Arrêt du Tribunal Fédéral

Arrêt du 07.04.2021 [8C_123/2021]

 

 

 

 

A.                            Suites aux mesures officielles prises dans le cadre de la pandémie de coronavirus, X.________ Sàrl (ci-après : la société) a requis des indemnités pour réduction de l'horaire de travail (ci-après : RHT) en déposant un préavis de réduction de l'horaire de travail daté du 12 avril 2020. Elle faisait valoir la fermeture de son magasin et demandait des indemnités dès le 17 mars 2020.

Par décision du 29 avril 2020, l'Office des relations et des conditions de travail (ci-après : ORCT) a accepté la demande à compter du 12 avril 2020. Il a considéré que la perte de travail subie était due aux mesures prises par les autorités ou en lien avec les conséquences du coronavirus si bien que la perte de travail pouvait être qualifiée d'inhabituelle et donnait droit à des indemnités RHT. L'Ordonnance du Conseil fédéral du 20 mars 2020 sur les mesures dans le domaine de l'assurance-chômage en lien avec le coronavirus (COVID-19) (ci-après : Ordonnance COVID-19 assurance-chômage) ayant supprimé le délai de préavis prévu par la législation sur l'assurance-chômage, l'ORCT a octroyé des indemnités RHT dès le 12 avril 2020.

Par décision sur opposition du 5 juin 2020, l'ORCT a confirmé la décision précitée, compte tenu de la directive du Secrétariat d'Etat à l'économie (ci-après : SECO) du 9 avril 2020 selon laquelle, pour les demandes déposées en retard, le 17 mars est considéré comme date de réception si l'entreprise a dû fermer en raison des mesures prises par les autorités et qu'elle a déposé sa demande avant le 31 mars 2020. La société s'étant prévalue de deux courriels de renseignements relatifs à sa perte de gain (courriels du 17.03.2020 à l'Office fédéral de la santé publique [ci-après : OFSP] et du 27.03.2020 à CoronavirusEntreprises@ne.ch), auxquels elle n'avait reçu aucune réponse, l'ORCT a considéré qu'elle n'avait pas démontré, au degré de la vraisemblance prépondérante, que lesdits courriels avaient été envoyés, respectivement reçus, et que, même à supposer qu'ils aient été notifiés, il s'agissait là d'une demande de renseignements et non d'une demande d'indemnités RHT. Il a par ailleurs constaté que l'entreprise avait été en mesure de demander un prêt et était dès lors au courant ou en mesure de s'informer correctement sur les mesures prises afin de déposer une demande d'indemnités RHT le plus rapidement possible.

B.                            X.________ Sàrl interjette recours devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal contre la décision sur opposition précitée en concluant à son annulation et à l'octroi d'indemnités RHT dès le 17 mars 2020, sous suite de frais et dépens. Elle dépose copie du courriel du 27 mars 2020 précité qui indique qu'il a été lu par son destinataire le 27 mars 2020. Les conditions de forme pour les demandes d'indemnités RHT étant analysées de manière très souple par les autorités, elle allègue que ledit courriel doit être considéré comme une demande d'indemnités et non seulement une demande de renseignements. Enfin, vu la crise sanitaire, la situation aussi bien juridique qu'organisationnelle était floue et les informations difficiles d'accès, si bien que c'est à tort que la décision entreprise retient qu'elle était à même de se renseigner.

C.                            L'ORCT conclut au rejet du recours sans formuler d'observations.

D.                            La Caisse cantonale neuchâteloise d'assurance-chômage dépose le dossier relatif à la société.

