Réf. : POL.2010.19/mad
Réf. MP: MP.2009.4683-BOU
1. a) En juin 2008, Y., alors âgée de 41 ans, a ressenti les premiers symptômes d'une maladie neurodégénérative. En décembre de la même année, le Professeur B., de la clinique de neurologie de l'hôpital universitaire de Zürich, a diagnostiqué une maladie de type "sclérose latérale amyotrophique".
b) Le médecin traitant de Y., le docteur H., auditionné aux fins de renseignement par le juge d'instruction, et le docteur I., neurologue entendu en qualité de témoin par le tribunal, ont expliqué en quoi consiste cette maladie. Il s'agit d'une maladie rare (touchant trois à sept personnes pour 100'000 habitants) dont l'issue est fatale dans tous les cas, dans un délai moyen de deux à quatre ans dès le diagnostic. Elle s'attaque aux neurones de la moelle et du cerveau et provoque une paralysie des muscles du patient. La maladie atteint toutes les parties du corps, mais ne touche pas à l'intellect. La paralysie progressive du patient se traduit par des crampes douloureuses, la perte de la déglutition, du langage, etc. Le patient se sent ainsi peu à peu emprisonné dans son propre corps, le décès intervenant finalement suite à des troubles respiratoires. Selon le Dr. I., cette maladie se caractérise par une progression extrêmement stéréotypée et rapide, pratiquement similaire d'un patient à l'autre. Il la qualifie de "cauchemar du neurologue", tant le diagnostic et les conséquences de la maladie sont terribles à communiquer au patient qui en est atteint. Sur la vingtaine de patients atteints de cette maladie dont il a eu à s'occuper, le Dr. I. précise que ceux-ci ont systématiquement demandé qu'on ne les laisse pas mourir des suites naturelles de leur maladie. Il indique enfin que les soins palliatifs sont très limités dans ce cas et se réduisent à apporter un peu de confort au patient. Des mesures plus invasives, du type respiration et alimentation forcée, peuvent théoriquement prolonger un peu la vie du patient mais celui-ci ne les demande en pratique que très rarement.
c) La progression de la maladie a été particulièrement rapide dans le cas de Y.. Le 8 décembre 2008, elle indiquait au Dr. H. qu'il ne lui restait plus que six mois de vie avec une certaine autonomie. Devant le juge d’instruction, le Dr. H. a jugé cette estimation réaliste dans la mesure où elle émanait du Prof. B.
d) Le 28 février 2009, Y. a adressé une demande d'adhésion à l'association "Exit-ADMD Suisse romande, Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité" (ci-après : Exit). Le 20 mars 2009, elle a annoncé au Dr. H. avoir pris contact avec Exit et lui a demandé de l'accompagner dans sa démarche. A cette date, Y. présentait déjà, selon le Dr. H., une paralysie partielle des membres supérieurs, des débuts de troubles de la déglutition et des troubles de la parole.
A la demande d'Exit, le Dr. H. a confirmé, dans un courrier du 3 juillet 2009, l'issue fatale de la maladie de sa patiente, tout en précisant que sa capacité de discernement était entière. Contrairement à ce qu'a indiqué le Dr. H. dans ce courrier, Y. est encore parvenue, malgré sa paralysie partielle des membres supérieurs, à écrire une lettre manuscrite le 1er juillet 2009 pour exprimer sa volonté de mettre fin à ses jours avec l'aide d'Exit. Dans cette lettre, elle indique que "ses souffrances, tant physiques que psychiques sont intolérables" et que son choix est mûrement réfléchi.
e) Donnant suite à la demande de Y., le secrétariat d'Exit a chargé ses représentants neuchâtelois, X. et C., de s'occuper de ce cas.
Pour C., il s'agissait de sa première expérience en qualité "d'accompagnateur", ainsi qu'Exit désigne les personnes qui prêtent leur assistance au suicide dans le cadre de l'activité de l'association.
X., médecin et juriste de formation, ancien médecin cantonal du canton de Neuchâtel, est membre du comité d'Exit depuis plus de deux ans. Elle intervient en qualité d'accompagnatrice lorsque des Neuchâtelois ont recours à Exit. Elle estime avoir fourni cette assistance à une douzaine de personnes depuis ses débuts.
f) Après avoir convenu d'un rendez-vous, X. et C. ont rendu visite à Y., à son domicile, courant juillet 2009. Celle-ci leur a confirmé sa volonté de mettre fin à ses jours avec leur aide. Lors de cet entretien, X. a constaté que Y. avait le bras droit entièrement paralysé, que le gauche commençait à être entravé et qu’elle pouvait encore marcher seule. Il ne lui était en revanche plus possible de boire autrement qu'avec une paille et elle avait déjà beaucoup de peine à parler.
