A.                               Le Conseil d'Etat, dans un rapport d'information au Grand Conseil concernant la gestion cantonale du transit et des séjours des gens du voyage sur le territoire neuchâtelois, du 8 mars 2017, a traité de la question d'une aire de passage cantonale en faveur des gens du voyage suisses et du transit des convois européens à travers le territoire neuchâtelois. Concernant la première question, il a conclu en ces termes :

" La volonté du canton de Neuchâtel est de mettre à la disposition de la communauté itinérante suisse une aire de passage en 2017. Provisoire dans un premier temps, le site prévu sera en principe pérennisé par le biais d'une planification cantonale d'ici 2019. Il permettra l'accueil d'une douzaine de caravanes, sera équipé en eau et en électricité et répondra ainsi aux besoins des gens du voyage suisses qui séjournent dans notre canton. Ce dernier satisfera dès lors son obligation constitutionnelle fédérale pour le respect des minorités nationales." (p. 16).

Ledit rapport faisait mention de la fiche de coordination S_13 du plan directeur cantonal qui concerne l'accueil des gens du voyage dans le canton, l'outil de planification proposé à terme étant un plan d'affectation cantonal (PAC) (p. 4).

Relevant l'urgence du besoin lié à l'absence de solution d'accueil en Suisse occidentale pour les communautés itinérantes suisses, l'Etat de Neuchâtel, propriétaire du bien-fonds no 796 sis sur le territoire de Vaumarcus, a déposé une demande de permis de construire une aire de passage provisoire pour les gens du voyage suisses. Il mentionnait qu'au-delà de la mise à disposition rapide de l'aire, cette solution provisoire présentait une phase-test durant laquelle l'outil de planification définitif, le PAC, pourrait être constitué en s'appuyant sur une situation existante. Le projet se trouvant en zone agricole, une dérogation à l'affectation de la zone a été demandée. Mis à l'enquête publique du 12 mai au 12 juin 2017, il a fait l'objet de diverses oppositions dont celles des associations WWF Neuchâtel (ci-après : WWF) et Pro Natura Neuchâtel (ci-après : Pro Natura). Elles invoquaient qu'il s'agissait d'une zone de compensation écologique qui devait demeurer intacte, ainsi que le danger potentiel lié à la présence de vipères aspics et la destruction de l'habitat naturel d'espèces protégées.

Par décision du 29 août 2018, le Département du développement territorial et de l'environnement (ci-après : le département) a levé les oppositions à la dérogation à l'affectation de la zone agricole et accordé cette dernière aux conditions émises dans les préavis des services cantonaux concernés, soit :

-        la réalisation des mesures destinées à compenser les atteintes causées à un biotope à vipères aspics;

-        la pose de toilettes mobiles et l'interdiction d'utiliser des produits non biodégradables jusqu'à la mise en place d'un système d'évacuation des eaux usées;

-        une durée de validité de l'autorisation limitée à deux ans pendant la période d'avril à novembre, dès l'ouverture de l'aire d'accueil provisoire, et renouvelable une fois pour la même durée pendant les éventuels travaux de planification et de pérennisation du site.

Par décisions du 31 octobre 2018, la Commune de La Grande Béroche a levé les oppositions déposées par Pro Natura et WWF en se référant à la décision spéciale du département du 29 août 2018.

Saisi d'un recours contre les décisions communales et celle du département, le Conseil d'Etat l'a rejeté par décision du 8 avril 2020. Le projet ne revêtant pas un grand degré d'importance et étant prévu pour une durée limitée, il a estimé qu'il pouvait être renoncé dans un premier temps à une planification et qu'il suffisait d'examiner si les conditions d'une dérogation étaient remplies. Il a considéré que tel était le cas, puisque l'implantation était commandée par la destination de l'ouvrage et qu'aucun intérêt prépondérant ne s'y opposait, diverses mesures étant prises pour amoindrir ou supprimer les inconvénients que le projet était susceptible de faire subir au milieu naturel considéré.