C O N S I D E R A N T

en droit

1.                            Interjeté dans les formes et délai légaux, le recours est recevable.

2.                            Selon l'article 36 al. 1 LACI, lorsqu'un employeur a l'intention de requérir une indemnité en faveur de ses travailleurs, il est tenu d'en aviser l'autorité cantonale par écrit 10 jours au moins avant le début de la réduction de l'horaire de travail. Le Conseil fédéral peut prévoir des délais plus courts dans des cas exceptionnels. Selon la modification du 16 mars 2020 de l'Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19) du 13 mars 2020, les manifestations publiques ou privées ont été interdites et les établissements publics, tels que les magasins et les restaurants, fermés (art. 6 al. 1 et 2). Dans sa teneur en vigueur en mars 2020, l'Ordonnance COVID‑19 assurance‑chômage prévoit que le cercle des bénéficiaires des indemnités RHT est élargi, soit que le conjoint ou le partenaire enregistré de l'employeur ainsi que les personnes fixant les décisions prises par l'employeur peuvent prétendre à de telles indemnités (art. 1 et 2). Par ailleurs, plus aucun délai d'attente ne doit être déduit de la perte de travail à prendre en considération (art. 3). Dite ordonnance a été modifiée le 26 mars 2020, avec effet rétroactif au 17 mars 2020. Le nouvel article 8b prévoit qu'en dérogation aux articles 36 al. 1 LACI et 58 al. 1 à 4 OACI, l'employeur n'est pas tenu de respecter un délai de préavis lorsqu'il a l'intention de requérir l'indemnité RHT (al. 1). Le préavis de réduction de l'horaire de travail peut également être communiqué par téléphone. L'employeur est tenu de confirmer immédiatement par écrit la communication téléphonique (al. 2). Dans une directive du 6 avril 2020, le SECO a précisé que pour les demandes déposées en retard, le 17 mars est considéré comme la date de réception si l'entreprise a dû fermer en raison des mesures prises par les autorités et qu'elle a déposé sa demande avant le 31 mars.

Destinées à assurer l'application uniforme des prescriptions légales, les directives de l'administration n'ont pas force de loi et, par voie de conséquence, ne lient ni les administrés ni les tribunaux et n'ont pas à être suivies par le juge. Elles servent tout au plus à créer une pratique administrative uniforme et présentent à ce titre une certaine utilité. Elles ne peuvent en revanche sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu'elles sont censées concrétiser. En d'autres termes, à défaut de lacune, les directives ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 132 V 121 cons. 4.4, 131 V 42 cons. 2.3 et les références; arrêt du TF du 17.12.2010 [9C_283/2010] cons. 4.1). Or, il résulte tant de la jurisprudence que de la doctrine que la directive précitée du SECO n'est pas conforme à l'Ordonnance COVID-19 assurance-chômage étant donné que si l'employeur ne devait plus respecter, dès le 17 mars 2020, un délai de préavis de 10 jours, il était néanmoins tenu d'aviser l'autorité cantonale, par écrit, avant le début de la RHT en question, le droit aux indemnités ne pouvant naître rétroactivement à l'avis (Dunand/Wyler, Newsletter spéciale du 09.04.2020, Quelques implications du coronavirus en droit suisse du travail, p. 15-16 et les références citées; arrêt de la Chambre des assurances sociales de la Cour de droit public de la Cour de Justice de la République et canton de Genève du 25.06.2020 [ATAS/510/2020, A/1234/2020] cons. 5-7).

3.                            a) Dans le domaine des assurances sociales, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par l'autorité (cf. art. 43 LPGA). Cette règle n'est toutefois pas absolue. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Cela comporte en partie l'obligation d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi la partie concernée s'expose à devoir supporter les conséquences de l'absence de preuve. Malgré les pertes de documents pouvant se produire dans toute administration, la jurisprudence a presque toujours indiqué que les assurés supportaient les conséquences de l'absence de preuve en ce qui concerne et la remise de la liste des recherches d'emploi (cf. arrêts du TF du 16.04.2014 [8C_537/2013], du 14.12.1999 [C 294/99] cons. 2a, in DTA 2000 n° 25, p. 122; cf. aussi arrêt du TF du 29.07.2013 [8C_591/2012] cons. 4) et la date effective de la remise (arrêt du TF du 03.01.2008 [C 3/07] cons. 3.2). Le fait que des allégations relatives à la remise des justificatifs de recherches d'emploi (ou relatives à la date de celle-ci) soient plausibles ne suffit pas à démontrer une remise effective des justificatifs (ou une remise à temps). Une preuve fondée sur des éléments matériels est nécessaire (ATF 145 V 90 cons. 3.1; Rubin, Commentaire de la loi sur l'assurance-chômage, 2014, n. 32 ad art. 17 LACI).

b) Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 125 V 193 cons. 2). Il n’existe pas, en droit des assurances sociales, de principe selon lequel le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 cons. 5a; arrêt du TF du 11.07.2008 [8C_746/2007] cons. 5.1).