Le fait que Y. ne puisse plus boire normalement posait la question de la façon dont elle pourrait s'administrer la substance létale, le pentobarbital de sodium. X. s'est rendu compte que l'état physique de Y. allait compliquer les choses. Il a donc été convenu avec Y. de lui poser une perfusion et qu'au besoin elle actionnerait le mécanisme libérant le produit létal contenu dans la perfusion à l'aide d'une ficelle ou d'un foulard.
L'association Exit ne reprenant jamais elle-même contact avec les personnes qui s'adressent à elle, Y. a indiqué à X. et à C. qu'elle les recontacterait fin août pour recevoir l'assistance au suicide.
g) Recontactée dans le courant du mois d'août, et après avoir consulté le Dr. H. pour la pose de la perfusion, X. et Y. ont fixé la date de l'assistance au suicide au 10 septembre 2009. Le jour en question à 07 h 30, Y., O., médecin et conjoint de la tante de Y., X. et C. se sont retrouvés chez le Dr. H. pour la pose de la perfusion. Lorsqu'elle a revu Y. ce jour-là, la première fois depuis leur visite au mois de juillet, X. a constaté que l'état physique de Y. s'était fortement dégradé et elle a senti qu'il serait très difficile, voire impossible, de faire en sorte qu'elle s'administre elle-même la potion létale. Y. ne pouvait alors plus utiliser ses membres supérieurs et elle marchait difficilement, soutenue par deux personnes. Elle ne pouvait plus s’exprimer que par des mots brefs.
Le Dr. H. a posé la perfusion sur une jambe de Y., ce qui n'a pas été sans mal en raison de la difficulté à trouver une veine. A cet instant, le Dr. H. a estimé que la solution envisagée pour que Y. libère la perfusion, actionnée par le pied, était techniquement envisageable. Il a en outre constaté que sa patiente était "extrêmement sereine, parfaitement lucide et pleinement apte à discerner". Elle lui a encore confirmé qu'elle voulait aller au bout de sa démarche. Toutes les personnes auditionnées dans le cadre de l'instruction ont par ailleurs confirmé la pleine capacité de discernement de Y. et sa volonté de mettre fin à ses jours.
h) Une fois la perfusion posée, Y., et les personnes qui l'accompagnaient, se sont rendues à son domicile. X., C., O., F., tante de Y., et R., conjoint de Y., étaient présents. Y. était installée sur son lit. Selon X., elle semblait alors très angoissée.
Au moment de mettre en œuvre le dispositif imaginé pour libérer la perfusion, actionnée par le pied de Y., plusieurs difficultés sont survenues. En premier lieu, il s'est avéré que la mollette qui ouvre la perfusion se tournait de bas en haut, ce qui aurait impliqué l'installation d'un système de poulies pour pouvoir l’actionner au moyen d’une ficelle reliée au pied de Y. Deuxièmement, la perfusion tenant difficilement dans la jambe de Y., les personnes présentes craignaient que la perfusion ne sorte si celle-ci s'agitait trop alors que seule une partie du liquide létal se serait écoulée, avec les conséquences que l'on peut imaginer. X. doutait de plus que Y. ait encore la force nécessaire pour actionner un tel système. C., R. et O. ont quant à eux indiqué que Y. aurait théoriquement encore eu la force nécessaire pour actionner le mécanisme prévu avec le pied si celui-ci avait pu être mis en place. Enfin, il est surtout apparu à X., à C. et à O. que la mise en œuvre de ce "bricolage", à cet instant, constituerait une mise en scène indécente et inhumaine.
Face à cette situation difficile, X. a pris l'initiative, avec l'accord tacite et au soulagement de toutes les personnes présentes, de demander à Y. de confirmer une dernière fois sa volonté d'en finir. Celle-ci a alors clairement répondu "maintenant". X. a installé la solution létale sur la perfusion. Elles ont ensuite convenu que X. libérerait elle-même la perfusion lorsque Y. lui en donnerait le signal en appuyant avec le pied sur une plaquette en bois située en bas du lit. Ce geste représentait, symboliquement, le mouvement que Y. aurait dû faire pour libérer la perfusion si l’installation prévue avait pu être mise en place. Quelques secondes plus tard, Y. a bougé le pied et a appuyé sur la plaquette en bois. X. a alors libéré la perfusion, le décès de Y. intervenant trois à quatre minutes plus tard, entre 9h15 et 9h20.