B.                               Pro Natura et WWF interjettent recours devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal contre la décision précitée du Conseil d'Etat concluant préalablement à ce qu'une vision locale sur le site soit ordonnée durant la période estivale, principalement à l'annulation de la décision et subsidiairement à l'annulation de la décision et au renvoi de la cause au Conseil d'Etat pour nouvelle décision, sous suite de frais et dépens à hauteur d'au moins 27'387.45 francs. Elles font valoir une violation du droit d'être entendu en lien avec l'accès au dossier, mais renoncent à en tirer des conclusions. Elles estiment que les règles relatives à la procédure de planification ont été violées au motif que l'adoption d'un plan d'affectation devait être examinée, des dispositions relatives à une dérogation n'entrant en considération qu'à titre très exceptionnel. Vu les nombreux intérêts publics et privés entrant en considération, l'aménagement du projet nécessitait obligatoirement une coordination globale des intérêts en présence que seule une procédure de planification pouvait satisfaire. L'urgence et la durée provisoire du projet ne justifiaient pas selon elles de contourner la procédure de planification et de faire usage de l'autorisation dérogatoire. Quoi qu'il en soit, les conditions pour octroyer de telles dérogations n'étaient en l'occurrence pas remplies. En effet, l'aire de passage n'était pas conforme à l'affectation du sol et divers intérêts prépondérants, vu qu'il s'agissait en l'espèce d'un biotope d'importance régionale, s'y opposaient.

C.                               Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours, sous suite de frais, sans déposer d'observations et s'oppose à la vision locale sollicitée. La Commune de La Grande Béroche renonce à formuler des observations et le chef du département conclut au rejet du recours, avec suite de frais.

C O N S I D E R A N T

en droit

1.                                Les associations Pro Natura et WWF ont la qualité pour recourir étant donné qu'elles font partie des associations habilitées à recourir au sens de l'article 55 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7 octobre 1983 (LPE) (cf. Annexe à l'Ordonnance relative à la désignation des organisations habilitées à recourir dans les domaines de la protection de l'environnement ainsi que de la protection de la nature et du paysage [ODO] du 27.06.1990).

Par ailleurs, interjeté dans les formes et délai légaux, le recours est recevable.

Il est rappelé ici que par courrier du 22 janvier 2019 au Conseil d'Etat, la Cour de droit public du Tribunal cantonal, dans le cadre d'un échange de vues, a estimé qu'il ne se justifie pas qu'il soit dérogé à l'ordre légal des voies de recours et qu'il soit fait appel à l'institution du recours sautant.

2.                                Les recourantes invoquent une violation de la procédure de planification. Suivant une jurisprudence constante, la Cour de droit public examine d'office les conditions formelles de validité et la régularité de la procédure administrative suivie devant les autorités précédentes (RJN 2016, p. 613 cons. 2a).

a) La loi fédérale sur l'aménagement du territoire définit les zones à bâtir (art. 15 LAT), les zones agricoles (art. 16 LAT) et les zones à protéger (art. 17 LAT), en précisant que le droit cantonal peut prévoir d'autres zones d'affectation (art. 18 al. 1 et 2 LAT). Pour garantir une gestion cohérente de l'espace dans sa globalité, le système suisse d'aménagement du territoire est organisé selon une construction pyramidale. Chacun des éléments (plan directeur, plan d'affectation et autorisation de construire) remplit une fonction spécifique. Certains projets non conformes à l'affectation de la zone non constructible peuvent avoir des effets importants sur l'organisation du territoire et la protection de l'environnement, de la nature ou du paysage. Dans ce cas, le droit fédéral prescrit une obligation spéciale de planifier pour que la pesée des intérêts se fasse avec la participation de la population. Le Tribunal fédéral (ATF 129 II 321 cons. 3.3 à 3.5) a estimé qu'une demande d'autorisation exceptionnelle hors de la zone à bâtir pour une place de stationnement, relativement importante, pour des gens du voyage ne peut pas bénéficier d'une dérogation selon les articles 24 ss LAT. Il a en effet relevé que le recours aux autorisations dérogatoires "est à même d'anéantir les buts que poursuit l'obligation de planifier mais pourrait préjuger la planification de l'installation principale, sans que la pondération des intérêts en application de l'article 24 al. 1 LAT ne puisse y parer. En plus de ces considérations relatives à l'aménagement du territoire, il y a lieu de relever que les autorisations exceptionnelles au sens de l'article 24 al. 1 LAT sont par principe délivrées par les autorités compétentes sans le concours de la population. Ainsi, dans le cas où en lieu et place de procéder à l'élaboration d'un plan d'affectation, elles délivrent une dérogation, les principes d'information et de participation (art. 4 et 33 LAT) de même que les droits démocratiques des citoyens inscrits en droit cantonal ne seront pas respectés" (ATF 124 II 252, in : JdT 1999 I 652). Dans un commentaire de cette jurisprudence (Bovay, Les places pour les gens du voyage : plan d'affectation ou autorisation de construire dérogatoire ?, DC 2003, p. 95), la doctrine relève que le principe de base est celui de la légalité et de la conformité des constructions aux zones, l'autorisation dérogatoire devant rester exceptionnelle puisqu'elle va à l'encontre de l'affectation de la zone considérée. Il rappelle que la jurisprudence distingue trois catégories d'objets qui nécessitent un plan d'affectation spécial :