c) L'employeur peut annoncer la RHT par lettre ou par courriel et l'autorité lui impartit alors un délai pour remettre le formulaire officiel (bulletin LACI RHT G1 art. 36 LACI). La jurisprudence a précisé que, compte tenu du manque de fiabilité du trafic électronique en général, et en particulier des difficultés liées à la preuve de l'arrivée d'un message électronique dans la sphère de contrôle du destinataire, l'expéditeur d'un e-mail est invité à requérir du destinataire une confirmation de réception de son envoi (y compris des pièces annexées au courriel), et de réagir en l'absence de cette dernière en déposant son pli auprès de la poste ou en réessayant de l'envoyer par voie électronique. Il appartient en effet à l'expéditeur de prendre certaines précautions sans quoi il devra assumer le risque conformément aux règles sur la répartition du fardeau de la preuve précitée (arrêt du TF du 12.02.2019 [8C_239/2018] cons. 6.2.2 et les références citées).

4.                            Il n'est pas contesté que la recourante peut obtenir des indemnités RHT pour son seul employé et dirigeant.

Pour que des indemnités RHT puissent être octroyées dès le 17 mars 2020, une demande de préavis de réduction de l'horaire de travail aurait dû parvenir à l'autorité avant cette date.

La recourante n'apporte aucune preuve de l'arrivée du message électronique du 17 mars 2020 dans la sphère de contrôle de l'OFSP. Dès lors, à supposer que ce courriel puisse être considéré comme une demande d'indemnités RHT, aucune indemnité ne peut être accordée dès cette date.

Quant au courriel du 27 mars 2020, adressé à la hotline du Service cantonal de l'économie et transmis par la précédente mandataire de la recourante à l'ORCT le 25 mai 2020, on observe qu'il ne contenait aucune mention de suivi, contrairement à celui qui est déposé en annexe au recours devant la Cour de céans qui indique que le message a été lu le 27 mars 2020 à 13h21. Force est dès lors de constater qu'il est douteux que l'on puisse considérer que la preuve d'une confirmation de son envoi a été rapportée au degré de la vraisemblance prépondérante. Quoi qu'il en soit, n'ayant pas obtenu de réponse de la hotline, on pouvait attendre de la recourante qu'elle contacte à nouveau cette dernière par courriel ou par voie téléphonique, voire qu'elle mette en œuvre d'autres démarches dans le but d'obtenir les renseignements sollicités. On observe à cet égard que le site internet de l'Etat de Neuchâtel relatif à la hotline pour entreprises et mesures de soutien économique mentionne un système de prêt sans intérêts en faveur des entreprises et que la recourante a été en mesure de faire les démarches nécessaires pour l'obtenir. Enfin, même à supposer que la preuve de réception du courriel du 27 mars 2019 soit rapportée au sens de la jurisprudence précitée, c'est avec raison que l'ORCT qualifie ce dernier de demande de renseignements sur les mesures possibles et non de demande d'indemnités.

Partant, des indemnités RHT ne peuvent être octroyées dès le 27 mars 2020. Il faut préciser encore que la directive du SECO ne pouvait sortir du cadre fixé par la loi fédérale, si bien que, même à supposer l'existence d'une demande faite le 27 mars 2020, les indemnités n'auraient pu être octroyées dès le 17 mars 2020 mais seulement dès le 27 mars 2020.

5.                            Pour ces motifs, le recours doit être rejeté. Il est statué sans frais, la procédure étant en principe gratuite (art. 61 let. a LPGA). Vu l'issue de la procédure, il n'y a en outre pas lieu à allocation de dépens (art. 61 let. g LPGA).

Par ces motifs,
la Cour de droit public

1.    Rejette le recours.

2.    Statue sans frais.

3.    N'alloue pas de dépens.

Neuchâtel, le 6 janvier 2021

Art. 36 LACI
Préavis de réduction de l’horaire de travail et examen des conditions
 

1 Lorsqu’un employeur a l’intention de requérir une indemnité en faveur de ses travailleurs, il est tenu d’en aviser l’autorité cantonale par écrit dix jours au moins avant le début de la réduction de l’horaire de travail. Le Conseil fédéral peut prévoir des délais plus courts dans des cas exceptionnels. Le préavis est renouvelé lorsque la réduction de l’horaire de travail dure plus de trois mois.1

2 Dans le préavis, l’employeur doit indiquer:

a. le nombre des travailleurs occupés dans l’entreprise et celui des travailleurs touchés par la réduction de l’horaire de travail;

b. l’ampleur de la réduction de l’horaire de travail ainsi que sa durée probable;

c. la caisse auprès de laquelle il entend faire valoir le droit à l’indemnité.