i) Toutes les personnes présentes lors du décès de Y. ont confirmé qu'elle avait clairement manifesté sa volonté d'en finir, jusqu'au tout dernier moment. Elles ont en particulier confirmé avoir vu Y. donner le signal convenu en bougeant le pied. Elles ont également souligné qu'au vu des circonstances, et à cet instant, il aurait été absolument inhumain de ne pas fournir à Y. l'assistance qu'elle demandait. Elles sont reconnaissantes à X. d'avoir pris les choses en main comme elle l'a fait.
j) X. explique qu'elle a bien conscience qu'elle se trouvait à la limite de ce que la loi autorise, mais qu'en de telles circonstances elle a simplement fait ce qu'elle avait à faire. Elle a d'ailleurs ressenti un immense soulagement chez Y. lorsqu'elle a décidé de renoncer au "système" initialement prévu. A ce stade, X. estime que toute considération juridique n'avait plus lieu d'être : il était tout simplement impensable de lui refuser cette assistance.
X. admet qu'elle n'a pas respecté les directives d'Exit, lesquelles stipulent que c'est la personne assistée qui doit faire le dernier geste. Elle estime cependant que dans ce cas, Y. a fait le "quasi" dernier geste dans la mesure où elle a appuyé avec son pied, au dernier moment, pour obtenir la libération de la perfusion. Elle soulève à cet égard la difficulté de savoir exactement en quoi consiste le dernier geste. Depuis lors, elle s'est ainsi équipée d'un appareil qui permet de libérer une perfusion en appuyant sur un gros bouton, ce qui est possible avec toutes les parties du corps, tel que le menton par exemple. Selon elle, il n'y a pas de doute que si elle avait disposé de cet appareil ce jour-là, il n'y aurait rien eu à lui reprocher en regard du droit pénal. Elle ajoute que si une machine adéquate existait, on pourrait même imaginer que la personne libère la perfusion grâce à un battement de cil et il s'agirait toujours d'assistance au suicide que la loi autorise. Cela montre bien, selon elle, la relativité de la notion de "dernier geste".
X. relève cependant qu'elle était persuadée jusqu'au jour en question que Y. pourrait s'administrer elle-même le produit létal. Ce n'est que sur le moment, confrontée à ces circonstances extrêmement tragiques, qu'elle s'est décidée à agir comme elle l'a fait. Elle admet qu'elle aurait peut-être dû refuser plutôt à Y., vu son état physique, le droit de recevoir l'assistance d'Exit. Elle indique qu'elle continue et continuera à refuser cette assistance à une personne qui n'est manifestement plus capable de s'administrer le produit par elle-même. Elle relève cependant toute l'absurdité du système légal puisque, selon elle, celui-ci amène à conseiller aux gens atteints d'une maladie telle que celle de Y. de se dépêcher de mourir.
k) Dans les instants qui ont suivi le décès de Y., X. a fait appel à la police ainsi qu'au médecin de garde pour qu'il constate le décès. Elle a clairement indiqué à la police le déroulement des faits. Informés de ceux-ci, le Ministère public a saisi le juge d'instruction pour qu'il détermine si une infraction à l'article 114 CP avait été commise. Après avoir entendu les personnes concernées, le juge d'instruction a requis du Ministère public l'ouverture d'une information pénale contre X. pour meurtre sur la demande de la victime (art. 114 CP). Donnant suite à cette réquisition, le Ministère public a renvoyé X. devant le Tribunal de police du district de Boudry. Il requiert sa condamnation à 45 jours-amende avec sursis pendant deux ans en application de l'art. 114 du Code pénal.
2. a) L’article 114 CP interdit de donner la mort à une personne, même lorsque celle-ci le demande. La vie n’étant pas un bien juridique dont le titulaire peut disposer librement, le consentement de la victime ne lève pas l’illicéité (Bernard Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3ème éd., Berne 2010, p. 54 ; BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Art. 114 N 11). Par rapport au meurtre «simple» (art. 111 CP), l’article 114 CP tempère cependant la peine encourue par l’auteur lorsque celui-ci, cédant à un mobile honorable, donne la mort sur la demande sérieuse et instante de la victime.
b) Pour que l’infraction de meurtre soit réalisée, l’auteur doit avoir intentionnellement adopté un procédé dont le but visé, et obtenu, est de mettre fin à la vie d’une personne. Le moyen utilisé à cette fin n’a pas d’importance (BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Art. 111 N 2 ss ; Corboz, op. cit., p. 25 ss). Pour bénéficier de l’allégement de peine de l’article 114 CP, l’auteur doit de plus agir parce que la victime le sollicite en ce sens. La victime doit être capable de discernement lorsqu’elle formule sa demande, celle-ci devant intervenir au moment où l’auteur agit (TF, 11 juin 2009, 6B_14/2009, consid. 1.2 ; Corboz, p. 55). La demande doit être présentée avec insistance et convaincre l’auteur que la victime est déterminée à recevoir la mort. L’auteur doit enfin être mû par un sentiment digne de considération, telle que la volonté de mettre fin aux souffrances ou aux tourments de la victime (Corboz, op. cit., p. 56).
c) X., par la voie de son mandataire, estime que son acte ne relève pas du meurtre sur la demande de la victime (art. 114 CP) mais de l’assistance au suicide, laquelle ne constitue pas une infraction, au sens de l’article 115 CP, dès lors que l’auteur n’est pas poussé par un mobile égoïste.