-        les installations soumises à une étude d'impact sur l'environnement;

-        les ouvrages s'étendant sur une vaste surface;

-        les ouvrages de surface moindre, mais dont les effets sur l'environnement sont importants.

b) Il n'est pas contesté que l'aire de passage se trouve en zone agricole. Il ressort du rapport L'Azuré du 26 février 2018 que deux espèces menacées, soit la vipère aspic et le lézard agile, se trouvent sur ce site. Par ailleurs, la fiche d'évaluation annexée au rapport du 4 janvier 2018 de B.________ SA (Aires de passage pour les communautés nomades suisses, note de synthèse) relève que la parcelle est un secteur de revitalisation de la faune et flore de lisières et friches bien exposées et de conservation des oiseaux de vergers. Dès lors, il faut considérer que l'aire de passage, bien que de surface moindre, a des effets sur l'environnement qui sont importants.

De plus, la loi cantonale sur le stationnement des communautés nomades (LSCN), du 20 février 2018, dont le but est de gérer le séjour et le transit desdites communautés, règle notamment la procédure et les conditions de création des aires d'accueil pour les communautés nomades (art. 2 let. b). Elle prévoit qu'un campement ne peut être installé que sur une aire d'accueil cantonale ou communale (art. 9 let. a), sur un site provisoire défini par arrêté du Conseil d'Etat (let. b) ou sur un terrain privé ou public qui fait l'objet d'un contrat-cadre "communauté nomade" écrit et conclu avec son propriétaire ou son ayant droit (let. c). Selon l'article 10, un campement est réputé licite s'il est conforme à l'affectation de la zone ou à l'arrêté du Conseil d'Etat de mise à disposition d'un site provisoire ou encore fait l'objet d'un contrat-cadre "communauté nomade" (let. a); s'il ne porte atteinte à aucun intérêt public prépondérant (let. b) et s'il respecte la présente loi, les prescriptions qui en découlent et la réglementation communale (let. c). L'article 11 al. 1 prévoit que la zone de communauté nomade est une autre zone d'affectation au sens de la LAT et qu'elle suit la procédure d'adoption du plan d'affectation, cantonal ou communal, défini par la législation sur l'aménagement du territoire (al. 2). En dehors des zones "communautés nomades", seuls les terrains mis temporairement à disposition par arrêté du Conseil d'Etat ou qui font l'objet d'un contrat-cadre écrit, conclu entre le propriétaire du terrain ou un ayant droit et les représentants de la communauté nomade, peuvent accueillir un campement (art. 12 al. 1). Le Conseil d'Etat peut, par voie d'arrêté, ouvrir des sites provisoires notamment lors de la procédure de planification, au sens de l'article 11, d'une aire d'accueil (al. 3).