3 Dans le préavis, l’employeur doit justifier la réduction de l’horaire de travail envisagée et rendre plausible, à l’aide des documents prescrits par le Conseil fédéral, que les conditions dont dépend le droit à l’indemnité, en vertu des art. 31, al. 1, et 32, al. 1, let. a, sont réunies. L’autorité cantonale peut exiger d’autres documents nécessaires à l’examen du cas.

4 Lorsque l’autorité cantonale estime qu’une ou plusieurs conditions dont dépend le droit à l’indemnité ne sont pas remplies, elle s’oppose par décision au versement de l’indemnité. Dans chaque cas, elle en informe l’employeur et la caisse qu’il a désignée.


1 Nouvelle teneur selon le ch. I de la LF du 19 mars 2010, en vigueur depuis le 1er avr. 2011 (RO 2011 1167; FF 2008 7029).

Art. 581OACI
Délai de préavis
(art. 36, al 1, LACI)
 

1 Le délai de préavis en cas de réduction de l’horaire de travail est exceptionnellement de trois jours lorsque l’employeur prouve que la réduction de l’horaire de travail doit être instaurée en raison de circonstances subites et imprévisibles.

2 Lorsque, au sein d’une entreprise, les possibilités de travail dépendent de l’entrée journalière des commandes et qu’il n’est pas possible de travailler pour constituer un stock, le préavis de réduction de l’horaire de travail peut être encore communiqué immédiatement avant qu’elle ne commence, au besoin, par téléphone. L’employeur est tenu de confirmer immédiatement par écrit la communication téléphonique.

3 L’al. 2 s’applique également, lorsque l’employeur a été empêché de donner le préavis dans le délai imparti.

4 Lorsque l’employeur n’a pas remis le préavis de réduction de son horaire de travail dans le délai imparti sans excuse valable, la perte de travail n’est prise en considération qu’à partir du moment où le délai imparti pour le préavis s’est écoulé.

5 L’art. 69, al. 1 et 2, sont applicables lorsque la perte de travail est due à des pertes de clientèle imputables aux conditions météorologiques.


1 Nouvelle teneur selon le ch. I de l’O du 11 mars 2011, en vigueur depuis le 1er avr. 2011 (RO 2011 1179).

Art. 1 OAC-Covid 19
 

En dérogation à l’art. 31, al. 3, let. b, de la loi du 25 juin 1982 sur l’assurance-chômage(LACI)2, le conjoint ou le partenaire enregistré de l’employeur, occupé dans l’entreprise de celui-ci a droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail.

Art. 2 OAC-Covid 19
 

En dérogation à l’art. 31, al. 3, let. c, LACI3, les personnes qui fixent les décisions que prend l’employeur – ou peuvent les influencer considérablement – en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière à l’entreprise ont le droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail; il en va de même des conjoints ou des partenaires enregistrés de ces personnes, qui sont occupés dans l’entreprise.

Art. 3 OAC-Covid 19
 

En dérogation aux art. 32, al. 2, et 37, let. b, LACI4, aucun délai d’attente n’est déduit de la perte de travail à prendre en considération.

Art. 8b OAC-Covid 19
 

1 En dérogation aux art. 36, al. 1, LACI12 et 58, al. 1 à 4, de l’ordonnance du 31 août 1983 sur l’assurance-chômage (OACI)13, l’employeur n’est pas tenu de respecter un délai de préavis lorsqu’il a l’intention de requérir l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail en faveur de ses travailleurs.

2 Le préavis de réduction de l’horaire de travail peut également être communiqué par téléphone. L’employeur est tenu de confirmer immédiatement par écrit la communication téléphonique.


1 Introduit par le ch. I de l’O du 25 mars 2020, en vigueur depuis le 26 mars 2020(RO 2020 1075).