La doctrine distingue le meurtre sur la demande de la victime de l’assistance au suicide en se fondant sur le critère de la maîtrise effective de l’acte (en allemand : Tatherrschaft). L’assistance au suicide implique ainsi que le dernier geste nécessaire à provoquer la mort soit physiquement effectué par la personne qui désire se suicider. Si au contraire la personne qui fournit une assistance au suicide effectue elle-même ce dernier geste, son acte constitue un comportement homicide punissable en vertu des articles 111, 112, 113 ou 114 CP (cf. BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Art. 114 N 5, Art. 115 N 7 ; Ursula Cassani, L’assitance au décès : quelques repères de droit pénal, in Bertrand/Dumoulin/La Harpe/Ummel (éd.), Médecin et droit médical, 3ème éd., Genève 2009, p. 402 ; Corboz, op. cit, p. 62 ; DFJP, Rapport « Assistance au décès et médecine palliative : la Confédération doit-elle légiférer ? », Berne 2006, p. 10 ; Christopher Geth, Passive Sterbehilfe, Bâle 2010, p. 6 ss ; José Hurtado Pozo, Droit pénal, partie spéciale, Zurich 2009, p. 62 ; Martin Schubarth, Assistierter Suizid und Tötung auf Verlangen, RPS 127 (2009) 3, p. 7 ; Stratenwerth/Jenny/Bommer, Schweizerisches Strafrecht, BT I, 7ème éd., Berne 2010, p. 43 s. ; StGB PK-Trechsel/Fingerhuth, Art. 114 N 8). La doctrine donne quelques exemples de cas « difficiles ».
Lorsque une personne tétraplégique désirant se suicider est capable de boire et d’avaler ou de recracher par elle-même la solution létale portée à ses lèvres par la personne qui l’assiste, l’aide ainsi fournie reste dans le cadre admissible de l’assistance au suicide (BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Art. 115 N 7 ; StGB PK-Trechsel/Fingerhuth, Art. 115 N 3).
De même, la pose d’une perfusion dans le but d’injecter le produit létal demeure une assistance admissible pour autant que la personne désirant se suicider ouvre elle-même le mécanisme libérant la perfusion. En revanche, si la perfusion est libérée par la personne qui assiste, c’est bien celle-ci qui a la maîtrise du dernier geste de sorte qu’il ne s’agit plus d’une assistance au suicide, mais d’un comportement homicide (BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Art. 115 N 7). En définitive, on retiendra que la personne qui prête son assistance à un suicide ne doit pas adopter un comportement actif dans la commission du dernier geste destiné à provoquer, sans possibilité de retour en arrière, la mort.
d) En l’espèce, X. a ouvert elle-même le mécanisme libérant la substance létale contenue dans la perfusion. S’il est exact que Y. a fait un mouvement avec le pied pour simuler ce « dernier geste » et ainsi donner le signal convenu, c’est bien X. qui avait la maîtrise physique des opérations. Même en considérant que Y. a conservé jusqu’au tout dernier instant la maîtrise intellectuelle du processus, elle n’a pas eu le dernier geste nécessaire et suffisant à lui faire perdre la vie, celui-ci étant le fait de X.. Bien que, comme le souligne plusieurs auteurs (cf. Cassani, op. cit., p. 402 ; BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Art. 114 N 15 ; Günter Stratenwerth, Sterbehilfe, RPS 95 (1978) 60, p. 69), la frontière entre assistance au suicide et homicide paraît ténue dans de telles circonstances, voire même inexistante s’agissant de l’intention de leur auteur, le Code pénal marque cette différence, qu’il incombe au tribunal d’appliquer. Le geste de X. sera ainsi considéré comme un comportement homicide au sens des articles 111 ss CP et non comme une assistance au suicide au sens de l’article 115 CP.
