans lesquels les allocations pour impotents des assurances sociales doivent être prises en compte dans les revenus déterminants.


1 Nouvelle teneur selon le ch. I 2 de la LF du 13 juin 2008 sur le nouveau régime de financement des soins, en vigueur depuis le 1er janv. 2011 (RO 2009 3517 6847 ch. I; FF 2005 1911).
2 Introduit par le ch. I 2 de la LF du 13 juin 2008 sur le nouveau régime de financement des soins, en vigueur depuis le 1er janv. 2011 (RO 2009 3517 6847 ch. I; FF 2005 1911).
3 RS 210
4 Introduite par le ch. 5 de l’annexe à la LF du 18 mars 2011 (6e révision de l’AI, premier volet), en vigueur depuis le 1er janv. 2012 (RO 2011 5659; FF 2010 1647).

Art. 13 OPC-AVS/AI
Revenu résultant d’un contrat d’entretien viager
 

1 Les assurés qui sont au bénéfice d’un contrat d’entretien viager leur conférant le droit d’être complètement entretenus et soignés, ne peuvent généralement pas prétendre une prestation complémentaire; font exception les cas où il est prouvé que le débiteur du contrat d’entretien viager n’est pas en mesure de fournir les prestations dues ou que l’entretien accordé doit, d’après les conditions locales, être qualifié de particulièrement modeste. L’al 2 est réservé.

2 Si les prestations fournies par le débiteur du contrat d’entretien viager ne sont manifestement pas en rapport avec celles qui lui ont été accordées par le créancier de ce contrat, ce sont les contre-prestations correspondant à la fortune cédée qui doivent être mises au compte du créancier.

3 Les prescriptions des al. 1 et 2 sont aussi valables pour les conventions analogues aux contrats d’entretien viager.