Il ressort de ce qui précède que le législateur cantonal a prévu la procédure d'adoption du plan d'affectation, cantonal ou communal, ce qui exclut de procéder par la voie de dérogations. Le fait que ce site soit provisoire ne permet pas de faire exception à cette procédure. En effet, la loi prévoit la voie de l'arrêté pour les sites provisoires. De plus, il est prévu de pérenniser ce site si l'expérience est convaincante (rapport de B.________ SA, p. 9, et rapport d'information du Conseil d'Etat, p. 4). Or, procéder par la voie de dérogation pourrait préjuger la planification de l'installation principale sans que la pondération des intérêts ne puisse y parer, comme l'a relevé le Tribunal fédéral.

Si le dossier comprend une convention du 1er juillet 2018 entre la Commune de La Grande Béroche et l'Etat de Neuchâtel relative aux modalités de gestion et de fonctionnement de l'aire, il ne s'agit pas d'un contrat-cadre "communauté nomade" entre le propriétaire du terrain ou un ayant droit et les représentants de la communauté nomade au sens de la législation cantonale précitée.

3.                                Pour ces motifs, le recours doit être admis. Le dossier permettant de juger la cause en l'état il n'y a pas lieu de procéder à une vision locale. La décision du Conseil d'Etat est annulée ainsi que celles du département et de la Commune de La Grande Béroche. Il est statué sans frais, les autorités cantonales et communales n'en payant pas (art. 47 al. 2 LPJA). Les recourantes qui obtiennent gain de cause peuvent prétendre à une indemnité de dépens (art. 48 al. 1 LPJA)).

La mandataire des recourantes prétend à des dépens d'au moins 27'387.45 francs sans toutefois déposer d'état des honoraires et des frais permettant de se rendre compte de l'activité déployée effectivement (art. 64 al. 1 TFrais par renvoi de l'art. 67 LTFrais). Il convient dès lors de statuer sur la base du dossier pour déterminer le montant allouable (art. 64 al. 2 LTFrais par renvoi de l'art. 67). Tout bien considéré, et singulièrement le fait que la mandataire représentait déjà les recourantes devant le Conseil d'Etat, l'activité essentielle déployée peut être estimée à quelque 10 heures (rédaction du mémoire de recours, recherches juridiques, entretiens avec les clients). Eu égard au tarif appliqué par la Cour de céans de l'ordre de 280 francs de l'heure (CHF 2'800), des débours à raison de 10 % des honoraires (CHF 280; art. 63 LTFrais par renvoi de l'art. 67 LTFrais), ainsi que la TVA au taux de 7,7 % (CHF 237.20), c'est ainsi un montant global de 3'317.20 francs qui sera alloué aux recourantes à titre de dépens, TVA comprise, pour la procédure devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal. Il appartiendra au Conseil d'Etat de statuer sur les frais et dépens de la procédure antérieure.

Par ces motifs,
la Cour de droit public

1.    Admet le recours.

2.    Annule la décision du Conseil d'Etat du 8 avril 2020, ainsi que la décision du département du 29 août 2018 et les décisions du conseil communal du 31 octobre 2018, levant les oppositions de Pro Natura et WWF.

3.    Statue sans frais et ordonne la restitution aux recourantes de leur avance.

4.    Alloue aux recourantes une indemnité de dépens de 3'317.20 francs, pour la procédure devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal, à charge de l'Etat.

5.    Invite le Conseil d'Etat à statuer sur les frais et dépens de la procédure antérieure.

Neuchâtel, le 2 février 2021


 

Art. 2448 LAT
Exceptions prévues hors de la zone à bâtir
 

En dérogation à l’art. 22, al. 2, let. a, des autorisations peuvent être délivrées pour de nouvelles constructions ou installations ou pour tout changement d’affectation si:

a. l’implantation de ces constructions ou installations hors de la zone à bâtir est imposée par leur destination;

b. aucun intérêt prépondérant ne s’y oppose.


48 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 20 mars 1998, en vigueur depuis le 1er sept. 2000 (RO 2000 2042FF 1996 III 485).