e) Le geste de X. est intervenu dans le cadre de l’assistance au suicide que Y. avait sollicitée auprès de l’association Exit. Le tribunal n’a pas de doute quant à la ferme volonté de Y. de mettre fin à ses jours, volonté qu’elle a exprimée à plusieurs reprises dans les mois qui ont précédés son décès et jusqu’au dernier instant de sa vie. Il n’existe pas non plus de doute quant à la capacité de discernement de Y. le jour de son décès, ainsi qu’en a attesté son médecin traitant. Dans ce contexte, il est raisonnable de considérer que X. était intimement convaincue que Y. souhaitait avec insistance recevoir la mort. Le tribunal retient dès lors que c’est bien à la demande sérieuse et instante de Y. que X. a libéré la perfusion contenant la solution létale. Le tribunal retient enfin que X. était bien animée d’un sentiment digne de considération dans la mesure où elle a agi pour mettre fin aux souffrances physiques et psychiques de Y. Les conditions d’application de l’article 114 CP sont ainsi remplies.
3. a) Le fait que le comportement de X. remplisse les conditions d’application de l’article 114 CP n’exclut pas nécessairement que son acte soit rendu licite ou excusable pour d’autres motifs. Dans le cadre spécifique de l’infraction visée à l’article 114 CP, plusieurs auteurs soulignent ainsi que des situations très particulières, souvent qualifiées « d’extrêmes », peuvent justifier qu’un tel acte ne soit pas sanctionné pénalement (cf. Getz, op. cit., p. 6 s. ; Hurtado Pozo, op. cit., p. 20 ; Schubarth, op. cit., p. 14 ss ; BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Vor Art. 111 N 26, Art. 114 N 11). Une autre partie de la doctrine rejette cette possibilité en se fondant sur la systématique des infractions contre la vie (que le consentement ne justifie pas, art. 114 CP) et sur le caractère intangible de la vie humaine (cf. Getz, op. cit., p. 6 s. et les réf. citées note 15).
b) Le consentement de la victime constitue en principe une circonstance pouvant justifier, au sens de l’article 14 CP, la commission d’un acte puni par le code pénal (CR CP I-Monnier, art. 14 N 67 ss). A cet égard, l’article 114 CP constitue cependant une lex specialis qui exclut expressément que le consentement de la victime puisse permettre de justifier un homicide (CR CP I-Monnier, art. 14 N 76). L’article 114 CP n’exclut en revanche pas d’emblée que la commission d’un tel acte se justifie en regard d’autres circonstances généralement rattachées aux articles 14 ss CP.
De même, la protection, souvent qualifiée d’absolue, dont bénéficie la vie humaine connaît des exceptions dans des situations bien particulières, notamment lorsque plusieurs droits fondamentaux doivent être protégés de manière concurrente. L’usage de la force par la police, la légitime défense, l’euthanasie dite « passive » et l’euthanasie dite « active indirecte » sont des cas souvent cités dans lesquels il est généralement admis qu’une atteinte à la vie humaine n’est pas pénalement punissable si de strictes conditions sont remplies (cf. ATF 122 IV 1, consid. 4 s. ; Stefan Disch, L’homicide intentionnel, thèse, Lausanne 1999, p. 160 ss ; Geth, op. cit., p. 7 ; Hurtado Pozo, op. cit., p. 20 ; Schubarth, op. cit., p. 8 s. ; BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Vor Art. 111 N 6 s. et les réf. et exemples cités). La protection des droits fondamentaux, telle que la conçoit tant le droit suisse que le droit international, n’impose ainsi pas de criminaliser sans réserve tout comportement destiné à attenter à la vie humaine (BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Vor Art. 111 N 8). Dans un arrêt de 2002, la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH) jugeait notamment qu’ « il ne paraît pas arbitraire à la Cour que la législation reflète l'importance du droit à la vie en interdisant le suicide assisté [y compris « le dernier geste »] tout en prévoyant un régime d'application et d'appréciation par la justice qui permet de prendre en compte dans chaque cas concret tant l'intérêt public à entamer des poursuites que les exigences justes et adéquates de la rétribution et de la dissuasion » (Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 76, CEDH 2002-III).
S’agissant en particulier de l’assistance au décès (euthanasie, Sterbehilfe), notion inconnue du Code pénal, la doctrine majoritaire admet qu’il existe des situations où il se justifie qu’un tiers adopte un comportement qui cause la mort d’un être humain dans le but de sauvegarder les intérêts de celui-ci, tels que soulager ses souffrances, préserver sa dignité ou respecter l’autonomie de sa volonté (Cassani, op. cit., p. 400 s.). Il s’agit bien là d’une forme d’homicide qui peut trouver une justification lorsque certaines conditions sont réunies (Disch, op. cit, 178 ss ; Hurtado Pozo, op. cit., p. 20 et les réf. citées ; Schubarth, op. cit., p. 9 ; BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Vor Art. 111 N 6 ; Stratenwerth, op. cit., p. 80). L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) admet aussi, dans ses directives, qu’un médecin adopte un comportement de nature à mettre fin à la vie de son patient lorsque certaines strictes conditions sont remplies (cf. notamment les directives « Traitement et prise en charge des patients souffrant d’atteintes cérébrales extrêmes de longue durée » [2003], «Prise en charge des patients en fin de vie »[2004], « Soins palliatifs » [2006] et « Directives anticipées » [2009]).
La doctrine et l’ASSM distinguent généralement différents types d’assistance au décès : passive ou active, celle-ci pouvant être indirecte ou directe (cf. par ex. Petra Venetz, Suizidhilfeorganisationen und Strafrecht, Zürich 2008, p. 4 ss. ; Geth, op. cit., p. 4 ss). Brièvement résumé, dans les cas de patients en fin de vie, l’assistance est dite « passive » lorsqu’il s’agit de renoncer à mettre en œuvre des mesures de maintien de la vie ou à interrompre ces mesures, « active indirecte » lorsqu’il s’agit d’administrer une substance dans le but premier de soulager le patient mourant tout en sachant et en acceptant que cela aura pour effet d’abréger sa vie et « active directe » lorsque cette même substance est administrée dans le but premier d’abréger la vie du patient.
Il existe un consensus relativement large dans la doctrine pour admettre la licéité de l’assistance au décès dite passive et dite active indirecte lorsque certaines conditions sont remplies, en particulier celles fixées par les directives de l’ASSM. (cf. Cassani, op. cit., p. 401 ; Hurtado Pozo, op. cit., p. 20 ss). Dans ce même contexte de patients en fin de vie, la doctrine est en revanche beaucoup plus divisée sur la licéité de l’assistance dite active directe, notamment pour les raisons évoquées ci-dessus (cf. ch. 3 a). Or comme le considère plusieurs auteurs, la distinction entre actif et passif d’une part et direct et indirect d’autre part relève davantage d’une large zone grise que de catégories clairement reconnaissables (cf. Jean Martin, Assistance au suicide et dispositions éthiques/déontologiques, Une présentation résumée des enjeux, in Médecine & Hygiène 2004 2467, p. 258 ss ; Ricou/Chevrolet, Mourir aux soins intensifs, RMS 602 (2002), n° 22316, p. 4 s. ; BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Vor Art. 111 N 26 ; Schubarth, op. cit., p. 9, 14 s. ; Stratenwerth, op. cit., p. 80 s. ; Venetz, op. cit., p. 6 s.). Il paraît ainsi très délicat d’opérer une distinction objective et raisonnable entre le fait, par exemple, d’interrompre une assistance respiratoire ou un traitement médicamenteux dans le but d’abréger la vie du patient et le fait d’administrer une substance dans ce même but ; de même, administrer une substance dans le but de soulager et d’accélérer la mort ou dans le seul but d’accélérer la mort. Sous l’angle du droit pénal, il s’agit dans tous les cas de comportements homicides qu’il n’apparaît dès lors pas objectif et raisonnable de distinguer au moment d’examiner s’ils sont susceptibles d’être rendus licites par une ou plusieurs circonstances justificatives rattachées aux articles 14 ss CP.
La possibilité d’examiner si une situation d’assistance au décès dite active directe peut être rendue licite ou excusable au sens des articles 14 ss CP, en particulier lorsque la personne concernée n’est plus capable de mettre elle-même fin à ses jours, paraît de plus cohérente avec l’article 115 CP qui autorise de manière relativement large l’assistance au suicide (cf. ATF 133 I 58, consid. 6.3.4, JdT 2008 I 349 ; également Schubarth, op. cit., p. 9, qui souligne la discrimination des personnes incapables de se suicider par elle-même). A cet égard, la Cour EDH relève dans l’arrêt précité Pretty c. Royaume-Uni qu’il y a une « justification objective et raisonnable à l'absence de distinction juridique entre les personnes qui sont physiquement capables de se suicider et celles qui ne le sont pas ». Elle ajoute que la frontière entre les personnes qui sont en mesure de se suicider sans aide et celles qui en sont incapables « est souvent très étroite, et tenter d'inscrire dans la loi une exception pour les personnes jugées ne pas être à même de se suicider ébranlerait sérieusement la protection de la vie que la loi de 1961 [sur le suicide] a entendu consacrer et augmenterait de manière significative le risque d'abus » (Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 89, CEDH 2002-III). Il faut ici préciser que la loi britannique, contrairement à l’article 115 CP, interdit toute forme d’assistance au suicide. Or la loi suisse opère précisément cette distinction que la Cour EDH juge très étroite puisqu’elle ne criminalise que l’assistance au suicide servie à une personne qui n’est pas capable de se suicider par elle-même. Dans un arrêt récent qui concernait la procréation médicalement assistée, la Cour EDH a par ailleurs souligné « que les Etats ne sont nullement tenus de légiférer en matière de procréation artificielle ni de consentir à son utilisation. Cela étant, dès lors qu'un Etat décide de l'autoriser, il doit se doter, nonobstant l'ample marge d'appréciation dont les Parties contractantes bénéficient dans ce domaine, d'un régime juridique cohérent permettant une prise en compte suffisante des divers intérêts légitimes en jeu et respectueux des obligations découlant de la Convention » (S.H. et autres c. Autriche, n° 57813/00, § 74, 1er avril 2010 [renvoi devant la GC le 4 octobre 2010]).
Compte tenu de ce qui précède, il n’apparaît pas que l’ordre juridique suisse et international pose un obstacle théorique ou dogmatique absolu qui empêcherait d’examiner si le geste de X. peut trouver une justification, notamment sous l’angle des articles 14 ss CP. Il semble au contraire que le droit conventionnel qui lie la Suisse postule pour une application cohérente du régime juridique suisse de l’assistance au décès, permettant la prise en compte des divers intérêts légitimes en jeu. Il convient ainsi d’examiner si le geste de X. peut trouver une justification au sens des articles 14 ss CP.
c) Les auteurs qui admettent l’éventualité qu’une infraction à l’article 114 CP puisse être licite ou excusable ne se fondent pas tous sur le même fait justificatif. Schwarzenegger recourt ainsi à des motifs supra-légaux issus de la collision de plusieurs droits fondamentaux, en particulier la protection de la vie face à l’autonomie individuelle (BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Vor Art. 111 N 24 ss, Art. 114 N 11 ; cf. CR CP I-Monnier, art. 14 N 65). Schubarth parvient au même résultat en s’appuyant sur l’état de nécessité (Schubarth, op. cit., p. 14 s.). Dans un cas très différent de celui de X., le Tribunal fédéral a également admis le principe selon lequel un état de nécessité peut justifier qu’ « une personne tue pour mettre fin au véritable martyre qu’elle subit » (ATF 122 IV 1, consid. 5).
Au titre des faits justificatifs, le Code pénal mentionne expressément les actes autorisés ou ordonnés par la loi (art. 14 CP), la légitime défense (art. 15 et 16 CP) et l’état de nécessité (art. 17 et 18 CP). La jurisprudence et la doctrine admettent en outre que la sauvegarde d’intérêts légitimes et le conflit de devoirs constituent des motifs justificatifs extra-légaux (cf. CR CP I-Monnier, Intro. art. 14 à 18 N 4, art. 14 N 51 ss), qui peuvent être rattachés à l’état de nécessité (CR CP I-Monnier, art. 14 N 55 et 60 et les réf. citées). Pour apprécier si une situation concrète constitue un état de nécessité, ou un cas apparenté à un état de nécessité, il convient de procéder à une pesée des intérêts en présence (CR CP I-Monnier, art. 14 N 56 et 63 ss, art. 17 N 15). Dans son arrêt Pretty précité, la Cour EDH a par ailleurs indiqué que « la mesure dans laquelle un Etat permet ou cherche à réglementer la possibilité pour les individus en liberté de se faire du mal ou de se faire faire du mal par autrui peut donner lieu à des considérations mettant en conflit la liberté individuelle et l'intérêt public qui ne peuvent trouver leur solution qu'au terme d'un examen des circonstances particulières de l'espèce » (Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 41, CEDH 2002-III).
d) Il y a ainsi lieu d’examiner si en l’espèce la balance des intérêts en présence penche ou non en faveur d’une justification du comportement de X. sous l’angle de l’état de nécessité ou des motifs extra-légaux qui y sont rattachés.
Dans ce cadre, les auteurs qui soutiennent la possibilité de justifier un comportement constitutif d’infraction à l’article 114 CP lorsque les intérêts individuels de la personne concernée prennent le pas sur la protection de la vie se réfèrent aux critères suivants (BSK Strafrecht II-Schwarzenegger, Vor Art. 111 N 26 ; Schubarth, op. cit., p. 15 ; Rapport du groupe de travail « Assistance au décès », mars 1999, p. 34 ss).
Cette éventualité doit être réservée aux situations qualifiées d’extrêmes et dramatiques. C’est notamment le cas lorsqu’une personne se trouve en phase terminale d’une maladie incurable, que cette maladie lui cause des souffrances insupportables et impossibles à soulager par des mesures palliatives, que cette personne, capable de discernement, exprime la volonté ferme, claire et éclairée de mettre fin à ces jours et que son état physique ne le lui permet pas de se suicider par elle-même.
En l’espèce, le tribunal est convaincu, compte tenu notamment de la description qu’en on fait les Dr. I. et H., que la maladie dont Y. était atteinte, la sclérose latérale amyotrophique, constitue bien une maladie incurable causant de terribles souffrances et une perte de dignité (cf. également l’appréciation factuelle des conséquences de cette maladie effectuée par la Cour EDH, Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 7 ss, CEDH 2002-III). Se fondant sur les mêmes témoignages, le tribunal est également convaincu que ces souffrances, que Y. a elle-même qualifiées d’intolérables tant physiquement que psychiquement, ne pouvaient pas être soulagées par des soins palliatifs. Il est enfin certain que Y. serait décédée des suites de sa maladie dans un avenir proche tant l’évolution de celle-ci à été rapide dans son cas.
Comme il l’a déjà mentionné plus haut, le tribunal retient que Y., en pleine possession de ses facultés mentales, a exprimé de manière non équivoque la volonté de mourir et qu’elle n’était, au vu du déroulement des derniers instants de sa vie, plus en état de réaliser cette volonté par elle-même.
Aux yeux du tribunal, les conditions généralement posées par la doctrine susmentionnée pour admettre une justification à un geste tel que celui de X. sont ici remplies. Il faut de plus relever le contexte spécifique dans lequel ce geste a été commis. X. a en effet pris la décision d’agir comme elle l’a fait dans le cadre d’un processus qui aurait dû rester une assistance au suicide que la loi autorise puisqu’il était prévu et convenu que Y. ferait elle-même le dernier geste. Ce n’est qu’au dernier moment, alors qu’elle se trouvait déjà sur son lit de mort, qu’il s’est avéré que Y. n’en était pas capable. Que X. soit ou non responsable de cette situation n’enlève rien au fait qu’à ce stade ultime de la démarche initiée par Y., il eût été particulièrement cruel de lui refuser ce dernier geste. On ne saurait par ailleurs reprocher à X., dans la survenance de cette situation tragique, autre chose qu’une erreur d’appréciation quant à sa propre capacité à mettre en place le système qu’elle avait prévu ou quant à la capacité physique résiduelle de Y. dans la mesure où l’assistance au suicide, sinon le dernier geste, est autorisée.
Dans ces circonstances très particulières, le tribunal considère qu’il était légitime de privilégier l’intérêt individuel de Y. à sauvegarder l’autonomie de sa volonté, à préserver sa dignité et à mettre un terme à ses souffrances par rapport à l’intérêt public de protection de la vie. Il sera ainsi admis que X. a agi au bénéfice d’une circonstance justificative au sens des articles 14 ss CP. Sans trancher de manière définitive la question, on retiendra soit l’état de nécessité au sens des articles 17 et 18 CP, soit les circonstances rattachées à l’état de nécessité, à savoir la sauvegarde d’intérêts légitimes ou le conflit de devoirs ; cette dernière circonstance pouvant trouver application dans la mesure où X. est médecin, même si on ignore si elle s’est présentée comme tel à Y. Il apparaît en effet que X. peut avoir agi pour préserver les droit fondamentaux de Y. d’un danger imminent et impossible à détourner autrement (état de nécessité) ou, subsidiairement, pour sauvegarder ces mêmes droits fondamentaux (sauvegarde d’intérêts légitimes) ou encore pour accomplir son devoir de médecin de préserver la dignité et l’autodétermination de sa patiente et de lui éviter de souffrir (conflit de devoirs). L’application de l’état de nécessité ou des circonstances qui y sont assimilées conduit à considérer l’acte comme licite si le bien protégé est plus précieux que le bien lésé et à le considérer comme excusable si ces deux biens sont de valeur équivalente (CR CP I-Monnier, art. 14 N 63, art. 17 N 14). Dans la mesure où, dans les deux cas, cela conduit à libérer X. des fins de la poursuite pénale et que la résolution de cette question n’a en l’espèce pas d’autre incidence, elle sera laissée ouverte (cf. art. 17 et 18 al. 2 CP ; CR CP I-Monnier, intro. aux art. 14 à 18, N 6). X. sera dès lors acquittée.
Vu les articles 14 ss, 114 CP,
par ces motifs :
1. Acquitte X..
2. Laisse les frais de justice à la charge de l’Etat.
Boudry, le 6 décembre 2010
La greffière Le président suppléant extraordinaire